Il y a une poignée d’années, souvent j’entendais le qualificatif de « privilégiés » pour des classes sociales qui l’étaient sûrement… Parmi elles se trouvaient les présidents des entreprises du CAC 40, les Dassault, Arnaud, Pinault, etc. ; les dirigeants des multinationales comme Total, l’Oréal ; les P.D.G. des groupes financiers mondialisés. Leur fortune donnait et donne encore le vertige. Il fallait aussi compter avec les héritiers, « de tota traca » (1) !

Depuis peu, les cheminots sont devenus des « privilégiés » ! Cette manipulation langagière trouble volontairement nos concitoyens. Les tenants de la « doxa néolibérale » prétendent que leur statut serait la raison principale de la dette abyssale de la SNCF. Je crois plutôt que ce sont 30 ans de choix calamiteux de sa direction et de l’État qui en sont la véritable cause. Cette antienne culpabilisante exige des nouveaux privilégiés — les retraités, les chômeurs, « and so on ». — de nouveaux sacrifices, quand nos privilégiés ont vu leur fiscalité notablement allégée par le gouvernement de M. Philippe.

Il y a peu, « Le Canard enchaîné » épinglait les hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay dont les salaires stratosphériques me laissent rêveur. Faisaient-ils partie, eux aussi, de cette classe privilégiée ? J’ai lu, il y a longtemps, « La Noblesse d’État » (2). Bourdieu, notre illustre béarnais, y décrit et analyse les comportements monarchiques de notre « technostructure ».

Elle gère, depuis 60 ans, les grands corps de l’État, mais aussi la majorité des entreprises du CAC 40. « La noblesse d’État qui dispose d’une panoplie sans précédent de pouvoirs, économiques, bureaucratiques et même intellectuels, et de titres propres à justifier son privilège [] est l’héritière structurale — et parfois généalogique — de la noblesse de robe. » écrit-il. Je croyais avoir entendu que les privilèges avaient étaient abolis un certain 4 août 1789. « C’est de l’histoire ancienne ! » me direz-vous. Nous serons donc tous un jour des nantis, sans l’avoir voulu. Cela va sans dire…

 

1. De tout ordre.

2. Pierre Bourdieu, éd. de Minuit, 1989.

S.J