Glaive, Bienveillance et Fraternité : Hiram a-t-il bien agi ?
Toute association humaine a besoin d’un mythe fondateur pour se développer. Celui de la franc-maçonnerie est l’assassinat d’Hiram par trois mauvais compagnons. Hiram est brièvement mentionné dans la Bible au premier « Livre des Rois » : Le roi Salomon fit venir de Tyr Hiram, fils d’une veuve, qui travaillait sur l’airain. Le monde n’avait pas produit son égal jusqu’à ce jour. Hiram était rempli de sagesse, d’intelligence, de générosité et de savoir. Il arriva auprès du roi Salomon et il exécuta tous ses ouvrages.
Hiram, à qui Salomon avait donné l’intendance des travaux de son Temple, avait un si grand nombre d’ouvriers à payer qu’il ne pouvait les connaitre tous ; il convint avec chacun d’eux de Mots, de Signes et d’Attouchements différents, pour les distinguer. Malgré l’excellente organisation du chantier et la sagesse qui présidait aux travaux, nombre de C se trouvèrent insatisfaits de leur sort, croyant être supérieurs à la situation qui leur était réservée. Trois d’entre eux résolurent alors d’accéder à la Maîtrise par la violence.
Pourquoi l’assassinèrent-ils ? Aveuglés par leurs passions, ils s’illusionnent sur l’étendue de leur instruction, persuadés que la Maîtrise leur est due. Ces hommes, nommés App puis élevés Comp, Maçons et non plus profanes, laissent néanmoins apparaître leurs convoitises. Ils veulent recevoir les mots de M pour en tirer un bénéfice matériel, mais surtout moral. L’App souhaite ici tuer son M, son initiateur, car il doit se soustraire à son influence s’il veut s’affirmer dans sa liberté créatrice. La légende d’Hiram symbolise ce qui continue de régner en nous malgré le temps passé à tailler puis polir sa pierre, à savoir notre part d’ombre avec entre autres, l’ignorance, le fanatisme et l’ambition.
Lors de son élévation à la Maîtrise, le futur nouveau M pourrait lui aussi se retrouver parmi les coupables. S’arroger le droit de décider qu’untel présente un danger pour le groupe et qu’il faut l’éliminer pour le bien commun est bien souvent un prétexte fallacieux pour se débarrasser de celui qui gêne car il est différent. Le fil est ténu entre l’état de victime et celui de bourreau et le mythe de la mort d’Hiram est là pour nous permettre de nous sentir bourreau afin de ne jamais l’être.
Hiram représente l’homme au cœur juste et au jugement droit qui, après avoir fait l’œuvre la plus utile, est jalousé par les envieux. Hiram aurait pu sortir le glaive, mais dans sa grande sagesse devait savoir que livrer le mot de M était au mieux inefficace pour les intrus, au pire pouvait mettre l’Edifice en péril par l’incompétence des mauvais Comp.
Le glaive, justement, mot emprunté au mot gaulois Cladio, désigne le gladius des gladiateurs romains. C’est initialement une arme d’estoc en combat rapproché qui deviendra arme d’apparat pour les Hérauts. Conçue courte pour que la blessure infligée soit la plus large possible, créant un impact psychologique sur l’adversaire.
Née dans la forge, issue du lingot de métal en fusion qui lui donnera lame jusqu’à la remise au futur chevalier, l’épée reçoit, inflige et transmet la matière ignée. Lors d’un rituel d’adoubement, l’initiateur ne transmet pas seulement des connaissances et n’ordonne pas uniquement dans son futur état l’impétrant, mais lui donne le feu sacré et divin. Elle a un nom : Joyeuse de Charlemagne, Durandal de Roland, Excalibur d’Arthur, Duhr al Fager d’Ali frère de Mahomet. Bijou symbolique : l’épée des Académiciens rappellera les caractères du porteur.
Le symbolisme de l’épée est universel et se retrouve dans toutes les religions et Traditions. Dans la Genèse (3, 24) quand Dieu chasse Adam du Paradis, il établit deux chérubins munis d’une épée conduisant à l’Arbre de Vie. De même, dans la Loge, deux épées gardent le Temple. St. BERNARD pour haranguer les Croisés et les Templiers, dira : « l’épée est tout pour vous, plus que la croix. Elle est forte image brûlante du Verbe, incarné parmi nous pour nous sauver. ». Dans l’Islam, le prédicateur de la prière du vendredi tient une épée de bois confirmant bien le symbolisme de l’épée lié au pouvoir de la Parole puisque son matériau est impropre au combat.
L’épée, glaive de vérité, est le symbole du Verbe au double pouvoir tranchant destructeur et créateur. C’est une arme de lumière qui frappe en plein cœur comme une flèche et vainc les ténèbres.
L’épée est symbole de la Connaissance. Zayin, dont le graphisme est une épée, est la septième lettre de l’alphabet hébreu et renvoie au septième jour de la Création. Réalisant l’intégration du matériel et du spirituel, Zayin est une lettre de force, de puissance, de totalité et de gnose. Celui qui a pu unir en lui le Ciel et la Terre, celui-là est adoubé par le Seigneur des seigneurs et reçoit son épée : Zayin.
Dans le contexte actuel, toute rhétorique associant spiritualité et symbole guerrier suscite une juste méfiance. Pourtant, l’épée est le symbole de l’action, de la protection des plus faibles par les plus forts et de la justice, l’épée est comme la torche, portée haut, elle reflète les rayons du soleil et fait reculer les ténèbres ; portée basse elle pourfend l’infidèle. Pourtant, l’épée est aussi l’arme du combat intérieur, celle qui sert à terrasser nos démons, nos peurs, nos préjugés, nos aveuglements. L’intellect de celui qui a été adoubé par l’Esprit est pareil à une épée. « Celui qui a reçu l’épée du Seigneur peut construire le Temple de l’humanité en étant vigilant et en se gardant des ignorants et de la barbarie toujours prête à submerger l’humanité » est-il dit dans le Livre de Néhémie
Dans la quête de la connaissance qui libère, l’épée élève autant qu’elle relie à nos semblables. Elle demande la force intérieure : d’être heureux, de s’émerveiller, de se dépasser, de faire éclore les graines plantées en nous. La quête spirituelle demande d’être bien armé
L’épée, symbole maçonnique, en Loge, va devenir spéculative. Si elle symbolise avant tout le combat intérieur de son porteur, elle marque à présent l’égalité maçonnique entre tous les Frères. Dans la plupart des rites, le Vénérable Maître use de l’épée flamboyante à l’Orient comme de la Lumière et de la Connaissance pour ouvrir les travaux et consacrer les nouveaux reçus. L’épée du couvreur, à l’occident, est gardienne au seuil de la révélation. Dans les Rites Français et Ecossais Rectifié, d’essence Chrétienne, le port de l’épée, confère au porteur protection ou spiritualité. Chaque Frère tient une épée. De cette survivance de l’état militaire il faut y voir l’annonce au Maçon la perspective qu’il va devenir chevalier et son épée personnelle est garante de son attachement à la justice et à sa religion.
En opposition au glaive, la bienveillance, est la disposition affective d’une volonté, qui vise le bien, le bonheur de chacun. Le terme est calqué sur le latin bene volens, qui par la suite, a aussi donné le doublet lexical Bénévolat. La qualité fondamentale d’un chef, est la bienveillance. Confucius aurait dit : « Que le prince cultive les vertus, et le peuple viendra à lui en masse, avec le peuple, viendront les terres, avec les terres, la richesse. Cette richesse sera le bénéfice, de la rectitude du prince.
Comme la rectitude en franc-maçonnerie symbolise l’équerre, toujours associé au compas, elle constitue, la seconde des trois grandes lumières traditionnellement placées en loge, sur l’autel du vénérable maitre, ou sur l’autel des serments. L’équerre, réunit l’horizontal et la perpendiculaire et concilie les contraires, elle sert à dresser les matériaux à l’aplomb, outil indispensable pour que le mâcon s’aventure à la recherche de la vérité, que ses arguments, les bases de son raisonnement, soient parfaitement ordonnés. En outre, il est impossible à quiconque, de devenir monarque d’un peuple, qui ne lui aurait pas fait, au préalable, allégeance de son cœur. » – « La bienveillance, dit-il avec Confucius, fait l’homme ». Allégeance de son cœur, voilà une raison qui rend difficile la critique du choix d’une mort. Peut-on mourir par conviction et peut-on être jugé de mourir par mauvais choix ?
Le choix délibéré de la fin de l’ultime seconde de la vie est un acte fort en soit. Mourir par conviction, oui mais quelles convictions? Comment être certain du bon choix? Comment l’apprécier à sa juste valeur? Si toutefois la mort peut être reconnue comme une valeur symbolique Une première loi est, peut-être, l’opposition. Chaque symbole signifie une chose et aussi, du moins en partie, son contraire : l’eau donne la vie comme la mort. De sorte qu’un système de symboles comprend à la fois ses symboles et ses contraires.
Peut-être que la bienveillance n’est qu’un moyen pour comprendre qu’Hiram est mort en laissant une symbolique forte, à nous d’en découvrir sa face comme un secret que nous n’avons pas compris, mais que d’autre ont trouvés pour nous
Jubelo l’un des meurtriers d’Hiram n’a jamais échappé à la présence de sa victime. Aujourd’hui il se trouve au musée du Caire sous le numéro de catalogue 61023 juste à côté de Sekenenrê Taâ (IRAM) qui lui porte le n° de catalogue 61051
Par la recherche de ses meurtriers, et pour donner un sens à ce crime nous avons peut-être, inconsciemment, échappé à la compréhension du message d’Hiram. Nous n’avons peut-être pas entendu, dans les cérémonies de résurrection du Maitre maçon, les mots qui y sont murmurés à l’oreille du frère nouvellement révélé.
Nous n’avons jamais prononcé ces mots à hautes voix, et même si en apparence ils ressemblent à du charabia dans leur sonorité ils ressemblent beaucoup) MA’ AT-NEB-Men-AA, MA’AT-BA-AA.
Phrase en égyptien ancien ? Qui nous transmet peut être le secret d’Hiram en voici sa traduction : « Grand est le maitre de la franc maçonnerie, grand est l’esprit de la franc maçonnerie ». C’est ainsi que le grand Maitre de la franc-maçonnerie a transmis au nez et à la barbe de ses assaillants le plus beau des messages. C’est l’esprit, qui fait de la franc-maçonnerie un esprit maçonnique ce qui rends plus pur, la notion du sacré.
D’autres raisons, pourraient être évoquées pour accompagner avec indulgence le choix de la mort d’Hiram comme par exemple l’altruisme qui est un point fort du sacré, comme la bonté correspond à une manière d’être, qui se traduit spontanément en actes dès que les circonstances le permettent.
« Le père mort, les fils retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor. » Jean de la Fontaine.
Voilà notre trésor, le travail, chercher la vérité, sans jamais la trouver, c’est suspendre nos convictions et obtenir une vision plus réelle du monde. Dépose tes métaux à l’entrée du temple pour comprendre et recevoir la lumière, nous pourrions rajouter pour comprendre et trouver la lumière.
Car la Fraternité est bien cette lumière qui éclaire et anime le Temple. Du latin Frater, Fraternitatem qui veut dire frère, la fraternité traduit le lien qui existe entre plusieurs individus d’une même famille, d’un même groupe. Un lien de confiance, d’affection, de sentiments communs. Mais on peut donner plusieurs sens à la fraternité. La fraternité entre membres d’une même famille, appelant des liens génétiques, comme une fratrie issue d’un même père et d’une même mère. Nous l’aborderons en trois points : fraternité au sens large, fraternité maçonnique et relation avec le mythe d’Hiram.
La fraternité peut être professionnelle comme celle des sapeurs-pompiers des militaires, avec cette notion de combat comme s’unir pour combattre l’ennemi, ici le feu. Elle peut être sportive comme celle des frères d’armes en escrime ou dans les confréries d’archers. Elle existe dans les sectes où les frères et sœurs sont unis autour d’un gourou ou dans monastères où les moines se font appeler frères. Elle traduit en Franc-Maçonnerie l’égalité de chacun. La hiérarchie s’appuie théoriquement sur la sagesse acquise. La fraternité peut être un choix, « on ne choisit pas sa famille, on choisit ses amis ». On peut être frère de sang et n’avoir aucun sentiment de fraternité, alors que le contraire est tout à fait possible. La fraternité peut être subie. Le cas des frères ennemis est récurrent dans l’histoire comme dans les mythes ou religions. Dans la Bible, Caïn tue son frère Abel, chez les Romains, Rémus tue son frère jumeau Romulus. Pourtant la gémellité entraîne des liens encore plus forts entre frères et sœurs. Pour eux, un plus un donne un. La fraternité c’est plusieurs moi qui font un nous.
En Franc-Maçonnerie, la fraternité n’est possible que si elle est partagée. Dois-t-on accepter tout de l’autre par fraternité ? A l’image du miroir, cette fraternité peut nous faire retrouver en l’autre notre propre image, amis pour le bien de qui, de quoi ? En Franc-Maçonnerie, on se doit d’aider un frère dans le besoin matériel et moral mais jusqu’où sans faire de l’ingérence ? Ne faut-il assister l’autre qu’à sa demande ou faut-il s’imposer. Doit-on faire subir à l’autre ce que je n’aimerais pas qu’on nous fasse subir ?
Dans le mythe d’Hiram, quels sont les liens qui l’unissent à ces 3 Compagnons ? En tant que Maître, architecte du Temple de Salomon, ayant la connaissance de la construction du Temple et de ses secrets, est-il fraternel de garder ses secrets? Cette impression de vanité déclenchera l’envie et la colère chez les 3 Compagnons, au point d’arriver au meurtre. Ou bien Hiram refuse-t-il de dévoiler ce secret trop lourd à porter pour de jeunes Compagnons, ne les jugeant pas assez forts ou mûrs. Par Fraternité, Hiram les protège, leur apprend la patience afin d’obtenir la sagesse. Même si le temps ne compte pas en Franc-Maçonnerie, certains Frères sont pressés de bruler des étapes et font fi de la dilatation du temps maçonnique. Mais il faut de tout pour faire un monde… Rien n’est blanc, rien n’est noir comme le montre le Pavé Mosaïque au centre du Temple et nous faisons tous partie de la même Chaîne d’Union.
On pourrait se demander si Hiram est conscient des conséquences de ses actes. Agit-il intentionnellement? Connaît-il la suite de l’histoire? Mais adopter cette approche psychologisante serait réducteur. On se contrefout de ce que pense Hiram, finalement, de ses états d’âme et de ses intentions en tant qu’homme. Au lieu d’avoir une approche centrée sur ce personnage, mieux vaut s’interroger sur le sens du mythe et sur ce qu’il nous apprend.
Cette perspective rejoint l’approche de Sartre. Finalement, on est toujours responsable de ses actes.
Que fait Hiram, finalement en refusant de donner l’accès à la Maîtrise aux trois Compagnons? Il ne divulgue pas le secret à ceux qui ne l’ont pas mérité, il préserve l’Atelier de scories malfaisantes, c’est certain, mais par son acte, il éduque également, les 3 Compagnons mais aussi, par-delà, tous les Compagnons futurs et même tous les Francs-Maçons à venir.
Hiram se sacrifie, comme d’autres figures mythologiques ou religieuses. Mais on notera, qu’à la différence de beaucoup de ces personnages mythiques ou mystiques, il a le bon goût, lui, de ne pas ressusciter. Et ça change tout. Car il n’est plus, dès lors, un démiurge créateur d’un univers idéal, détenteur d’une vérité intangible et absolue. Il n’est qu’un transmetteur; excusez du peu, car celui qui parvient à faire passer détrône le démiurge. Finalement, tous les Maîtres à leur tour deviennent des Dieux, des surhommes. Ils ne sont plus aliénés. Le choix d’Hiram est plus qu’un régicide, c’est un déicide absolu qui crée un Homme débarrassé des Dieux.
Le mythe d’Hiram, peut-être sans le vouloir, est l’affirmation de la fin de Dieu. Il place l’Homme au centre et au-dessus de tout. Il fait de l’Homme une finalité. Leçon que beaucoup ferait bien d’adopter particulièrement de nos jours.
Hiram est-il bienveillant? Vis-à-vis des 3 Compagnons, sa bienveillance se ramène à être juste. Ils n’ont pas mérité d’accéder au stade de Maître. Il n’y a là rien d’irrémédiable. Savoir dire non, ce n’est pas seulement protéger le reste du groupe, sauvegarder le projet, l’édification du temple, c’est aussi formateur pour l’apprenant. C’est rappeler les règles, le cadre. Ce qui permet à chacun au sein du groupe de construire son identité et de la perpétuer. Et si les 3 Compagnons sont par la suite punis, c’est avec justice à défaut de l’être avec bienveillance.
Hiram est-il fraternel ? Selon nous, il l’est au plus haut point, précisément. Son refus, on l’a dit, n’a rien de définitif. Il est vraisemblablement provisoire. On se reconnaît dans un même mouvement Frères de ses Frères et non-Frères des autres. Cela est particulièrement visible dans les religions dont la vocation est d’unir comme le dit l’étymologie du terme, mais aussi de rejeter. Particulièrement à l’égard du salut, promis par toutes les religions au bon adepte, au bon croyant et dont sont exclus les infidèles, les impies, les hérétiques. La Franc-Maçonnerie, on l’espère du moins, se démarque de cette approche car si elle a vocation à l’œcuménisme, elle regarde le profane avec bienveillance justement.
Hiram agit-il? Il faut, selon nous, se garder de voir dans le silence d’Hiram un refus d’agir. Le silence est souvent la manifestation d’un laisser faire. C’est fréquemment dans le monde profane comme dans le monde maçonnique, le meilleur moyen de ne pas se fâcher, de ne pas s’opposer critiquer ou désavouer. Mais ici, rien de cela. Son choix est une réponse juste en même temps qu’un geste fondateur. Son silence engendre également un des principes essentiel de la Franc-Maçonnerie. On devient franc-maçon en essayant de le devenir dans une quête incessante. A l’opposé du jeune élève de écoles coraniques qui ânonnent la parole révélée ou des croyants qui s’efforcent de trouver le sens profond des écritures saintes (et donc figées), le Franc-maçon est dans l’existence et non dans l’essence pour reprendre les mots de Sartre. Il est dans l’action qui agit sur le monde comme sur lui-même, dans un mouvement perpétuel.
A-t-il bien agi? C’est discutable. Pour certain, il aurait mieux fait de feindre, de temporiser, de louvoyer. En somme, d’être malin, en donnant un faux mot de maître par exemple, ou en faisant une promesse non suivie d’effet. Mais heureusement selon nous, Hiram se faisait une autre idée à la fois de son rôle et de son œuvre. Être malin, ce n’est pas ce qu’on lui demande, à Hiram! Ce Maître bâtisseur ne construit pas pour l’instant mais dans la durée. Il voit loin, très loin, plus loin que bien des malins.
Alors, oui, Hiram a bien agi. Son sacrifice, comme il a été dit, le soustrait définitivement et irrémissiblement à une vie banale et commune. Mais elle le fait entrer, aussi, dans le cercle fécond de la transmission véritable. Être un Maître suprême, c’est accepter de n’être plus du tout, ou en tous cas de laisser la place. Le Vénérable Maître qui redescend pour devenir Couvreur avant de redevenir un Maître comme les autres, voilà une belle image. A nous de faire que ce ne soit pas une simple image, un vœu pieu. Mais il ne faut pas néanmoins se leurrer, il n’en sera jamais ainsi. Le pire serait de faire semblant, ou du moins tout le temps comme si c’était vrai. Comme dans toutes les sociétés humaines, on n’est pas dans le cadre d’une opposition binaire mais dans un système complexe et, par essence, contradictoire. Le Maître, comme le Compagnon a pour devoir de s’améliorer encore et de progresser dans un recommencement permanant entre gestes ancestraux et modernité en reconnaissant ses faiblesses.
Hiram symbolise ainsi l’initiation de métier sur laquelle se base l’initiation maçonnique toute entière. Il représente le « secret » maçonnique qui doit être préservé malgré tous les périls. Livrer le mot de M, c’est admettre que la violence soit légitime, feindre de croire que l’homme peut accéder à des niveaux supérieurs sans effort. La mort d’Hiram possède une réelle signification morale, celle d’un homme qui sacrifie sa vie pour garder un secret.
Par-delà la vie d’Hiram et la construction du Temple, sa mort représente le respect du devoir de Maçon, son esprit se réincarnant en chacun des nouveaux MM . Il fallait tuer Hiram pour que son esprit vive et pour que jamais ne s’interrompe la chaîne qui relie les initiés depuis ces temps immémoriaux.
Pour finir, on pourrait s’interroger sur la question de savoir si les « mauvais Compagnons » ont d’une certaine manière bien agi. Car sans mauvais Compagnons, pas de mythe d’Hiram, pas de transmission authentique possible, pas de Franc-maçonnerie en somme.
En conclusion, on résumera notre sentiment à la fin de ce travail en affirmant : « Il faut imaginer Hiram Heureux ! »