Adogmatisme et Laïcité
A l’ouverture de chaque tenue, notre V :. M :. rappelle l’Article Premier de notre Constitution qui avec les six autres articles borne les contours de notre réflexion spirituelle c’est-à-dire de notre chemin initiatique. Chaque mot de ce texte, succinct et dense, mérite, voire impose, un approfondissement. Souvenons-nous du mythe de « la Tour de Babel » où la construction s’arrête lorsque les bâtisseurs ne parlent plus le même langage. La construction de notre Temple passe aussi par l’utilisation d’un langage commun, c’est-à-dire, par une compréhension commune du vocabulaire que nous utilisons.
Dans cet esprit, j’ai retenu deux termes issus de cet Article Premier : « Dogmatique » et « Laïcité ». Je cite :
« Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de ses membres, elle (la F M) se refuse à toute affirmation dogmatique.
Elle attache une importance fondamentale à la Laïcité. ».
Je ne pense pas que grand monde ici serait contre la Laïcité ou contre l’adogmatisme de notre Obédience mais je pressens que si nous abordions des sujets tels que « une république peut-elle être non laïque ? », « une dictature peut-elle être laïque ? », « quelle place pour des dogmes dans une Société ? » les débats seraient nourris et sans doute confus car, me semble-t-il, nous n’attacherions pas aux mots les mêmes contenus, les mêmes attentes voire les mêmes espérances.
Ces deux mots représentent deux valeurs, deux piliers de notre engagement. Par analogie avec le cycle de la plante, je me suis interrogé : une Valeur est-ce la Semence ou est-ce la Fleur ? J’ai opté pour la semence qu’il faut soigner, nourrir afin de faire éclore la beauté de la fleur. C’est donc à ce soin que je vous convie.
« la F M se refuse à toute affirmation dogmatique » :
Rappelons-nous en premier lieu que cette phrase est là, parce que le Convent de 1877 a décidé d’en supprimer une autre de 1849 : « La Franc-maçonnerie ……. a pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme ». Il s’est bien agit de rejeter les dogmes religieux. Ce convent rajoutera « respect absolu » à « Liberté de Conscience » afin de bien marquer qu’elle ne se résumait pas au choix d’une croyance mais qu’elle s’ouvrait à l’athéisme et à l’agnosticisme. Par la suite, le GODF contrairement à d’autres Obédiences, retira de ses publications la référence « à la gloire du Grand Architecte de l’Univers » qui était associée à la glorification de Dieu.
L’adjonction du mot adogmatique n’est pas anecdotique puisqu’elle a entrainé notre non reconnaissance par les Obédiences dites « anglo-saxonnes ». Pour elles il y a obligation de croire en Dieu (le GAD’LU), de prêter serment sur le « Volume de la Loi sacrée » (la Bible) et de refuser toute présence féminine dans les tenues. Remarquons que si « adogmatique » a été un gros mot, nous avons, sans doute, atteint le « péché capital » avec l’initiation de sœurs.
C’est dans ce contexte que notre Obédience se qualifie d’adogmatique. Mais soyons clair cela ne veut pas dire que chaque Maçon doit individuellement être adogmatique. Le Maçon peut accepter un dogme religieux en vertu de sa liberté absolue de conscience, mais à une condition, ne pas cloîtrer sa réflexion dans ce dogme car cela signifierait qu’il a trouvé la Vérité et qu’il n’a plus à la rechercher.
Aujourd’hui la nature des « dogmes » s’est diversifiée, ils peuvent certes être religieux mais aussi philosophiques, économiques, politiques voire communautaires. Je choisirai une définition du dictionnaire Larousse qui caractérise ce mot : « opinion donnée comme certaine, intangible et imposée comme vérité indiscutable ». En d’autres termes, je dirai que pour répondre à une question aux réponses multiples, le dogme érige l’une d’entre elles en Vérité et confond parfois croyance et savoir.
Dans notre monde dit de « l’information », nombreux sont les « petits dogmes » qui sous-tendent les idées convenues, les affirmations péremptoires, la bien-pensance, le moralisme. Ils ont à leur service les prêcheurs modernes que sont certains « spécialistes de domaine », « présentateurs » ou « internautes »…..
Ils me font souvent penser à la Pythie de Delphes qui rendait ses Oracles venus d’on ne sais où et que les prêtres devaient décrypter puis annoncer au peuple.
Le refus des affirmations dogmatiques par notre Obédience doit rester exigeant, clair et lisible.
« la F M attache une importance fondamentale à la Laïcité » :
Pour notre Obédience la défense de la Laïcité c’est avant tout le moyen de libérer notre société des contraintes dogmatiques et d’assurer un vivre ensemble harmonieux. Mais pour que notre engagement soit efficace il est important que nous partagions clairement le contenu de l’idée et celui de sa finalité.
Sans vouloir déclencher un débat juridique, je ferai trois remarques sur l’usage du mot Laïcité :
– Nos dictionnaires lui consacrent des associations parfois curieuses, par exemple nous pouvons trouver comme synonymes : l’agnosticisme, le matérialisme et comme antonyme : le mysticisme.
– Les textes fondateurs de notre République que sont « la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 » et « La Loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 » ne mentionnent ni le mot Laïque ni le mot Laïcité, seule la « Constitution de 1958 » déclare que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. ».
Ces textes donneront à la Laïcité sur le plan juridique un socle implicite mais ils feront d’elle, pendant plus d’un siècle, une sorte de passager clandestin de notre législation.
– De nombreux débats d’actualité ont fait appel au principe de Laïcité ce qui a conduit le Conseil Constitutionnel à publier une décision le 22 février 2013 qui énonce : « Le principe de laïcité est garanti par la Constitution; qu’il en résulte la neutralité de l’Etat; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte; le respect de toutes les croyances; que la République garantit le libre exercice des cultes et implique que celle-ci ne salarie aucun culte ». Ainsi les articles 1 et 2 de la loi de 1905 obtiennent une valeur constitutionnelle et le principe de Laïcité est explicité. Désormais cette décision ne pourra être modifiée que si la Constitution de la République l’était auparavant.
Ce corpus, auquel se rajoutent des lois d’application et des jurisprudences, fait clairement de la Laïcité un principe que les textes de loi et les actes des pouvoirs publics doivent respecter. Elle représente en quelque sorte l’adogmatisme de l’Etat qui se trouve libéré des injonctions dogmatiques.
Mais ne considérons pas l’œuvre achevée. Comme pour tout principe actif les tentations de le contourner ou de le modifier sont nombreuses. Si nous n’avons pas un droit de propriété sur la Laïcité nous avons un devoir de veiller attentivement sur les interrogations qui la concernent et les décisions envisagées. Je vous propose d’en examiner quelques unes.
Le principe de Laïcité est-il respecté sur tout notre territoire ?
La réponse est non. Des entorses liées aux méandres de notre histoire perdurent : le régime concordataire en Alsace-Moselle, l’aide aux cultes à Wallis et Futuna, en Guyane ou à Mayotte. Rien ne justifierait notre silence ou notre compréhension sur ces sujets mais nous devons aussi avoir présent à l’esprit que ce principe de Laïcité a permis depuis plus d’un siècle de « séculariser » pas à pas le fonctionnement de notre Etat : les lieux de soin, les tribunaux, l’école publique, l’état civil, la prison, l’armée mais aussi, la science, la recherche, le savoir, etc.…. N’oublions pas le chemin parcouru et ceux qui l’ont inspiré !
Aujourd’hui la Laïcité est une règle constitutionnelle que la Justice doit faire respecter. Les petits mots pleins d’arrière-pensées comme Laïcité apaisée, positive, fermée, nouvelle, ouverte, …. ne seront recevables que s’ils s’inscrivent dans une modification constitutionnelle. Avis aux amateurs !
Le principe de Laïcité a-t-il des limites ?
Depuis son origine, ce débat est latent entre ceux qui comme Victor Hugo combattaient le « parti clérical » au nom de « l’Eglise chez elle, l’Etat chez lui » et ceux qui comme Jean Jaurès considéraient que Laïcité et Démocratie étaient quasiment des synonymes.
Pour moi, la Laïcité est un principe qui libère les enjeux de société mais qui en aucun cas les labellise ou leur donne une légitimité. Le divorce, la contraception, l’avortement, le mariage homosexuel, l’euthanasie ne sont ni laïques ni pas laïques. La République était laïque avant la reconnaissance de l’avortement, elle l’est restée après. Par contre, le principe de Laïcité interviendra si des affirmations dogmatiques veulent interdire un choix. Tout groupe y compris les églises a le droit d’exprimer ses opinions mais en aucun cas de les imposer au nom de ses dogmes. Le risque existe, ainsi à titre d’exemple je signale le jugement du 1er avril 2008 du TGI de Lille qui déclare nul un mariage sous prétexte que « la virginité était une qualité essentielle déterminante du consentement du mari au mariage projeté ». La pression communautaire et la confusion des idées auront prévalu sur le Code Civil qui n’a jamais associé la non virginité à l’annulation du mariage. Heureusement la Cour d’Appel de Douai a infirmé ce jugement le 17 novembre suivant. Nous avons échappé à une jurisprudence bien curieuse.
La Laïcité aura-t-elle un avenir dans le cadre de l’Union Européenne ?
De par leur Histoire et leur Droit, les Etats européens ont une approche très contrastée des relations entre « le Ciel et la Terre ». Pour cette raison les traités de Lisbonne réaffirment l’incompétence de l’Union Européenne sur cette question. Le principe de subsidiarité renvoie vers les Etats cette responsabilité. Seul le traité de Nice en 2000 spécifie : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction ». Cette base est positive, mais ne soyons pas naïfs, les pressions actuelles orientent les évolutions davantage vers la protection de la liberté religieuse que vers la séparation laïque. Toutefois, le contexte évolue, la sécularisation des Etats Européens progresse avec des abandons du statut de Religion d’Etat, des contestations des signes religieux dans les lieux publics, des « émancipations » du dictat des Eglises, la gestion du pluralisme religieux, la progression de la non-croyance……..
La décision de notre dernier Convent de Reims de se doter d’une antenne « bruxelloise » est une première étape pour intervenir sur les orientations futures de l’Europe. Le combat laïque n’est ni terminé ni d’un autre temps.
La Laïcité devrait-elle s’adapter aux dogmes de l’Islam ?
Evidemment non ! Mais il convient d’être lisible et de bien séparer ce qui concerne le principe de Laïcité et ce qui relève du mode de vie. Prenons l’exemple des cantines dans les écoles publiques, le choix entre plusieurs menus pour les enfants ne concerne pas la Laïcité, par contre l’introduction de la viande Hallal ou Kacher serait une injonction religieuse dans la sphère publique tout comme le sont le voile à l’école, le port de signes religieux par les fonctionnaires, les soins dans les hôpitaux, la séparation homme-femme dans les piscines publiques……. De plus la Loi peut pour des raisons autres que la Laïcité limiter ou interdire certaines pratiques : le port du niqqab, la répudiation, le mariage imposé à des mineures etc.……
L’absence d’interlocuteur hiérarchique dans le « clergé » musulman rend encore plus forte la parole de tout Imam. Je pense qu’il faudrait, puisqu’ils se veulent des guides spirituels, qu’ils s’engagent sans ambigüité sur la prédominance de la Loi Républicaine et par conséquent sur la liberté absolue de conscience, sur légalité homme-femme et sur l’utilisation de la langue française.
Pour ce qui est des lieux de culte, sans doute faut-il trouver une voie qui éloigne les financements étrangers et assure des conditions convenables pour la pratique de ce culte. Les aides indirectes comme les baux emphytéotiques ou les subventions à des associations supposées culturelles sont à manier avec beaucoup de précaution.
Au-delà du Droit comment entretenir l’idéal Laïque ?
Le principe de Laïcité, que nous avons analysé jusque là, concerne essentiellement le fonctionnement de nos institutions Républicaines. Il serait vite contesté s’il ne correspondait pas à une pratique de la vie citoyenne.
En premier lieu le militant laïque subit un dédoublement de la personnalité que Voltaire a parfaitement résumé dans sa célèbre maxime : « Je hais vos idées mais je me battrais jusqu’au bout pour que vous puissiez les exprimer ». En d’autre terme le Laïque doit respecter la libre expression des idées y compris les affirmations dogmatiques et en même temps au nom de sa propre liberté de conscience défendre ses propres valeurs humanistes. Ce bon « tricotage » de la compréhension de l’autre et de l’affirmation de soi donnera une perception dynamique et non contraignante de la Laïcité dans tous les domaines de la vie sociale quelle soit professionnelle, associative, relationnelle ou autre.
Méfions-nous aussi des identifications réductrices que nous entendons parfois : la Laïcité c’est la liberté religieuse, c’est la tolérance ou c’est le pluralisme. Certes ces valeurs sont comprises dans l’idéal laïque mais elles ne sont que partielles si elles occultent la séparation du temporel et du spirituel ainsi que l’égalité du traitement des convictions religieuses ou non religieuses.
Nombreux sont les croyants ou les non croyants qui adhérent à cet idéal laïque et défendent son principe. Ce rassemblement n’est possible que parce que la Laïcité ne dépend, de façon exclusive, d’aucun courant philosophique, programme politique ou doctrine. Elle est un bien commun auquel le Maçon doit apporter son savoir faire pour rassembler ce qui est épars.
En préparant cette planche j’ai pris conscience que du chemin restait à parcourir. Mais avant que notre V :. M :. ne remette l’ouvrage sur le métier en faisant circuler la parole, je souhaiterais vous rappeler un conseil de Saint-Exupéry (la Citadelle) : « L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre ». Dans l’échange qui va suivre ayons présent à l’esprit que la Laïcité n’a pas pour vocation de prévoir la société de demain mais de lui permettre de se développer harmonieusement dans la paix civile et l’ouverture à la différence.
V :. M :. j’ai dit.
Julien ANDRES
Le Phénix à l’O :. de Toulouse
26 novembre 2015
Conseils de lecture :
– La Laïcité Michel Miaille éditions Dalloz (juin 2015)
– Régularité et Reconnaissance Roger Dachez édition Conform (mai 2015)
– Le sens de la République Patrick Weil éditions Grasset (juin 2015)