Allocution de conclusion de Daniel KELLER lors de la conférence publique du 10 janvier 2015 : Trois siècles d’antimaçonnisme. La République en danger ? Redonner sens à l’action républicaine
Communiqués et discours | Publié le 23/01/2015 | émis le 10/01/2015
Monsieur le Ministre, Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Sénateur Maire de Lyon,
Monsieur le Député,
Monsieur le Maire du 8ème,
Messieurs les Conférenciers,
Mes très chères Sœurs et mes très chers Frères, car je sais que vous êtes nombreux dans la salle,
Chers amis,
Mesdames et Messieurs,
Depuis quelques jours, je suis comme vous à l'écoute des médias et j'ai le sentiment que les mots ont repris leurs sens. D'aucuns déclarent que nous formons une nation et non pas une juxtaposition de communautés. On fait entendre en boucle cette affirmation prémonitoire de Charb contestant violemment qu'on ait pu qualifier les laïques d’intégristes au motif que l'intégrisme ne saurait être du côté de la laïcité, contrairement à ce que certains ont laissé croire ou laissé penser. On pointe du doigt désormais les menaces communautaristes.
En écoutant ces propos, je ne sais pas si je dois me réjouir ou si je dois être consterné. Fallait- il autant de morts, fallait-il autant de victimes pour que brutalement on commence à remettre le langage dans l'ordre qui aurait dû toujours être le sien ?
Certains évoquent des failles dans cette terrible tragédie auxquelles les services de police ont été confrontés. Je crois que nous devons d'abord saluer le travail qu'ils ont effectué. En revanche, si faille il y a, on devrait s'interroger sur les failles de notre système politique et là je parle sous le contrôle des élus qui ont bien voulu participer aujourd'hui à cette manifestation.
Qu'a t’on fait, qu'est-ce que la République a fait ou plus exactement, qu'est-ce que la République n'a pas fait pour qu'on en arrive là ? Le Grand Orient de France, dans une manifestation comme celle d'aujourd'hui, entend interpeller haut et fort tous ceux et toutes celles qui nous gouvernent, qui nous ont gouverné et qui nous gouverneront. Oui, nous sommes aujourd’hui dans l’obligation de dresser le constat lucide et impitoyable de ce terrible naufrage.
Le Grand Orient de France, en engageant ce cycle de conférences s'inquiétait, il y a quelques mois déjà, du fait que l'anti-maçonnisme ressurgissait et que d'une certaine façon, les Francs-Maçons, comme toujours à travers l'histoire, redevenaient des bouc-émissaires. Nous étions déjà au cœur de la problématique à laquelle nous sommes renvoyés aujourd’hui car les journalistes de Charlie Hebdo ont aussi été des boucs-émissaires, victimes d'une fatwa assassine. Et ceux qui, sur le territoire français, ont souhaité intenter un procès pour blasphème contre Charlie Hebdo ont à leur manière contribué à faire de ces journalistes des bouc-émissaires. Les clients du magasin Hyper Cacher de la Porte de Vincennes ont à leur tour été les boucs-émissaires d’un aveuglement fanatique. Le personnel de police et la jeune stagiaire de Montrouge assassinés ont été des boucs-émissaires.
Tel est le cancer qui gangrène notre société jour après jour, qui désigne à la vindicte publique des hommes et des femmes à raison du simple fait qu’ils sont indépendamment de ce qu’ils font.
Je ne voudrais pas multiplier les exemples mais que penser de celles et ceux qui nous expliquent qu'il faudrait peut-être déchoir de la nationalité française certains français, cela dit sous le contrôle d’un ancien Ministre de la Justice ici présent ?
Donc oui, notre société est malade, parce qu'à force de pointer des bouc-émissaires, nous faisons jour après jour une descente dans l'enfer de la barbarie et c'est contre cette barbarie que nous entendons réagir, que nous entendons affirmer le rôle qui est le nôtre et la place qui doit être la nôtre, en provoquant comme nous le faisons aujourd'hui une prise de conscience. Un débat qui doit être sans concession, car le moment est venu de rompre avec cette négligence bienveillante dont collectivement nous avons fait preuve vis-à-vis des attaques dont la République fait l'objet de manière insidieuse, de manière sournoise, mais de manière quotidienne à force de petits renoncements, de mesquines capitulations, dans un esprit qui pourrait s'apparenter, pour faire une comparaison peut-être un peu forcée, à ce que j'appellerai un nouvel esprit munichois.
Il est temps de revivifier l'esprit démocratique et républicain, en tout cas, c'est le sens de l'engagement des Francs-Maçons du Grand Orient de France, et je sais, au-delà du Grand Orient de France, que tous les Francs-Maçons sont unis dans cette démarche, quelle que soit l’Obédience à laquelle ils appartiennent.
Il faut revivifier l'esprit républicain, mais cela suppose effectivement certaines règles, cela suppose en tout cas certaines convictions et certains principes.
Quand on veut défendre la République, on ne peut pas comparer l'instituteur et le curé. Quand on veut défendre la République et je le dis dans une région dont j'ai bien conscience qu'elle n'est pas aussi déchristianisée, au sens des démographes, que d'autres portions du territoire français, l’argent public doit principalement aller au service public et tout particulièrement à l'école.
J'étais place de la République mercredi soir comme beaucoup de parisiens. Nous étions 30 000 mais je ne les ai pas tous comptés ! Il n’y avait pas de voile, il n’y avait pas de turban, il n’y avait pas de croix, il y avait des hommes et des femmes qui s'étaient rassemblés avec une volonté silencieuse mais très forte, de se retrouver comme des citoyens. Ils n'ont pas forcément obtenu de réponse ce soir-là. Mais autour de ce moment d'émotion, de recueillement, ils formaient une communauté de citoyens, la seule communauté que la République reconnait.
Le moment est venu et je le dis sans esprit de vindicte, d'arrêter de parler de religion. La religion n'est pas la cartographie de la société. Ce n'est pas en fonction des appartenances confessionnelles que l'on peut effectivement construire une République. Il faut que chacun aille au-delà de ses appartenances, de ses convictions religieuses, parce que nous sommes toutes et tous, quelques soient nos croyances, avant tout des citoyens.
Et bien entendu, ce travail nécessite de remettre la laïcité au cœur de notre dispositif républicain. La question a été posée par une personne de la salle. Je ne fuirai pas la réponse. Le Grand Orient de France a fait des propositions pour une République laïque au XXIème siècle, 25 propositions. Ce ne sont pas des propositions dirigées contre telle ou telle communauté religieuse. Ce sont des propositions destinées à souder le pacte républicain et le pacte citoyen. Ce sont des propositions qui ont pour vocation de rappeler à tous qu'effectivement nous ne nous reconnaissons pas exclusivement dans des appartenances singulières, culturelles ou autres et que nous devons former cette communauté de citoyens au quotidien. Cela commence par l’application de règles qui ne sont dirigées contre personne mais qui sont dans l’intérêt de tous.
La République, ce sont des droits mais la République, ce sont aussi des devoirs, des devoirs qui s'appliquent à toutes et à tous sans discrimination.
On a parlé de l'Ecole, elle est certainement, le cœur de cette République à reconstruire, Je ne suis pas convaincu que pour un jeune des cités, ou pour un jeune d'une commune de France quelle qu’elle soit, qui est à l'école, que l'objectif premier aujourd'hui soit l’envie de devenir milliardaire. Je pense en revanche, que l'objectif premier de notre Ecole est effectivement de permettre à tous ces enfants de sortir de l'école demain en sachant correctement lire, écrire et compter et pour 15% d'entre eux, ça n'est toujours pas le cas.
L'objectif effectivement de l'Ecole c'est redevenir ce lieu de l'instruction pour permettre effectivement à tous les enfants de se doter des outils grâce auxquels ils pourront s'émanciper, grâce auxquels ils pourront accéder à cet esprit d'argumentation, à cet esprit critique à travers lequel chacun, progressivement au fil de sa vie, devient un être libre et peut effectivement échapper à toutes les formes de dogmatisme et à toutes les formes de fanatisme. Ce travail, nous devons l'entreprendre en ayant la conviction que cela nécessitera aussi de renouer avec certaines formes d'autorité. Non, l'autorité n'est pas le monopole du Front National.
L'autorité est un principe républicain et c'est grâce à celui-là notamment que d'autres générations avant nous ont pu connaitre un sort peut-être meilleur, en tout cas pour celles de l'après guerre, que celui qui semble réservé aux enfants d'aujourd'hui.
Je suis heureux en tant que Grand Maître du Grand Orient de France, que de nombreux élus soient venus prendre part à cette manifestation. Le Grand Orient de France n'est ni un parti politique ni un syndicat. Nous n'avons de compte à rendre à personne. Nous sommes libres et indépendants, ce que nous disons, correspond à nos convictions et nous n'avons pas à taire nos convictions. Nous nous adressons à tous les Républicains, qu'ils soient de gauche ou de droite, à tous ceux qui ont la République au cœur, pas simplement dans les mots mais dans les actes, jour après jour, avec une volonté de la faire progresser.
Je vous avouerai que cette République, j'ai parfois le sentiment, encore une fois qu’on en parle plus qu'on la fait, et je prendrai l’exemple de Marianne. J'ai eu la chance, dans les derniers jours de l'année qui vient de s'écouler, d'aller visiter les Frères et les Sœurs du Grand Orient de France à la Guadeloupe. Je suis allé sur une petite île qui s'appelle l'île des Saintes. Si un jour, certains d'entre vous ont la possibilité d'aller en Guadeloupe, allez visiter l'île des Saintes. Quand on débarque après 30 minutes de bateau un peu secoué parce que l'océan est pas mal agité en cette période de l'année, sur le petit port des Saintes, la première chose qu'on voit, c'est une colonne avec à son sommet la statue de Marianne et en légende "Centenaire".
Pensons à ces citoyens français de la Guadeloupe, distants de la France Hexagonale de près de 8000 kilomètres qui, un siècle après la révolution française, le 14 juillet 1889, ont érigé une statue à l’effigie de Marianne. C'est un symbole qui mérite d'être médité. Cela montre qu'il faut peut-être aujourd'hui, si on veut trouver un symbole de l'attachement républicain, aller le chercher loin, trop loin.
Le chemin du retour de la République sera long parce que la France doit affronter des crises majeures. Je crois que nous devons en avoir une parfaite conscience. Les événements tragiques que nous venons de vivre, sont le symbole d'un terrorisme qui livre une guerre lâche et abjecte, une guerre sans visage.
Il ne faudrait pas que l’unité nationale, que la mobilisation que nous vivons sur tous les points du territoire national et à laquelle les Francs-Maçons concourent, que cet élan soit un jour sans lendemain. Soyons donc des citoyens mobilisés, actifs, des citoyens conscients à la fois des dangers et en même temps de nos responsabilités. Ayons la République au cœur, faisons en sorte que nous échappions à cette spirale de la barbarie qui se déploie désormais dans notre pays et nous menace. L'affaire Merah n’a hélas servi à rien de ce point de vus. Manifestement, aucune leçon n'en avait été tirée. Aujourd'hui, nous nous trouvons au même point. Et demain? Qu'en sera t il demain? Quelle sera la société dans laquelle nous vivrons ?
C'est donc avec l'esprit grave et résolu que, au nom du Grand Orient de France, je tenais à rappeler toute la volonté qui sera la nôtre d'agir, d'intervenir et d'être présent dans la cité, parce que comme dit le rituel de nos travaux, c'est à l'extérieur de temple que l'on répand les vérités que nous y avons acquises.
Et je sais que les Francs-Maçons lyonnais comme les Francs-Maçons d'ailleurs, seront effectivement la cheville ouvrière de cet engagement. Et si nous sommes résolus, en écho au participant qui citait Louis Aragon au cours de cette conférence :
Framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera.
Daniel Keller
Grand Maître du GODF
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La laïcité, fer de lance de la réconciliation républicaine
Publication: 20/06/2014 07h34 CEST Mis à jour: 20/08/2014 11h12 Hufington Post
Rama Yade & Jean-Michel Quillardet
A l'occasion de la publication du premier rapport annuel de l'observatoire de la laïcité, Rama Yade et Jean-Michel Quillardet se sont entretenus sur tous le grands sujets touchant la laïcité: la république et l'extrême-droite, l'islam, le mariage pour tous.
Rama Yade: Mon grand étonnement est que la laïcité est brandie par Marine le Pen. Comme si elle apparaissait comme la grande défenseure de la laïcité. Et je me dis sans doute que c'est un échec pour nous les républicains. C'est la question que je me pose: qu'est-ce qui s'est passé pour qu'on en arrive là et comment peut-on opérer la reconquête? C'est l'idée que j'aimerais porter: la reconquête de nos valeurs. Les républicains et surtout les radicaux étaient tout de même à l'origine de ce combat. La laïcité est profondément d'actualité et offre une clé pour résoudre les problèmes de la société.
JMQ: Effectivement c'est un échec pour tous les républicains et tous les laïcs. C'est extrêmement gênant vu que beaucoup de médias lui donnent la parole sur ces sujets et beaucoup d'électeurs non-Front national se reconnaissant dans la laïcité votent aussi pour elle parce qu'elle développe ce discours républicain, républicaniste et laïc. Mais ce qu'il faut bien opposer au Front national c'est que c'est une fausse laïcité: Marine le Pen ne devient laïque que quand elle rencontre un musulman et elle se sert de la laïcité pour lutter contre "l'arabisation de la France", la défense de la civilisation française et aussi à partir de là pour chasser les immigrés. C'est un intégrisme chrétien, vu que lorsqu'il y a atteinte à la laïcité, par les cultes catholiques, Madame le Pen ne bouge pas. Il faut que nous les républicains reprenions la bonne définition de la laïcité. La laïcité n'est pas contre l'Islam, contre la religion. La laïcité essaie justement de faire vivre le peuple ensemble dans sa diversité et dans ses différences, sans qu'on ne les oppose les unes aux autres.
Rama Yade: Le discours anti-religieux porte. A l'époque c'était contre le catholicisme, aujourd'hui c'est contre l'islam: sur le plan des cantines scolaires, les femmes qui refusent d'ôter le voile, les femmes qui refusent de serrer la main du médecin, enfin les prières de rue. De tout ces sujets, nous aurions du nous saisir en tant que laïcs sans être soupçonnés de xénophobie pour répondre au retour de la question religieuse dans la société française. Il s'avère que cela tombe sur l'Islam car un certain nombre des derniers immigrés sont aussi musulmans et la question que je me pose est pourquoi la main des républicains a tremblé dans les années 1980 lorsqu'il a fallu poser les limites de la laïcité face à cette résurgence et pourquoi n'avons-nous pas démontré une des nombreuses forces de la laïcité: un outil de l'émancipation des femmes ?
JMQ: Sur le retour du religieux, il est incontestable aussi qu'il y a trente ans les jeunes immigrés musulmans avaient une pratique de l'Islam tout à fait modérée: on ne revendiquait pas le voile, les cantines scolaires. C'est vrai qu'il y a eu une évolution extrêmement rapide due aux conditions économiques et sociales. L'ascenseur social n'a pas fonctionné. A l'origine de cet islam un peu affirmé, sans être intégriste et trop affirmé dans l'espace public il y a une revendication sociale qui est devenue une revendication identitaire de gens qui ne se reconnaissent plus dans la République.
Rama Yade:Les républicains étaient peut être trop faibles aussi.
JMQ: Sur cet aspect, il y a à mon avis deux courants politiques qui traversent la vie française et de manière transversale. Il y a un courant républicaniste, laïc très fort, très ferme et il y a un courant pour une laïcité plus ouverte, plus plurielle qui a peur de stigmatiser. Si on prend comme exemple l'affaire du voile à Creil, Lionel Jospin qui demande un avis au Conseil d'Etat qui à son tour donne un avis de "gérons ça au cas par cas". Le seul, et il va bien falloir le reconnaitre plus tard, à régler la question c'est Chirac en disant qu'il fallait une loi. Seule une loi républicaine, ferme et définitive a fonctionné.
Rama Yade: Quelques années plus tard c'est le niqab qui revient comme si le mouvement au lieu de se tarir s'était renforcé. Au fond ce qui me frappe, c'est qu'il ait eu recours à une loi. Pourquoi ne nous sommes-nous pas simplement contentés d'un règlement intérieur inspiré de la circulaire Jean Zay [du 31 décembre 1936 et du 15 mai 1937- FS]. On s'en lave les mains en disant qu'au final c'était aux juges de décider et donc on juridicisait tout.
JMQ: A l'époque c'était effectivement la position de Jospin et une partie de la gauche, mais certains ont dit aussi que les circulaires, le Conseil d'Etat, le règlement intérieur ça ne suffisait pas, il faut effectivement qu'il y ait la force symbolique de la loi. Ceux qui ont demandé cette loi sont justement dans cette pratique républicaine. Lionel Jospin était partisan d'une laïcité au coup par coup et les chefs d'établissement ont dit non. On a fait la commission Stasi et elle a proposé la loi qui a été votée. Et cette loi ne doit pas être mise en cause comme ça a été le cas dans le rapport sur l'intégration remis à Jean-Marc Ayrault. Il faut être très vigilant là-dessus. Donc la force symbolique de la loi.
Rama Yade: Je pense qu'il y a une idée de générosité derrière. Du coup, ils affaiblissent la République avec l'idée que ces populations sont tellement victimes, persécutées qui plus est dans un monde mondialisé, qu'il faut les laisser affirmer leur identité comme signe de respect. Il y a un autre élément je pense, c'est le 11 septembre 2001. Les musulmans sont accusés par le monde entier alors que la quasi-totalité n'avait rien à voir avec Al-Qaïda. Le fait qu'ils étaient pointés du doigt a pu provoquer un repli sur soi et donc une affirmation identitaire. Vous avez ce repli-là qui s'ajoute à l'humiliation due à l'échec du modèle républicain. Les identités humiliées se renforcent toujours.
JMQ: Je suis d'accord. C'est l'échec de la politique d'intégration. Je pense effectivement qu'on ne lutte pas suffisamment contre les discriminations. Le problème de la laïcité, c'est qu'il faut tenir compte effectivement de cet aspect-là pour éviter que les dispositions qui vont être prises puissent être perçues comme discriminantes envers une partie de la population. Nous sommes dans cet équilibre difficile. Regardez le phénomène des grands frères.
Rama Yade: Les grands frères c'est aussi une tradition bien française, ils servent d'intermédiaire là ou la République n'a pas su aider et en reprenant le phénomène on a entériné l'échec. On utilise les grands frères pour avoir la paix sociale comme s'il était impossible pour la République d'aller dans ces territoires pour mesurer et traiter les problèmes. La République peut être généreuse, elle peut offrir l'école gratuite, des prestations sociales, mais la contrepartie est : pas de distinction d'origine, de race, de religion et respect des valeurs républicaines. Ce manque de fermeté est à l'origine de nombreux problèmes que les populations ont bien senti. Quand on parle du port du voile, de mariage forcé, d'excision, on ne peut pas dire qu'on ignorait ce problème. C'était connu, mais on était effectivement dans cette idéologie d'affirmation de la différence pour des raisons de complexe postcolonial tout simplement..Mais de fait on a entravé la cohésion nationale.
JMQ: Ça a été plus loin puisque dans les émeutes des banlieues de 2004, c'était de Villepin qui était Premier Ministre, on assuré la paix sociale non seulement avec les grands frères mais aussi avec les imam. On a été les chercher pour qu'ils calment les jeunes. A partir de là, c'est la défaite de la République. Je suis entièrement d'accord sur ce constat. Alors, quoi faire maintenant? On, je dis on, je ne représente pas, mais il y a pleins d'associations de défense de la laïcité. On ne nous entend pas!
Rama Yade: Si! Mais elles sont à l'extrême-droite. Et on y trouve des gens de gauche. Regardez riposte laïque.
JMQ: Oui, mais nous les associations, même le Grand Orient a du mal à se faire entendre parce que la presse, les médias donnent la parole toujours aux extrémistes et quand on essaie d'expliquer ce qui est vraiment la laïcité et d'avoir un discours ferme, on ne nous donne pas la parole. La vraie question de la laïcité est qu'il faut absolument intégrer un certain nombre de populations dans la compréhension des valeurs des Lumières. On a du mal à faire comprendre qu'on souhaite défendre des valeurs qui sont universelles. Toute la question c'est l'intégration et je crois aussi la formation, l'éducation et l'enseignement.
Rama Yade: Et l'idéologie multiculturaliste!
JMQ: Et l'idéologie multiculturaliste qui dit très clairement qu'il faut tenir compte des communautés d'appartenance dans l'organisation de la société française. Les multiculturalistes sont beaucoup plus présents dans les médias, écrivent beaucoup plus de livres que nous les défenseurs de la laïcité républicaine.
Rama Yade: Vous disiez que vous êtes dans une forme de modération. Est-ce que la vocation de la laïcité c'est la modération? Rappelez-vous, le combat initial, c'était violent.
JMQ: Quand j'ai dit modéré, c'est qu'aujourd'hui les circonstances sont différentes. Si on adopte aujourd'hui un discours radical sur la laïcité, ça risque de nous revenir en boomerang. Le mariage pour tous, ça a quand-même été la remontée des religions. En 1984 contre la grande loi du service public, on lui retirait un droit. Là, on offrait un droit à tous, mais ni les catholiques ni les musulmans n'étaient obligés de le faire. On a eu dans la rue le conglomérat de la religion catholique et de l'islam pour s'opposer à un droit qu'on accordait à un autre citoyen. Il y a eu une montée du radicalisme dans les deux religions.
Rama Yade: Lors du mariage pour tous, on a vu deux phénomènes: à la fois une inquiétude de la part des manifestants de la remise en cause du modèle de famille traditionnel et puis, de l'autre côté, des mouvements qu'on croyait disparus depuis un siècle qui ont profité pour resurgir rappelant que la France catholique était toujours là. Il y avait un parfum de revanche de ceux qui finalement avaient été vaincus par l'histoire. C'est-à-dire l'histoire d'une République laïque. Il y a eu une alliance, alors que ces deux populations se considéraient comme adversaires sur le plan politique. Les musulmans plutôt à gauche, protégés par la gauche, les autres se situant plutôt à l'extrême-droite font soudainement alliance. Ce qui a été possible pour eux, doit l'être aussi pour les laïcs qui sont un petit peu éparpillés partout. La Laïcité, elle libère aussi! Par exemple en matière égalité hommes-femmes, elle libère les femmes d'une certaine tradition patriarcale. Je crois que le combat égalité hommes-femmes doit aujourd'hui, dans sa version moderne, être repris par les laïcs.
JMQ: Je suis entièrement d'accord, la laïcité, c'est la libération de la femme. La laïcité, c'est une liberté. Une liberté pour tous. Ça c'est le discours qu'on doit tenir. La laïcité ne doit plus être présentée comme un concept qui exclut, mais qui inclut et qui libère les hommes et les femmes et plus particulièrement les femmes de chaînes ancestrales. Je crois à l'éducation à la laïcité.
Rama Yade: L'enseignement est un domaine où la laïcité a une actualité très forte car on explique souvent qu'il est impossible d'enseigner certains passages de l'histoire alors qu'on devrait pouvoir privilégier ceux qui nous rassemblent et pas ceux qui nous séparent. Dès que vous introduisez des débats de société, vous clivez les classes scolaires.
JMQ: Oui, il faut effectivement rassembler à l'école. C'est l'objet d'ailleurs de la charte de la laïcité. J'ai participé à la rédaction de cette charte. Je pense que la charte dit très clairement les choses. L'enseignement n'a effectivement pas à porter atteinte à la conscience de l'enfant, mais il doit exprimer la pluralité du monde et de la pensée.
Rama Yade: C'est très important parce que ce n'est pas forcément un instrument qui vous aliène, qui vous détourne de ce que votre famille vous enseigne, c'est au contraire un instrument qui vous donne les outils...
JMQ:... pour sa propre libération!
Rama Yade: Oui, pour sa propre libération.
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Histoire du monde ouvrier 3
La Révolution française de 1789
Nous continuons ce mois-ci notre avance dans l’histoire de l’immense masse des travailleurs. Nous sommes maintenant à l’aube de la Révolution française… Nulle intention ou projet de narrer en détail cette phase importante de l’histoire de notre pays (je n’en suis d’ailleurs pas capable !), mais bien celui de rester dans notre sujet.
Deux révoltes marquent la période de la Révolution française d’un sceau particulier. En elles se conjuguent deux mouvements : la lutte politique contre l’oppression (c’est à Grenoble) et la lutte sociale pour les salaires (c’est à Paris).
A sa naissance, le mouvement populaire comprend ces deux dimensions, qui mettront d’ailleurs près de cent ans à se différencier d’une manière stable, assurant ainsi l’indépendance du syndicalisme…
Nous sommes plusieurs mois avant la prise de la Bastille et le début de la Révolution française : la colère gronde chez le petit peuple des villes et des campagnes. Les revendications sont essentiellement économiques et sociales. La politique sera l’affaire de la bourgeoisie et de la noblesse éclairée.
Tout commence au tournant des années 1785/1787 : le royaume est en pleine crise financière, aboutissant à la retentissante banqueroute d’Aout 1788. En 4 ans, la hausse des prix est de l’ordre de 62%. Sur les 24 millions de sujets de Louis XVI, se sont les 23,5 millions appartenant au Tiers Etat qui sont les plus touchés. A l’époque, les couches populaires dépensent la moitié de leur budget pour leur pain quotidien. Or le prix du blé a flambé suite aux mauvaises récoltes et aux inondations de 1787, et l’Etat désargenté multiplie les pressions fiscales (toute ressemblance avec une époque actuelle n’est pas recherchée, elle n’est que pur hasard…).
Le Dauphiné est alors le théâtre d’une industrialisation moderne : métallurgie, papeterie, textile. Les 23 000 habitants de Grenoble sont sous la coupe d’une vingtaine de familles commerçantes. Dès 1786, l’administration royale tente de supprimer les avantages fiscaux du Dauphiné. Le parlement local, qui est une cour d’enregistrement des édits royaux, refuse cette réforme fiscale le 9 mai 1788. Le lendemain même, le lieutenant général, sorte de préfet de l’époque, ferme le parlement et des mandats d’amener (les fameuses lettres de cachet) sont lancés contre les parlementaires.
Le peuple de Grenoble, qui a déjà bien du mal à joindre les deux bouts, s’oppose à l’arrestation de ceux qui ont refusé cette nouvelle pression fiscale. Deux bataillons de soldats sont dépêchés sur la place d’armes et un manifestant est tué. Des employés de justice qui perdent leur emploi à cause de la fermeture du parlement ameutent la population et aussitôt, les artisans, les boutiquiers, les ouvriers montent sur les toits de la ville et bombardent de tuiles les troupes du Royal marine et du Comte de Clermont Tonnerre. En fin d’après midi, les insurgés sont maîtres de la ville et réinstallent les parlementaires dans le palais de justice. L’émeute durera 6 heures.
Cette « journée des tuiles » débouche sur la réunion d’une assemblée à Grenoble le 14 juin 1788. La campagne électorale bat son plein et fait apparaitre une union, même si les motivations sont contradictoires, entre les trois familles (noblesse, bourgeois, le peuple) pour décider la convocation d’une assemblée représentative de la province selon les règles des Etats Généraux du royaume.
Le 21 juillet, les élus du Dauphiné tiennent séance à Vizille et demandent:
-le rappel du parlement,
-le rétablissement d’états provinciaux avec une représentation égale du Tiers Etat par rapport aux deux autres ordres (noblesse et clergé)
-le vote par tête lors de ces Etats et la réunion d’Etats généraux du royaume.
Ce sont bien les prémices des Etats Généraux et du début de la Révolution !
A la même époque, Dijon, Toulouse, Rennes et PAU connaissent de pareils affrontements. Mais c’est à Paris que la révolte ouvrière reprend de plus belle. Dans les ateliers et les manufactures, les compagnons, les apprentis, les ouvriers (ces derniers, astreints au livret n’ont pas droit de quitter leur employeur) triment de 14 à 16 heures par jour pour 20 sous. Une miche de pain coûte alors 2 sous et, sur 650 000 parisiens, 120 000 sont au chômage et vivent dans l’indigence.
Dans ce contexte explosif, le manufacturier en papiers peints Réveillon ose déclarer qu’un ouvrier peut bien vivre avec seulement 15 sous par jour ! C’en est trop : le 27 Avril 1789, ses employés, rejoints par le peuple des faubourgs, manifestent. Le lendemain, ils mettent à sac deux maisons, les hommes de la privauté tirent, le pavé rougit à nouveau.
Une semaine plus tard, des Etats généraux s’ouvrent à Paris, deux mois après les parisiens prennent la Bastille…
Elle tombe le 14 Juillet. Mais la royauté est toujours bien en place et les premiers révolutionnaires voient d’un très mauvais œil les revendications du monde du travail. Durant la fameuse nuit du 04 Aout, les privilèges sont finalement abolis : concrètement, il n’existe plus de droits seigneuriaux ni de douanes intérieures. En principe, tous les citoyens sont égaux et la doctrine de l’assemblée constituante est basée sur la liberté du travail et du commerce (cependant, la déclaration des droits de l’homme du 26 aout 1789 ne fait pas état de ces libertés économiques)
Voulant supprimer toutes les anciennes entraves, les constituants, dont la théorie du libéralisme économique ne reconnait que l’individu, décident de supprimer les corporations de maîtres et les coalitions de compagnons pour donner la libre accession au patronat pour tous (c’est la loi d’Allarde du 02 mars 1791). Mais cette loi crée un vide, et dès le printemps 1791, face à la crise économique (la période des assignats…), apprentis et compagnons en profitent pour s’organiser : libérés de la tutelle des corporations des maîtres, ils fondent des coalitions ouvrières pour tenter d’imposer des tarifs aux patrons.
La bourgeoisie constituante réagit immédiatement. L’avocat rennais Isaac LE CHAPELIER fait voter une loi le 14 juin 1791, interdisant toute association entre personnes d’un même métier et toute coalition ouvrière. En clair, grèves et syndicats sont prohibés, la liberté du travail l’emporte sur la liberté d’association. Un décret étendra cette interdiction aux campagnes, à l’encontre des fermiers, domestiques et ouvriers agricoles.
Quelques jacqueries éclateront et l’agitation ouvrière républicaine sera réprimée dans le sang lors de la fusillade du Champs de Mars le 17 Juillet.
Une semaine après le vote de la loi LE CHAPELIER, c’est la fuite du roi à Varennes, son arrestation puis jugement et exécution, puis la proclamation de la République…
Mais la loi LE CHAPELIER va survivre à la constituante dissoute le 30 septembre 1791, au roi, et à son auteur qui sera guillotiné en 1794.
Elle sera abrogée par étape seulement à partir de 1864 et disparaitra complètement en 1901…
De la période tumultueuse de la Révolution, nous pouvons retenir que la condition ouvrière n’en a pas vraiment profité ! Dans cet affrontement, la bourgeoisie et le peuple ne se sont très vite, après 1789, plus trouvés ensemble pour abattre le système de la monarchie absolue et de l’oligarchie féodale, mais plutôt face à face.
L’époque fiévreuse de 1793/1795 fut la plus tragique, en ce sens qu’elle a déterminé un environnement politique dangereux et imprévu qui a aggravé la condition sociale de la classe ouvrière. Climat étouffant, nerveux dans lequel Girondins et Jacobins, révolutionnaires modérés et extrémistes, Hébertistes, Dantonistes et Robespierristes menaient les uns contre les autres un combat de rivalités et d’influences impitoyable pour le pouvoir.
La faillite et la disette, connues autrefois sous la royauté, frappaient à nouveau le peuple, qui fut réprimé sévèrement chaque fois qu’il réagissait ou tentait de résister.
La « révolution bourgeoise », à son déclin, se mit à combattre non pas les profiteurs, les accapareurs, les prévaricateurs du régime, mais ses anciens alliés de 1789 : le peuple !
De cette période sombre, la bourgeoisie en retira d’énormes profits tandis que les ouvriers, que Michelet appelait « les bras nus » mouraient de faim !
On connait la suite, Napoléon 1er arriva au pouvoir et sa dictature, sous la bannière trompeuse de la Révolution, confirma la « justification » des inégalités de classes et le maintien nécessaire de l’oppression et de la pauvreté du monde ouvrier.
Sans dévoiler aujourd’hui la suite de mes travaux, repartez aujourd’hui avec le réconfort de savoir que ce monde n’a pas baissé les bras !
Alors, rendez-vous le mois prochain.
Sources :
- luttes ouvrières, les dossiers de l’histoire populaire – Editions Floréal 1977
-le bicentenaire de la révolution française- Lefebvre & Gillet 1989
PS : un petit mot quand même sur l’action des francs maçons pendant cette période troublée…on a beaucoup épilogué sur le sujet et les affirmations les plus diverses circulent régulièrement. cela dit, on peut considérer comme exact qu’à la veille de la Révolution, le GODF comptait déjà près de 30 000 FF, qu’à la convocation des Etats Généraux, aucune unité ne s’est dégagée parmi les Francs Maçons … Cependant, le fameux serment du jeu de paume, prononcé le 20 Juin 1789 par les députés de l’Assemblée Nationale, a un caractère tout maçonnique : l’assemblée nationale arrête que tous les membres de l’assemblée prêteront serment solennel de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront…
Le 4 aout 1778, c’est la suppression des privilèges à l’investigation du vicomte de Noailles et son parent La Fayette, lui aussi Maçon.L’Assemblée Nationale va ensuite déclarer les droits de l’Homme : comment ne pas y reconnaître des relents maçonniques !
Si les Maçons sont nombreux parmi les Girondins de la Convention, à l’exception de Marat, les grands ténors ( Y compris Robespierre) ne sont pas Maçons. La Terreur va enfin arrêter les travaux maçonniques, mettre les loges en sommeil, et guillotiner ( La guillotine, ironie du sort, a été inventé par le F. Guillotin !) nombre de FF… !
Mais, pour conclure, si les Maçons n’ont pas « inventé » la révolution Française », si la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » n’est pas d’origine maçonnique, c’est bien la Maçonnerie qui a depuis propagé dans le monde entier les idéaux de 1789, pour un monde plus juste, meilleur et plus fraternel !
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Histoire du monde ouvrier 4
Le soulèvement des canuts lyonnais...
Quoi de plus sympathique (pour ce qui me concerne) de débuter cette nouvelle année, naturellement au delà de tous les bons vœux que j'adresse à chacun, par l'évocation d'une insurrection ouvrière !
A vous, "fidèles lecteurs", je rappelle que mon propos ne s'intéresse, à travers l'évocation d'évènements ou personnages (et ce, sans aucun doute, de manière parfaitement incomplète !), qu'à ce qui se rapporte directement à l'histoire du monde ouvrier !
Le soulèvement des canuts lyonnais...ou "l'éveil du prolétariat"
La crise économique nationale et régionale, liée à la révolution de 1830 va entraîner les ouvriers lyonnais dans un mouvement revendicatif purement social, précurseur sur de nombreux points.
Au début du XIXème siècle, l'économie lyonnaise reste largement dominée par la soierie. Mais la concurrence internationale et la transformation de l'économie locale dès 1827 entraînent un appauvrissement général de la population. Le salaire des ouvriers de la soie, les fameux canuts, tombe à 18 sous pour 15 heures de travail journalier. Cette situation n'est guère appréciée par ces ouvriers spécialisés, largement en avance dans l'organisation de leurs droits. Dès 1811 en effet, ils obtiennent un tarif minimum, mais en 1826, au moment où la soierie lyonnaise traverse une nouvelle crise qui contraignit les tisseurs à "mendier de l'ouvrage", et poussa les patrons à baisser les salaires, les chefs d'atelier se regroupèrent autour d'un leader Pierre CHARNIER pour créer une association " le devoir Mutuel", considérée comme une sorte de "franc maçonnerie ouvrière", dont le but était de combattre par tous les moyens toute diminution de salaire. Les ouvriers y étaient admis en versant une cotisation mensuelle.
La révolution de 1830 va les électriser.
Le 27 Juillet 1830, les ouvriers parisiens se révoltent contre les dernières ordonnances de Charles X. Le drapeau tricolore devient l'emblème des insurgés des trois glorieuses (immortalisées par Victor Hugo dans "les misérables"). La chute des Bourbons crée une véritable onde de choc. Bruxelles et Varsovie se révoltent en Aout et Novembre 1830...
Lyon n'y échappe pas : le 18 Octobre 1831, les chefs d'atelier (le chef d'atelier est celui qui dispose de plusieurs métiers), excédés et considérant (faisant, sans aucun doute à mon avis, écho au courant Saint simonien (1) qui se propage dans les villes) " qu'il est de notoriété publique que beaucoup de fabricants (les patrons) paient réellement des façons trop minimes", demandent au préfet du Rhône Bouvier-Dumolart de réinstaurer un tarif minimum. Le 25, 6000 canuts, chefs d'atelier et compagnons-ouvriers manifestent pour soutenir leur revendication. Le jour même, le préfet préside une réunion paritaire qui accepte, les canuts sautent de joie, chantent et dansent dans toute la ville, ils sont les Maîtres de Lyon !
Une commission patrons-ouvriers entérine le tarif, mais une centaine des 1400 fabricants refusent ce tarif, arguant d'une baisse des ventes en clamant "qu'il s'agit d'une tyrannie intolérable"
C'est de cette situation explosive que surgit l'émeute à partir du 20 Novembre. L'agitation reprend alors et les ouvriers-compagnons, eux aussi organisés, débordent les chefs d'atelier. Le 21 Novembre 1831, les premières barricades s'élèvent dans le quartier de la Croix Rousse. Ils tiennent aussi l'Hôtel de Ville, le Nord de Lyon .La monarchie de Juillet envoie la police et les gardes nationaux. Mais parmi ces derniers se trouvent nombre de chefs d'atelier... et c'est ainsi que 900 gardes nationaux passent aux côtés des insurgés !
Le mouvement, parti des milieux ouvriers et travailleurs de la soie, s'étend à toutes les catégories de travailleurs, ouvriers du bâtiment rejoignent les canuts.
Comme si un mot d'ordre avait été donné, des ouvriers armés de bâtons, de pelles, de fourches et de pierres affluaient, appelant leurs camarades au soulèvement en criant " aux armes ! On assassine nos frères !"
Les ouvriers étaient désormais engagés dans la bataille pour la défense de leur existence et on ne pouvait plus arrêter la marche de l'insurrection. C'était, relataient les témoins du moment, un spectacle hallucinant tant le combat devenait effroyable sur les barricades. On se battait partout dans la ville avec acharnement.
Les gardes nationaux et les soldats de ligne, découragés n'opposèrent plus qu'une faible résistance puis dans la nuit évacuent la ville
Le 22 Novembre, la Croix Rousse et la Guillotière sont aux mains des ouvriers qui brandissent un drapeau noir où est brodée la devise " Vivre en travaillant ou mourir en combattant". Le 23, les autorités quittent la ville alors que les agitateurs républicains tentent de récupérer ce mouvement insurrectionnel et le transformer en nouveau pouvoir républicain.
A l'unanimité, les canuts, non préparés politiquement sans doute pour instaurer la république refusent cette intrusion du politique dans le social. Leur bannière est noire comme leur peine et non tricolore !
Le désordre s'installe, les partisans de la démocratie n'avaient ni doctrine, ni programme défini, pas plus qu'une méthode de gouvernement... les insurgés s'épuisent alors en querelles: il s'agit de s'emparer de la place, non de remettre en cause le régime en place à Paris : " nous voulons le Tarif, non la République !" s'écrit un canut.
Néanmoins très vite l'idée d'une représentation politique autonome de la classe ouvrière au sein des institutions municipales se fait jour, notamment avec la création d'une milice ouvrière armée. Un "Etat Major Provisoire" mis en place par justement un corps de miliciens " les volontaires du Rhône" venus soutenir les canuts et assurer un encadrement "militaire", s'y oppose fortement et tente d'organiser l'insurrection, d'éviter les scènes de pillage et de mise à sac.
Le 24 Novembre, le préfet, qui avait obtenu le tarif et était donc respecté par les canuts, réussit à rétablir le calme en proposant un nouveau tarif aménagé. Les ouvriers rentrent chez eux et reprennent le travail. La gendarmerie et la police reviennent dans la ville. L'Etat Major Provisoire négocie "la reddition de Lyon en contrepartie d'une "clémence" à l'encontre des insurgés. La révolution populaire était manquée !
Mais le nouveau Roi Louis Philippe ne l'entend pas de la même oreille. Ce "Roi des français" et non plus "Roi de France" envoie 20 000 soldats dans la capitale des Gaules sous la conduite du Maréchal SOULT. Ce dernier désarme la population, licencie la garde nationale, révoque le préfet pour avoir "fraternisé avec les insurgés", abroge le Tarif du 25 Octobre.
10 000 ouvriers sont expulsés comme suspects...L'ordre règne à nouveau à Lyon et la réaction triomphe !
La révolte ouvrière des canuts est brisée (5 mois plus tard, 20 000 parisiens meurent lors d'une épidémie de choléra, la misère sociale avait atteint alors des proportions alarmantes) , le patronat continue à exploiter les travailleurs avec la bénédiction du gouvernement de Casimir Périer , mais cette révolte avait marqué les esprits.
D'aucuns considéraient que le sang versé des travailleurs ne serait pas vain.
Et la colère étouffée se métamorphosa rapidement en résistance contre la cupidité des patrons. Les canuts, en dépit de la fin tragique des journées de Novembre 1831, de la répression et des emprisonnements de décembre 1831, ne se sentant malgré tout pas moralement vaincus, se préparèrent pour de nouveaux combats en vue du triomphe de leur juste cause. La défaite était pour eux une stimulante leçon pour les luttes à venir. La conscience des opprimés se réveillait à nouveau dans un sursaut d'indignation et de révolte !
Le mouvement républicain accroit son audience et s'organise en recrutant des intellectuels et des étudiants. Les influences babouvistes (2) sont très marquées, un nombre appréciable de travailleurs se rallie aux idées révolutionnaires.
Les sociétés mutualistes sont aussi très actives et sont prêtes à soulager solidairement les grévistes...
...Et 3 ans plus tard, en 1834, lors d'un nouveau marasme de l'industrie de la soie ce fut un spectacle admirable de voir des milliers d'ouvriers de toutes corporations se ressaisir, se dresser contre un patronat toujours trop exigeant, et organiser un vigoureux mouvement revendicatif pour l'amélioration de leur condition de vie.
De nouvelles baisses de salaires engendrent des grèves et les meneurs sont aussitôt arrêtés et traduits en justice, tandis que l'armée investit la ville. la situation dégénère avec des premiers tirs de l'armée sur la foule désarmée : des barricades s'érigent à nouveau dans les quartiers de la ville qui se soulèvent les uns après les autres, c'est le commencement de "la semaine sanglante" !
Adolphe Thiers, alors ministre de l'Intérieur, va manœuvrer habilement en laissant la ville aux insurgés, puis en l'encerclant et la bombardant quartier par quartier.
L'armée avait reçu des ordres précis : pas de quartier ! il faut non seulement réduire l'insurrection mais aussi terroriser la population afin d'ôter définitivement aux canuts tout espoir de faire aboutir leurs revendications.
L'insurrection est stoppée dans le sang : 600 morts, 10 000 prisonniers condamnés à la déportation.
Ces insurrections des canuts lyonnais de Novembre 1831 et d'Avril 1834 demeurent un des évènements les plus héroïques et des plus dramatiques de l'histoire du mouvement ouvrier français.
La grandeur et l'échec de cette action populaire avait stupéfié la bourgeoisie. Et même après la défaite des canuts, la vision terrifiante du soulèvement hantait encore le sommeil des "vainqueurs" qui, avec des procédés à la fois odieux et inhumains, espéraient annihiler la révolte.
Ce fut aussi et surtout la marque d'une évolution irréversible de la conscience ouvrière. Le capitalisme est bien l'ennemi et pour le monde ouvrier, le temps du syndicalisme est venu !
(1)Saint Simon, Franc Maçon, économiste et philosophe rationaliste dont les idées ont influencé le XIXème siècle. il a défendu une théorie des classes sociales qui opposait les travailleurs exploités à des propriétaires rentiers exploiteurs. Adepte de l'élévation morale du prolétariat par l'utilisation des richesses par tous, sa pensée réformatrice visait à construire une société nouvelle, fraternelle et pacifique.
(2) Babouvisme : le Frère Babeuf était un adepte de la collectivisation des terres et de la nationalisation générale des biens, passant par une économie dirigée (un précurseur du communisme ?). il défendait le principe que l'égalité civile et politique ne pouvait exister concrètement que si existait dans le même temps une stricte égalité sociale. Sa méthode (qui n'eut d'influence que plus tard) qui préfigurait celle du marxisme, a mis en évidence le concept de "lutte des classes".
Gracus Babeuf
JCF
Sources : « luttes ouvrières » les dossiers de l’histoire populaire. Editions Floréal 1977
« Histoire du travail et des travailleurs » Georges Lefranc. Editions Flammarion 1975
« La classe ouvrière et le syndicalisme en France » Georges VIDALENC –
Petit « bonus » cadeau en cette période de fêtes ! Prenez le temps de lire ces quelques lignes, offertes par un être cher, qui viennent for à propos compléter et enrichir cette période que je viens d’aborder…
Laurent Mourguet, crée la célèbre marionnette Guignol aux alentours de 1808. Ouvrier en soie, les temps sont durs pour les canuts.
Il décide alors de devenir marchand-forain pour survivre et utilise un Polichinelle, marionnette en vogue à l’époque, pour attirer la clientèle.(il devient arracheur de dents après avoir été vendeur de petits fagots de bois et distrait ses patients par le spectacle d’une marionnette…°
Il délaisse rapidement Polichinelle et crée ses propres marionnettes : Guignol puis GnafronŽ.
Ce sympathique personnage prend à partie des petites gens en clamant l'injustice sociale et en dénonçant les bourgeois comme les autorités régionales ou nationales.
Très vite, Laurent Mourguet se consacre entièrement à son rudimentaire théâtre de marionnettes installé dans la grande allée des Brotteaux.
Populaire et moqueur, Guignol est l'image du lyonnais pudique et laborieux, mystique et travailleur. Il connut un grand succès populaire à partir des années 1830. A la fin du XIXe la bourgeoisie lyonnaise récupère ce personnage et à la même époque, elle transforme ses histoires en spectacles pour enfants.
Aujourd'hui, petits et grands rient encore de ses aventures dans les théâtres fixes et itinérants de Lyon.
Guignol n’est pas qu’une marionnette pour enfants même s'il est vrai que les castelets, où espièglerie et bouffonnerie exagérées sont de mise, entretiennent cette caractéristique. Avec près de deux siècles d’existence, Guignol est un mythe, une marionnette universelle et l’un de nos meilleurs ambassadeurs. A différentes époques, plusieurs émissions de télévision à caractère satirique ont fait référence à notre marionnette nationale jusqu’aux Guignols de l’Info qui reprennent le nom de Guignol et, par le biais de marionnettes, vilipendent et chahutent hommes politiques et personnages publics comme à l’origine du personnage.
Guignol, c'est aussi aujourd'hui un nom commun qui désigne de manière générique toutes les marionnettes et tous les enfants turbulents et espiègles. Comme l'écrit Paul Fournel, « guignol est le polisson du monde le mieux partagé ».
Mais plus que cela, il incarne l’esprit français, cet esprit critique et truculent qui, au travers de facéties, proclame son insoumission et sa révolte contre l’injustice. A tel point que le Second Empire, qui constata l’influence que l’esprit de Guignol avait pu avoir sur les révoltes des canuts de 1831 et 1834, le censura comme révolutionnaire et empêcha l’ouverture de nouveaux théâtres.
(C’est aussi la censure mise en place par Napoléon III qui permit paradoxalement de consigner par écrit tous les canevas, piécettes dont Guignol était le héros : sans cet interdit, peut être ce petit être de bois un peu anarchiste ne nous serait parvenu sinon dans la forme, du moins dans l’esprit…)
Et sans oublier également la célèbre chanson des canuts…La chanson sera écrite par Aristide Bruant en 1894 et le seul canut subsistant aujourd’hui, c’est Guignol, il en porte l’habit et la coiffe traditionnelle !
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Le chant des canuts.
Une chanson souvent associée à l’épisode insurrectionnel lyonnais de 1834 alors qu’elle est bien plus tardive. C’est en effet à l’occasion de l’exposition de Lyon de 1894 que l’auteur, Aristide Bruant, crée cette chanson, évocation des travailleurs lyonnais de la soie.
Aristide Bruant (1851-1925) : Précisons tout de suite, Aristide Bruant est un monument de la chanson française. Elève brillant, Aristide se retrouve obligé de travailler dés 16 ans pour faire face aux créanciers de sa famille. Tour à tour employé chez un avocat puis ouvrier bijoutier, Aristide Bruant se tourne vers la chanson et particulièrement vers la chanson populaire rédigée en argot dont il devient un spécialiste. Très vite son succès est immense et son œuvre marquera plusieurs générations de chanteurs : Il chante Paris et ses quartiers, le petit peuple comme dans « Nini peau de chien » et « la chanson des canuts ».
A l’énoncé du nom des canuts, on songe immédiatement aux insurrections du début du 19ème siècle. Les canuts sont les travailleurs de la soie de lyon, qui transforment à façon et à domicile, les fils de soie produits en Ardèche pour le compte des grandes familles de soyeux lyonnais. Installé sur les pentes de la Croix Rousse, c’est tout un monde industrieux qui travaille et anime la première activité de la ville de Lyon.
En 1831, puis en 1834, les canuts entrent en rébellion contre les soyeux afin d’exiger un tarif minimum, entendez par là une juste rémunération pour leur travail. Par deux fois, les canuts se retrouvent, sans trop l’avoir cherché, maîtres de la ville après la fuite des élites. En 1834, la rébellion se heurte à une sévère répression orchestrée par la Monarchie de Juillet. L’intervention de l’armée, canons à l’appui aura tôt fait de venir à bout des barricades de la Croix Rousse. 600 morts jonchent les rues de la ville et le long cortège des prisonniers prend le chemin de la déportation et des bagnes d’outre mer (tenez ! l’Algérie par exemple puisque l’on vient juste de la conquérir !).
La révolte des canuts s’inscrit donc dans le cycle des journées révolutionnaires qui débute en 1789 et s’achèvera en 1871 avec « la commune de Paris » (voir la chronique de la chanson « le temps des cerises »). C’est aussi, au début du 19ème siècle, l’émergence d’une classe ouvrière caractérisée par la misère et l’espérance d’un monde meilleur, un groupe social qui n’a pas grand-chose à perdre à l’image de la devise des canuts « Vivre libre ou mourir en combattant ».
A Bruant par Toulouse Lautrec
Parole de chanson Les Canuts
Pour chanter Veni Creator Il faut une chasuble d'or
Pour chanter Veni Creator Il faut une chasuble d'or
Nous en tissons pour vous, grands de l'église
Et nous pauvres canuts, n'avons pas de chemise
C'est nous les canuts Nous sommes tout nus !
Pour gouverner, il faut avoir Manteaux ou rubans en sautoir.
Pour gouverner, il faut avoir Manteaux ou rubans en sautoir.
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre
C'est nous les canuts Nous sommes tout nus !
Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira :
Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde
C'est nous les canuts Nous n'irons plus nus !
C'est nous les canuts Nous n'irons plus nus !
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