Avis sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation
(Assemblée plénière – 18 février 2016 – Adoption : unanimité, trois abstentions)
1. Le 16 novembre 2015, lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès, le Président de la République a annoncé une révision imminente de la Constitution de 1958 prévoyant d’y inscrire l’état d’urgence, comme le proposait le Comité présidé par Edouard Balladur en 20071, ainsi que la déchéance de nationalité. Le 23 décembre 2015, un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation a été adopté en Conseil des ministres2.
2. D’emblée, la CNCDH ne peut, une fois de plus, que déplorer son absence de saisine par le Gouvernement, alors qu’une telle démarche se justifiait pleinement étant donné le caractère extrêmement sensible de la matière au regard de la protection des droits et libertés fondamentaux3. La Commission a donc décidé de s’autosaisir du projet de révision constitutionnelle.
3. Un travail législatif de qualité exige une analyse menée avec méthode pendant un temps suffisant4, à plus forte raison s’agissant d’une loi réformant la Constitution. Il est donc impératif que la Loi fondamentale soit à l’abri des turbulences réformatrices, surtout en période de crise aigüe. En effet, toute révision de la Constitution implique un temps de véritable débat pour éclairer durablement les politiques publiques à venir et répondre au souci d’aborder publiquement et en toute sérénité un sujet dont la gravité exclut qu’il soit traité sous l’emprise de l’émotion. A cet égard, l’évocation récurrente dans le discours politique de la « guerre contre le terrorisme »5 pour justifier la mise en œuvre de l’état d’urgence, sa prorogation puis un projet de loi constitutionnelle, ne peut qu’inquiéter car si l’expression est employée pour rendre compte de la radicalité de la réponse à apporter à la radicalité de la violence terroriste, elle n’en demeure pas moins sujette à caution au regard de la définition de la guerre en droit international6.
4. Dans une Déclaration sur l’état d’urgence et ses suites adoptée le 15 janvier 2016, la CNCDH a souhaité que la France soit exemplaire dans les réponses qu’elle apporte à la crise consécutive aux attentats terroristes, car elle sera observée par tous ceux lui ayant manifesté son soutien et, au-delà, par les instances internationales7. A ce propos, la CNCDH réaffirme que l’état d’urgence, et plus généralement tous les dispositifs juridiques destinés à le pérenniser, portent intrinsèquement atteinte aux libertés et droits fondamentaux8. Paradoxalement, la crise renforce l’Etat en même temps qu’elle le
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perturbe, le risque étant alors que la limitation ponctuelle et provisoire de certaines libertés aille au-delà du strict nécessaire que les circonstances exigent9. Depuis longtemps déjà, il a été démontré, notamment dans le cadre de travaux réalisés sous l’égide des Nations unies, que le provisoire se prolonge parfois des mois, parfois des années10, constat évidemment renforcé depuis le 11 septembre 2001 avec la menace permanente d’un terrorisme mondialisé11. Dans ces conditions, l’on peut raisonnablement se demander si la logique spatio-temporelle qui gouverne traditionnellement l’état d’urgence – la loi sur l’état d’urgence du 3 avril 1955 est avant tout conçue pour un contrôle de zone (article 1er) d’une durée limitée (article 3) – est à ce jour efficace et adaptée pour faire face à la menace djihadiste qui n’est, elle, circonscrite ni dans l’espace ni dans le temps12.
5. Dans un contexte d’émotion légitime, la constitutionnalisation de l’état d’urgence et de la déchéance de la nationalité, entreprise au nom de la lutte contre le terrorisme, soulève des questions politiques et philosophiques de grandes ampleur et complexité, qui interdisent que des réponses soient apportées de manière précipitée13. La CNCDH ne peut donc que s’étonner de l’engagement de la réforme constitutionnelle peu après l’intervention de la déclaration d’état d’urgence14. Cette révision constitutionnelle intervient également, alors que le Parlement vient de proroger l’état d’urgence pour une durée de trois mois (jusqu’au 26 mai 2016)15 et qu’une discussion est en cours à l’Assemblée nationale sur un projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. En effet, il faut se souvenir que la loi fondamentale, comme l’a écrit Hannah Arendt, « ombre portée de la fondation », s’inscrit nécessairement dans le temps long des générations passées, présentes et futures16, et rappeler que plusieurs constitutions étrangères interdisent la révision de la loi fondamentale sous l’empire d’un régime d’exception, tel que l’état d’urgence17. En France, le Conseil constitutionnel a également estimé qu’une révision de la Constitution ne saurait être engagée ou poursuivie en période d’application de l’article 1618.
6. Au-delà du moment choisi pour procéder à une telle réforme qui fait de la Constitution un instrument de conjoncture politique19, le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation suscite par son double objet – inscrire dans la constitution l’état d’urgence (I.) et la déchéance de nationalité (II.) – les plus vives réserves de la CNCDH.
I. L’INSCRIPTION DE L’ETAT D’URGENCE DANS LA CONSTITUTION
7. L’article 1er du projet de loi constitutionnelle prévoit d’insérer, à la suite de l’article 36 de la Constitution, un article 36-1 ainsi rédigé : « L’état d’urgence est déclaré en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements. La prorogation de l’état d’urgence au- delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée ».
8. Ces nouvelles dispositions soulèvent deux séries de réserves, la première portant sur le principe même de l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution de 1958 (A.), la seconde, sur le régime juridique de l’état d’urgence qui est défini par le projet de loi constitutionnelle (B.).
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A. NE PAS INSCRIRE L’ETAT D’URGENCE DANS LA CONSTITUTION
9. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen énonce : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Si l’objet même d’une Constitution est non seulement d’articuler les pouvoirs en les encadrant, mais encore de garantir des droits et libertés fondamentaux20, force est de s’interroger sur le bien-fondé de la présence de dispositions relatives à l’état d’urgence dans la Constitution.
10.Constitutionnaliser l’état d’urgence revient à le placer au même niveau dans la hiérarchie des normes juridiques que les droits et libertés fondamentaux, notamment ceux consacrés dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Les pouvoirs d’exception et les droits et libertés fondamentaux sont ainsi mis dans un rapport d’égalité normative21. Dans ces conditions, la CNCDH craint que la prééminence de ces derniers ne soit, au moins symboliquement, considérablement fragilisée, par rapport à l’état actuel du droit qui, en consacrant l’état d’urgence dans une loi, le maintient à un niveau inférieur à celui du bloc de constitutionnalité22. Pour relativiser ce constat, il est parfois avancé que des dispositions constitutionnelles relatives à l’état d’urgence pourraient, le cas échéant, être appréciées au regard des exigences internationales et européennes, notamment celles découlant de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme (CESDH)23 et de l’article 4-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)24. Il convient toutefois de relever que le juge ordinaire ne contrôle pas la conventionalité de dispositions constitutionnelles car la hiérarchie des normes juridiques – qui découle en France des articles 54 et 55 de la Constitution – fait de la Constitution la norme suprême dans l’ordre juridique interne, celle-ci prévalant sur les normes internationales25. C’est donc à la seule Cour européenne des droits de l’homme qu’il incombera, le cas échéant, d’apprécier la compatibilité du nouvel article 36-1 avec les exigences de l’article 15 de la CESDH. Il va de soi que l’exercice d’un tel contrôle sera plus délicat que celui de la Cour sur une loi ordinaire26, dès lors que dans ce dernier cas, l’obligation d’épuisement des voies de recours internes conduit les juges nationaux à procéder, en amont, au contrôle de la conventionalité.
11. La CNCDH craint également que le nouvel article 36-1 de la Constitution de 1958 ne soit seulement destiné, ainsi que cela ressort explicitement de l’Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, à servir de fondement constitutionnel à des dispositions législatives futures gravement attentatoires aux droits et libertés fondamentaux27 par un renforcement considérable des pouvoirs de police au profit des autorités civiles28. D’ores et déjà plusieurs dispositions du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale visent à inscrire dans le droit commun certaines mesures inspirées du régime de l’état d’urgence et donc, par leur banalisation, à normaliser l’exceptionnel. Ainsi que le relevait très justement Guy Braibant, « les crises laissent derrière elles, comme une marée d’épais sédiments de pollution juridique », dès lors que les lois prévoyant des mesures extraordinaires survivent aux circonstances qui les ont fait naître29. Bien plus, le Conseil d’Etat a souligné «l’effet utile»30 de la réforme constitutionnelle, en ce qu’elle donnerait un « fondement incontestable » au renforcement dans la loi des mesures de police administrative prises par les autorités civiles pendant l’état d’urgence31. Sans aller jusqu’à imaginer qu’en raison de ce « fondement incontestable », tout contrôle de la constitutionnalité des lois à venir serait irrémédiablement voué à l’échec, la CNCDH redoute néanmoins qu’il n’ait pour conséquence de le déplacer, dès lors que les dispositions constitutionnelles de référence ne seront plus seulement des dispositions protectrices des droits et libertés, mais précisément des dispositions qui, organisant l’état d’urgence, autorisent des restrictions de ces droits et libertés.
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12. De son côté, le Conseil constitutionnel a admis que le régime de l’état d’urgence soit prévu par la loi en énonçant que « si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l’état de siège, elle n’a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence pour concilier les exigences de la liberté et la sauvegarde de l’ordre public »32. L’état d’urgence, contrairement à l’état de siège de l’article 36 de la Constitution de 1958, a été délibérément tu par la Constitution – parce que non lié à une guerre et ne transférant pas les pouvoirs de police aux autorités militaires33- dans le contexte de la « guerre d’Algérie » dont il ne fallait en aucun cas dire le nom34. Pour autant, la Constitution de 1958 ne traite pas de manière exhaustive de tous les régimes d’exception et c’est au législateur qu’il revient de garantir le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis dans le cadre de ce régime d’exception particulier qu’est l’état d’urgence. En effet, la jurisprudence constitutionnelle consacre « une constitutionnalité d’exception, c’est-à-dire un régime temporaire dans lequel la garantie des libertés existe bien tout en étant inférieure à celle dont jouissent les citoyens en période normale »35.
De plus, dès lors que la loi de 1955 a pu être rapidement adaptée aux nécessités du moment36 et que les mécanismes de contrôle – du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat – ont globalement fonctionné37, constitutionnaliser l’état d’urgence n’est d’aucune utilité. Pour la CNCDH, la première nécessité serait d’améliorer les dispositions de la loi du 3 avril 1955 dans le sens d’une meilleure garantie des droits et libertés fondamentaux aux fins de remédier aux dysfonctionnements et dérives qui ont pu être constatés dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence38.
B. SUR LE REGIME DE L’ETAT D’URGENCE DEFINI PAR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
13. A l’instar du Comité Balladur en 2007, une partie de la doctrine s’est prononcée en faveur de l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution39, dès lors que cela assurerait une portée contraignante aux limites imposées à la concentration des pouvoirs et à la restriction des droits et libertés fondamentaux. Saisie du projet de loi constitutionnelle, l’Assemblée nationale l’a pour sa part adopté le 10 février 2016. La CNCDH tient pourtant à souligner les graves défauts qui entachent en l’état ce projet
14. En premier lieu, la qualité légistique de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle pose problème. D’une part, il s’avère que ces conditions de déclenchement de l’état d’urgence sont définies de manière extrêmement vague40 : le « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » et « les événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». De tels motifs sont suffisamment larges pour permettre au chef de l’État de déclarer facilement cet état d’exception41 et vont au- delà des dérogations prévues par les instruments internationaux liant la France. A cet égard, la CNCDH rappelle que les motifs de mise en œuvre de l’état d’exception prévus par les articles 15-3 de la CESDH et 4-1 du PIDCP en assurent un meilleur encadrement et qu’il convient donc de lever au plus vite les réserves émises lors de la ratification de ces engagements, afin de donner aux organes de surveillance la possibilité d’un véritable contrôle.
D’autre part, les nouvelles dispositions prévoient que les mesures de police administrative relatives à l’état d’urgence peuvent être prises, non seulement pour prévenir, mais encore « pour faire face à ces événements ». Cette formulation ambiguë montre que ces mesures n’auraient pas pour seul et unique objet la prévention d’un trouble à l’ordre public42, ce qui laisse penser que l’on ne se situerait plus dans un champ de police administrative, mais de police judiciaire. Pour la CNCDH, il va de soi que de telles mesures devraient, sauf à méconnaître l’article 16 de la DDHC, être placées sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire43.
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15. En deuxième lieu, l’alinéa 2 du projet d’article 36-1 donne compétence à la loi pour fixer les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre dans le cadre de l’état d’urgence. La CNCDH considère que le projet de loi constitutionnelle – qui pose le principe de l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution – aurait pu à tout le moins prévoir un renvoi à une loi organique. Un tel renvoi permettrait un meilleur encadrement du régime de l’état d’urgence, notamment parce qu’une loi organique est obligatoirement soumise à un contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel. En outre, la technique du renvoi à la « loi » n’est aucunement protectrice, dès lors que la Constitution habilite le législateur à user de son pouvoir discrétionnaire, sans l’encadrer par des dispositions matérielles contraignantes44. Enfin, la CNCDH s’étonne d’un renvoi à la loi – critère matériel – plutôt qu’au Parlement – critère organique -, comme c’est le cas à l’article 36 dans le cadre de l’état de siège. Il ne faudrait pas que l’exécutif puisse sur le fondement d’une loi d’habilitation modifier lui-même le régime juridique de l’état d’urgence par voie d’ordonnance dans les conditions posées à l’article 38 de la Constitution de 1958.
16. En troisième lieu, l’article 36-1 donne également compétence à la loi pour proroger l’état d’urgence au-delà de 12 jours et ce, pour une durée de quatre mois dans la dernière version du texte45. Les nouvelles dispositions ne précisent cependant pas que la loi de prorogation détermine la durée « définitive » de l’état d’urgence (comme c’est actuellement le cas dans la loi de 1955, article 3), ce qui autorise implicitement une succession de prorogations de quatre mois sans limite temporelle46. A cet égard, la CNCDH met en garde contre la possibilité d’un état d’urgence permanent et ce d’autant que le législateur s’est autorisé à proroger une deuxième fois sans respecter le cadre fixé par les articles 2 et 3 de la loi de 195547, qui exigent, dans un tel cas de figure, de recommencer la procédure par un décret. L’état d’exception, qui doit demeurer provisoire, ne saurait devenir la règle : il a pour seul et unique objectif un retour rapide à la normalité48.
Par ailleurs, le projet de révision constitutionnelle prévoit que la prorogation de l’état d’urgence est autorisée par la loi et non par le Parlement. Pour les mêmes raisons que précédemment, la CNCDH s’oppose à ce que l’exécutif, sur le fondement d’une loi d’habilitation, décide de proroger l’état d’urgence sur la base d’une ordonnance de l’article 3849.
17. En quatrième lieu, il convient de mettre en évidence plusieurs lacunes dans la version initiale du projet de loi constitutionnelle, dont certaines ont été comblées par l’Assemblée nationale le 10 février 2016. La CNCDH relève en effet l’absence :
– d’obligation, pour l’autorité habilitée à déclencher l’état d’urgence et pour celle habilitée à le proroger, de justifier des finalités de l’état d’urgence (lutte contre le terrorisme, etc.), alors pourtant qu’une telle obligation imposerait à l’autorité administrative d’ordonner les mesures individuelles de police dans le plus strict respect de ces finalités ;
– de limites s’agissant du champ d’application territorial de l’état d’urgence, aucun critère objectif n’établissant une corrélation avec le péril ou les événements invoqués50 ;
– d’interdiction de dissoudre l’Assemblée nationale pendant la durée de l’état d’urgence, à laquelle toutefois l’Assemblée nationale a souscrit dans le texte adopté le 10 février 201651 ;
– de rappel des exigences d’adéquation52, de nécessité et de proportionnalité53, qui implique un réexamen constant de la nécessité des mesures d’exception54 ;
– de rappel de l’exigence de non-discrimination dans la mise en œuvre de l’état d’urgence, étant précisé que selon l’article 4-1 du PIDCP55, les mesures dérogatoires ne doivent en aucun cas entraîner une discrimination fondée « uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale » ;
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– d’organisation d’un mécanisme de contrôle parlementaire ou autre (Conseil constitutionnel) du suivi de l’état d’urgence. A cet égard, l’Assemblée nationale a prévu, dans le texte adopté le 10 février 2016, l’organisation d’un contrôle parlementaire56 ;
– d’évocation de la levée des réserves, afin de permettre le plein contrôle des organes internationaux et européens ;
– d’énumération ou de référence aux droits intangibles. A ce propos, certaines Constitutions étrangères prévoient dans les états d’exception tantôt une liste limitative de droits fondamentaux pouvant être restreints57, tantôt un noyau dur de droits intangibles58. En droit international et européen59, l’idée d’établissement d’une liste de droits intangibles, en cas de circonstances exceptionnelles, a été développée en 1982 dans le cadre des Nations unies60, puis en 1995 par la Commission de Venise sous l’égide du Conseil de l’Europe61.
18. Au regard de ce qui précède, la CNCDH recommande que toute loi relative à l’état d’urgence (constitutionnelle, organique ou ordinaire) s’attache à :
S’agissant de la mise en œuvre de l’état d’urgence :
– définir clairement et limitativement les circonstances précises et objectives62
justifiant le déclenchement de l’état d’urgence ;
– prévoir l’obligation, pour l’autorité habilitée à déclencher l’état d’urgence et pour
celle habilitée à la prolonger, de justifier des finalités de l’état d’urgence ;
– fixer des garanties propres à la mise en œuvre spatiale de l’état d’urgence ;
– interdire de dissoudre l’Assemblée nationale pendant la durée de l’état d’urgence63
et prévoir sa réunion de plein droit ;
– prévoir un contrôle régulier du Conseil constitutionnel, aux fins de vérifier si les
conditions du recours à l’état d’urgence demeurent réunies64 ;
– prévoir un contrôle parlementaire de la mise en œuvre de l’état d’urgence ;
– énoncer les exigences d’adaptation, de nécessité et de proportionnalité65 ;
– garantir l’exigence de non-discrimination dans la mise en œuvre de l’état
d’urgence ;
– renvoyer aux droits intangibles consacrés par les engagements internationaux ;
S’agissant de la prorogation de l’état d’urgence :
– d’interdire que l’exécutif, sur le fondement d’une loi d’habilitation, puisse décider
de proroger l’état d’urgence sur la base d’une ordonnance de l’article 38 ;
– encadrer la durée de l’état d’urgence et plus spécifiquement celle de la prorogation au-delà de 12 jours en prévoyant qu’il revient au seul Parlement d’en décider ; que ce dernier en fixe la durée définitive au regard de la persistance des circonstances ayant justifié la mise en œuvre du régime d’exception. A l’issue de cette prorogation, il est de la responsabilité de l’exécutif de décider de déclencher
à nouveau la procédure, si les circonstances le justifient ;
S’agissant des mesures à prendre dans le cadre de l’état d’urgence :
- procéder à un renvoi à la loi organique, et non à la loi, pour définir le régime des mesures de police administrative relatives à l’état d’urgence66, étant précisé qu’il doit être interdit à l’exécutif de modifier lui-même, sur le fondement d’une loi d’habilitation, le régime juridique de l’état d’urgence par voie d’ordonnance dans
les conditions posées à l’article 38 de la Constitution de 1958.
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II. L’INSCRIPTION DE LA DECHEANCE DE NATIONALITE DANS LA CONSTITUTION
19. A ce jour, l’article 34 de la Constitution se contente d’énoncer que « La loi fixe les règles concernant la nationalité ». Dans sa version adoptée en Conseil des ministres, l’article second du projet de réforme constitutionnelle modifie la compétence de la loi, en précisant qu’elle s’applique à « la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». L’Assemblée nationale a amendé le texte, désormais rédigé de la manière suivante : la loi fixe les règles concernant « la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».
20. D’emblée, la CNCDH se doit d’exprimer sa plus vive opposition à l’extension du champ d’application de la déchéance de nationalité67 et, à plus forte raison, par la voie d’une révision de la Constitution.
A. SUR LE PRINCIPE DE L’INSCRIPTION DE LA DECHEANCE DE NATIONALITE DANS LA CONSTITUTION
21. L’Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle justifie la nécessité d’une réforme constitutionnelle par l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République que le Conseil constitutionnel pourrait être amené à dégager si une loi ordinaire organisait la possibilité de déchoir de sa nationalité un Français né français. Ce pronostic est fondé sur l’idée que « les lois républicaines ont constamment réservé la sanction qu’est la déchéance de nationalité au cas d’un binational devenu français ».
Or ce risque d’inconstitutionnalité est loin d’être avéré, puisque la déchéance de nationalité, au rebours de ce que soutient l’exposé des motifs, a toujours été prévue par notre droit, y compris s’agissant de Français nés français. Le recours à la technique de la révision préventive ne se justifie donc pas.
En toute hypothèse, la CNCDH estime que la Constitution vise à assurer, en vertu de l’article 16 de la DDHC, la garantie des droits, et que des mesures restreignant des droits et libertés, telle que la déchéance de nationalité, n’ont pas à y figurer68.
22. Si pour sa part, le Conseil d’Etat a, dans son avis précité du 11 décembre 2015, certes souscrit à un tel projet, il s’est néanmoins montré très mesuré quant à la nécessité d’une révision constitutionnelle visant à inscrire la déchéance de nationalité des binationaux condamnés pour des faits de terrorisme dans la Constitution de 1958, son argument principal se résumant en définitive au constat laconique que « le principe de cette mesure devrait être inscrit dans la Constitution eu égard au risque d’inconstitutionnalité qui pèserait sur une loi ordinaire »69. On doit s’étonner que le contrôle de la constitutionnalité soit ici envisagé comme un risque, partant, comme un argument en faveur de la constitutionnalisation, alors que ce contrôle a pour seul objet d’assurer le respect de la Constitution, respect qui se pose en termes de devoir. De plus, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité limite, ainsi qu’il a été précédemment relevé à propos de l’état d’urgence, le contrôle de sa conventionalité70 .
23. En conséquence, la CNCDH émet les plus vives réserves sur la pertinence du vecteur retenu, c’est-à-dire la loi constitutionnelle, et donc sur la pertinence de la réforme constitutionnelle elle-même. Il en va de même de l’extension du champ d’application de la déchéance de nationalité.
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B. SUR LE REGIME DE LA DECHEANCE DE NATIONALITE DEFINI PAR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
1. S’agissant du champ d’application personnel de la déchéance de nationalité
a) Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de loi constitutionnelle adoptée en Conseil des ministres le 23 décembre 2015
24. L’article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoit, dans sa version initiale, d’étendre la déchéance de nationalité à toute « personne née en France qui détient une autre nationalité ». Au-delà des Français par acquisition dont la déchéance est déjà permise, sous certaines conditions, s’ils sont binationaux, l’extension vise les Français par attribution, c’est-à-dire les personnes nées françaises et qui détiennent une autre nationalité (binationaux voire plurinationaux)71. A ce propos, la CNCDH formule plusieurs critiques.
25. Première critique, l’article premier de la Constitution de 1958 dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité de tous les citoyens (…) ». Pourtant les nouvelles dispositions reproduites plus haut instaurent implicitement une différence de traitement, qui n’est plus entre « Français de naissance » et « Français par acquisition » 72, mais entre ceux qui sont exclusivement français (mononationaux) et ceux qui disposent d’une autre nationalité (binationaux). Ce type de distinction est radicalement contraire à tous les principes républicains, notamment ceux énoncés à l’article 1er de la Constitution73. Tous les Français étant également français, la CNCDH réitère son opposition irréductible à la création de catégories de Français74. De surcroît, de telles distinctions ne peuvent que porter atteinte à la cohésion sociale, à une époque où il est absolument nécessaire de refuser toute forme de stigmatisation et de rejet de l’Autre. En bref, ce sont les fondements mêmes du pacte républicain qui se voient ainsi remis en cause, alors que, non sans paradoxe, cette remise en cause est l’un des objectifs poursuivis par les auteurs d’actes de terrorisme75.
26. Deuxième critique, une distinction supplémentaire est introduite, de manière indirecte, par le projet de loi constitutionnelle, dès lors que tous les binationaux ne sont pas dans la même situation. En effet, s’il est loisible à certains de renoncer à leur nationalité autre que française, d’autres ne le peuvent pas, car ils sont ressortissants – parfois contre leur gré – d’un État dont le droit de la nationalité organise un système d’allégeance perpétuelle. La Constitution française, par un remarquable abandon de souveraineté, remettrait ainsi le sort de certains Français entre les mains d’États étrangers dont le droit contrevient radicalement à un principe fondateur de la République : le caractère électif de la citoyenneté.
27. Troisième critique, la qualité de bi- ou plurinational de tel ou tel Français n’est pas un élément figurant à l’état-civil. Contrairement aux personnes naturalisées dont l’Administration connaît, par définition, la nationalité d’origine, les Français nés français sont, aux yeux de l’État, simplement français : on ignore la ou les autres nationalités qui ont pu leur être transmises par un de leurs parents, ou qu’ils ont pu acquérir au cours de leur vie. À quel type d’investigations l’administration sera-t-elle habilitée à se livrer pour identifier « une personne née française qui détient une autre nationalité » ? La CNCDH tient à exprimer, sur ce point, ses plus vives inquiétudes.
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b) Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 10 février 2016
28. Dans la version du projet de révision constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale, il n’est plus fait référence aux «personnes nées françaises», mais aux seules « personnes ». Cette modification étend le champ d’application personnel de la déchéance de nationalité aux français par attribution (français dits de naissance)76, alors que cette déchéance n’était applicable jusque-là qu’aux Français par acquisition à certaines conditions (notamment celle d’être binational). Par voie de conséquence, la déchéance couvre désormais, sans exception, tous les cas d’acquisition et d’attribution de la nationalité. Si la CNCDH se félicite de voir abandonner la distinction entre Français par acquisition et Français par attribution, elle ne peut que déplorer le nivellement opéré par la réduction du droit à la nationalité, dès lors qu’elle est un élément constitutif de la personne et confère à son titulaire des droits fondamentaux77. A cela s’ajoute que lorsqu’une personne est déchue de sa nationalité antérieurement acquise (par voie de filiation par exemple), l’on ne dispose pas d’outils juridiques et administratifs permettant d’établir avec certitude si elle dispose d’une autre nationalité, dont l’attribution dépend exclusivement du bon vouloir d’Etats étrangers, souverains dans l’établissement des règles d’attribution de leur nationalité.
29. Par ailleurs, l’Assemblée nationale a supprimé de l’article 34 la référence à la détention d’une autre nationalité par la personne susceptible de faire l’objet d’une déchéance. A cet égard, la CNCDH rappelle que l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en énonçant que «tout individu a droit à une nationalité», interdit l’apatridie. Si cette Déclaration n’est pas dotée d’une véritable valeur juridique78, elle fonde néanmoins des valeurs universelles auxquelles la CNCDH est particulièrement attachée. C’est sur son fondement que la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 sur la nationalité, dite « loi Guigou », a modifié l’article 25 du code civil, qui, depuis lors, interdit de déchoir une personne de sa nationalité, lorsque cette sanction « a pour résultat de la rendre apatride ». L’article 25 du code civil réserve ainsi cette sanction aux binationaux.
Ces dispositions ne font que concrétiser des engagements internationaux divers pris par la France pour réduire les cas d’apatridie79, situation qui peut emporter négation de tout droit. La France pourrait-elle par l’extension de la déchéance de nationalité à tous les Français, même non binationaux, renoncer à la réserve d’apatridie? Certains le proposent, mais il va de soi que si tel était le cas, cette proposition constituerait pour la CNCDH un recul majeur. Notons que ce risque n’est pas totalement prévenu par l’engagement du Gouvernement de ratifier, dans les plus brefs délais, la Convention du 30 août 1961 des Nations unies sur la réduction des cas d’apatridie80. Il ne le serait pas plus avec la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe du 6 novembre 1997 sur la nationalité81, dès lors que ces deux textes ne garantissent pas la suppression de tous les cas d’apatridie82. Dans ces conditions, la CNCDH, rappelant son attachement à l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, est opposée à toute modification des textes qui serait motivée par le souci de donner un fondement constitutionnel à la suppression de la réserve d’apatridie, telle qu’elle est notamment prévue à l’article 25 du code civil.
2. S’agissant du champ d’application matériel de la déchéance de nationalité
30. A titre liminaire, la CNCDH relève la totale indétermination des conditions d’application de la déchéance de nationalité. Rien n’est précisé quant :
– à la nature (administrative ou pénale) de la sanction ;
- aux délais (notamment le délai entre l’acquisition de la nationalité et la
commission de l’infraction motivant le prononcé de la déchéance83, ainsi que le délai entre la commission de cette infraction et le prononcé de la déchéance) ;
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– au contenu précis des incriminations motivant le prononcé de la déchéance. Au-delà, la CNCDH tient à exprimer ses plus vives réserves à l’égard des différentes versions du projet de loi constitutionnelle.
a) Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de loi constitutionnelle adoptée en Conseil des ministres le 23 décembre 2015
31. Dans sa version initiale, le projet de loi constitutionnelle prévoit que la déchéance de nationalité peut être prononcée en cas de condamnation pour une infraction « constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». L’Assemblée nationale n’a pas modifié cette dernière formulation, qui définit très largement le champ matériel de la déchéance de nationalité, déchéance qui – qu’elle soit une sanction administrative ou une sanction pénale84 – est obligatoirement assujettie au respect d’un certain nombre de principes du droit pénal et de la procédure pénale. Aussi, la forte indétermination de l’infraction autorisant la mise en œuvre de la déchéance, à savoir la condamnation pour une infraction « constituant une atteinte grave à la vie de la Nation », force-t-elle à s’interroger sur le respect du principe de la légalité des délits et des peines (article 7 de la DDHC). En effet, le Livre quatrième du code pénal (« Des crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique ») comprend un titre premier (« Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation »), sous lequel figure pour commencer un article 410- 1 qui définit les intérêts fondamentaux de la nation85 et couvre pas moins de quatre chapitres définissant une multiplicité de crimes et délits… Quant au terrorisme stricto sensu, ses différentes incriminations figurent, elles, au sein d’un titre II. («Du terrorisme ») du même livre du code pénal (Livre quatrième), aggravant ainsi le manque de lisibilité du comportement infractionnel punissable de la déchéance de nationalité.
b) Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 10 février 2016
32.Plus grave encore, l’article 34, dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale, prévoit la possibilité de prononcer une déchéance de nationalité en cas de condamnation pour délit, soit une infraction de gravité moyenne et ce, alors même que le Conseil d’Etat avait exclu cette possibilité86. Cette extension du champ d’application matériel de la déchéance de nationalité paraît contraire aux exigences de nécessité et de proportionnalité de la sanction découlant tant de l’article 8 de la DDHC, que du droit de l’Union européenne87. A cela s’ajoute la violation potentielle des engagements internationaux qui stipulent qu’un Etat Partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de la nationalité de plein droit ou à son initiative que dans des hypothèses limitatives dont le « comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’Etat Partie » (article 7 de la Convention du 6 novembre 1997 sur la nationalité, article 8 de la Convention du 30 août 1961 sur la diminution des cas d’apatridie)88. Tel n’est indéniablement pas le cas pour la commission d’un grand nombre de délits du Livre quatrième du code pénal évoqué plus haut, en particulier lorsqu’il s’agit d’un abus de la liberté d’expression tel que la provocation à des actes de terrorisme ou l’apologie de tels actes (article 421-2-5 du code pénal). Pour toutes ces raisons, la CNCDH condamne l’extension aux délits du champ d’application matériel de la déchéance de nationalité.
33. Enfin, la Commission relève que l’article 25 du code civil permet déjà, dans sa rédaction actuelle le prononcé d’une déchéance de nationalité en cas de condamnation « pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ». Pour les mêmes raisons que précédemment, la CNCDH recommande la suppression du mot « délit » de l’article 25 du code civil.
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34.Pour conclure, l’extension des champs d’application personnel et matériel de la déchéance de nationalité comporte un risque non négligeable de violation des principes d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité, notamment rappelés par le droit de l’Union européenne. La nationalité est, il faut le souligner, un élément constitutif de la personne conférant à son titulaire des droits fondamentaux.
3. S’agissantdel’efficacitédeladéchéancedenationalité
35. Tout d’abord, la Commission s’interroge, à l’instar du Conseil d’Etat89, sur l’efficacité d’une telle sanction administrative ou pénale face à cette nouvelle forme de terrorisme. La sanction ne dissuadera aucun terroriste potentiel de passer à l’acte. Elle sera donc inefficace pour prévenir la commission d’infractions. Il en serait de même :
– du prononcé de la privation des droits civils et civiques qui est une peine complémentaire définie dans le code pénal (article 131-26) ;
– de la réintroduction dans le code pénal de l’indignité nationale qui, au surplus et contrairement à ce qui est fréquemment soutenu, n’est pas une peine, mais un crime créé par l’ordonnance du 26 août 1944 et sanctionné de la dégradation nationale. L’histoire de cette infraction rappelle des périodes sombres de l’histoire90 et la définition de ses éléments constitutifs pose en outre de nombreuses questions au regard des exigences du principe de légalité criminelle (article 7 de la DDHC)91.
36.Ensuite, la CNCDH s’inquiète des conséquences discriminatoires d’une déchéance de nationalité, qui pourrait, en tout état de cause, ne s’appliquer qu’à des binationaux. La stigmatisation de ces derniers constitue un ferment de division sociale.
37. Par ailleurs, la déchéance de nationalité ne protégera pas la société française de la présence sur le sol français de ceux qui sont déchus de la nationalité française pour actes de terrorisme, même si c’est là le principal but du projet de révision constitutionnelle. En effet, les personnes déchues de la nationalité française, devenues étrangères, peuvent certes faire l’objet d’une procédure d’éloignement, mais l’efficacité du dispositif n’est pas garantie, dès lors que cet éloignement n’est possible que dans le respect d’un certain nombre de droits – à commencer par le droit absolu de ne pas être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CESDH (interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants, etc.)-, respect auquel veille en particulier, au-delà des juridictions françaises, la Cour européenne des droits de l’homme92. C’est ainsi que la France s’est retrouvée dans l’impossibilité de reconduire dans leur pays des Français déchus de leur nationalité française93. De surcroît, dans le cas où la personne déchue de la nationalité française n’a aucune autre nationalité, la mise en œuvre d’une procédure d’éloignement est en pratique vouée à l’échec, dès lors que la détermination du pays de renvoi est impossible.
Au-delà, la CNCDH se doit d’insister sur les responsabilités politique et diplomatique de la France à l’égard des pays d’origine vers lesquels elle décide de renvoyer des personnes condamnées pour des actes de terrorisme et qui peuvent n’avoir jamais vécu dans les pays concernés. L’image de la France serait ternie si sa politique d’éloignement en la matière devait consister à imposer aux pays de renvoi la charge d’accueillir ces personnes.
38. Enfin et surtout, la déchéance de nationalité est une sanction inadéquate, au regard de l’extrême gravité des actes commis. En effet, il importe avant tout que la transgression radicale de l’ordre social, que constituent les crimes de terrorisme, par la violence aveugle qu’ils sèment, ne tombe pas dans l’oubli. Mais il convient tout autant de réfléchir à une réponse adaptée à cette violence extrême qui met en cause la paix civile et met en danger la société politique. Cette réponse ne saurait consister à prétendre
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exclure radicalement ceux qui ont radicalement trahi le contrat social. En effet, la maturité d’une société politique se mesure à sa capacité à connaître et surmonter ses divisions intérieures, aussi graves soient-elles94.
EN CONCLUSION,
39. La CNCDH recommande l’abandon pur et simple de la révision constitutionnelle.
1Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vè République, Une Ve République plus démocratique, La documentation française 2007, p. 20 : « Force est en effet de constater que, même s’il y a lieu de mettre à jour les mécanismes de l’état de siège et de l’état d’urgence – ce que le Comité recommande de faire en modifiant les dispositions de l’article 36 de la Constitution de telle sorte que le régime de chacun de ces états de crise soit défini par la loi organique et la ratification de leur prorogation autorisée par le Parlement dans des conditions harmonisées (Proposition n° 10) – la diversité des menaces potentielles qui pèsent sur la sécurité nationale à l’ère du terrorisme mondialisé justifie le maintien de dispositions d’exception ».
2Assemblée nationale, Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, n° 3381, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015.
3Voir M. Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, PUF 2010, p. 129, qui relève qu’en matière de terrorisme, le contournement des droits substantiels s’accompagne parfois de celui des institutions compétentes, telles que la CNIL ou la CNCDH.
4Voir CNCDH 15 avril 2010, Avis sur l’élaboration des lois, en ligne sur : www.cncdh.fr
5Sur cette question, voir M. Delmas-Marty, « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », RSC 2007, p. 461 ; D. Caron, « La bellicisation de la lutte contre le terrorisme : un défi au droit », Liber amicorum en l’honneur de Renée Koering-Joulin, Nemesis / Anthemis 2014, pp. 113-135 ; D. Salas, La volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Hachette 2005.
6En effet, dans le discours politique, le vocable de « guerre » ne saurait être pris dans son acception technique « d’agression armée », au sens de l’article 51 de la Charte des Nations-Unies du 26 juin 1945.
7CNCDH 15 janvier 2016, Déclaration sur l’état d’urgence et ses suites, JORF n°0031 du 6 février 2016, texte n° 57.
8Voir F. Saint-Bonnet, L’état d’exception, PUF 2001, p. 16.
9G. Braibant, « L’Etat face aux crises », Pouvoirs 1979, pp. 8-9.
10N. Questiaux, Etude sur les conséquences pour les droits de l’homme des développements récents concernant les situations dites d’état de siège ou d’exception, Nations unies (Conseil économique et Social), E/CN.4/Sub.2/1982/15, 27 juillet 1982.
Le même constat a été fait en 1997 dans le rapport Léandro Despouy (L. Despouy, Tenth Annual Report and List of States which, since 1 January 1985, Have Proclaimed, Extended or Terminated a State of Emergency, 23 juin 1997, E/CN.4/Sub.2/1997/19).
11M. Delmas-Marty, op. cit., p. 120 ; W. Mastor, « L’état d’exception aux Etats-Unis : le USA PATRIOT Act et autres violations en règle de la Constitution », CRDF, n° 6, 2007, pp. 61-70.
12Voir F. Saint-Bonnet, « État d’urgence : un statut constitutionnel donné à l’arbitraire », JCP, éd. gén., n° 4, 25 janvier 2016, p. 71, qui affirme que « les terroristes djihadistes ne sont pas des ennemis spatio-temporels, c’est-à-dire des individus qui entendent contrôler tout ou partie du territoire français selon une rationalité politique ou étatique issue de la modernité. Leur communauté est celle des croyants qui ont fait allégeance au Calife Al Baghdadi, qu’importe leur nationalité. Leur espace est universel, tout territoire qui ne vit pas sous l’empire de la charia est réputé terre de djihad. Leurs objectifs ne sont pas terrestres ou politiques, il s’agit de convertir ou rendre la justice en « vengeant les injures » faites au prophète, en tuant. Et surtout, ils ne recherchent pas une quelconque sécurité ici-bas car leur véritable sécurité est dans l’Au-delà, auprès d’Allah, (…) Ce sont toutefois pour les occidentaux des « martyrs » par antiphrase car ils les considèrent avant tout comme des bourreaux, tandis que les véritables martyrs sont les victimes de ce terrorisme aveugle. L’état d’urgence est largement dépourvu d’efficacité pour faire face à la menace djihadiste ».
Voir également sur ces questions, F. Saint-Bonnet, « Le terrorisme djihadiste et les catégories juridiques modernes », JCP, éd. gén., n° 50, 7 décembre 2015, p. 1348 ; P. Morvan, « Le terrorisme djihadiste : regard criminologique », JCP, éd. gén., n° 1-2, 11 janvier 2016, doctr., p. 34 ; J.-C. Paye, La fin de l’Etat de droit. La lutte antiterroriste de l’état d’exception à la dictature, La Dispute 2004, p. 10.
 
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13Voir M.-L. Basilien-Gainche, Etat de droit et états d’exception. Une conception de l’Etat, PUF 2013, p. 238, qui écrit « qu’il y a quelques dangers à prendre des textes sur l’exception dans des contextes de crise aigüe : les gouvernants sont justifiés à prévoir des dispositifs organisant une confusion irraisonnée des pouvoirs et une limitation excessive des libertés ; la définition de conditions trop souples et l’autorisation de concentration de pouvoirs trop prononcés sont de nature à conduire à des usages démesurés voire usurpés ». 14Dans ce sens voir B. François, « La séparation des pouvoirs mise à mal », Le Monde du 22 décembre 2015. 15http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/prorogation_application_loi_55-385.asp
16D. Salas, Audition du 26 janvier 2016.
17Par exemple : article 169 de la Constitution d’Espagne, article 19-7 de la Constitution du Portugal, article 147 alinéa 2 de la Constitution de Lituanie, article 170-5 de la Constitution d’Albanie, article 117 de la Constitution d’Estonie.
18Cons. const. 2 septembre 1992, n° 92-312 DC, cons. 19
19Voir I. Boucobza et C. Girard, « Constitutionnaliser l’état d’urgence ou comment soigner l’obsession d’inconstitutionnalité ? », La Revue des droits de l’homme [en ligne] Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 5 février 2016.
20Sur la notion matérielle de Constitution découlant de l’article 16 de la DDHC, voir B. Mathieu, Constitution : rien ne bouge et tout change, lextenso éditions 2013, pp. 12-13 ; G. Koubi et R. Romi, Etat, Constitution, Loi. Fondements d’une lecture du droit constitutionnel au prisme de la Déclaration de 1789, Editions de l’Espace européen 1991, pp. 59-68 ; P. Pactet, Institutions politiques et droit constitutionnel, Masson 1989, p. 66 (qui évoque le constitutionnalisme) ; J. Gicquel et J.-E. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Domat 2015, p. 38.
21Dans ce sens L. Fontaine, « La constitutionnalisation des pouvoirs d’exception comme garantie des droits ? L’exemple des démocraties est-européennes à la fin du XXè siècle », CRDF, n° 6, 2007, pp. 56-57.
22L. Fontaine, article précité, p. 56 : « si l’on prétend imposer aux pouvoirs exceptionnels le respect des droits et libertés avec lesquels ils entrent en conflit, il faut donner aux derniers un statut normatif supérieur : soit en reconnaissant l’existence s’une supra-constitutionnalité, soit en faisant redescendre la normativité des pouvoirs d’exception qui ne doivent donc rester que législatifs. L’avantage de cette dernière solution peut être de na pas exclure un éventuel contrôle de l’usage des pouvoirs exceptionnels, en les subordonnant à la Constitution ».
23Dans ce sens S. Slama, Audition du 14 janvier 2015.
24Observation générale n° 29, États d’urgence (art. 4) du 24 juillet 2001, Nations unies CCPRCCPR/C/21/Rev.1/Add.11.
25CE, Ass. 30 octobre 1998, Sarran, n° 200286 et 200287 : « la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle » ; Cass. Ass. Plén. 2 juin 2000, Mme Fraisse, n° 99-60.274.
26L. Fontaine, article précité p. 57.
27Exposé des motifs, p. 3 : « Pour combattre efficacement le terrorisme, comme l’État se doit de le faire, l’ensemble des responsables politiques ont voulu que soit mis en œuvre et prorogé l’état d’urgence dans les conditions prévues par la loi du 20 novembre 2015, qui a actualisé, soixante ans après son adoption, la loi du 3 avril 1955. Toutefois, faute de fondement constitutionnel, cette actualisation est restée partielle. Un tel fondement est en effet nécessaire pour moderniser ce régime dans des conditions telles que les forces de police et de gendarmerie puissent mettre en œuvre, sous le contrôle du juge, les moyens propres à lutter contre les menaces de radicalisation violente et de terrorisme. Le nouvel article 36-1 de la Constitution relatif à l’état d’urgence, qui est l’objet du premier article du présent projet de loi constitutionnelle, fournit le cadre de ce régime juridique ».
28Par exemple, les contrôles d’identité sans nécessité de justifier de circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public et, le cas échéant, la visite de véhicules avec ouverture des coffres ; la retenue administrative sans autorisation préalable de la présente dans le domicile ou le lieu faisant l’objet d’une perquisition administrative ; saisie administrative d’objets et d’ordinateurs durant les perquisitions administratives (voir Exposé des motifs, pp. 4-5.).
29G. Braibant, article précité, p. 8.
30Conseil d’Etat (Assemblée générale / Section de l’intérieur) 11 décembre 2015, Avis n° 390866 sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, § 10.
31Voir Assemblée nationale, Rapport n° 3451 fait au nom de la Commission des lois (…) sur le projet de loi constitutionnelle (n° 3381) de protection de la Nation, Paris 2016, pp. 11-12, qui précise en outre que la constitutionnalisation permettra d’éviter une éventuelle censure des nouvelles dispositions législatives par le Conseil constitutionnel.
32Cons. const. 25 janvier 1985, n° 85-187 DC ; Cons. const. 22 décembre 2015, n° 2015-527 QPC.
33Dans ce sens A.-M. Le Pourhiet, Audition du 11 janvier 2015, qui précise en outre que l’article 36 de la Constitution de 1958 fixe une pure règle de compétence parlementaire complétant celle de l’article 35 selon laquelle « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Ces deux dispositions sont étroitement liées et figuraient d’ailleurs au même article dans l’avant-projet de Constitution, comme c’était aussi le cas dans l’article 7 de la Constitution de 1946 modifiée en 1954.
34Pour plus de détails, voir A. Heymann-Doat, Les libertés publiques et la guerre d’Algérie, LGDJ 1972.
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35F. Saint-Bonnet, « État d’urgence : un statut constitutionnel donné à l’arbitraire », article précité. Voir déjà L. Fontaine, article précité, p. 54 ; M. Rouzeau, « Crise extérieure et sécurité intérieure », Pouvoirs n° 58, 1991, p. 53.
36Dans ce sens F. Saint-Bonnet, « État d’urgence : un statut constitutionnel donné à l’arbitraire », article précité. En effet, la loi de 1955 a évolué en fonction des problèmes à traiter et encore très récemment avec la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions.
37Dans ce sens A. Heymann-Doat, Audition du 11 janvier 2016.
38Pour quelques pistes, voir CNCDH 18 février 2016, Avis sur le suivi de l’état d’urgence, en ligne sur www.cncdh.fr
39Dans ce sens M.-L. Basilien-Gainche, op. cit., p. 238 ; P. Caille, « L’état d’urgence. La loi du 3 avril 1955 entre maturation et dénaturation », RDP 2007, pp. 347-349 ; F. Rolin, « L’état d’urgence », in : B. Mathieu (dir.), 1958-2008. Cinquantième anniversaire de la Constitution française, Dalloz 2008, pp. 618-619 ; D. Rousseau, « Un projet recevable mais qui doit être réécrit », Le Monde du 22 décembre 2015 ; J.-P. Derosier, « L’état d’urgence : un régime exceptionnel et provisoire », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 47, 23 novembre 2015, act., p. 957 ; J.-P. Derosier, « Un régime d’exception qui renforce l’Etat de droit et la démocratie », Le Monde du 2 février 2016 ; S. Slama, Audition du 14 janvier 2015. Voir déjà R. Drago, « L’état d’urgence (lois des 3 avril et 7 août 1955) et les libertés publiques », RDP 1956, p. 704, qui proposait d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, afin que cela fasse disparaître l’état de siège politique.
40Dans ce sens M.-L. Basilien-Gainche, op. cit., p. 240 ; A.-M. Le Pourhiet, Audition du 11 janvier 2016 ; O. Beaud, Audition du 14 janvier 2016.
41O. Beaud, « État d’urgence : un statut constitutionnel donné à l’arbitraire », JCP, éd. gén. n° 4, 25 Janvier 2016, p. 71.
42I. Boucobza et C. Girard, article précité.
43Voir Cons. const. 19 janvier 2006, n° 2005-532 DC.
Le Conseil constitutionnel a clairement jugé que les mesures de police administrative n’ont pas à être autorisées par l’autorité judiciaire (Cons. const. 29 novembre 2013, Société Wesgate Charles Ltd, n° 2013-357 QPC, à propos de la visite des navires par les agents des douanes).
44O. Beaud, « État d’urgence : un statut constitutionnel donné à l’arbitraire », article précité.
45« La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée, qui ne peut excéder quatre mois. Cette prorogation peut être renouvelée dans les mêmes conditions ».
46Dans ce sens A. Heymann-Doat, Audition du 11 janvier 2016 ; O. Beaud, Audition du 14 janvier 2016 ; D. Salas, Audition du 26 janvier 2016.
47Voir Sénat, Projet de loi n° 356 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
48N. Questiaux, op. cit., p. 16.
49Dans ce sens A.-M. Le Pourhiet, Audition du 11 janvier 2016.
50Dans ce sens, voir le rapport collectif L’urgence d’en sortir, p. 56.
51Article 36-1 alinéa 3 : « Pendant toute la durée de l’état d’urgence, le Parlement se réunit de plein droit et l’Assemblée nationale ne peut être dissoute »
52Pour garantir notamment l’adéquation entre les circonstances qui sont à l’origine de l’état d’urgence et les moyens mis en œuvre.
53A cet égard, l’on notera que la Cour européenne des droits de l’homme exerce un contrôle de proportionnalité sur le fondement de l’article 15 de la CESDH. Rappelant que les Etats ne jouissent pas d‘un pouvoir illimité, la Cour de Strasbourg énonce qu’elle « a compétence pour décider, notamment, s’ils ont excédé la stricte mesure des exigences de la crise. La marge nationale d’appréciation s’accompagne donc d’un contrôle européen. Quand elle exerce celui-ci, la Cour doit en même temps attacher le poids qui convient à des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchés, la durée de l’état d’urgence et les circonstances qui l’ont créé » (Cour EDH 26 mai 1993, Brannigan et Mc Bride c. Royaume-Uni, req. n° 14553/89 et 14554/89, § 43).
54Cour EDH 26 mai 1993, affaire précitée Brannigan et Mc Bride c. Royaume-Uni, § 54, qui énonce que l’article 15-3 « commande un réexamen constant de la nécessité de mesures d’exception ».
55Voir également l’article 27-1 de la Convention américaine des droits de l’homme.
56Article 36-1 alinéa 4 : « Les règlements des assemblées prévoient les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre de l’état d’urgence ».
57L’article 91 de la Loi fondamentale allemande précise que les restrictions dans le cadre de l’état d’urgence ne peuvent porter que sur les droits garantis aux articles 10 et 11, à savoir : le secret des correspondances et des communications et la liberté de circulation et d’établissement.
Quant à l’article 116 de la Constitution espagnole, il prévoit que les droits fondamentaux pouvant être restreints ne peuvent être que ceux prévus à l’article 55-1, à savoir : le droit à la liberté et à la sûreté, l’inviolabilité du domicile, le secret des communications, la liberté de circulation et de résidence, la liberté d’expression et d’information, le droit de réunion et le droit de grève.

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58C’est la technique utilisée dans les constitutions bulgare, hongroise, slovène, russe, polonaise, croate, estonienne et macédonienne (pour une présentation détaillée voir L. Fontaine, article précité, pp. 54-55).
A titre d’exemple, article 233 de la Constitution polonaise : « La loi définissant l’étendue de la restriction des libertés et des droits de l’homme et du citoyen pendant l’état de siège et l’état d’urgence ne peut limiter les libertés et les droits prévus à l’article 30 (dignité de l’homme), aux articles 34 et 36 (nationalité), à l’article 38 (protection de la vie), aux articles 39, 40 et au quatrième alinéa de l’article 41 (traitement humanitaire), à l’article 42 (engagement de la responsabilité pénale), à l’article 45 (accès à la justice), à l’article 47 (biens personnels), à l’article 53 (conscience et religion), à l’article 63 (droit de pétition) et aux articles 48 et 72 (famille et enfant).
Il est interdit de limiter les libertés et les droits de l’homme et du citoyen uniquement en raison de sa race, de son sexe, de sa langue, de sa religion ou de son incroyance, de son origine sociale, de ses ancêtres et de sa fortune.
La loi définissant l’étendue de la restriction des libertés et des droits de l’homme et du citoyen pendant l’état de calamité peut limiter les libertés et les droits prévus à l’article 22 (liberté économique), aux premier, troisième et cinquième alinéas de l’article 41 (libertés personnelles), à l’article 50 (inviolabilité du domicile), au premier alinéa de l’article 52 (liberté de circuler et de séjourner sur le territoire de la République de Pologne), au troisième alinéa de l’article 59 (droit à la grève), à l’article 64 (droit de la propriété), au premier alinéa de l’article 65 (liberté de travailler), au premier alinéa de l’article 66 (droit à la sécurité et à l’hygiène sur le lieu de travail) et au deuxième alinéa de l’article 66 (droit au repos) ».
59En droit international et européen, les droits intangibles sont le droit à la vie (article 6 PIDCP, article 2 CESDH, article 4 CADH), l’interdiction de la torture (article 7 PIDCP, article 3 CESDH, article 5 CADH), l’interdiction de l’esclavage (article 8 PIDCP, article 4 CESDH, article 6 CADH), l’interdiction de mesures pénales rétroactives (article 15 PIDCP, article 7 CESDH, article 9 CADH), le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique (article 16 PIDCP, article 18 CADH), et la liberté de conscience et de religion (article 18 PIDCP, article 12 CADH). Il conviendrait également, ainsi que cela ressort d’une Observation générale du Comité des Droits de l’Homme Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 29 (2001) et des recommandations de la Commission de Venise (Commission européenne pour la démocratie par le droit, op. cit., p. 26.), d’ajouter à cette liste les droits procéduraux (droit d’accès à la justice, droit à un recours effectif, présomption d’innocence, droits de la défense, droit de se taire, etc.).
60N. Questiaux, op. cit., p. 15.
61Commission européenne pour la démocratie par le droit, Les pouvoirs d’exception, CoE, coll. Science et technique de la démocratie 1995, pp. 25-26.
62Dans ce sens Commission européenne pour la démocratie par le droit, op. cit. p. 25 (« Les situations d’urgence capables de donner lieu à la proclamation de telle ou telle forme d’état d’exception doivent être clairement définies et délimitées par la Constitution. En d’autres termes, il faut que soit spécifiée clairement l’existence d’un danger réel et imminent »).
Notons que la Cour de Strasbourg, interprétant l’article 15 de la CESDH, précise que les mots « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la Nation » désignent « une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’Etat » (Cour EDH 1er juillet 1961, Lawless c. Irlande, req. n° 332/57, § 28).
63Dans ce sens Assemblée nationale, Rapport précité n° 3451, p. 19.
64Comme cela est prévu au dernier alinéa de l’article 16 de la Constitution de 1958 qui dispose : « Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée ».
65Dans ce sens Commission européenne pour la démocratie par le droit, op. cit., p. 26 ; Défenseur des droits, 25 janvier 2016, Avis n° 16-03, p. 12.
66Dans ce sens O. Beaud, Audition du 14 janvier 2016 ; S. Slama, Audition du 14 janvier 2016.
67Voir déjà CNCDH 6 janvier 2011, Avis sur les modifications apportées par l’Assemblée nationale au projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité, en ligne sur : www.cncdh.fr, § 15.
68Dans ce sens A.-M. Le Pourhiet, Audition du 11 janvier 2016 ; O. Beaud, « Ce projet de réforme constitutionnelle est inutile et inepte », Le Monde du 2 février 2016.
69Conseil d’Etat (Assemblée générale / Section de l’intérieur) 11 décembre 2015, Avis précité, § 5.
70En cette matière, l’on doit toutefois relever le contrôle que la Cour de justice de l’Union européenne est susceptible d’exercer lorsqu’un citoyen de l’Union devient apatride à la suite d’un retrait de sa nationalité par un Etat de l’Union car il perd ainsi le statut de citoyen de l’Union conféré par l’article 20 TFUE, qui a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (CJUE 2 mars 2010, Janko Rottman c.Freistaat Bayern, C-135/08).
71Plus précisément, l’extension du champ d’application personnel de la déchéance de nationalité vise les personnes binationales ou plurinationales nées françaises par filiation (articles 18 et 20 du code civil), celles nées françaises d’un parent lui-même né en France (« double droit du sol » prévu par l’article 19-3 du code

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civil), ainsi que celles nées en France de parents apatrides ou de parents étrangers qui ne leur transmettent pas leur nationalité en raison de lois étrangères s’opposant à cette transmission (article 19-1 du code civil). 72Dans ce sens Cons. const. 16 juillet 1996, n° 96-377 DC qui énonce qu’au « regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ». Toutefois, aux termes de cette même décision, « le législateur a pu, compte tenu de l’objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l’autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l’ont acquise, sans différence de traitement qui en résulte viole le principe d’égalité » (cons. 23).
Confirmation Cons. const. 23 janvier 2015, n° 2014-439 QPC.
73Voir C. Teitgen-Colly et F. Julien-Laferrière, « Actes de terrorisme et droit des étrangers » AJDA 1996, p. 86, pour une critique de cette distinction introduite en 1996 par la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme (…) et à laquelle le Conseil constitutionnel avait souscrit en 1996(décision précitée du 16 juillet 1996), distinction qu’il confirme en 2015 (décision précitée du 23 janvier 2015), mais en mettant toutefois l’accent sur les limites posées par la loi à la déchéance de nationalité des Français par acquisition.
74Voir F. Jault-Seseke, S. Corneloup et S. Barbou des Places, Droit de la nationalité et des étrangers, PUF 2015, n° 220, pp. 187-188.
75Voir notamment D. Bénichou, F. Khosrokhavar et P. Migaux, Le jihadisme. Le comprendre pour mieux le combattre, Plon 2015.
76L’extension concerne l’attribution de la nationalité par déclaration, en cas de mariage avec un Français (article 21-2 du code civil) ou d’adoption simple (article 21-12 du code civil) ; par le jeu de l’effet collectif dont bénéficient les enfants mineurs d’un étranger qui acquiert la nationalité française (article 22-1 du code civil) ; par décision de l’autorité publique (article 21-15 du code civil) ; par application du droit du sol simple pour les enfants nés en France de parents étrangers (article 21-7 du code civil).
77Conseil d’Etat (Assemblée générale / Section de l’intérieur) 11 décembre 2015, Avis précité, § 5.
78CE 23 novembre 1984, Roujansky, n° 60106, 60136, 60145, 60191, 60223, 60257, 60353, 60385, 60395, 60398, 60401, 60437, 61273, 61971.
Pour une partie de la doctrine, les principes qu’elle pose relèvent du jus cogens (droit impératif), E. Decaux, « Le droit à une nationalité en tant que droit de l’homme », rtdh.eu 2011/86, p. 260.
79Voir sur cette question E. Decaux, article précité, p. 237.
80Cette Convention a été signée par la France le 31 mai 1962. Elle n’a cependant pas été ratifiée jusqu’à ce jour.
81Cette Convention a été signée par la France le 4 juillet 2000. Elle n’a cependant pas été ratifiée jusqu’à ce jour.
82En effet, l’article 8 de la Convention de 1961 et l’article 7 de la Convention de 1997, prévoient, à titre exceptionnel, des cas de perte de nationalité.
83A propos de ce délai, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il « ne saurait être allongé sans porter une atteinte disproportionnée à l’égalité entre les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance » (Cons. const. 23 janvier 2015, décision précitée).
84Voir Assemblée nationale, Rapport n° 3451, op. cit., p. 20 : «Il reviendra au législateur ordinaire de préciser si la déchéance de la nationalité doit être prononcée par le pouvoir exécutif ou par un juge. Cette seconde solution a la préférence de votre rapporteur, dans la mesure où elle permettrait une meilleure individualisation de la sanction ».
85Article 410-1 du code pénal : « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».
86Conseil d’Etat (Assemblée générale / Section de l’intérieur) 11 décembre 2015, Avis précité, § 8.
87Voir CJUE 2 mars 2010, Janko Rottman c.Freistaat Bayern, C-135/08.
88Dans ce sens, voir déjà CNCDH 6 janvier 2011, Avis précité sur les modifications apportées par l’Assemblée nationale au projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité, § 15.
89Conseil d’Etat (Assemblée générale / Section de l’intérieur) 11 décembre 2015, Avis précité, § 7.
90Voir A. Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Grasset 2008. 91Pour plus de détails, voir R. Parizot, « Contre l’indignité nationale », Rec. Dalloz 2015, p. 876.
92Cour EDH (Gde Chbre) 28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 3701/06.
93Cour EDH 3 décembre 2009, Daoudi c. France, req. n° 19576/08 et mutatis mutandis Cour EDH 6 septembre 2001, Beghal c. France, req. n° 27778/09. Pour autant, l’on ne saurait conclure que la France respecte toujours les garanties de l’article 3 de la CESDH. La CNCDH a en effet été informée de renvois récents vers l’Algérie et le Maroc.
94F. Worms, Audition du 3 février 2016.
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