Croyance, opinion et savoir par Axel Kakn
    
    
Axel Kahn Généticien, docteur en médecine et docteur ès sciences, directeur de recherche à l’INSERM
POLITIQUE - Chacun est libre, en démocratie, d'avoir des croyances et des opinions personnelles. Il est cependant souvent essentiel pour décider et agir, être libre, de s'appuyer aussi sur des savoirs. Or, la confusion entre les trois types d'énoncés est de nos jours telle que les responsables de l'éducation nationale ont jugé indispensable d'inscrire aux programmes la distinction entre eux. Certains des fondements d'une croyance, religieuse ou autre, reposent sur des actes de foi, des "crédos" à qui on ne demande pas d'être logiques, de découler d'un usage strict de la raison. Le champ légitime de la croyance est celui qui échappe, au moins en partie, à la rationalité. La foi peut se décrire, s'exposer, elle ne peut se prouver; même partagée, elle est de l'ordre de l'intime. S'il est possible d'en témoigner, on ne saurait de ce fait la discuter à l'aide de l'arsenal de la logique. L'opinion implique quant à elle de s'appuyer sur des choix personnels incertains, eux aussi de l'ordre de la liberté individuelle. Cependant, en tant que le débat démocratique implique la confrontation entre elles des opinions, il est essentiel que leurs partisans soient capables de les exposer rationnellement, condition sine qua non d'un dialogue argumenté. Sans usage de la raison, toutes les positions sont des croyances et leur exposition se limite à une série de monologues. Or, l'idéal du débat entre partisans d'opinions différentes mais attentifs à la logique du contradicteur, capables les uns et les autres d'évoluer, et de ce fait, de s'enrichir mutuellement, est une pièce centrale d'une démocratie vivante et évolutive.
Le savoir s'adosse pour sa part à des données aussi objectives que possible soumises à un traitement d'une logique en principe irréprochable. Parce que les données peuvent se révéler incomplètes ou trompeuses, parfois erronées, et que leur traitement logique peut comporter des biais, un savoir n'est que la plus grande probabilité de la vérité à un moment "t" et compte tenu des éléments disponibles. Il doit céder le pas à des énoncés différents alimentés par de nouvelles observations, ou bien à ceux qu'une logique supérieure démontre. Dans le domaine des sciences expérimentales et exactes, une proposition n'est scientifique que s'il est possible de la confirmer ou de la réfuter rationnellement. À ce titre, le statut d'un résultat obtenu par des chercheurs est celui d'une hypothèse, il n'accède à celui d'un savoir qu'après avoir été vérifié et confirmé par des équipes indépendantes. Ces caractéristiques impliquent l'impossibilité d'opposer une opinion ou une croyance à un savoir car leurs champs d'application est radicalement différent. De façon symétrique, la science n'a aucune légitimité à s'aventurer dans le domaine intime des croyances et des opinions dès lors qu'elles restent elles-mêmes dans les limites de leur spécificité. Certes, la science elle-même hésite souvent entre plusieurs théories, logiques les unes et les autres mais contradictoires. On est alors dans le domaine des hypothèses en attente de l'émergence d'un savoir accepté.
Au total, les croyances et les opinions n'ont pas de place dans l'étude des lois de l'univers et du monde vivant. La science n'a pas à se prononcer sur les convictions intimes touchant à la manifestation d'une transcendance, la finalité du monde ou la supériorité d'un programme politique. La discussion d'hypothèses scientifiques tels l'évolution du climat et ses causes repose sur des données, pas sur des opinions. Tels sont certains des critères essentiels d'une démocratie laïque.

25/10/15

Billet précédemment publié sur le blog d'Axel Kahn ;  http://axelkahn.fr/blog/