La laïcité, fer de lance de la réconciliation républicaine

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La laïcité, fer de lance de la réconciliation républicaine
Publication: 20/06/2014 07h34 CEST Mis à jour: 20/08/2014 11h12 Hufington Post

Rama Yade & Jean-Michel Quillardet

A l’occasion de la publication du premier rapport annuel de l’observatoire de la laïcité, Rama Yade et Jean-Michel Quillardet se sont entretenus sur tous le grands sujets touchant la laïcité: la république et l’extrême-droite, l’islam, le mariage pour tous.
Rama Yade: Mon grand étonnement est que la laïcité est brandie par Marine le Pen. Comme si elle apparaissait comme la grande défenseure de la laïcité. Et je me dis sans doute que c’est un échec pour nous les républicains. C’est la question que je me pose: qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on en arrive là et comment peut-on opérer la reconquête? C’est l’idée que j’aimerais porter: la reconquête de nos valeurs. Les républicains et surtout les radicaux étaient tout de même à l’origine de ce combat. La laïcité est profondément d’actualité et offre une clé pour résoudre les problèmes de la société.
JMQ: Effectivement c’est un échec pour tous les républicains et tous les laïcs. C’est extrêmement gênant vu que beaucoup de médias lui donnent la parole sur ces sujets et beaucoup d’électeurs non-Front national se reconnaissant dans la laïcité votent aussi pour elle parce qu’elle développe ce discours républicain, républicaniste et laïc. Mais ce qu’il faut bien opposer au Front national c’est que c’est une fausse laïcité: Marine le Pen ne devient laïque que quand elle rencontre un musulman et elle se sert de la laïcité pour lutter contre « l’arabisation de la France », la défense de la civilisation française et aussi à partir de là pour chasser les immigrés. C’est un intégrisme chrétien, vu que lorsqu’il y a atteinte à la laïcité, par les cultes catholiques, Madame le Pen ne bouge pas. Il faut que nous les républicains reprenions la bonne définition de la laïcité. La laïcité n’est pas contre l’Islam, contre la religion. La laïcité essaie justement de faire vivre le peuple ensemble dans sa diversité et dans ses différences, sans qu’on ne les oppose les unes aux autres.
        

Rama Yade: Le discours anti-religieux porte. A l’époque c’était contre le catholicisme, aujourd’hui c’est contre l’islam: sur le plan des cantines scolaires, les femmes qui refusent d’ôter le voile, les femmes qui refusent de serrer la main du médecin, enfin les prières de rue. De tout ces sujets, nous aurions du nous saisir en tant que laïcs sans être soupçonnés de xénophobie pour répondre au retour de la question religieuse dans la société française. Il s’avère que cela tombe sur l’Islam car un certain nombre des derniers immigrés sont aussi musulmans et la question que je me pose est pourquoi la main des républicains a tremblé dans les années 1980 lorsqu’il a fallu poser les limites de la laïcité face à cette résurgence et pourquoi n’avons-nous pas démontré une des nombreuses forces de la laïcité: un outil de l’émancipation des femmes ?

JMQ: Sur le retour du religieux, il est incontestable aussi qu’il y a trente ans les jeunes immigrés musulmans avaient une pratique de l’Islam tout à fait modérée: on ne revendiquait pas le voile, les cantines scolaires. C’est vrai qu’il y a eu une évolution extrêmement rapide due aux conditions économiques et sociales. L’ascenseur social n’a pas fonctionné. A l’origine de cet islam un peu affirmé, sans être intégriste et trop affirmé dans l’espace public il y a une revendication sociale qui est devenue une revendication identitaire de gens qui ne se reconnaissent plus dans la République.

Rama Yade:Les républicains étaient peut être trop faibles aussi.

JMQ: Sur cet aspect, il y a à mon avis deux courants politiques qui traversent la vie française et de manière transversale. Il y a un courant républicaniste, laïc très fort, très ferme et il y a un courant pour une laïcité plus ouverte, plus plurielle qui a peur de stigmatiser. Si on prend comme exemple l’affaire du voile à Creil, Lionel Jospin qui demande un avis au Conseil d’Etat qui à son tour donne un avis de « gérons ça au cas par cas ». Le seul, et il va bien falloir le reconnaitre plus tard, à régler la question c’est Chirac en disant qu’il fallait une loi. Seule une loi républicaine, ferme et définitive a fonctionné.

Rama Yade: Quelques années plus tard c’est le niqab qui revient comme si le mouvement au lieu de se tarir s’était renforcé. Au fond ce qui me frappe, c’est qu’il ait eu recours à une loi. Pourquoi ne nous sommes-nous pas simplement contentés d’un règlement intérieur inspiré de la circulaire Jean Zay [du 31 décembre 1936 et du 15 mai 1937- FS]. On s’en lave les mains en disant qu’au final c’était aux juges de décider et donc on juridicisait tout.

JMQ: A l’époque c’était effectivement la position de Jospin et une partie de la gauche, mais certains ont dit aussi que les circulaires, le Conseil d’Etat, le règlement intérieur ça ne suffisait pas, il faut effectivement qu’il y ait la force symbolique de la loi. Ceux qui ont demandé cette loi sont justement dans cette pratique républicaine. Lionel Jospin était partisan d’une laïcité au coup par coup et les chefs d’établissement ont dit non. On a fait la commission Stasi et elle a proposé la loi qui a été votée. Et cette loi ne doit pas être mise en cause comme ça a été le cas dans le rapport sur l’intégration remis à Jean-Marc Ayrault. Il faut être très vigilant là-dessus. Donc la force symbolique de la loi.

Rama Yade: Je pense qu’il y a une idée de générosité derrière. Du coup, ils affaiblissent la République avec l’idée que ces populations sont tellement victimes, persécutées qui plus est dans un monde mondialisé, qu’il faut les laisser affirmer leur identité comme signe de respect. Il y a un autre élément je pense, c’est le 11 septembre 2001. Les musulmans sont accusés par le monde entier alors que la quasi-totalité n’avait rien à voir avec Al-Qaïda. Le fait qu’ils étaient pointés du doigt a pu provoquer un repli sur soi et donc une affirmation identitaire. Vous avez ce repli-là qui s’ajoute à l’humiliation due à l’échec du modèle républicain. Les identités humiliées se renforcent toujours.

JMQ: Je suis d’accord. C’est l’échec de la politique d’intégration. Je pense effectivement qu’on ne lutte pas suffisamment contre les discriminations. Le problème de la laïcité, c’est qu’il faut tenir compte effectivement de cet aspect-là pour éviter que les dispositions qui vont être prises puissent être perçues comme discriminantes envers une partie de la population. Nous sommes dans cet équilibre difficile. Regardez le phénomène des grands frères.

Rama Yade: Les grands frères c’est aussi une tradition bien française, ils servent d’intermédiaire là ou la République n’a pas su aider et en reprenant le phénomène on a entériné l’échec. On utilise les grands frères pour avoir la paix sociale comme s’il était impossible pour la République d’aller dans ces territoires pour mesurer et traiter les problèmes. La République peut être généreuse, elle peut offrir l’école gratuite, des prestations sociales, mais la contrepartie est : pas de distinction d’origine, de race, de religion et respect des valeurs républicaines. Ce manque de fermeté est à l’origine de nombreux problèmes que les populations ont bien senti. Quand on parle du port du voile, de mariage forcé, d’excision, on ne peut pas dire qu’on ignorait ce problème. C’était connu, mais on était effectivement dans cette idéologie d’affirmation de la différence pour des raisons de complexe postcolonial tout simplement..Mais de fait on a entravé la cohésion nationale.

JMQ: Ça a été plus loin puisque dans les émeutes des banlieues de 2004, c’était de Villepin qui était Premier Ministre, on assuré la paix sociale non seulement avec les grands frères mais aussi avec les imam. On a été les chercher pour qu’ils calment les jeunes. A partir de là, c’est la défaite de la République. Je suis entièrement d’accord sur ce constat. Alors, quoi faire maintenant? On, je dis on, je ne représente pas, mais il y a pleins d’associations de défense de la laïcité. On ne nous entend pas!

Rama Yade: Si! Mais elles sont à l’extrême-droite. Et on y trouve des gens de gauche. Regardez riposte laïque.

JMQ: Oui, mais nous les associations, même le Grand Orient a du mal à se faire entendre parce que la presse, les médias donnent la parole toujours aux extrémistes et quand on essaie d’expliquer ce qui est vraiment la laïcité et d’avoir un discours ferme, on ne nous donne pas la parole. La vraie question de la laïcité est qu’il faut absolument intégrer un certain nombre de populations dans la compréhension des valeurs des Lumières. On a du mal à faire comprendre qu’on souhaite défendre des valeurs qui sont universelles. Toute la question c’est l’intégration et je crois aussi la formation, l’éducation et l’enseignement.

Rama Yade: Et l’idéologie multiculturaliste!

JMQ: Et l’idéologie multiculturaliste qui dit très clairement qu’il faut tenir compte des communautés d’appartenance dans l’organisation de la société française. Les multiculturalistes sont beaucoup plus présents dans les médias, écrivent beaucoup plus de livres que nous les défenseurs de la laïcité républicaine.

Rama Yade: Vous disiez que vous êtes dans une forme de modération. Est-ce que la vocation de la laïcité c’est la modération? Rappelez-vous, le combat initial, c’était violent.

JMQ: Quand j’ai dit modéré, c’est qu’aujourd’hui les circonstances sont différentes. Si on adopte aujourd’hui un discours radical sur la laïcité, ça risque de nous revenir en boomerang. Le mariage pour tous, ça a quand-même été la remontée des religions. En 1984 contre la grande loi du service public, on lui retirait un droit. Là, on offrait un droit à tous, mais ni les catholiques ni les musulmans n’étaient obligés de le faire. On a eu dans la rue le conglomérat de la religion catholique et de l’islam pour s’opposer à un droit qu’on accordait à un autre citoyen. Il y a eu une montée du radicalisme dans les deux religions.

Rama Yade: Lors du mariage pour tous, on a vu deux phénomènes: à la fois une inquiétude de la part des manifestants de la remise en cause du modèle de famille traditionnel et puis, de l’autre côté, des mouvements qu’on croyait disparus depuis un siècle qui ont profité pour resurgir rappelant que la France catholique était toujours là. Il y avait un parfum de revanche de ceux qui finalement avaient été vaincus par l’histoire. C’est-à-dire l’histoire d’une République laïque. Il y a eu une alliance, alors que ces deux populations se considéraient comme adversaires sur le plan politique. Les musulmans plutôt à gauche, protégés par la gauche, les autres se situant plutôt à l’extrême-droite font soudainement alliance. Ce qui a été possible pour eux, doit l’être aussi pour les laïcs qui sont un petit peu éparpillés partout. La Laïcité, elle libère aussi! Par exemple en matière égalité hommes-femmes, elle libère les femmes d’une certaine tradition patriarcale. Je crois que le combat égalité hommes-femmes doit aujourd’hui, dans sa version moderne, être repris par les laïcs.

JMQ: Je suis entièrement d’accord, la laïcité, c’est la libération de la femme. La laïcité, c’est une liberté. Une liberté pour tous. Ça c’est le discours qu’on doit tenir. La laïcité ne doit plus être présentée comme un concept qui exclut, mais qui inclut et qui libère les hommes et les femmes et plus particulièrement les femmes de chaînes ancestrales. Je crois à l’éducation à la laïcité.

Rama Yade: L’enseignement est un domaine où la laïcité a une actualité très forte car on explique souvent qu’il est impossible d’enseigner certains passages de l’histoire alors qu’on devrait pouvoir privilégier ceux qui nous rassemblent et pas ceux qui nous séparent. Dès que vous introduisez des débats de société, vous clivez les classes scolaires.

JMQ: Oui, il faut effectivement rassembler à l’école. C’est l’objet d’ailleurs de la charte de la laïcité. J’ai participé à la rédaction de cette charte. Je pense que la charte dit très clairement les choses. L’enseignement n’a effectivement pas à porter atteinte à la conscience de l’enfant, mais il doit exprimer la pluralité du monde et de la pensée.

Rama Yade: C’est très important parce que ce n’est pas forcément un instrument qui vous aliène, qui vous détourne de ce que votre famille vous enseigne, c’est au contraire un instrument qui vous donne les outils…

JMQ:… pour sa propre libération!

Rama Yade: Oui, pour sa propre libération.

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