Communiqué du 21 avril 2017 - Nous sommes toujours Charlie
Communiqués et discours | Publié le 21/04/2017 | émis le 21/04/2017
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Communiqué de presse
Nous sommes toujours Charlie
La compagnie du théâtre K a mis au point en 2015, trois mois après le massacre de Charlie Hebdo, un spectacle à partir de la "Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes" (ouvrage posthume de Charb, reprenant ses chroniques parues dans Charlie Hebdo).
Le Président de l'Université de Lille 2 a récemment décidé la déprogrammation de ce spectacle, au motif du « risque de débordement » et de « problèmes de sécurité » que le spectacle pourrait susciter. Ce renoncement porte gravement atteinte à la liberté d'expression, au droit de critiquer toutes les convictions, y compris religieuses, qui fondent toute démocratie.
Il fait ainsi le lit de ceux que voulait dénoncer Charb : les ennemis de la laïcité et de la tolérance.
Le Grand Orient de France est parfaitement conscient que dans le contexte actuel, défendre les libertés présente des risques.
Pour autant, ne pas les affronter expose au risque encore plus fondamental de concourir à l'abdication de la République devant ceux qui la menacent.
Paris, le 21 avril 2017
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Douce guerre
À quelques jours de la fin du périple, on veut reprendre son souffle, oublier ce « sale conflit » en ânonnant ses onze noms. En pure perte, les facéties des uns, les provocations des autres, les attaques qui vont, jour après jour, crescendo, tiennent lieu de « discours amoureux » à la nation hésitante.
Puis, il y a les meetings retransmis par les chaînes d’information : les soutiens s’y pressent, s’excitent et transpirent. Ils sont une forme nouvelle de la télé-réalité politique. Tout y est subtilement indécent… Pourtant, nous les regardons d’un œil : il ne faudrait pas nous mettre en retard d’une embuscade ou d’une guerre. Il faut aussi compter avec ces drapeaux tricolores, vendus au concert de « l’idole du peuple », nous disant : « N’ayez crainte, nous sommes bien en France ». Nous pourrions, en effet, être en Espagne de Rajoy, au Royaume-Uni de May, en Bolivie de Maduro, en Allemagne de Merkel, et pourquoi pas sur Mars...
Un jour pousse l’autre, et la nuit se désire. Quand le coq (ou l’âne) nous tire du sommeil, les sondages nous assaillent. Je crains, du reste, qu’ils ne nous laissent pas souffler, et regarder le paysage de nos escapades bienfaitrices.
D’aucuns m’ont fait le reproche de ne pas prendre partie. Je ferai mon devoir électoral les 23 avril et 7 mai prochains. D’autres m’ont suspecté de rouler pour un des membres de la « bande des quatre », pour reprendre une vieille lune maoïste.
La douce guerre civile française ! On nous presse de choisir notre camp, « còsta que còsta » (1) ! On a même, dans ce dessein, convoqué l’histoire de France et de Navarre. Bien sûr, les dangers sont réels : le retour d’un succédané du régime de Vichy, par exemple. Mais, que reste-t-il de nos tranquillités ? Je sais, c’est obsessionnel. Ai revu les dernières minutes de Mulholland Drive, et me suis redit que le mystère qui traverse, de bout en bout, le chef d’œuvre de Lynch, était encore et toujours total ; ai fini “Comme les amours”, l’étrange roman de Javier Marías, où l’être aimé, brusquement disparu, agite la mémoire d’une veuve qui ne sait plus à quel souvenir douloureux se vouer. Comme nous, peut-être ?
SJ
1. Coûte que coûte.
2. Folio, 6236.
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Sept Obédiences maçonniques lancent un Appel Républicain pour les élections présidentielles - 13 avril 2017
Communiqués et discours | Publié le 14/04/2017 | émis le 13/03/2017
Présidentielle : des obédiences maçonniques lancent un Appel républicain
Les Obédiences maçonniques signataires de cet Appel rappellent l’importance de la prochaine échéance électorale qui va engager notre pays pour les années qui viennent. Hors de nos territoires le résultat de cette élection sera observé par toutes celles et tous ceux qui se font une certaine idée de la France républicaine, porteuse historique des idéaux de Liberté, d’Egalité et de Fraternité.
Les Obédiences signataires de cet Appel ne donnent aucune consigne de vote. Mais elles tiennent à rappeler solennellement les valeurs et les principes qui doivent unir les énergies de notre peuple en vue du développement du bien commun.
Les Obédiences signataires revendiquent leur idéal humaniste universaliste et rappellent leur attachement à la République, à la séparation des pouvoirs, au vote comme outil citoyen, à la laïcité pleine et entière comme forme élevée de la paix sociale, à la liberté absolue de conscience, à l’école comme espace préservé préparant au vivre ensemble.
Elles sont attachées à l’édification de sociétés fraternelles respectueuses de la dignité humaine, soucieuses de ne pas considérer l’être humain comme une variable d’ajustement d’une économie dérégulée. Elles veulent faire progresser l’égalité des droits, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Au racisme, à la haine de l’autre et aux murs elles opposent la volonté de bâtir des ponts.
Les Obédiences signataires de cet Appel invitent donc les citoyens français à la vigilance la plus grande. Des menaces très inquiétantes pèsent toujours sur notre société. Communautarismes clivants et visions régressives de la vie en société et des rapports entre femme et homme se nourrissent les uns des autres.
En France et hors de France poussent les égoïsmes nationaux et les pulsions identitaires. Rôdent des menaces d’affrontements et de guerres. Des pans entiers de notre société, dont nombre de jeunes, sont en totale désaffection vis-à-vis de l’engagement et des projets politiques, alors qu’exercer son devoir de citoyen en allant voter est plus que jamais essentiel.
Nous voyons avec inquiétude des positions publiques décomplexées et omniprésentes s’affirmer et occuper les esprits. Elles menacent la séparation des pouvoirs et appellent à des confrontations néfastes. Des concepts et des idéaux qui sont et restent des ferments d’avenir sont manipulés et détournés de leur sens. De vieilles perspectives qui ont fait tant de mal dans le passé réapparaissent sous des formes adaptées aux temps actuels et aux repères parfois perdus.
Pourtant nous voulons inviter nos concitoyens femmes et hommes à ne pas cultiver le déclinisme et la peur, l’abandon ou le repli. Il est inexact de considérer que notre société n’est traversée que de menaces et de dangers. Des espaces ouverts de recherche du progrès humain et l’aspiration à plus de justice existent bien, en particulier chez les jeunes.
Il s’agit donc de chercher des solutions pour l’avenir en gestation dans le monde d’aujourd’hui. Ce travail-là est essentiel. Il doit s’inscrire dans une démarche ouverte et réfléchie, de celles qui inspirent des moments importants de l’Histoire.
Il faut bâtir, et non pas craindre.
C’est en prenant en compte cette aspiration que la parole politique, brouillée par des engagements égarés et des pratiques condamnables, pourra se faire entendre largement, se régénérer et revivifier l’espace démocratique.
Les Francs-Maçonnes et Francs-Maçons signataires de cet Appel invitent les citoyens à voter en conscience, de manière éclairée, à veiller dans leurs choix à ce que soit garanti le respect des valeurs et principes qui unissent. Ils incitent à refuser les terribles ferments de discorde et d’affrontements, à se situer dans une démarche responsable et prospective, génératrice d’une fraternité humaine généreuse et créative.
Obédiences signataires :
Grand Orient de France
Fédération française du DROIT HUMAIN
Grande Loge Féminine de France
Grande Loge Féminine de Memphis Misraïm
Grande Loge Mixte Universelle
Grande Loge Mixte de France
Grand Chapitre Général Féminin de France
Grande Loge des Cultures et de la spiritualité
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Discours lors de l’inauguration du Monument de la Résistance
du plateau des Glières
André Malraux
2 septembre 1973
Discours prononcé par André Malraux le 2 septembre 1973 à l’occasion de l’inauguration du Monument de la Résistance érigé par le sculpteur Émile Gilioli sur le Plateau des Glières.
Je parle au nom des Associations des Résistants de Haute-Savoie et de l’Ordre de la Libération. En mémoire du général de Gaulle, pour les survivants et pour les enfants des morts.
Lorsque Tom Morel eut été tué, le maquis des Glières exterminé ou dispersé, il se fit un grand silence. Les premiers maquisards français étaient tombés pour avoir combattu face à face les divisions allemandes avec leurs mains presque nues, non plus dans nos combats de la nuit, mais dans la clarté terrible de la neige. Et à travers ce silence, tous ceux qui nous aimaient encore, depuis le Canada jusqu’à l’Amérique latine, depuis la Grèce et l’Iran jusqu’aux îles du Pacifique, reconnurent que la France bâillonnée avait au moins retrouvé l’une de ses voix, puisqu’elle avait retrouvé la voix de la mort.
L’histoire des Glières est une grande et simple histoire, et je la raconterai simplement. Pourtant, il faut que ceux qui n’étaient pas nés alors — et depuis, combien de millions d’enfants ! — sachent qu’elle n’est pas d’abord une histoire de combats. Le premier écho des Glières ne fut pas celui des explosions. Si tant des nôtres l’entendirent sur les ondes brouillées, c’est qu’ils y retrouvèrent l’un des plus vieux langages des hommes, celui de la volonté, du sacrifice du sang.
Peu importe ce que fut dans la Grèce antique, militairement, le combat des Thermopyles. Mais dans ses trois cents sacrifiés, la Grèce avait retrouvé son âme, et, pendant des siècles, la phrase la plus célèbre fut l’inscription des montagnes retournées à la solitude, et qui ressemblent à celles-ci : « Passant, va dire à la cité de Sparte que ceux qui sont tombés ici sont morts selon la loi. »
Passant, va dire à la France que ceux qui sont tombés ici sont morts selon son cœur. Comme tous nos volontaires depuis Bir-Hakeim jusqu’à Colmar, comme tous les combattants de la France en armes et de la France en bâillons, nos camarades vous parlent par leur première défaite comme par leur dernière victoire, parce qu’ils ont été vos témoins.
On ne sait plus guère, aujourd’hui, que tout commença par un mystère de légende. Le plateau des Glières était peu connu ; presque inaccessible, et c’est pourquoi les maquis l’avaient choisi.
Mais alors que nous combattions par la guérilla, ce maquis, à tort ou à raison — peu importe : la France ne choisit pas entre ses morts ! — avait affronté directement la Milice, allait affronter directement l’armée hitlérienne. Presque chaque jour, les radios de Londres diffusaient : « Trois pays résistent en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie. » La Haute-Savoie, c’était les Glières.
Pour les multitudes éparses qui entendaient les voix du monde libre, ce plateau misérable existait à l’égal des Balkans. Pour des fermiers canadiens au fond des neiges, la France retrouvait quelques minutes d’existence parce qu’un Savoyard de plus avait atteint les Glières.
La Milice de Darnand, les troupes italiennes, la police de l’Ovra, n’avaient pas suffi pour venir à bout de ces combattants toujours regroupés. Hitler y mit la Gestapo, et contre nous, la Gestapo pesait lourd. La Gestapo ne suffit pas.
En janvier 44, les maquis de l’Ain sont harcelés par trois divisions. Ceux de Haute-Savoie reçoivent l’ordre de se regrouper ici, au commandement du lieutenant Tom Morel, décoré en 40 pour l’un des plus éclatants faits d’armes des unités alpines. La montée commence. Les accrochages aussi. Le 13 février, les messages codés de la BBC annoncent le premier parachutage.
Voici la nuit. Le champ — pauvre champ — est éclairé par cinq torches électriques et des lampes de poche. On n’entend pas les avions. On n’entend rien. Jusqu’à ce que les sirènes antiaériennes d’Annecy emplissent lentement la nuit. Bon augure : les avions approchent. Mauvais augure : ils sont repérés. On allume les quatre énormes bûchers de sapin préparés. Le bruit des moteurs. Le premier avion, invisible, fait clignoter son signal. Le bruit s’éloigne. La neige, le flux et le reflux des sirènes dans la nuit préhistorique. Pas encore d’ennemis, plus d’amis. Mais sur le ciel noir, apparaissent un à un, éclairés en roux par les feux du sol, cinquante-quatre parachutes. Pas d’armes lourdes.
Tant pis. Les accrochages reprennent. Le 9 mars, cent hommes des Glières vont attaquer Entremont pour délivrer des prisonniers. Après deux heures et demie de descente, ils atteignent le village qu’alertent les chiens. Village conquis, prisonniers délivrés, 47 gardes, prisonniers à leur tour, montent ici, tirant un monceau d’armement. Tirant aussi le corps de Tom Morel, tué par le commandant des gardes capturé, à qui il avait laissé son revolver.
Le maquis enterre son chef. Et entend, bouleversé, le glas de toutes les églises monter de la vallée comme montait l’appel des sirènes pendant le parachutage. Ici, le drapeau claque dans les rafales de neige, sur ce que Tom Morel appelait « le premier coin de France qui ait recouvré la liberté ».
Le mot « Non », fermement opposé à la force, possède une puissance mystérieuse qui vient du fond des siècles. Toutes les plus hautes figures spirituelles de l’humanité ont dit Non à César. Prométhée règne sur la tragédie et sur notre mémoire pour avoir dit Non aux Dieux. La Résistance n’échappait à l’éparpillement qu’en gravitant autour du Non du 18 juin. Les ombres inconnues qui se bousculaient aux Glières dans une nuit de Jugement dernier n’étaient rien de plus que les hommes du Non, mais ce Non du maquisard obscur collé à la terre pour sa première nuit de mort suffit à faire de ce pauvre gars, le compagnon de Jeanne et d’Antigone... L’esclave dit toujours oui.
Les gardes de Vichy attaquent au Sud, du côté de Notre-Dame, pour délivrer les leurs, et sont repoussés. Le combat s’achève à peine lorsque la BBC transmet le message : « Le petit homme casse des tessons de bouteille. » Avant minuit, trente quadrimoteurs larguent 90 tonnes de matériel.
Quand un avion allemand vient en reconnaissance, la vaste neige est encore constellée de parachutes multicolores : le ramassage n’est pas terminé. Le lendemain, trois Heinkel bombardent et mitraillent à loisir le plateau redevenu innocent. Sans grands résultats. Sauf celui-ci : les Allemands savent désormais que le maquis ne possède pas d’armes antiaériennes. Donc cinq jours plus tard, Stukas et Junkers. Chalets transformés en torches. Le capitaine Anjot remplace Tom Morel au commandement des Glières. Nouvelle attaque des gardes, de nouveau repoussée. Le 23, bombardement massif. Les Allemands prennent le commandement. Une division alpine de la Werhrmacht arrive à Annecy.
Assistée de deux escadrilles de chasseurs et de bombardiers. Police allemande, Milice vichyste. L’artillerie divisionnaire, les automitrailleuses.
En face, le maquis dont nous attendons, heure après heure, que la radio de Londres nous parle. Entre tant de Français à l’écoute, pas un ne sait que ce maquis est un fantôme. Moins de cinq cents combattants. L’armement qui attend leurs compagnons ne comprend que des armes légères. Contre l’artillerie divisionnaire allemande et les automitrailleuses, par un canon, pas un bazooka. Plus de ravitaillement. Autour, vingt mille hommes.
Le premier grand combat du Peuple de la Nuit s’engage. Écoutons les dépêches allemandes :
Le 24 : « Terroristes font sauter train renforts allemands devant Annecy — Attaque Milice au-dessus d’Entremont. Sentinelles espagnoles tuées — Rejointes par groupes terroristes — Milice engagée deux heures stop — Troupes Milice regroupées à l’arrière. »
Le 25 : « Préparation artillerie et bombardement aviation. »
Le 26 : « Attaque Milice ouest et nord-ouest. Troupes regroupées — Attaque allemande nord stoppée, envoyez aviation — Nos mortiers mis en place — Attaque Milice et garde de réserve deux points ouest depuis cinq heures — Attaque générale 11 heures. »
Ils attaquent, en effet, de tous côtés.
L’avant-poste de la passe d’Entremont — dix-huit hommes — est attaqué par deux bataillons. Deux sections de renfort atteignent la passe. Le premier fusil-mitrailleur s’enraye. Le second est détruit, son servant tué. L’un des deux chefs de section, Baratier, a l’impression d’être seul à tirer: il ignore qu’il survit seul. Il se replie en continuant à combattre, est pris à revers et tué. Il défendait la passe depuis une heure et demie.
Les maquisards, qui se rabattent vers le centre, reçoivent plus vite les munitions, et tiennent. Pourquoi l’ennemi s’enfouit-il dans la neige ? Dix minutes plus tard, commencent les piqués ininterrompus des Stukas, serrés comme des fers de herse. La nuit va descendre. Le capitaine Anjot combat devant les tombes de Morel et de Descours. L’aviation s’en va, remplacée par le pilonnage méticuleux de l’artillerie. Il fait nuit. Le 27 au matin, les troupes allemandes de l’est touchent le poste de commandement du maquis, commencent le feu. En face, des cris allemands, poussés par leurs camarades de l’ouest. Les maquisards ont disparu.
Ils connaissaient bien ce terrain, que les Allemands ne connaissaient pas du tout. Anjot a convoqué les chefs de section, et ils ont décidé de décrocher.
Pendant que toute la Résistance, à l’écoute, attend le pire (chacun sait maintenant que les Glières n’ont ni canons ni avions), des chaînes de fantômes qui se tiennent par la main dans la nuit pour pouvoir relever leurs blessés lorsqu’ils tombent, traversent l’anneau discontinu des troupes d’assaut. Encore leur faut-il arriver jusqu’aux agglomérations de la vallée, où leurs camarades que l’on appelle les sédentaires leur donneront asile.
Le jour se lève.
Alors, commence la grande trahison de la neige.
Ces insaisissables fantômes dont les Allemands ne rencontraient que les balles et ne trouvaient que les cadavres, sont partis avec la nuit. « La petite aube dissipe les spectres », dit le proverbe espagnol qu’un des miliciens de l’Ebre cite au capitaine Anjot. Ces ombres, hélas ! sont devenues des traces. Les Allemands cherchent le gros du maquis réfugié dans quelque abri de montagne, car ils croient combattre quelques milliers d’adversaires. Mais nombreuses ou non, les traces mènent aux hommes, et les sections ennemies occupent les pentes. Le lendemain, le capitaine Anjot et les six Espagnols qui combattent avec lui sont tués. De ce qui fut l’épopée des ombres, il ne restera le jour venu que 121 cadavres tués entre les villages, exécutés sur les places ou torturés à mort. « Inutile de reprendre l’interrogatoire des lessés, télégraphie la Gestapo : ces débris sont vides. »
C’est l’heure des représailles. Les paysans suspects de contacts avec le maquis sont exécutés ou déportés, et l’on reconnaît les hameaux, la nuit, aux torches des chalets qui flambent.
Pourtant, si les torturés sont vides, la Résistance ne l’est pas encore. Le premier chef est mort, le second chef est mort; les rescapés organisent d’autres maquis, rejoints par des jeunes de plus en plus nombreux. Le gros des unités allemandes est appelé en Normandie. Le 1er mai, les maquis les plus proches reviennent manœuvrer sur ce plateau où ils retrouvent les cylindres couverts de rouille des parachutages, entre les chalets incendiés. Le 14 juillet, ils défilent à travers Thônes. Le 1er août, les camions ont rassemblé 1 500 hommes de l’armée secrète et 400 FTP. À onze heures, les forteresses volantes lâchent le dernier parachutage, qui apporte enfin les armes lourdes.
Fini le temps des maquis de misère ! Un char qui se dresse est certes une terrible bête ; mais pour lui, un bazooka invisible est un monstre caché. C’est le bazooka, non la mitraillette, qui a fait des vrais maquis une force supplétive considérable. Un char est plus fort qu’une compagnie de mitraillettes, il n’est pas plus fort qu’une torpille.
Le 13, pendant trois jours, les automitrailleuses ennemies combattent les maquis, et sautent. Le 19, lorsque la radio annonce que l’insurrection générale commence à Paris, cinq mois jour pour jour après l’attaque des Glières, le général Oberg, qui la commandait, apporte au capitaine Nizier, chef militaire de la Résistance, la capitulation de ses troupes.
Alors, dans tous les bagnes depuis la Forêt-Noire jusqu’à la Baltique, vos déportés qui survivaient encore se levèrent sur leurs jambes flageolantes. Et le peuple de ceux dont la technique concentrationnaire avait tenté de faire des esclaves parce qu’ils avaient été parfois des héros, le peuple dérisoire des tondus et des rayés, notre peuple ! pas encore délivré, encore en face de la mort, ressentit que même s’il ne devait jamais revoir la France, il mourrait avec une âme de vainqueur.
Et maintenant, le grand oiseau blanc de Gilioli a planté ses serres ici. Avec son aile d’espoir, son aile amputée de combat, et entre elles, son soleil levant. Avec son lieu de recueillement, sa statue dont les bras dressés sont pourtant des bras offerts. Avec ses voix entrecroisées, qui feront penser à l’interrogation des tombeaux égyptiens : « Que disent les voix de l’autre monde, avec leur bruit d’abeilles... » Elles disent : « Nous sommes les torturés agonisants, dont la Gestapo disait qu’il était inutile de les lui envoyer puisqu’ils étaient vides. »
Les Espagnols tombés ici en se souvenant des champs de l’Ebre et du jour où la Révolution vida les monts-de-piété de tout ce que les pauvres y avaient engagé.
Les Français qui avaient rejoint après avoir combattu, eux, dans la ligne Maginot jusqu’au dernier jour. Les gens des villages sans lesquels le maquis n’aurait pu ni se former ni se reformer ; ceux qui ont sonné le glas pour lui ; ceux que les hitlériens ont déportés, ceux qu’ils ont fait courir pour rigoler, pendant la répression, devant leurs mitrailleuses qui les descendirent tous.
Peu importent nos noms, que nul ne saura jamais. Ici, nous nous appelions la France. Et quand nous étions Espagnols, nous nous appelions l’Ebre, du nom de cette dernière bataille. Je suis la mercière fusillée pour avoir donné asile à l’un des nôtres. La fermière dont le fils n’est pas revenu.
Nous sommes les femmes, qui ont toujours porté la vie, même lorsqu’elle risquaient la leur. Nous sommes les vieilles qui vous indiquaient la bonne route aux croisées des chemins, et la mauvaise, à l’ennemi. Comme nous le faisons depuis des siècles. Nous sommes celles qui vous apportaient un peu à manger ; nous n’en avions pas beaucoup. Comme depuis des siècles.
Nous ne pouvions pas faire grand-chose ; mais nous en avons fait assez pour être les Vieilles des camps d’extermination, celles dont on rasait les cheveux blancs. Jeanne d’Arc ou pas, Vierge Marie ou pas, moi, la statue dans l’ombre au fond du monument, je suis la plus vieille des femmes qui ne sont pas revenues de Ravensbrück. Morel, Anjot et tous mes morts du cimetière d’en bas, c’est à moi que viendront ceux qui ne connaîtront pas votre cimetière. Ils sauront mal ce qu’ils veulent dire lorsqu’ils chuchotent seulement qu’ils vous aiment bien.
Moi, je le sais, parce que la mort connaît le murmure des siècles. Il y a longtemps qu’elle voit ensevelir les tués et les vieilles. Il y a longtemps, Anjot, qu’elle entend les oiseaux sur l’agonie des combattants de la forêt ; ils chantaient sur les corps des soldats de l’an II. Il y a longtemps qu’elle voit les longues files noires comme celle qui a suivi ton corps, Morel, dans la grande indifférence de l’hiver. Depuis la fonte des glaces, vous autres dont les noms sont perdus, elle voit s’effacer les traces des pas dans la neige, celles qui ont fait tuer. Elle sait ce que disent aux morts ceux qui ne leur parlent qu’avec les prières de leur mère, et ceux qui ne disent rien. Elle sait qu’ils entendront le glas que toutes les églises des vallées ont sonné un jour pour vous, et qui sonne maintenant dans l’éternité.
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a 4e édition des Utopiales Maçonniques se déroulera les samedi 8 et dimanche 9 avril prochains au siège du Grand Orient de France, à PARIS.
L'entrée aux tables rondes et aux conférences est libre et gratuite mais l'inscription est obligatoire pour y assister.
Avec les grands témoins et conférenciers : Jean-Louis CABRESPINES, Jean-Philippe MILESY, Éric SADIN, Gaël BRUSTIER, Michel LEVY-PROVENÇAL, Yves VAILLANCOURT, Blandine KRIEGEL, Malka MARCOVICH, Guylain CHEVRIER, Bruno KARSENTI et Michèle RIOT-SARCEY.
Certaines tables rondes et conférences seront diffusées en direct sur le YouTube et le DailyMotion du GODF.
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