Histoire du mouvement ouvrier 1938 1947
N° 13

Nous avons vu que le syndicalisme occupait maintenant, même avec maints soubresauts, une place essentielle dans l’évolution du monde ouvrier.
C’est avec une nouvelle « cassure », qui survint en 1939, que ce syndicalisme allait aborder un nouveau conflit mondial.

Déjà, lors du Congrès de Nantes en 1938, la situation internationale dominait les débats : si le Congrès était unanime à condamner les décrets-lois (visant en particulier à instaurer une mainmise de l’Etat et du patronat sur le mouvement ouvrier) que venait de prendre le gouvernement Daladier, de profonds désaccords interviennent sur l’attitude à observer au regard notamment de la politique internationale de l’URSS.

Et c’est une nouvelle scission qui interviendra en 1939, avec la signature du « pacte germano-soviétique » par Von Ribbentrop, ministre du IIIe Reich, et Molotov pour l’URSS,  pacte qui va faire voler en éclat l’Europe née du traité de Versailles,  les alliances contre l’Allemagne et l’Italie , qui permettra aux armées d’Hitler et de
Staline d’envahir, chacun de leur côté, la Pologne, et plongera l’Europe, puis le monde, à nouveau dans un nouveau conflit où la barbarie allait franchir de nouvelles limites (le plus rusé dans cette affaire n’a pas été le « petit père des peuples »…Hitler a eu les mains libres en Pologne et sur le front Ouest, et une fois sa victoire assurée, il a eu tout le temps pour se tourner vers l’Est…et attaquer l’URSS). Les communistes de la CGT sont exclus, et les effectifs adhérents fondent très rapidement…

Avec la débâcle française de 1940, et la signature de l’armistice par
Pétain en juin (Il obtient peu après les pleins pouvoirs de l’Assemblée nationale), les responsables de la CGT quittent le siège de Paris pour se réfugier à Bordeaux puis Toulouse. Il s’agit de se serrer les coude devant la tempête qui s’approche : dès le 16 Aout, le gouvernement de collaboration publie une loi interdisant les confédérations syndicales ( CGT et CFTC).
La Charte du Travail en octobre 1941 interdit les grèves et les lock-outs. Travailleurs et patronat « doivent s’entendre » sous la férule de l’Etat qui contrôle désormais l’ensemble du monde du travail ( le régime de Vichy interdit les syndicats de salariés). Cette charte, respectant celle de Rerum Novarum,  est un mélange mal ficelé de corporatisme à l’italienne et de catholicisme social, elle ne pourra jamais fonctionner !
Extraits :
 -la charte fait de la profession une famille où s’établit une complète solidarité d’intérêts entre employeurs et employés.
-Le travailleur est assuré de trouver dans son labeur : sécurité, dignité, justice professionnelle, satisfaction des nécessités de sa vie personnelle et familiale.
-le plus humble collaborateur est intégré dans l’entreprise. Il bénéficie du patrimoine professionnel sous la forme d’œuvres de toutes natures, multipliées pour son bien être, celui de sa femme et de ses
enfants.

Dès le 15 novembre 1941, la résistance syndicale (CGT, CFTC)s’organise.
Un manifeste est signé, rappelant l’indépendance du syndicalisme et déclarant : « les féodalités économiques sont plus responsables de la défaite que n’importe quel homme politique, si taré soit-il ».

Face à l’occupation nazie et à l’instauration du régime de Vichy, la nécessité de l’unification de la résistance s’impose, le mouvement syndical n’y échappe pas. Les confédérations entrent dans les mouvements de résistance (libération Nord et libération Sud).( Dans le même temps, les ex  « unitaires » de la CGT sont appelés à entrer eux aussi en résistance pour défendre l’URSS en bloquant des divisions nazies en France et noyauter les mouvements en cas de victoire!), le mouvement ouvrier est réduit à l’action clandestine et de nombreux ouvriers s’engagent dans la lutte contre l’occupant et les pétainistes.

Des manifestations ( 1er mai) et des grèves insurrectionnelles sont lancées dès 1943 (mineurs en Juin et cheminots en octobre), provoquant représailles, déportations et assassinats de milliers de travailleurs.
Elles se poursuivront néanmoins en 1944 pour paralyser l’armée allemande.

A la Libération, avec un enthousiasme qui ne peut se mesurer sans doute qu’à l’horreur subie pendant plusieurs années, les artisans de la Libération s’attachent à reconstruire le pays (et  à l’épurer de ses éléments compromis…). La CGT ( et la CFTC) est immédiatement reconstituée.

Le Parti Communiste Français entre au gouvernement d’Union nationale (associant démocrates-chrétiens, socialistes et communistes) en 1945 et se lance dans « la bataille de production » et combat toute revendication ouvrière, déclarant même : « la grève, c’est l’arme des trusts », décrétant que dans l’intérêt de la patrie, la lutte des
classes était suspendue !

Pourtant, le peuple a faim, la vie est dure dans ce pays à reconstruire. Des conflits sociaux éclatent un peu partout, mais, devenue courroie de transmission du gouvernement, la CGT emploie toute son énergie à les juguler…Face  à l’hégémonie stalinienne dans la centrale, les « réformistes » se regroupent  au sein des  « amis de Force ouvrière » ( le bulletin interne) mais restent en accord sur la ligne syndicale.

Cela dit, notons néanmoins la création en 1945 de la Sécurité Sociale instaurant  pour les salariés la couverture des risques maladie, vieillesse et les allocations familiales. Les ordonnances du 4 et 19 octobre reconnaissent aussi  le droit des salariés à gérer leurs propres cotisations. Réalisation, de mon point de vue, qui permet (encore) sans conteste à la France d’être un pays ou la solidarité et l’égalité ne sont pas des vains mots !

Contrairement à ce qu’affirment différents hommes politiques, la Sécurité Sociale n’est pas une réalisation du seul gouvernement de la Libération mais d’abord l’œuvre de militants syndicalistes « confédérés » (je pourrai éventuellement et si vous le souhaitez consacrer une page spéciale sur ce sujet…) : modèle et symbole du syndicalisme, la résistance ouvrière se réalise dans la Sécurité Sociale !

Si cette période difficile n’a pas changé fondamentalement la typologie du monde ouvrier, l’engagement des travailleurs et le lourd tribut payé pour cela a marqué pour longtemps les mémoires et considérablement durci les mouvements sociaux et actions qui suivront, notamment contre l’Etat.

Dès le printemps 1946, l’unité de la CGT se fissure à nouveau. En Mai, les anarcho-syndicalistes scissionnent pour fonder la Confédération Nationale du Travail (CNT, en hommage à leurs homologues espagnols) qui va rassembler quelques milliers d’adhérents avec un certain dynamisme.

Janvier 1947 : l’accession de Vincent Auriol à la présidence de la république met un terme à deux ans et demi de gouvernement provisoire.
Elle va coïncider avec la rupture d’un équilibre précaire établi par
les forces politiques qui se sont partagé le pouvoir et ont accepté de coexister à la sortie de la guerre.

L’enthousiasme, cette fois n’y est plus, le travail est dur, les salaires maigres, les cadences trop rapides particulièrement dans les mines et la métallurgie où on a engagé «  la grande bataille pour la production ». Plus grave encore, les estomacs sont souvent vides : la nourriture est rationnée, le pain rare et de mauvaise qualité, le café, le sucre, les fruits parfois introuvables…

La mauvaise humeur cède à la joie de la Libération. Avec une certaine aigreur, on voit nombre de « profiteurs de guerre » enrichis au marché noir et de marchands de canons reconvertis à « la onzième heure » étaler avec arrogance leur opulence de nouveaux riches…
Alors, de plus en plus chez les métallos, les mineurs, les dockers, les cheminots, les gaziers, on « repense » à la grève, à ralentir les cadences. Lentement mais irrésistiblement, la colère monte.
Le coup décisif à la paix sociale sera porté au printemps 1947 par les travailleurs de Renault. Comme la plupart, ces derniers n’ont d’autre ressource pour faire face à la hausse incessante des prix que d’accomplir jusqu’à 60h par semaine de travail acharné !

Depuis sa nationalisation (en 1945, pour collaboration avec l’ennemi)
Renault est une forteresse communiste (le PCF contrôle la CGT et dispose dans presque tous les ateliers de cellules puissantes). Malgré l’opposition des délégués, qui fidèles au parti, combattent toute idée de grève, deux petits groupes trotskystes vont tenter de réunir les ouvriers mécontents. Ils sont soutenus et secondés par quelques anarchistes et syndicalistes pour « populariser » la grève. Les militants CFTC, eux, sont divisés : même s’ils dénoncent  la condition misérable des travailleurs, le principe de la grève  heurte leurs convictions. Ils s’opposent donc ouvertement à tout mouvement.

Et le 25 Avril de l’année 47 des piquets de grève s’installent et, le soir, près d’un tiers des travailleurs a débrayé. Une semaine après la grève devient presque totale, au grand dam de la CGT, qui s’inclinera après avoir été désavouée lors d’un référendum organisé par elle. Elle change alors de tactique pour tenter de reprendre la direction du mouvement. L’enjeu est de taille : l’entreprise Renault est devenue un symbole des luttes ouvrières et surtout une entreprise « nationalisée ». Le PCF, qui a plusieurs ministres au gouvernement est fragilisé, et cette grève pose clairement le problème des cadences, de la hausse des prix, et de la misère ouvrière aigue en ce printemps 1947.

Aux revendications, le gouvernement répond : » produisez plus et vous mangerez mieux : » ( tiens donc, ce discours s’est répété à peu près dans les mêmes termes, il n’y a pas si longtemps…).  Ramadier et les socialistes se saisissent de l’occasion pour se débarrasser des alliés communistes un peu encombrants et provoquent le 4 mai un vote de confiance au parlement sur la question des salaires et des prix. Les communistes sont obligés de voter contre leur propre gouvernement et donc se désolidarisent de lui. Les ministres communistes sont démis de leurs fonctions. La crise est ouverte …

La cause de cette rupture entre communistes et socialistes n’est pas seulement liée à la grève de Renault, elle est dans la grande misère du peuple. Socialistes et communistes proposent des solutions opposées : les premiers attendent une aide des USA, les seconds se tournent vers l’URSS (USA et URSS lorgnent chacun  vers l’Europe pour en prendre le contrôle) et repousseront majoritairement le principe de l’aide américaine sur injonction du PC français et italien.

L’été 1947 voit une succession de grèves dures, notamment dans les services publics, et en Septembre éclatent de violents incidents opposant manifestants et forces de l’ordre.  De sévères troubles s’en suivent dans différentes villes  où des usines sont mises à sac et de violentes bagarres finissent par la mort  (à Marseille) du jeune ouvrier Vincent Voulant, ancien résistant.
Ses obsèques déclenchent une nouvelle étape dans l’expression du mécontentement général, au point de créer fin Novembre une situation « insurrectionnelle », avec le vote par un gouvernement désemparé d’une série de lois répressives, dont le rappel de 8000 hommes mis à la disposition du ministère de l’intérieur et des peines très lourdes pour les grévistes.

Ces mesures renforcent la fraternisation des travailleurs, entrainent un vaste soutien de la population aux grévistes, et amènent de nouveaux affrontements, toujours plus violents à paris comme en province et qui font des milliers de blessés dans les deux camps.
Le gouvernement joue sur deux plans : faire des concessions là ou le patronat l’accorde et briser la grève  ailleurs. Il procède à plus de 4000 arrestations de militants dans tout le pays et les condamnations à de fortes peines de prison se multiplient. Le 8 décembre, plus de 10 000 soldats avec tanks et automitrailleuses investissent le « pays noir »…

La presse communiste salue la fraternisation des ouvriers et soutien les grévistes, mais une partie des militants ouvriers de la SFIO commence à dénoncer ce caractère insurrectionnel et politique de la grève. La CFTC s’oppose maintenant  ouvertement à la poursuite du mouvement. Des bagarres interviennent entre grévistes et non grévistes, dont un nombre croissant chaque jour de membres de la CGT, désemparés par la tournure des évènements.

Les socialistes de la CGT tentent alors d’accélérer ce mouvement de repli en multipliant les démarches pour obtenir du gouvernement et du patronat quelques concessions immédiates…(Ils obtiendront lors de la reprise du travail un certain nombre de satisfactions concernant les salaires minima, des indexations sur les prix et des suppressions de sanctions).

Et puis, la surprise est grande lorsque le 10 décembre au matin, les militants communistes apprennent que le Parti invite brusquement chacun à reprendre le travail ! Sentant sans doute que la perspective du « grand soir » s’éloignait inexorablement, que l’insurrection ne serait pas victorieuse,  et après avoir prôné une politique productiviste à outrance, il avait voulu ensuite bloquer la machine économique pour décourager les investissements américains, il arrêtait tout…

Le Parti va alors s’enfoncer pour de longues années dans l’isolement et les effectifs communistes vont connaitre une érosion lente et régulière. A la CGT, le traumatisme est profond, les éléments les plus durs sont effondrés tandis que les modérés sont apeurés. C’est alors que des sections entières vont faire scission, donnant naissance à une nouvelle centrale syndicale…

JCl.F

Catégorie : Public
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