Histoire du monde ouvrier 8

Du Congrès de la salle d’Arras à la Loi Waldeck Rousseau…
Sept  ans après la constitution de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières de Paris, huit ans avant la Loi Waldeck Rousseau autorisant les syndicats, le Congrès de la salle d’Arras est une étape très importante dans la formation du mouvement syndical moderne.
Les ouvriers se remettent doucement de la tragédie de la Commune, le mouvement ouvrier reprend progressivement de l’ampleur. En 1872, le gouvernement dissout la Chambre fédérale des sociétés ouvrières de Paris…Pour faire face à la multiplication des grèves, le pouvoir accepte enfin l’abrogation de la loi Le Chapelier et des articles du Code pénal contre les coalitions qui interdisaient le principe même des associations de défense des « prétendus intérêts communs » des ouvriers. Un an plus tard, une restauration monarchiste échoue de très peu ; aux élections législatives de février-Mars 1876, royalistes et bonapartistes n’obtiennent que 155 sièges contre 360 aux républicains.
Or ces derniers ne sont pas hostiles au mouvement ouvrier. Les travailleurs de Besançon en profitent et créent le premier syndicat de l’horlogerie (1876), en liaison avec le puissant mouvement suisse.
C’est dans ce contexte qu’a lieu le Congrès de la salle d’Arras, à Paris, le 20 Octobre 1876. Les Chambres syndicales parisiennes réussissent à organiser un congrès réunissant 360 délégués dont 255 de Paris. D’entrée, le Comité d’initiative se démarque du politique : il déclare, avec des accents qu’on qualifierait aujourd’hui « d’ouvriéristes » : «  tous les systèmes, toutes les utopies que l’on a reprochés aux travailleurs ne sont jamais venus d’eux, tous émanaient de bourgeois, bien intentionnés sans doute, mais qui allaient chercher les remèdes à nos maux dans des idées et des élucubrations au lieu de prendre conscience de nos besoins et de la réalité ».
Le congrès réclame la liberté de réunion et d’association, le droit au travail, un salaire décent et les assurances chômage, vieillesse et maladie. Il affirme sa volonté d’indépendance vis-à-vis de l’Etat, des partis et de l’idéologie socialiste pour se pencher sur l’étude pratique des revendications citées en introduction par la Comité d’initiative.
Ce congrès où se côtoient mutualistes, coopérateurs, ouvriers ( qui seuls ont droit à la parole) est à sa manière un premier pas vers la construction du syndicalisme autonome…
Les communards socialistes en exil (par la plume d’Edouard Vaillant) critiquent violemment cette autonomie d’action, traitant les délégués de « syndicaux de formation versaillaise, auxiliaires et point d’appui du monde bourgeois ». Cette forme d’indépendance syndicale dérange dans les rangs des militants marxistes, mais en revanche, proudhoniens et positivistes résistent à la propagande politique, et les collectivistes repassent à l’offensive lors du 3ème congrès qui se tiendra à Marseille en 1879, réussissant à faire voter un texte demandant «  la collectivité du sol, du sous sol, des instruments de travail et des matières premières »  mais échouent à faire accepter la primauté du politique sur le social ! Ils avaient en fait le but ultime de créer un « parti des travailleurs…
Jules ferry est l’initiateur en 1880 d’un projet de texte législatif autorisant les syndicats (ouvriers et patronaux). Confronté aux multiples tentatives d’enlisement menées par les députés les plus conservateurs, ce n’est qu’à l’issue d’une bataille parlementaire de quatre ans que Waldeck Rousseau, alors ministre de l’Intérieur du second gouvernement Ferry, pourra enfin faire voter cette Loi du 21 Mars 1884. Même si elle soumet le fonctionnement des syndicats à des règles strictes, elle marque cependant le point de départ pour de nouvelles étapes : l’organisation des salariés peut désormais se développer au grand jour (mais à l’extérieur des usines et ateliers et sauf dans la Fonction Publique) sans l’autorisation du gouvernement.
La loi autorise les syndicats professionnels à ester en justice, de disposer librement du produit de leurs cotisations, d’acquérir les immeubles nécessaires à leurs activités, de constituer des caisses de secours mutuels ou de retraites. Les syndicats peuvent aussi former des Unions de syndicats ( qui, elles ne peuvent pas ester en justice).
Enfin, obligation est faite aux syndicats de déposer leurs statuts et d’indiquer les noms des responsables (qui doivent être français et jouir de leurs droits civils).
Ces contraintes ont amené une certaine lenteur dans la progression de la généralisation des syndicats professionnels.  D’autant que le patronat n’a cessé de multiplier les menaces sur les ouvriers pour retarder l’application de la Loi.
Face à cette offensive, les dirigeants ouvriers sont divisés, avec d’un côté les défenseurs d’un syndicalisme indépendant, et de l’autre, les « guesdistes » pour qui la lutte a une finalité essentiellement politique. Une fédération nationale des syndicats est crée à Lyon en Octobre 1886 mais les conflits entre guesdistes et «possibilistes » empêcheront son développement. Elle sera concurrencée en 1892 par la création de la fédération des Bourses du travail.
Ces divisions sont mal vécues par la classe ouvrière, et cette dernière imposera à partir de 1893 un processus de  rapprochement  entre ces deux catégories, qui aboutira deux ans plus tard à la création de la première centrale syndicale : la Confédération Générale du Travail CGT.