Léon JOUHAUX

Je vous propose de  retraçer la vie d’un syndicaliste exemplaire, un grand penseur du mouvement ouvrier : Léon JOUHAUX.

 

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Léon Jouhaux au bureau
En effet, la vie exemplaire passionnée de Léon JOUHAUX se confondit, tour à tour, pendant plu de 50 ans avec les combats âpres et durs pour la liberté et l’indépendance syndicale, avec des défaites passagères, l’essor et l’épanouissement en 1936/1937, les crises, les scissions, les drames, la dissolution pendant l’occupation et la renaissance des organisations syndicales après la libération.
Il avait pris d’abord, comme simple militant de la « vieille » CGT, part à toutes les grèves et manifestations, aux négociations paritaires du monde du travail (dans les milieux syndicaux, on dit souvent que les droits sociaux aujourd’hui inscrits dans la législation, arrachés au patronat et aux gouvernements, n’auraient pu être obtenus dans ses interventions vigoureuses et efficaces !).
Il est né le 01 Juillet 1879 dans un milieu ouvrier plein de souvenirs révolutionnaires : son grand père avait été fusillé pendant les journées de Juin 1848, son père, employé dans une fabrique d’allumettes, était  tambour de la Commune.
A 12 ans, il doit quitter l’école à cause d’une grève, et part travailler dans une manufacture de savonnerie. Ainsi, très jeune, il découvre les servitudes du travail et prend conscience de « l’injustice sociale ». a la suite d’une bagarre  où fut mêlé l’anarchiste Libertad) il est arrêté et condamné à 3 mois de prison. Il est alors fiché par la police comme « individu dangereux » et contraint de quitter la manufacture…
Révolté contre la société bourgeoise et la morale du régime capitaliste fondée sur le profit à tout prix, il entre au Cercle Libertaire et devient militant du syndicalisme révolutionnaire.. Doué d’une vive intelligence et d’une remarquable mémoire, il s’instruit en autodidacte, en chômage forcé, en dévorant les ouvrages de Proudhon et Pelloutier, ses véritables »maitres à penser ». Il s’inspirera toute sa vie de leur philosophie et de leur éthique syndicale  selon lesquelles : «  chaque individu doit conquérir sa liberté par son effort, sa propre culture, le progrès de ses connaissances, son action raisonnée et personnelle ».
En 1906, il représentait la Bourse du Travail d’Angers à la CGT et en devient le président en 1909 (il avait alors 30 ans). Sa préoccupation, après les résolutions de la charte d’Amiens de 1906, était de ne pas aliéner la doctrine syndicale à une idéologie politique, défendant le principe que l’indépendance doit toujours être liée à la destinée d’un syndicalisme libre.. Cette conviction restera inébranlable jusqu’à sa mort.
Comme on l’a déjà vu, à la veille de la guerre de 1914, la CGT s’engagea dans une lutte antimilitariste. Il était profondément pacifiste, mais, après l’assassinat le 31 juillet de Jaurès, il modifia son attitude, face aux évènements dramatiques du conflit mondial, pour servir son pays, préserver les organisations ouvrières. Il accepta de collaborer avec le gouvernement pour participer à la « mobilisation économique » afin de défendre les intérêts ouvriers.
Cette position lui valut quelque temps plus tard une forte divergence avec la minorité communiste à l’intérieur de la CGT. La CGT est divisée, déchirée et malgré ses efforts une scission interviendra au Congrès de Lille en 1921. Tout d’abord affaiblie, mais débarrassée des « minoritaires », elle retrouvera peu à peu sa puissance et son autorité auprès de la classe ouvrière.
Léon Jouhaux avait créé le Conseil Economique du Travail dont la première tâche était de définir les principes fondamentaux de la nationalisation industrialisée, et le but de « procurer aux consommateurs le maximum d’utilité et d’économie ». (oui, le premier C.E.T était une manifestation de l’effort constructif de la vieille CGT !).
Entre 1929 et 1935, nous avons vu que la France traversait une grave crise économique, avec un chômage atteignant des proportions considérables.  Léon JOUHAUX proposa un plan de rénovation économique dont le gouvernement Léon BLUM s’inspirera deux ans plus tard pour la création d’une législation ouvrière toute moderne (les accords Matignon de 1936)
Léon JOUHAUX représenta la France dans l’élaboration de la Charte Internationale du Travail et fut membre de la délégation ouvrière du B.I.T (dans cet organisme mondial, il lutta avec force contre l’admission des pays fascistes et totalitaires).

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Après la débâcle de 1940 et la destruction de la CGT, JOUHAUX entra dans la clandestinité. Il fut arrêté en décembre 1941 par les autorités de Vichy et déporté en Allemagne en 1943, d’abord au camp de Buchenwald (où il retrouvera  BLUM et DALADIER) puis une annexe du camp de Dachau (avec DALADIER). A sa libération en 1945, il reprit aussitôt sa place à la CGT (renaissante) et au B.I.T. Il fut aussi désigné délégué adjoint de la France à l’assemblée générale des Nations Unies. En 1947, il fut élu Président du Conseil Economique.
1947 est, souvenons nous, marquée par la pauvreté, la pénurie, l’agitation c’est aussi l’année de l’offensive du Kremlin et les débuts de la guerre froide. A l’est, seule la Tchécoslovaquie résiste encore. Les américains ripostent en lançant la doctrine  Truman en mars 1947… Le 8 mai, les communistes sont chassés du gouvernement français…Le 5 Juin, Washington lance le plan Marshall, que Staline refuse 3 semaines plus tard, suivi naturellement par le PC et la partie de la CGT qu’il contrôle.
Le 24 Juillet, Léon JOUHAUX annonce dans le journal FORCE OUVRIERE  (créé en 1945 pour remplacer « résistance ouvrière », journal clandestin lancé en 1943 par des militants CGT en lutte contre Vichy et l’oppresseur): « le plan Marshall peut offrir une base positive à la reconstruction d’une Europe unie. s’il devait attenter à la souveraineté nationale des différents pays européens en plaçant leur économie sous l’hégémonie de l’Amérique, il devrait être combattu…c’est dans ces conditions que le plan permettra la réalisation de la reconstruction d’une Europe unifiée dans laquelle toutes les nations trouveront leur place, à l’exception des blocs antagonistes». Mais, minoritaires, les « amis de FO » ne peuvent empêcher la CGT de rejeter le dit-plan.  Et le PCF lance alors la CGT dans une série de grèves dans le but d’imposer son retour au gouvernement et de faire prendre une orientation pro-soviétique à la diplomatie française.
Les militants non communistes commencent à quitter la centrale syndicale plus de 15000 départs sont enregistrés), et certains à créer des syndicats autonomes.  Avec ces départs, le groupe « Force ouvrière » ne sent pas assez fort pour réussir une contre offensive interne : en décembre de cette même année, il décide donc de partir et créer une nouvelle confédération syndicale. Pour sauvegarder l’indépendance et la liberté syndicale, n’acceptant plus la « machine à broyer communiste » (voir mes pages précédentes) gangrénant l’organisation, Léon JOUHAUX et ses amis fondent la CGT- FORCE OUVRIERE  afin de « défendre la case de l’humanité qui ne se sépare pas de la cause du syndicalisme ». Le 18 décembre 1947, la salle de la Société nationale des horticulteurs à Paris fut le théâtre d’une mort, celle de l’ancienne CGT, et d’une naissance, celle d’une nouvelle organisation !
Cette fracture n’est pas une rupture avec la tradition syndicale française, elle s’inscrit dans l’historique volonté des syndicats par rapport aux partis politiques, aux organisations confessionnelles et à l’Etat.
Les communistes étant restés maîtres de l’Immeuble de la rue Lafayette, de la trésorerie, de l’appareil administratif, c’est à partir de rien que JOUHAUX ( et son ami BOTHEREAU) vont reconstruire l’organisation qu’ils revendiquent comme « l’héritière de la charte d’Amiens ».
Les 12 et 13 Avril 1948, se tenait le congrès constitutif de la CGT-FO  (mon père en faisait partie..) qui porta JOUHAUX à sa présidence. Les congressistes se posaient en continuateurs de la vieille CGT, c’est pourquoi ils intitulèrent ce congrès « 33ème congrès corporatif ». Ils votèrent leur adhésion au plan Marshall pour « que les usines ne s’arrêtent pas, que le chômage régresse,  et dans la mesure où le syndicalisme international veillera sur l’application du plan ». Ne disposant de rien, la  nouvelle centrale bénéficiera d’aides financières des syndicats américains
Le prix Nobel de la Paix qui lui fut décerné en 1951 couronnait enfin 50 années de luttes courageuses pour l’établissement de la paix mondiale.
Durant ses combats syndicalistes d’un demi-siècle au service de la classe ouvrière, JOUHAUX n’a jamais  rien renié de son idéal de justice sociale et de paix universel. Il a maintenu l’existence du mouvement ouvrier dans ses étapes successives de développement en lui conservant les traditions qui avaient fait sa grandeur, notamment l’exigence de liberté et la dignité de la personne humaine ;
Dès lors, et jusqu’à son dernier souffle, le 28 Avril 1954, il a consacré ses forces à « éduquer la classe ouvrière pour la rendre capable de prendre en mais, plus tard, la gestion de la société ».
On dit que Léon JOUHAUX était Franc Maçon : rien d’étonnant eu égard à la personnalité de l’homme, à ses engagement et ses combats… mais je n’ai (malheureusement) rien qui me permette de confirmer cela.


JCl.F

 

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La tombe de Léon Jouhaux