Tribune de Daniel KELLER, publiée sur le site de MEDIAPART le 16 septembre 2015
Calais : la jungle non, la misère oui !
16 SEPTEMBRE 2015 | PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART
Qui est allé à Calais ?
Non pour ses bourgeois, mais pour ce que l’on nomme avec condescendance la jungle. Et pourtant il n’y a pas de jungle à Calais, on n’y voit ni lions ni serpents. Pas non plus de forêt tropicale, d’ailleurs il n’y a pas d’arbres… On les abat pour que nul ne cherche à se cacher derrière…
En revanche à Calais, on rencontre à chaque pas la misère humaine à l’état nu, des milliers de gens, jeunes pour la plupart, vivant dans le dénuement le plus total. Ils sont les victimes de pays à feu et à sang. Ils ont fait des milliers de kilomètres essentiellement depuis la Syrie, l’Afghanistan, le Pakistan le Soudan et l’Érythrée.
Pour la plupart, ils veulent aller en Grande-Bretagne, ce soi-disant nouvel eldorado vendu par des passeurs avides d’argent. Certains espèrent aussi y retrouver parfois un parent. Beaucoup sont là depuis plusieurs mois, car gagner l’Angleterre est devenu de plus en plus difficile. Il y a ceux qui essaient de traverser le tunnel à pied au risque d’être broyés par les TGV qui passent. D’autres préfèrent sauter avec femmes et enfants depuis un pont sur la bâche de la remorque d’un camion lorsque le trafic ralentit le flux des passages. D’autres encore s’en remettent à des passeurs qui leur proposent le coffre d’une voiture qui aux heures de grand trafic ne sera pas systématiquement fouillé.
En attendant, ils sont plus de trois mille à s’entasser dans des bidonvilles appelés pudiquement « la lande ». On découvre là, une église, une école, un bordel, des échoppes. On y trouve aussi un dispensaire de médecins du monde qui ne suffira pas à endiguer le péril sanitaire qui s’annonce et dont la gale, la tuberculose, les avortements réalisés sans garantie médicale, les blessures subies par ceux qui s’accrochent aux grillages anti intrusion, sont les premières manifestations.
Au milieu de cette immense détresse, les associations font ce qu’elles peuvent avec l’appui de bénévoles, qui se raréfient au fil du temps, pour fournir des repas, une douche, des sanitaires, une prise électrique pour recharger les téléphones, des dortoirs pour une centaine de femmes et enfants. Les pouvoirs publics nationaux et locaux mettent à disposition des terrains, des bennes à ordure, au nom du principe d’humanité, mais la flagrante insuffisance de ces mesures fait injure au principe de réalité.
Ils étaient mille cinq cents il y a un an ils sont aujourd’hui plus de trois mille, combien seront ils dans un an ?
Il est temps que notre pays s’organise pour prendre la mesure de la catastrophe humanitaire dont Calais est devenu le symbole. Il est temps que notre pays offre des conditions d’hygiène décentes à ces nouveaux damnés de la terre. Il est temps que nos politiques, quelle que soit leur appartenance, réagissent. L’ensemble des intervenants doit décupler ses efforts pour résorber cet enfer sans nom en attendant que des solutions politiques pérennes viennent tourner la page de ce cauchemar. À défaut, ce camp de réfugiés où chacun cherche à survivre humainement avec rien deviendra rapidement un nouveau cimetière.
Au nom de l’humanité tout entière, nous ne pouvons accepter cela.
Daniel Keller Grand Maitre du Grand Orient de France