Inauguration de la plaque en Hommage à Léon Bourgeois

Inauguration de la plaque en Hommage à Léon Bourgeois
12, rue Saint-Louis-en-l’Ile, Paris 4e
Le 11 mai 2016
 
Madame la Maire de Paris,
Monsieur le Premier adjoint,
Monsieur le Maire du 4ème arrondissement de Paris,
Chers élus,
Mes très chères Sœurs, mes très chers Frères, membres du Grand Orient de France ou d’Obédiences amies,
C’est le Franc-maçon que je vais dépeindre dans les propos que je prononcerai car, comme vous l’avez rappelé, monsieur le Maire du 4ème, la carrière politique de Léon Bourgeois est une carrière hors normes. Je crois qu’il doit être le seul à avoir présidé la Chambre des Députés et le Sénat et la liste serait longue si l’on voulait énumérer toutes les éminentes fonctions que ce haut fonctionnaire a exercées en tant qu’élu, mais également en tant que responsable ministériel et Président du Conseil, notamment à partir de 1895.
Léon Bourgeois a été initié en 1882, il avait 31 ans. A un moment où l’on s’interroge sur les relations entre la Franc-maçonnerie et la jeunesse, il suffit de regarder nos brillants aînés pour s’apercevoir que l’engagement maçonnique est souvent un engagement précoce. C’est un gage d’ailleurs de convictions solides.
Il a été initié dans la RL « la Sincérité » à l’Orient de Reims. Je salue  les Frères de cette loge qui sont venus tout spécialement de Reims aujourd’hui.
Léon Bourgeois n’était pas originaire de Reims, mais il y était alors sous-préfet. Cet engagement souligne le fait que beaucoup de fonctionnaires, petits, moyens ou grands, se sont souvent engagés dans la Franc-maçonnerie en raison du lien toujours très fort, presque originel, qui existait entre le sens de l’État, le sens du service public et l’engagement maçonnique.
Je ne vais pas revenir sur la carrière politique de Léon Bourgeois, mais je vais essayer de résumer en quelques mots l’apport du Franc-maçon et en quoi le fait d’avoir été Franc-maçon a incontestablement orienté les choix et les décisions que Léon Bourgeois a pu prendre.
Il faut rappeler qu’à l’époque de Léon Bourgeois, nous vivions dans une période où la République et la Franc-maçonnerie ne faisaient qu’un. D’ailleurs, dans le Gouvernement que Léon Bourgeois présida, il y avait sept ministres Francs-maçons, je n’oserai dire un record, mais cela mérite d’être souligné.
C’était un gouvernement composé exclusivement de radicaux. En 1895, cela voulait dire être à gauche et à un moment où certains s’interrogent sur ce que veut dire être à gauche il ne serait pas inutile d’aller regarder quels étaient les engagement et les travaux de Léon Bourgeois, non pour se rafraîchir la mémoire, mais pour trouver les occasions de raffermir l’engagement qui consiste à se dire à gauche.
Mais c’était un moment où la République devait encore s’affirmer. Il ne faut pas oublier que dans les premières années de la Troisième République, de nombreux fonctionnaires ont été révoqués de l’administration parce qu’ils étaient qualifiés de républicains. C’était encore un terme qui sentait le soufre et la République avait devant elle de nombreux combats qu’elle devrait livrer pour s’instaurer définitivement. En tout cas, c’était l’espoir de ceux qui la vivaient dans notre pays.
Léon Bourgeois est célèbre pour être le père fondateur du solidarisme. Le solidarisme, c’est un peu la troisième voie entre le libéralisme d’un côté et le socialisme tel qu’on le concevait à l’époque, pour faire simple entre le laisser faire et le collectivisme. C’est l’idée que les hommes ont une dette envers la société et donc en même temps ont des devoirs envers elle. On insiste beaucoup aujourd’hui sur les droits que chacun revendique, mais il ne faut jamais oublier que nous avons aussi des devoirs.
Cette dette est non seulement une dette vis-à-vis de nos congénères, mais aussi vis-à-vis des générations futures. Il faut voir là dans cette pensée de Léon Bourgeois l’influence notamment d’un grand penseur comme Durkheim. Cette dette, fondatrice du solidarisme, n’est évidemment pas la même pour tous car elle varie selon la situation sociale des uns et des autres.
Mais la pensée du solidarisme reste à mon sens une pensée originale qui, là encore, pourrait servir aujourd’hui, à un moment où on ne sait plus – j’ose l’expression, en tant que Grand Maître du Grand Orient de France – à quel saint vouer la solidarité !
La philosophie solidariste repose sur un principe maçonnique fondateur qui est celui de l’entraide. La Franc-maçonnerie d’ailleurs doit être fière d’avoir porté cette notion que symboliquement nous exprimons à travers notre Chaîne d’Union. L’entraide, on l’oublie souvent, est à l’origine du mutualisme. Ce n’est pas un hasard si l’essor de la mutualité en France s’est fait sous l’impulsion de nombreux Francs-maçons. Rappelons que la Fédération Nationale de la Mutualité Française a été créée en 1902. Léon Bourgeois défendit à ce titre le principe de l’impôt sur le revenu, des retraites pour les travailleurs, parce que ces outils de redistribution étaient le moyen de donner corps à cet esprit de solidarité qui l’animait.
Ce solidarisme arriva aussi à un moment où la République, pour atteindre ses objectifs, comprit qu’elle devait être porteuse d’une véritable démocratie sociale.
Il est un autre point que je voudrais souligner au titre de l’engagement maçonnique de Léon Bourgeois, c’est le combat de celui-ci pour la paix entre les nations et la réflexion pratique qu’il a conduite pour rendre cette paix irréversible.
Il faut comprendre que Léon Bourgeois appartient à une génération qui a été marquée par la guerre. Il fut engagé volontaire pour défendre Paris en 1870 en tant que brigadier fourrier dans la Légion d’artillerie. Il fut à ce titre deux fois médaillé.
Bien évidemment, Léon Bourgeois fut aussi marqué par le premier conflit mondial. C’est une période durant laquelle il occupa différents portefeuilles ministériels. L’expérience de la guerre fera de lui un ardent militant en faveur d’une organisation susceptible de restaurer de façon pérenne la concorde entre les États.
Il faut aussi savoir que Léon Bourgeois participa à différentes conférences de la paix – vous l’avez souligné, monsieur le Maire – celles de La Haye, en 1899, en 1907. Il fut membre de la Cour d’arbitrage international et par ailleurs il exerça les fonctions de ministre des Affaires étrangères.
Ce n’est donc pas le fruit du hasard si Léon Bourgeois, à travers une carrière diplomatique riche, participa à la création de la Société des Nations dont il fut le premier Président en 1919. Son engagement pour la paix sera ensuite reconnu à travers le Prix Nobel de la Paix qu’il reçut en 1920.
N’ayons pas peur des mots, la Société des Nations fut un essai hélas trop fragile d’institutionnaliser la République universelle à laquelle travaille la Franc-maçonnerie, République universelle adossée au projet de paix perpétuelle portée par les philosophes des Lumières.
J’ajouterai que les Francs-maçons du monde entier créèrent en 1921, dans le sillage de la Société des Nations, l’Alliance Maçonnique Internationale, transposition au plan maçonnique de cette Société des Nations.
Vous l’aurez donc toutes et tous compris, que ce soit à travers son effort pour instaurer la démocratie sociale, pour garantir la paix entre les États, Léon Bourgeois a lumineusement mis en valeur les idéaux maçonniques qui sont les nôtres.
Le combat qui fut le sien reste un combat d’avenir, non parce qu’il a échoué, mais parce que l’histoire des peuples se forge plus dans la réactualisation des tensions à travers lesquelles ils évoluent que dans leur dépassement. Esquisse d’une dialectique sans fin qui nous impose de renouveler en permanence la réflexion sur le chemin capable de conduire à la réalisation du bien commun.
Puisse aussi cette célébration, pour nous Francs-maçons du Grand Orient de France, être l’occasion de nous réapproprier l’œuvre de Léon Bourgeois. Je sais déjà qu’à travers les efforts de la Loge « La Sincérité » à Reims, du Chapitre « Solidarisme – Léon Bourgeois », cette pensée reste parmi nous une pensée vive et d’actualité.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le Maire, je ne peux que me réjouir que la Mairie de Paris ait souhaité rendre à Léon Bourgeois l’hommage qui lui est dû en lui consacrant cette plaque sur le lieu même de sa naissance. Il est utile en effet de rappeler aux générations futures l’œuvre des grands républicains dont Léon Bourgeois fut l’un d’eux.
J’ajouterai que la République doit aussi se rappeler avec fierté – et le mot est important – que les Francs-maçons furent nombreux à la construire et que sans eux la liberté, l’égalité et la fraternité n’auraient certainement pas le rayonnement que nous souhaitons leur voir conserver à l’avenir au bénéfice de tous.
Je vous remercie de votre attention.
Daniel KELLER

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