Planche symbolique : le Coq
Pourquoi le coq ? Parce-que je ne l’ai pas vu. Ce soir-là dans le cabinet de réflexion, il était au centre de la table, sous la bannière « Vigilance – Persévérance », surplombant tous ces objets hétéroclites que j’aurais presque pu tous énumérer, mais du coq, aucun souvenir. Je ne l’ai pas remarqué. Un peu comme un objet familier auquel on ne prête plus attention. Peut-être aussi un léger règlement de comptes à retardement …
Il faut dire que quand nous étions enfant, ma petite sœur s’était vu offrir une poule et un coq nain. Un coq un peu déréglé, qui ayant pris la lucarne de la salle de bain pour le soleil, nous réveillait à l’aube chaque fois que notre père partait en montagne. J’ai nombre de fois imaginé le sinistre animal cuisiné au vin. Vision symbolique m’a fait remarquer l’un de nos Frères : le coq, le vin, le feu et la terre ! Je confesse qu’à cette époque, ma vision de la chose était beaucoup plus primaire et que ma « symbolique » consistait seulement à imaginer l’infernal volatile, à la cocotte, et nous, autour de la table.
Alors, un peu pour me faire pardonner et beaucoup pour comprendre son rôle symbolique, j’ai décidé de parler de lui.
C’est sûrement une attention qu’il va apprécier. Animal symbolique de l’astrologie chinoise dont il est le dixième signe, on l’y dit franc, loyal, expansif, optimiste et jovial mais aussi … fatigant, buté, orgueilleux, vaniteux et vantard. C’est dire à quel point il appréciera cette mise sous les feux de la rampe.
La première image du coq qui me vient en tête est celle de l’animal de ferme, fier organisateur de la vie de la basse-cour, chef d’orchestre du poulailler, dont il est également le géniteur. Inégalable réveille-matin, chaque jour à l’aube, tel un clairon, il réveille la ferme et le voisinage.
Les Japonais voient en lui la Bonté car il partage sa nourriture avec les poules dont il a la protection. Il en a certes la protection mais également la domination. C’est d’ailleurs son assiduité à « honorer » tout son harem qui lui a valu la réputation de virilité et d’ardeur sexuelle dont il est devenu le symbole, permettant ainsi d’enrichir la langue française de quelques qualificatifs à l’attention de nos TTCCFF tels que « être le coq du village » ou » faire le coq « . Bizarrement, pour des raisons que je ne m’explique pas, dans la bouche de leurs TTCCSS, c’est rarement un compliment …
En roi de la basse-cour, il arbore toujours une allure fière. C’est pourquoi, pour beaucoup, il symbolise l’orgueil mais aussi la stupidité. Orgueil pour sa poitrine gonflée, son pas lent comme à la parade, son coté rigide et affecté, tête haute et patte haute. Stupide, parce-que incapable de voler.
C’est avec vaillance qu’il assure la sécurité et l’ordre. Tout le monde doit se plier à sa vigilance. Il est le maitre et il brille. Mais porter l’habit de lumière impose de savoir accepter d’être seul. Une cour ne rime pas avec sincérité. Etre un leader isole. Il faut chaque jour apprendre à affronter ceux qui ont une vision différente et la défendent, ceux qui sont toujours par principe forcément … contre, ceux qui détractent et il y en a toujours, ceux qui déforment et qui manipulent. Il y a aussi ceux qui adulent et cherchent un héros. Déçus, ils peuvent devenir les plus cruels des adversaires.
Il faut apprendre à être aimé un jour et détesté le lendemain, entouré aujourd’hui et oublié demain. Se mettre en avant impose de savoir se relever et affronter le coté sombre de la relation humaine.
Le coq symbolise aussi la force et le courage parce qu’il est capable de se battre jusqu’à la mort. C’est d’ailleurs semble-t-il pour ses qualités belliqueuses que le coq sauvage aurait été domestiqué en Asie, au moment de la sédentarisation des premiers agriculteurs.
L’homme d’alors se serait identifié à cet animal. C’est ainsi que sont apparus les combats de coq. Ils servaient à réguler les conflits à l’intérieur des communautés en canalisant et en orientant la violence réciproque vers une forme rituelle d’épuration des passions.
Pourtant, lorsqu’on assiste à un combat de coq, on peut se poser la question : où est le courage ? Où est le courage lorsque la violence est aveugle, qu’il n’y a plus ni raisonnement, ni discernement, que l’affrontement est la seule réponse à l’existence de l’autre. Dans un face à face de coqs, le combat est immédiat, comme un réflexe.
L’autre image qui me vient ensuite à l’esprit est le coq en plâtre, arborant des couleurs éclatantes que j’ai vu à la maison pendant de très nombreuses années : le Coq de Barcelos, l’un des principaux emblèmes du Portugal. Mon grand-père paternel était originaire d’un village tout proche de Barcelos.
La légende raconte qu’un crime y fut commis. La nécessité de trouver un coupable rapidement poussa la population à désigner un étranger, faisant route vers Saint Jacques de Compostelle pour accomplir un vœu. Le pauvre homme eut beau protester de son innocence, il fut condamné à être pendu. Au moment où on le conduisait à la potence, il demanda à être reçu une dernière fois par le Juge. Ce dernier était à table. Devant lui se trouvait un coq rôti. L’accusé montrant l’animal déclara : « il est aussi sûr que je suis innocent qu’il est sûr que ce coq chantera au moment où on me pendra ». Et le miracle s’accomplit. Au moment où on passait la corde autour du cou du malheureux, le coq se dressa et chanta. La légende ajoute que la corde refusa de se serrer. L’homme repartit, libre et en paix.
On dit que le Portugal adopta le Coq de Barcelos comme symbole de Foi (l’homme était un fervent adorateur de Saint Jacques), de Justice (de son cri, le coq fit éclater la Vérité) et … de Bonne Chance (car il en fallait beaucoup à l’époque pour sauver sa tête lorsque la justice vous avez pris !).
On trouve de nombreuses autres légendes de coq ayant fait éclaté la Vérité. Il a une place importante dans de nombreuses mythologies, religions, magies et légendes, dans de nombreux cultes et folklores. Malheureusement pour lui, c’est souvent à l’issue d’un rituel sacrificiel qu’il apporte toute sa force et sa clairvoyance.
On retrouve le coq comme symbole dans la religion catholique. On dit que les premiers chrétiens se réunissaient pour une prière matinale au chant du coq, jusqu’à l’apparition des cloches, vers le Ve siècle. Désormais, perché au haut des clochers, le rôle du coq est de désigner les églises orientées, c’est-à-dire, tournées vers l’orient, vers le soleil levant.
Il serait l’emblème du Christ, appelant les âmes à la vie chrétienne et l’emblème de la résurrection de Jésus, à l’aube du 3ème jour.
Haut placé, il est le Christ vigilant et défenseur de ses enfants.
Girouette toujours face au vent, il est le Christ face aux pêchés et aux dangers du monde.
Il rappelle aussi le reniement de Saint–Pierre, sa trahison et la faiblesse des hommes.
Il est le prédicateur qui doit réveiller ceux qui sont endormis.
Il annonce l’arrivée du jour après la nuit, symboliquement l’arrivée du Bien après le Mal, de la vie après la mort.
Hissé bien haut dans le ciel, lui qui ne sait pas voler, savait donner des ailes à notre F :. Jacques M., dans ses jeunes années de Compagnonnage. C’est ainsi qu’il l’envoyait, accroché à une corde à nœud tel un funambule, enraciner au sommet des clochers l’image d’un coq triomphant surplombant l’humanité.
Malicieux aussi puisqu’il acceptait, en retour, de cacher sous ses pattes quelques décors maçonniques. Pied de nez complice.
Il m’évoque aussi le personnage de théâtre, crée par Edmond Rostand qui a fait d’un coq le héros de sa pièce, « Chantecler », peinture au vitriol de la société bourgeoise de l’époque.
Rostand aurait pu pousser jusqu’au ridicule les traits de caractère de son coq. Mais non, il en a fait un être admirable de conviction, de sincérité, de naïveté et d’engagement. Parce-que c’est bien grâce à lui que chaque matin le soleil se lève et que pour l’humanité tout entière la lumière renaît et la vie reprend. Sans lui, plus de clarté, l’homme reste en proie à la nuit et à ses démons ! Et même face à la Vérité, le cycle naturel du soleil, Chantecler continuera, puisant dans la terre l’énergie de la vie, à annoncer l’aube, comme si elle naissait de sa gorge, à cet instant de la nuit ou il devient le lien entre la terre et le soleil, entre l’ombre et la lumière. Et c’est lui qui le dit :
«Je ne chante jamais que lorsque mes huit griffes ont trouvé, sarclant l’herbe et chassant les cailloux, la place où je parviens jusqu’au tuf noir et doux !
[…]
Et l’heure où cette sève, en moi surtout s’élève, l’heure où j’ai du génie, enfin, ou j’en suis sûr, c’est l’heure où l’aube hésite au bord du ciel obscur.
[…]
Et je deviens, cessant d’être un oiseau quelconque, le porte-voix en quelque sorte officiel par quoi le cri du sol s’échappe vers le ciel !
Et ce cri qui monte de la terre, ce cri c’est un tel cri d’amour pour la lumière, c’est un si furieux et grondant cri d’amour pour cette chose d’or qui s’appelle le jour, et que tout veut ravoir
[…]
Et sonnant d’avance sa victoire, mon chant jaillit si net, si fier, si péremptoire que l’horizon saisi d’un rose tremblement, m’obéit….
Je chante ! Vainement. La nuit, pour transiger, m’offre le crépuscule ; je chante ! Et tout d’un coup… je recule, ébloui de me voir moi-même tout vermeil, et d’avoir, moi, le coq, fait lever le soleil !»
Avec la précision d’une horloge, jour après jour, sans jamais faillir, quelque soit le temps, il annonce le lever du jour. Il est l’image de ces individualités que le sens du devoir mène à l’abnégation, parfois même jusqu’à l’absurde. Il est un coq. C’est son rôle, son devoir. Il est né pour ça. Il s’engage et il tient. Il est celui qui restera le dernier, seul sur le pont, dernier bastion d’un navire qui coule.
Le coq est l’emblème de la France. L’association des mots « Gaulois » et « Coq » semble dater des romains, les 2 mots se disant tous deux « Gallus » en latin. Dans la Guerre des Gaules, Jules César compare d’ailleurs la vaillance du coq protégeant farouchement sa basse-cour à la fougue des guerriers gaulois. Mais ce n’est qu’à partir du Moyen Âge qu’il deviendra un emblème pour les souverains français : celui de leur courage et de leur vigilance. La Renaissance personnifiera la Nation française au travers du coq.
De cet emblème national, les Belges ont fait une blague : « les Français ont choisi le coq comme emblème car il est le seul animal capable de chanter les 2 pieds dans la m… ».
C’est plutôt une grande qualité quand le sens de l’engagement pousse à se détacher des contingences humaines et matérielles pour aller au bout de ses convictions.
Et puis tout bien considéré, le fumier représente bien plus que de la matière en décomposition. De sa transformation, il nourrit la terre. Sur un tas de fumier peut pousser une fleur.
La pensée humaine est comme ce tas de fumier : il peut en jaillir le pire comme le meilleur. On peut supposer que c’est du meilleur de toute cette énergie vitale que chaque matin le coq se nourrit pour annoncer la Lumière.
De la même façon, nous espérons que ce travail de transformation, démarré dans le cabinet de réflexion, sondant dans les profondeurs de chacune de nos individualités et alimenté de toute la richesse de nos rencontres, nous amènera à la Lumière que nous sommes venus chercher en nous engageant en maçonnerie.
Dans la symbolique maçonnique on lit : « le coq figure dans le cabinet de réflexion avec la légende : Vigilance et persévérance. Il veille dans les ténèbres et annonce la lumière »
Les auteurs précisent « vigilance car la lumière peut surgir à tout moment ». La lumière ou les lumières ? J’opte pour « les lumières ». On ne se construit pas en une seule fois comme on éclaire une pièce en actionnant un interrupteur.
On se construit lentement, jour après jour ou plutôt jour après nuit comme on sculpte une pièce de bois ou on polit une pierre jusqu’à lui donner forme. La réalisation finale n’est pas connue à l’avance. Un FM ou tout autre chercheur spirituel n’est pas un modèle standard de la grande consommation, c’est un concept, un « tendre vers ». Chaque nouveau pas est une nouvelle aube qui grandit vers la réalisation finale
Vigilance pour apercevoir la lumière certes mais pas que. Comme le coq, vigilance à reconnaitre les intrus : nos modèles, nos choix étriqués, limités par nos pauvres connaissances du monde et du champ des possibles, par nos certitudes, nos cultures et nos peurs. Tous ces carcans qui nous enferment. Vigilance pour ne pas se lancer dans une construction qui aboutirait invariablement aux mêmes erreurs.
Il faut accepter de bâtir un Temple sur des fondations qui peuvent bouger, avec des matériaux à inventer, des outils à réapprendre. Ils offrent probablement bien plus qu’on ne le croit.
Acceptons de temps en temps de nous laisser porter par le courant, vouloir tout décider, diriger, anticiper prive parfois de bien belles surprises. « Synchronicité » est un joli mot. Un mot qui a permis la création de la Terre et notre naissance. Il signifie que tout est possible, tout reste en devenir.
Persévérance pour ne pas céder au découragement car les zones sans progrès peuvent être longues.
Persévérance pour accepter qui on est : on n’est pas le héros qu’on imagine.
Persévérance pour comprendre ce qu’on peut changer et accepter ce qu’on ne peut pas changer.
« Le coq veille sur nos ténèbres » :
– les ténèbres de la nuit, repère du mal, des angoisses, de nos démons intérieurs dissipées par les 1ères lueurs de l’aube,
– les ténèbres de l’ignorance qui donnent naissance à la peur de l’autre et à la violence, dissipées par l’éclairage de l’apprentissage et de la curiosité,
– les ténèbres de la méconnaissance de soi éclairées par ce travail que l’on est venu initier en Loge et qu’on poursuivra toute notre vie.
« Il veille dans les ténèbres et annonce la lumière » : de plus en plus lumineuse et de plus en plus vaste. Le champ qui s’offre à nous est probablement sans fin. Est-on seulement capable d’en appréhender les possibles. Chaque porte ouverte ouvre vers d’autres portes, chaque chemin emprunté vers d’autres chemins, chaque nouveau matin vers une nouvelle naissance.
On peut se demander : « Qu’est ce qui est important : le graal ou sa quête ? ». Au fond, que cherche-t-on ? L’infini ? L’obscur et lumineux silence de Denys l’Aéropagite qui écrit :
« Puissions-nous entrer dans cet obscur et lumineux silence et par un regard non arrêté, une non-saisie, puissions-nous contempler ce qui est avant et au-delà de toute vision et de toute connaissance.
Le regard non arrêté ne voit plus rien de particulier : il voit.
La connaissance non arrêtée ne connait plus rien de particulier : elle contemple. »
Comment conclure cette Planche ? Vigilance, Persévérance et Lumière. Ce coq est un chemin. Il est à la fois l’outil et l’objectif. Nous sommes la matière et la main.
Sous les pattes du coq, « VITRIOL », la descente à la rencontre de soi. Pourquoi descente ? On va vers la Lumière. Celui ou Celle que l’on sera demain n’existe pas encore aujourd’hui. Comme un nouveau jour qui succède à une autre nuit. En se cherchant on se construit. L’archéologue rencontre le bâtisseur. Archéologue parce-qu’on a besoin de comprendre d’où on vient pour partir sur de bonne bases. Bâtisseur parce-qu’on est venu construire.
Chaque pas amène un nouvel éclairage. Vigilance et persévérance … persévérons avec vigilance, la lumière est au bout du chemin.
J’ai dit.
(Sandrine dB)
Musique :
« Le coq et la pendule » – Claude Nougaro
« L’ombre Et La Lumière » – Calogero et Grand Corps Malade