8 mai 2015

La laïcité, une valeur de gauche passée à droite
Si chacun, jusqu'à l'extrême droite de Marine Le Pen, s'entend aujourd'hui pour défendre la laïcité, peut-être faut-il s'en inquiéter. Ce consensus d'apparence pour une valeur sans cesse remise en débat laisse penser que ce concept fait l'objet d'une vaste confusion. La laïcité souffre notamment, selon Jean Baubérot, d'être pensée comme un principe disposant d'une telle cohérence qu'elle serait " une et indivisible ". Contre cette idée, et le malaise provoqué par la récupération d'une valeur de gauche par la droite et l'extrême droite, l'auteur, sociologue et historien, dresse un précieux inventaire des " sept laïcités françaises " et des acteurs qui les incarnent.
Toutes ne datent pas d'aujourd'hui, la plupart ont une histoire, et c'est par le croisement du passé et du présent que Jean Baubérot identifie chacune d'entre elles. Deux laïcités se dégagent de cette liste, les deux dernières. C'est entre elles que l'on trouve la plus forte opposition, car l'une tend à favoriser le catholicisme et à exclure l'islam, tandis que l'autre démontre que le pluralisme est au cœur du compromis peu à peu construit.
Cette dernière ouverture est le propre de la " laïcité  concordataire ", celle qui permet d'intégrer en  1919 l'Alsace-Moselle, après sa restitution par l'Allemagne, dans la France désormais laïque. Le concordat de 1801-1802 est en effet maintenu selon un régime transitoire toujours en place. C'est ce qui explique que, dans cette région, les clergés catholique, juif et protestant sont rémunérés par de l'argent public. Ces faits sont bien connus, bien que certains choisissent de les ignorer, comme, par exemple, les partisans d'une " laïcité identitaire ", de droite.
" racines chrétiennes de la france "
Le premier à s'être avancé sur ce terrain est l'UMP François Baroin, qui rédigea en  2003 un rapport intitulé " Pour une nouvelle laïcité ", remis au premier ministre d'alors, Jean-Pierre Raffarin. La nouveauté tient ici à " la foi en Dieu " et à l'identité religieuse prêtée à la France, mais également à la volonté de " réhabiliter l'autorité " afin, notamment, " de proscrire le port du voile dans les établissements scolaires ". Ce sera chose faite en  2004. Depuis, à droite, le ton ne cesse de se durcir. Nicolas Sarkozy peut ainsi demander au nouvel arrivant, dans une tribune au Monde (datée du 9  décembre  2009), de faire preuve de " respect " pour " ce qui était là avant lui ", et vanter ensuite, en  2011, " les racines chrétiennes de la France ".
C'est à cette époque que Marine Le Pen s'approprie le thème de la laïcité, en comparant les prières de rue à une " occupation de la France ". Le danger est tel, selon elle, qu'elle s'engage à se consacrer désormais à la défense de la laïcité, symbole de la " souveraineté nationale " contre un " internationalisme confessionnel ", comme l'affirme le conseiller laïcité du FN. Cette typologie une fois dressée, l'ouvrage se termine sur une injonction pour faire de la laïcité un vecteur d'empathie, plutôt que d'exclusion. L'appel est salutaire.
Marc-Olivier Bherer
© Le Monde