Convent 6015 Reims: Discours de Damiel Keller

Convent 6015 – discours de présentation du Rapport d’Activité du Conseil de l’Ordre par le Grand Maître, Président du Conseil de l’Ordre, Daniel KELLER
Discours | Publié le 03/09/2015 | émis le 27/08/2015
 
Mes TT∴CC∴FF∴,
En introduction, je voudrais vous faire partager trois convictions simples qui sont les miennes depuis longtemps et qui se renforcent au fil des jours, à l’aune de la fonction que j’occupe. La première, c’est qu’il est essentiel que chaque F∴, que chaque S∴ se reconnaissent dans l’Obédience que nous formons toutes et tous.
Ce sentiment d’appartenance est effectivement important car nous devons être conscients que nous construisons ensemble une aventure collective.
L’Obédience, ce n’est ni un fardeau ni une danseuse, c’est notre bien commun. Nous en sommes collectivement responsables et nous devons la faire prospérer et progresser.
Je remercie le président du Convent d’avoir, en introduction de son propos, rappelé notre histoire, cette histoire dont nous sommes les héritiers et que nous avons l’obligation de prolonger et de porter vers les décennies à venir.
Quelques mots à cet égard sur le débat que nous venons d’avoir. Je suis les Convents du Grand Orient depuis La Rochelle. C’est la première fois que nous venons d’avoir un débat sur l’affectation des résultats. C’est un moment important parce que, pour reprendre une formule que j’ai entendue dans la R∴L∴ « Spartacus » que j’ai visitée au mois de juin dernier, à Paris, on est toujours plus fort par le choix. Je crois que c’est ce qui fait notre caractéristique et c’est comme cela que nous arrivons à avancer tous ensemble dans la diversité des sentiments, des opinions que nous pouvons avoir, mais avec cette capacité à nous rassembler collectivement.
La deuxième conviction que je voudrais vous faire partager, au fil des nombreuses visites de LL∴ que je fais tout au long de l’année, quels que soient les Orients, c’est que je suis conscient que l’unité de l’Obédience doit s’enraciner dans le travail des LL∴. C’est là que se situe la créativité du Grand Orient de France et sa spécificité.
J’ai pu écrire que nous ne sommes pas une Obédience pyramidale, et tant mieux, et c’est ce qui fait la force du G.O.D.F. Cette Obédience repose justement sur ces Ateliers qui, de manière incessante, comme je l’ai vu d’Alençon à Albertville, de Perpignan à Boulogne-sur-Mer, travaillent, organisent des conférences publiques, organisent des T.B.O., des T.B.F., font un travail d’extériorisation essentiel pour implanter plus que jamais la Franc- Maçonnerie sur notre territoire. Mais bien entendu, je serais incomplet si j’oubliais aussi le fantastique travail que font nos FF∴ de Nouvelle-Calédonie ou de l’île Maurice que j’ai pu visiter pour ne citer que ces quelques exemples.
La troisième conviction que je voudrais vous faire partager – mais j’ai le sentiment en ce début de Convent que c’est plutôt bien parti – c’est que l’engagement maçonnique n’est ni une punition ni un divertissement. Il n’y a pas de place pour les fausses querelles.
Nous devons là aussi avoir conscience de la responsabilité qui est la nôtre. Je parlais en introduction devant M. le Maire de la logique de l’engagement et j’y reviendrai.
Ce Convent ressemble à tous les autres, comme le Président de notre Convent nous l’a rappelé, mais ce Convent intervient dans un contexte qui n’a nulle comparaison possible à l’aune de la décennie que nous venons de traverser.
Les attentats du mois de janvier ont marqué plus qu’une césure, une vraie rupture dans la vision et la réalité de la société dans laquelle nous vivons. Ces attentats du mois de janvier constituent un véritable crime contre l’humanité. C’est l’humanité qui a été assassinée dans les rues de Paris au mois de janvier.
La résurgence de la barbarie, l’instrumentalisation des religions qui n’ont rien demandé, mais qui sont otages du terrorisme aveugle, les boucs émissaires que l’on pointe du doigt, que l’on désigne et que l’on massacre… On pourrait citer également l’incendie de la mosquée d’Auch en ce début de semaine qui vient faire déborder cette coupe qui était déjà trop pleine.
Mais il y a aussi un péril intérieur contre lequel nous avons souhaité nous mobiliser qui est la montée des extrémismes. Ce qui en fait le caractère inadmissible, c’est sa banalisation. Oui, mes FF∴ et mes SS∴, je crains une « front nationalisation » de la société française. On l’a souvent dit, on l’a souvent craint, mais nous devons avoir conscience que désormais, pour dire les choses simplement, nous avons les pieds dedans et il va être essentiel pour nous de nous mobiliser avant que nous ne soyons définitivement englués.
Le sentiment prévaut que la déraison peut à nouveau l’emporter sur le dialogue raisonnable, ce dialogue raisonnable que de grands Francs-Maçons politiques et philosophes comme Pierre Mendès-France ont su magnifiquement illustrer et dans leurs actions et dans leurs écrits. Le sentiment que les sociétés peuvent à nouveau se déchirer à l’infini, que nous sommes confrontés à un monde qui est désormais un monde en miettes, sans cohérence pour les peuples pris dans la tourmente et qui s’inquiètent de plus en plus.
Bien entendu, nous devons dans ce contexte former une obédience consciente de ses devoirs. Nous devons faire vivre l’esprit qui est le nôtre, cet esprit des Lumières dans des temps qui s’assombrissent. Nous ne sommes pas les descendants de Ramsay pour rien, nous ne sommes pas les descendants de cette magnifique image de la République universelle, de l’esprit cosmopolitique qui l’animait, qui semble toujours plus s’éloigner sans raison. Ce ne sont pas des chimères, ce sont des rêves,  que nous devons porter haut et que nous devons défendre fort.
A nous de montrer que l’utopie, qui est au cœur de la Franc-Maçonnerie, est une utopie féconde, que la Franc-Maçonnerie peut en dessiner les contours, alors même que les temps s’assombrissent et que les menaces se font de plus en plus pressantes.
Il est donc nécessaire de ne pas nous mettre en retrait et de suivre la pente du reflux, mais au contraire d’être une Obédience à l’offensive, parce que ce n’est pas en dehors du monde que nous œuvrerons à l’amélioration de la société, mais c’est en nous confrontant aux difficultés qu’elle connaît aujourd’hui.
La logique d’engagement que le Conseil de l’Ordre, en écho au travail des LL∴, a souhaité mettre en œuvre, s’est déclinée selon plusieurs axes que je voudrais rapidement résumer pour vous donner un peu la synthèse de l’esprit dans lequel nous avons entendu agir tout au long de cette année.
Il y a un engagement que l’on évoque souvent à la fin du propos, c’est l’engagement international. L’international n’est pas la roue de secours de la Franc-Maçonnerie, l’international est au cœur de nos préoccupations parce que les fractures que nous identifions à travers le monde nous viennent de loin, nous viennent d’autres espaces politiques et de civilisations que nous ne pouvons pas balayer d’un revers de main et face auxquels on ne peut pas fermer les yeux. Cet engagement international doit nous conduire toujours à être conscients de la nécessité qui est la nôtre de construire des passerelles, de rapprocher les civilisations quand d’autres veulent les faire s’affronter.
La Franc-Maçonnerie a cette capacité infinie à rapprocher les hommes et les femmes et c’est vrai que, loin de nos terres de France, on mesure évidemment que ce rôle est un rôle encore plus utile.
Quelques exemples qui ont émaillé cette année maçonnique. Je pense notamment à la participation qui a pu être la mienne aux journées inter obédientielles Asie-Pacifique à Nouméa où nos FF∴, patiemment, mais avec anxiété, travaillent à cette œuvre de vérité et de réconciliation indispensable pour l’avenir de l’île sur laquelle ils vivent et dans laquelle ils se sentent fragilisés. La Franc-Maçonnerie, par sa capacité à rassembler là aussi des hommes et des femmes de tous horizons, peut être capable de conduire la Nouvelle-Calédonie sur le chemin de la paix et de la concorde, alors même que les nuages ont tendance à s’amonceler.
J’ai eu l’occasion aussi de signer un traité d’amitié avec la Grande Loge Féminine de Turquie à l’occasion d’un déplacement à Istanbul. Il est intéressant de rencontrer des Francs-Maçonnes qui sont femmes, musulmanes et laïques. On nous explique parfois que c’est incompatible, mais on s’aperçoit que c’est possible, même si ces femmes œuvrent là aussi dans un contexte tendu, difficile et demandent le soutien du Grand Orient de France, demandent que le Grand Orient de France tende la main pour que nous puissions travailler ensemble à cette République universelle qui est d’abord fondée sur les règles d’une maçonnerie libérale et adogmatique qui a parfois encore du mal à s’implanter.
L’international, c’est aussi le premier salon du livre à Madrid auquel j’ai pu participer, où nos FF∴ Espagnols, qui sont d’ailleurs présents ce jour, doivent se battre comme une société certes démocratisée mais tenue par l’Opus Dei et dans laquelle il ne fait pas toujours bon être Franc-Maçon, une société dans laquelle un Gouvernement envisage de remettre en cause l’interruption volontaire de grossesse – mais comme ce n’est pas un droit fondamental européen tout le monde peut faire ce qu’il veut -, un pays dans lequel l’égalité entre les hommes et les femmes est une conquête sur laquelle il convient de se mobiliser.
Mais le G.O.D.F., c’est aussi des actions à travers lesquelles nous nous affirmons. Nous affirmons nos valeurs en essayant de travailler à l’implantation de notre maçonnerie. A l’occasion d’un déplacement auprès de nos LL∴ d’Israël, j’ai eu l’occasion aussi de rencontrer les autorités palestiniennes de Cisjordanie, d’évoquer la perspective d’implanter la Franc-Maçonnerie à Ramallah. Nous avons eu l’occasion d’expliquer qu’il n’était pas normal que la Franc-Maçonnerie soit dénoncée dans des fatwas le plus souvent aveugles et ignorantes, de faire connaître ce que nous sommes à des hommes qui sont prêts à nous écouter, même s’ils ne nous connaissent pas encore.
Dans le prolongement de ces actions, le G.O.D.F. a allumé les Feux d’une Loge à Tunis au mois de juin. Si nous ne prétendons pas changer la société tunisienne par un coup de baguette magique, nous épaulons les Francs-Maçons de Tunisie qui ont envie de se mobiliser, qui travaillent à l’abri d’un appartement, dans une discrétion qui parfois confine à la réclusion. C’est notre rôle d’être là auprès d’eux pour affirmer cette maçonnerie qui est la nôtre et c’est notre façon de contribuer au développement de nos idées, loin de nos terres purement françaises.
L’international, c’est aussi l’Europe et je me réjouis des interventions qu’il y a eues au cours du débat sur l’affectation du budget au recrutement d’un chargé de mission. Je mesure d’abord la confiance qui est faite au Conseil de l’Ordre, à raison même des interrogations que vous avez pu exprimer. Il est clair qu’aujourd’hui, comme j’ai eu l’occasion déjà de le dire, l’Europe est une Europe malade dans laquelle la finance a remplacé les canons, une Europe que l’on n’aurait jamais construite en 1945 si l’on avait adopté les raisonnements d’aujourd’hui. Comment se fait-il que tant de gens aussi intelligents et cultivés arrivent à nous plonger jour après jour dans ce qui ressemble de plus en plus à un précipice où finalement ce seront encore une fois les peuples qui seront les victimes ?
L’Europe communautaire est aussi une Europe qui tend inlassablement à se transformer en une Europe des communautés, dans laquelle les nations s’estompent, dans laquelle les États disparaissent plus ou moins, de façon d’ailleurs plus ou moins consentante.
C’est une Europe qui s’occupe plus de finances et de remboursement de dettes que de droits fondamentaux ou de laïcité, une Europe qui laisse chaque État faire comme il le souhaite, même si tout cela ne conduit qu’à séparer un peu plus les uns et les autres.
Mais une Europe aussi où les valeurs de la démocratie qui nous sont chères sont mises à mal, comme on le constate dans certains pays où des régimes un peu musclés tendent à prendre le pas. Pensons à la Hongrie par exemple.
C’est la raison pour laquelle nous devrons, sur ce sujet, être plus présents, nous impliquer davantage. Mais tout ce travail n’aura bien entendu de sens que si nos LL\savent alimenter une réflexion sur la base des matériaux que nous mettrons à leur disposition.
Quand je participe à une réunion à Bruxelles à l’invitation d’un vice-président de la Commission Européenne, en compagnie d’autres Obédiences et d’associations laïques, et que je constate que ce même vice-président, une semaine après, réunit les églises et les confessions pour avoir le même discours, de manière séparée, je m’inquiète de cette séparation des genres qui n’annonce rien de bon et qui me fait penser à une formule célèbre que certains affectionnent au-delà du raisonnable : « pour régner, il faut diviser ».
Au-delà de l’engagement international, le Conseil de l’Ordre a aussi souhaité raviver l’engagement citoyen. L’engagement citoyen est au cœur de nos principes, c’est un engagement qui repose sur un dialogue citoyen que nous avons instillé grâce à des conférences initialement centrées sur l’antimaçonnisme qui nous préoccupait l’an dernier. Je rappelle encore que le 1er septembre 2014 un Temple à Bernay a été incendié. Le cycle de conférences a rapidement débouché sur une véritable réflexion sur ce que devait être la République de demain. Il y a eu plus de 3 000 participants au total à ces conférences, dont 50 % de profanes qui avaient une seule envie : participer au débat public. Je crois que nous avons une vocation pédagogique, voire maïeutique à ressusciter un débat public moribond dans notre pays aujourd’hui, à fortiori quand ce débat est capturé par les ennemis de la République.
Les principes républicains, nous les avons mis au cœur aussi des Utopiales maçonniques qui se sont déroulées cette année rue Cadet, en avril. Cette manifestation a rassemblé, là encore, plus de 2 000 personnes. Vous aurez le compte rendu exhaustif de tous ces travaux car il y a beaucoup à puiser dans les idées qui ont été agitées pendant ces deux journées et qui constituent une véritable boîte à outils pour penser la République comme un tout, pour lui redonner de sa cohérence, à condition que nous sachions patiemment nous emparer de ces questions.
C’est comme cela, à mon sens, que le G.O.D.F. est à sa place. C’est comme cela que le G.O.D.F. joue ce rôle essentiel dans la République. Comme je le disais hier, institution de la République, mais aussi institution dans la République. Quand la République va mal, les Francs-Maçons doivent être aux avant-postes.
Bien entendu, il serait inconvenant de ne pas évoquer à cet instant les sujets concernant la laïcité. Je sais que c’est un thème qui nous rapproche mais qui parfois nous sépare. Là, avant d’aller beaucoup plus loin dans mon exposé, je voudrais vous faire écouter quelque propos qu’a tenus M. Robert Badinter que nous avions invité en inauguration des Utopiales maçonniques. Les propos que vous allez pouvoir entendre résument à bien des égards les longs développements que j’aurais pu faire.
(Projection discours de M. Robert Badinter)
« Vous ne serez pas surpris que je vous parle de la laïcité ou plutôt des problèmes qui se posent à cet instant pour nous qui sommes tous des partisans de la laïcité. Je n’hésite pas à dire pour ma part dans certains cas que j’irai même jusqu’à me qualifier moi-même de laïcard.
Il existe aujourd’hui, dans notre société, des menaces sur la laïcité. On peut à certains égard parler d’une crise de la laicité que les Francs-Maçons ont, depuis l’origine, toujours défendu avec la dernière fermeté.
Il faut rappeler ici et très fort que la laïcité est pour nous la garantie des droits fondamentaux inscrits dans la devise de la République : la liberté, l’égalité et je n’hésite pas à dire aussi la fraternité. La laïcité, c’est une source de fraternité civique, de fraternité civique parce que c’est elle qui permet de réunir dans les temps d’épreuves collectives, suivant les mots du poète, « celui qui croyait en Dieu et celui qui n’y croyait pas ».
Dans la République française, telle que nous la concevons, fondée sur les valeurs des Droits de l’Homme, l’État doit être séparé radicalement de toute église, de toute communauté organisée, religieuse, philosophique. L’État les reconnaît toutes, l’État les respecte toutes, mais il ne peut en privilégier aucune.
Cette séparation est pour nous la clef de voûte de la laïcité républicaine. Elle implique la neutralité religieuse absolue des services publics et de la même manière l’école publique doit demeurer, et nous devons y veiller scrupuleusement, un espace de neutralité religieuse, politique ou philosophique.
A cet âge sensible, l’enfant ou l’adolescent doit être protégé contre toute pression confessionnelle ou partisane, contre tout acte de prosélytisme religieux au sein de l’école.
Ici, la laïcité intervient aussi au secours de ce qui est pour nous une donnée essentielle de nos sociétés, l’égalité entre femmes et hommes. Nous ne pouvons pas d’une manière quelconque transiger avec ce principe dans notre société. La laïcité est aujourd’hui aussi, ce qui est moins perçu mais aussi essentiel, le garant de la dignité de chaque être humain. Elle demeure un fondement irremplaçable de la République. C’est un bien que nous ont légué des générations de républicains, de générations de Francs-Maçons. »
Ces propos, vous l’aurez compris, ont pour vocation de résumer une pensée qui aujourd’hui devient de plus en plus confuse quand on constate à quel point la laïcité se trouve prise en tenaille entre ce que j’appellerai une laïcité de renoncement honteuse et une laïcité d’affrontement haineuse. Comment ne pas s’inquiéter devant ce que l’on pourrait qualifier de confessionnalisation de la société où effectivement de plus en plus le dialogue interreligieux semble devenir l’alpha et l’oméga de tout dialogue social ? Comment ne pas être choqué lors que l’Evêque des Armées compare l’IVG à une arme de destruction massive et compare la laïcité à une idéologie de la bienpensance ? Comment ne pas être inquiets devant les agressions dont la laïcité fait l’objet de plus en plus parce que le combat pour la liberté de conscience est un combat qui dérange le plus grand nombre ?
La laïcité prise en otage doit être restaurée et nous avons un rôle à jouer en ce domaine. Cette laïcité, c’est aussi une laïcité malmenée d’un Tribunal administratif à l’autre. Selon que l’on est à Montreuil-sous-Bois ou selon que l’on est à Nice, on ne sait plus ce que l’on doit penser en matière d’accompagnement scolaire. Selon que l’on est à Montpellier ou en Seine-et-Marne, on ne sait plus ce qu’on doit penser en matière de crèche de Noël. Selon que l’on est dans une autre ville, on ne sait plus ce qu’on doit penser en matière de cantine scolaire parce que les juges nous promènent d’un bord à l’autre sans être capables de rappeler des règles claires.
Nous devons être particulièrement vigilants vis-à-vis de cette laïcité victime de confusion où finalement les principes s’érodent et où l’on perd de vue l’essentiel. Je crois que là, nous avons un rôle d’alerte à jouer parce que le politique n’est peut-être pas suffisamment présent pour rappeler une bonne fois pour toutes quelles règles nous devons appliquer, pour éviter que des populations ne soient bringuebalées comme elles le sont, en fonction des décisions des uns et des autres.
Mais cela concerne aussi des demandes spécifiques. Je me rappelle le déplacement fait à Angers où nos FF∴ réclament, à cor et à cri depuis de nombreuses années, la construction d’un collège à Beaupréau. Que n’attend-on pour construire ce collège ? Faudra-t-il que 80 % des enfants du Maine-et-Loire aillent dans les écoles privées pour qu’enfin on se décide à réagir ? Il y a là effectivement des sujets d’inquiétude.
Soyons aussi vigilants devant la subtile casuistique qui envahit un peu plus chaque jour notre société où le cultuel devient du culturel.
Il n’y a qu’une lettre d’écart, mais en réalité il y a un abîme, un abîme qui fait que désormais dans les municipalités, quelles qu’elles soient, on célèbre de plus en plus de fêtes religieuses en engageant les élus de la République. Finalement, le temps semble lointain où le Général De Gaulle, quand il était Président de la République et allait à Notre Dame, ne communiait pas parce qu’il considérait que ce geste aurait été incompatible avec sa fonction de Chef de l’État.
Je suis très fier que le G.O.D.F. ait publié vingt-cinq propositions à la fin de l’année passée pour justement montrer que nous devions reprendre l’offensive. La laïcité commande une action sur deux plans. Tout d’abord une dimension philosophique, car qui dit laïcité doit nous rappeler qu’il s’agit d’abord d’un combat pour l’émancipation et la dignité humaine, comme le rappelait Robert Badinter, combat pour l’émancipation des hommes et des femmes, combat pour la dignité humaine. Ce principe n’a pas de limite.
Mais nous devons aussi sur un autre plan être dans la société, ne pas pratiquer ce que je dénonce parfois qui serait une maçonnerie hors sol. Nous devons nous mobiliser pour rappeler qu’en ce qui concerne les accompagnements scolaires, qu’on le veuille ou non, on est un auxiliaire du service public, mais qu’à l’inverse dans une cantine scolaire, si on n’a pas à proposer du porc hallal ou kasher, on n’a pas non plus à imposer un menu unique aux enfants.
Ces vingt-cinq propositions du G.O.D.F., il faut que nous les portions. Elles sont notre militantisme à nous, elles sont notre manière de nous ancrer dans la société ici et maintenant pour que nous retrouvions cette parole qui est la nôtre et que nous puissions faire valoir nos idées.
Engagement à l’international, engagement citoyen, engagement sociétal aussi du GODF tout au long de cette année, dans la façon dont nous avons essayé de répondre à différentes sollicitations, qu’il s’agisse de la fin de vie – et la question de la fin de vie fait l’objet d’un débat parlementaire compliqué pour lequel nous ne voyons pas encore un aboutissement correspondant aux principes qui sont les nôtres, question de la fin de vie qui prend une résonance particulièrement douloureuse à Reims, la ville où dans un C.H.U. Vincent Lambert vit une agonie longue et tragique sur laquelle beaucoup a été dit mais sans que l’on puisse se prononcer sur l’accompagnement dont elle doit faire l’objet.
Question de l’engagement sociétal à travers les migrants. Je pense à nos FF∴ de Calais que j’ai visités, qui se préoccupent de ce sujet, de l’intervention que j’ai pu faire auprès de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (C.N.C.D.H.) qui a sorti un avis sur les migrants particulièrement lumineux.
Engagement sociétal aussi avec nos FF∴ de Perpignan qui se mobilisent en faveur du polyhandicap, cette maladie génétique un peu orpheline qui semble n’intéresser personne aujourd’hui, sauf les familles en détresse et dans la douleur.
Si le G.O.D.F., à travers son Conseil de l’Ordre, a adopté une déclaration en faveur d’un plan national pour le polyhandicap, il faudra réussir aussi à faire bouger les instances sanitaires de la République française.
Voilà quelques sujets sur des questions sociétales que nous avons au cours de cette année essayé de porter.
Engagement international, citoyen, sociétal, engagement mémoriel, cela a été beaucoup rappelé dans les circonstances qui nous rassemblent aujourd’hui à Reims. Pensons à Jean Zay et à Pierre Brossolette.
Beaucoup a été dit les concernant, je n’y reviendrai pas. Pensons à ce mur du souvenir qui fait l’honneur du G.O.D.F. et que nous avons restauré, le 9 mai de cette année, devant lequel chacun peut se recueillir en pensant à toutes les victimes Francs-Maçonnes de la barbarie nazie et du régime pétainiste.
Engagement mémoriel aussi quand je participe à la cérémonie de Yom Hashoah au Mémorial Juif, où l’on énonce les noms de toutes celles et de tous ceux qui sont partis vers les camps.
Engagement mémoriel pour nos FF∴ d’Arménie dans la prise de position du G.O.D.F. à l’occasion du centenaire du génocide arménien, car il faut bien appeler les choses par leur nom. Engagement mémoriel aussi quand nous commémorons l’abolition de l’esclavage chaque 10 mai en rendant hommage à Victor Schœlcher.
Engagement culturel enfin parce que la maçonnerie est aussi une aventure culturelle. Vous trouverez dans vos sacoches le numéro des «150 ans» de la Chaîne d’Union.
Merveilleuse revue qui fait la gloire et l’honneur du G.O.D.F. parce que peu d’Obédiences maçonniques peuvent se targuer d’avoir un tel ouvrage.
Engagement culturel aussi à travers la décision que nous avons prise de relancer l’Institut d’Etude et de Recherche Maçonnique en le dotant d’un Conseil Scientifique qui sera composé d’universitaires pour lui permettre d’acquérir un rayonnement et une visibilité qu’il n’avait pas ou qu’il n’avait plus.
Engagement culturel à travers l’achèvement des travaux du centre de documentation de la rue Cadet qui a vocation à devenir un centre de documentation interconnecté avec de grandes bibliothèques pour que nous soyons là, à l’âge de la civilisation mondiale en matière de travaux documentaires.
Mais l’engagement culturel, c’est aussi ce travail invisible que font beaucoup de nos LL∴, en faveur du métissage culturel. Ce métissage qui fait la force de la Franc-Maçonnerie. Quand je constate toutes les synergies que l’on pourrait imaginer entre la culture mélanésienne et la culture maçonnique en Nouvelle-Calédonie ou avec la culture Inca quand je vais rencontrer nos FF∴ au Pérou, je conclus que l’on peut finalement tisser des liens, ce qui nous permettra de ne pas rester éternellement prisonniers de nos origines johanniques.
En synthèse, après avoir rappelé quelles étaient les lignes de force de l’engagement que le Conseil de l’Ordre a souhaité promouvoir tout au long de cette année au service de l’Obédience, je voudrais dire quelques mots sur l’état de l’Obédience.
Le G.O.D.F. est une Obédience en ordre de marche. Nous recrutons près de 3 000 Apprentis chaque année. J’invite toujours les LL∴ à bien veiller à s’occuper des apprentis car je rappelle aussi que statistiquement seul un Apprenti sur 2 devient Maître. Que s’est-il passé entre temps ?
La Franc-Maçonnerie a vocation à améliorer l’homme et la société, mais sa mission première c’est de former des Francs-Maçons. Sans Francs-Maçons dignement formés à la culture initiatique qui est la nôtre, sans Francs-Maçons qui font tenir les piliers de la Loge solidement, il n’y aura pas de maçonnerie, il n’y aura plus de Grand Orient de France.
Cette mission est une mission de salut public et il nous appartient, toutes et tous, d’être particulièrement exigeants dans ce travail de formation de nos plus jeunes recrues.
Je ne reviendrai pas sur les finances de l’Obédience, je me réjouis qu’elles soient positives. Nous devrons peut-être avoir, au-delà de ces résultats, une réflexion sur le niveau de la cotisation. Cela ne me choquerait pas. La question est légitime parce que je suis très souvent, je dirai trop souvent, interpellé par des FF∴ ou des SS\qui me font part de leurs difficultés à régler cette cotisation. N’ayons pas peur de ce débat, nous devrons savoir le conduire ensemble dans la mesure du possible.
Une Obédience en ordre de marche aussi à travers la solidarité, solidarité dont la Fondation est une expression, cette Fondation du G.O.D.F. qui continue son développement, son essor, une solidarité grâce aussi aux fonds utilisés par l’I.N.S.M. A ce sujet, je me réjouis, suite aux échanges que nous avons pu avoir avec l’instance de solidarité maçonnique, de savoir que tous les dispositifs de solidarité existent pour aider les jeunes qui voudraient entrer en maçonnerie. Être jeune et ne pas avoir de revenus n’est pas un obstacle pour rejoindre le G.O.D.F. Les outils de solidarité sont présents, il suffit de le vouloir.
Obédience en ordre de marche quand je constate aussi la qualité des relations avec l’ensemble des juridictions, les cinq juridictions qui font la richesse et la diversité du G.O.D.F. Mon seul souci, c’est que pour 51 000 membres, un peu moins de 15 000 de nos FF∴et SS∴ travaillent dans les juridictions, ce n’est pas tout à fait suffisant. Á mon avis, nous pourrions être collectivement plus nombreux. Cela fait partie du cheminement maçonnique. Je rappelle toujours que les juridictions maçonniques ne sont pas des instruments de pouvoir, elles sont des lieux de perfectionnement.
Relations avec les Obédiences : ces relations se sont déroulées de façon très fraternelle, par-delà la particularité ou le singularisme des personnes.
Je me réjouis notamment de cette percée que nous avons effectuée cette année en provoquant cette grande conférence publique avec la G.L.N.F qui représente un modèle maçonnique différent du nôtre, mais justement cela rend les discussions encore plus passionnantes.
Les relations inter-obédientielles, c’est aussi ce qui a été pointé dans le débat tout à l’heure, l’Alliance Maçonnique Européenne (AME). Non, l’Alliance Maçonnique Européenne n’est pas une belle endormie qui ne sert à rien, c’est une structure inter-obédientielle qui aujourd’hui regroupe une vingtaine d’Obédiences qui y participent et qui apprennent à se connaître et à travailler ensemble. C’est cette Alliance Maçonnique Européenne qui aura vocation à terme à prendre le relais de ce que le G.O.D.F. a décidé de faire.
Seulement l’inter-obédientiel cela prend du temps et c’est compliqué et donc il ne faut pas vouloir mettre les bouchées triples au risque de s’étrangler. Mais comptez sur ma détermination et en tout cas sur la vision qui est la mienne quant à la volonté de faire de cet instrument qu’est l’Alliance Maçonnique Européenne le bras séculier de notre Obédience à terme dans le cadre européen.
Obédience en ordre de marche. Je me félicite à ce titre de l’exemplarité du G.O.D.F. Nous avons, tout au long de cette année, travaillé en parfaite synergie avec notre instance disciplinaire, la Chambre Suprême de Justice Maçonnique. Nous n’avons pas fléchi sur celles et ceux de nos membres qui avaient la tentation du Front National. Comme je l’ai dit, être Franc-Maçon ou être au Front National, il faut choisir. C’est l’un ou l’autre, ce n’est pas l’un et l’autre.
Nous avons aussi été particulièrement vigilants pour les saisines de la Chambre Suprême dans tous les cas où certains de nos FF∴ étaient exposés aux sanctions de la justice profane.
Une Obédience tout au long de cette année qui a aussi souhaité affirmer son indépendance. La France vit au rythme de consultations électorales permanentes. Elle a tellement d’élus que cela est un peu normal, mais cela doit nous imposer en même temps une éthique car, comme je l’ai toujours dit, la Franc-Maçonnerie n’est pas un parti politique et le seul parti du G.O.D.F. c’est le parti de la République, c’est le parti de la République ouverte à toutes celles et à tous ceux qui défendent le triptyque « Liberté Egalité Fraternité ».
Le rôle du G.O.D.F. est toujours de savoir dire où se situe l’intérêt général, où est LA promotion du bien commun, d’éclairer le chemin qui conduit à la concorde et qui doit permettre à notre Obédience de prendre position avec clarté, comme on l’a toujours fait, lorsque les échéances électorales se présentent.
Ne sous-estimons pas, une fois de plus, vis-à-vis des échéances à venir, le péril du Front National.
C’est dans cette mesure que nous devrons être plus que jamais non seulement une boussole mais un phare, dans une République qui s’obscurcit. A nous de la garder éclairée et lumineuse.
J’ai dit.

Convent 6015 – discours d’installation du Grand Maître, Président du Conseil de l’Ordre, Daniel KELLER
Discours | Publié le 03/09/2015 | émis le 28/08/2015

 Mon Très cher Frère Président du Convent, cher Damien,
Dignitaires qui siégez au Debhir,
VV∴MM∴ Délégués,
Mes TT∴CC∴SS∴, mes TT∴CC∴FF∴,
Je voudrais dédier cette planche à  Bernard Maris et Michel Renaud, deux Francs-Maçons du G.O.D.F. assassinés lors des attentats de janvier dernier.
 
Nous faisions hier le constat d’un monde en danger, confronté à des menaces, en proie à des régressions qui peu à peu mettent irréductiblement en cause les conquêtes à travers lesquelles l’humanité avait toujours cherché à sortir des formes multiples de servitude qui l’avaient enchaînée.
Du coup, la tâche n’apparaît pas moins vaste aujourd’hui qu’hier. Á certains égards, elle semble même plus ardue. Où qu’ils regardent nos contemporains ne voient plus de raison d’espérer. Au lendemain des conflits qui ensanglantèrent le XXème siècle, ils crurent pouvoir enfin devenir des citoyens du monde. La planète allait devenir un village, mais cette planète s’est en réalité transformée peu à peu en un chaos.
L’horizon s’obscurcit, le tumulte de la violence et de la barbarie dicte sa loi à un monde qui ressemble à un boxeur groggy.
L’espoir l’a cédé à l’angoisse. La conviction que l’avenir apporterait des jours meilleurs, quelle que fût la dureté des temps, s’est transformée en une peur du déclassement, en la certitude aveugle que les lendemains ne chanteront plus, que les générations futures vivront moins bien que les générations présentes.
Ce qui devait libérer aliène. La mondialisation creuse chaque jour les inégalités. L’impuissance des États et parfois leur décomposition avivent les tensions et fragilisent les sociétés les mieux établies. Le retour des dogmatismes met la raison au banc des accusés, l’instrumentalisation des religions fait le lit de nouvelles idéologies.
On assiste en réalité au délitement progressif du long et patient processus de civilisation qui avait gagné de nombreuses contrées du monde et fait entrer l’humanité dans une ère nouvelle.
Ceci ne peut nous laisser indifférents parce que la Franc-Maçonnerie elle-même est une illustration hautement symbolique de la civilisation des mœurs qui émergea à partir de la Renaissance.
En effet, la Franc-Maçonnerie issue de vieilles sociétés de métiers se transforma pour se déployer à la fois dans une architecture rituélisée et dans la production d’un récit où la raison et l’espérance s’épaulaient mutuellement.
Cette subtile alchimie trouva dans la formule « améliorer l’homme et la société » l’expression tardive mais cristalline d’une ambition à hauteur d’homme.
Au moment où certains aimeraient trouver dans le refrain de la guerre des civilisations le credo d’une nouvelle téléologie, nous devons à contrario nous faire les avocats de ce principe de civilisation en tant que principe universel ou en tout cas universalisable et dont aucune culture ne saurait a priori être exclue.
Ainsi, « améliorer l’homme et la société » est un projet qui doit plus que jamais animer la volonté du maçon. Les affres d’aujourd’hui ont fini de nous convaincre que l’histoire n’est pas une aventure continue et linéaire, mais qu’au contraire celle-ci est faite de régressions qui fragilisent de manière récurrente la globalité de l’édifice.
Ce projet reste également notre contemporain parce qu’il met l’accent sur la part que chacun peut prendre à sa réalisation. Précisément, seule la Franc-Maçonnerie a aujourd’hui la capacité de proposer aux hommes et aux femmes un projet qui n’est pas livré clef en main mais dont chacun doit être l’artisan.
La Franc-Maçonnerie n’est pas un opium du peuple. Elle est au contraire une source d’éveil à la lucidité, à la responsabilité, un appel à l’engagement de soi, un travail permanent de remise en cause des certitudes pour accéder à une compréhension plus éclairée du monde et ainsi montrer le chemin d’une transformation raisonnable de celui-ci.
Certains disent parfois que le travail en Loges devrait être essentiellement consacré au seul travail sur soi, préalablement à toute volonté d’améliorer la société, laquelle serait laissée à l’initiative des maçons désireux de répandre en dehors du Temple les vérités qu’ils y acquièrent. Je pense au contraire que c’est dans l’incessant travail d’amélioration de la société que l’on parvient peu à peu à s’améliorer soi-même. Parce que la Franc-Maçonnerie est d’abord une éthique de l’altérité qui passe par un perpétuel effort de compréhension des autres et qui ne se contente pas d’un travail purement spéculaire, parce que la Franc-Maçonnerie repose également sur une éthique de la solidarité sans laquelle notre Chaîne d’union ne serait qu’un songe creux, Elle est  une solidarité en actes qui nous oblige à sortir de notre confort.
Que seraient en effet tous ces visages si nous oubliions de considérer les conditions qui font la matérialité concrète de leurs existences ?
C’est à la lumière d’une telle dialectique que nous devrons appréhender la méthode initiatique qui nous rassemble. Les symboles et les règles qu’elle nous enseigne sont avant tous les outils grâce auxquels nous devons être en mesure de forger une humanité progressivement meilleure.
Cette tâche est immense. Elle passe par notre capacité à construire une Obédience au long cours, en mesure d’identifier les lignes de fracture qui traversent d’ores et déjà ce siècle qui commence.
Vous les avez d’ailleurs identifiées hier dans le débat de prospective. Elles renvoient à des enjeux qui semblent lointains, dans la mesure où le « court-termisme » ambiant conduit à les ignorer. Il s’agit aussi bien des évolutions démographiques que des menaces environnementales, enjeux qui impacteront le siècle et qui ont commencé à le faire basculer. Mais la liste serait incomplète si l’on omettait de mentionner également la résurgence des dogmatismes qui impacte dangereusement les systèmes de croyance et infléchissent sourdement l’évolution des mœurs.
Mais il s’agit aussi des nouvelles formes d’organisations politiques qui restent à inventer et à travers lesquelles le rêve cosmopolitique de nos prédécesseurs du dix-huitième siècle trouvera une nouvelle concrétisation et donnera un nouveau souffle aux ensembles supranationaux qui aujourd’hui constituent la cage d’acier dans laquelle la souveraineté des peuples est chaque jour un peu plus recluse et qui sont peu ou prou menacés d’implosion.
Voilà quelques uns des enjeux à partir desquels il convient de réfléchir au monde de demain si l’on veut être en mesure d’anticiper le monde qui vient et d’en esquisser les évolutions possibles et souhaitables.
Ces questions doivent nous préoccuper, non sous l’angle du regard de l’expert que nous ne sommes pas, mais pour les implications humaines qu’elles véhiculent, parce que pour le Franc-Maçon c’est le sort de l’individu qui est la pierre de touche de toute réflexion et non le cours de la bourse ou le prix du baril de pétrole.
Il s’agit d’un travail de prospective à inventer et qui ne saurait s’épuiser dans le simple exercice convenu des questions à l’étude des Loges. Attention, je ne cherche pas à jeter le discrédit sur ces questions dont la dimension formatrice est essentielle, mais il est question d’autre chose quand on parle de prospective.
Le travail d’analyse, aussi rigoureux soit-il, et auquel je nous invite, ne saurait pour autant suffire. En effet, il convient aussi de donner du sens à ces évolutions afin que les hommes puissent les infléchir s’ils ne veulent pas les subir. Á défaut, l’humanité sera conduite à chercher des réponses dans de nouvelles formes d’idolâtries mortifères, idolâtries qui pour toute explication désignent à la vindicte du commun des mortels des boucs émissaires, comme l’histoire en a donné de tragiques exemples.
Il s’agit urgemment de redonner une flèche au temps qui permette à chacun de comprendre le sens de ses efforts, de ses sacrifices, qui permette aussi de mesurer les bienfaits escomptés et réalisés.
Quelles idées neuves pouvons-nous apporter ? Les révolutionnaires de 1789 prétendaient que l’humanité avait droit au bonheur. Force est de constater que ce bonheur est encore largement le privilège de quelques-uns.
Le moment n’est-il pas venu d’en faire un droit universel et les réflexions d’hier contenues dans projet de la ville de demain renvoyaient à l’idée que l’on doit aussi réfléchir à bâtir l’écosystème sociétal qui favorisera une prospérité partagée qui doit être aussi un épanouissement pour tous.
Peut-être faut-il aller, comme un intervenant d’hier le suggérait, jusqu’à la définition d’un contrat social du mieux vivre ensemble sur la planète.
Ce travail ne saurait pour autant s’apparenter à une réflexion hors sol, ignorant l’état du monde tel qu’il est. L’humanisme au long cours qui s’adresse aux générations futures est aussi avant tout un humanisme de combat, soucieux des atteintes qui sont faites dans le temps présent à la dignité humaine. Il ne saurait en effet y avoir de réflexion prospective qui ignore la condition faite ici et maintenant à l’humanité.
La Franc-Maçonnerie fait de la loge un lieu distinct du monde profane, elle en théâtralise la rupture. Mais la Loge n’est pas pour autant une cellule monacale coupée du monde. La voûte étoilée sous laquelle nous travaillons nous rappelle au contraire que nous embrassons le vaste monde dont nous scrutons l’infinité. Cette ouverture nous commande de dénoncer l’inacceptable, dans le souci de faire changer le cours des choses et cela commence par la société dans laquelle nous vivons à défaut de pouvoir peser aussi directement sur toutes les injustices qui sévissent à travers le monde.
La France est porteuse d’un universalisme que la Franc-Maçonnerie revendique depuis ses origines, mais il serait sans objet si notre République n’était pas à l’image de l’utopie que nous portons.
Je sais que de nombreuses Loges se mobilisent pour donner de la chair à cet humanisme de combat qui doit être notre marque de fabrique, un combat au service des exclus, des plus fragiles, de ceux qui chaque jour sont un peu plus marginalisés dans l’indifférence du plus grand nombre qui devrait demander d’ailleurs des comptes à la mauvaise conscience dans laquelle nous enfouissons nos renoncements et nos lâchetés.
Un combat qui embrasse des situations inacceptables celles qui mettent au tombeau le principe de la dignité humaine, cette dignité égale entre tous les hommes et toutes les femmes et qui sut émerger d’une longue histoire au cours de laquelle elle fut en butte à de récurrentes contestations, cette dignité qui devait se construire dans l’amour, mais qui le plus souvent triompha dans le sang de celles et ceux qui en furent les martyrs.
Le combat pour la dignité humaine a plusieurs visages. Il commande aujourd’hui de se mobiliser contre la déshumanisation du travail et l’épuisement qu’elle engendre pour un nombre croissant d’hommes et de femmes. Il commande de se mobiliser contre les exclusions que nos économies productivistes sécrètent chaque jour et de penser une société soutenable, où chaque existence aurait droit à un revenu indépendamment du travail effectué.
Il commande de se mobiliser contre les injures faites aux réprouvés que sont les détenus victimes d’une condition pénitentiaire abjecte, mais aussi contre l’abandon des migrants qui fuient une tragédie pour en éprouver de nouvelles.
Cette liste est loin d’être exhaustive. Elle souligne simplement que le combat pour la dignité humaine ne se conçoit pas dans la négation des situations les plus douloureuses.
Les LL∴ du G.O.D.F. qui se sont déjà emparées de ces questions se reconnaîtront dans l’énoncé de ces quelques exemples. Car un tel travail ne saurait évidemment venir que des LL∴. J’en appelle ici à la responsabilité de chacun d’entre nous car nul dans l’absolu ne doit se tenir à l’écart de cet élan collectif qui doit nous rassembler.
L’exécutif de l’Obédience n’est pas le directeur de conscience des Ateliers. Son rôle est de se mettre au service de tous ceux qui veulent que leurs travaux trouvent dans le monde profane la résonance qui permettra d’entendre la voix des Francs-Maçons du Grand Orient de France. Il est de relayer l’énergie déployée dans chacun de nos Orients.
Car les LL∴ sont le cerveau collectif sur la base duquel notre modèle maçonnique fera la preuve de son originalité.
Lorsque j’entends parfois poser la question de savoir : que fait le G.O.D.F. ? Je me dis que tous ensemble nous devrions intensifier notre engagement.
Nous devons être capables de nous mobiliser pour que cela change. Le souffle de nos idées doit produire l’onde de choc qui permettra de terrasser la résignation qui chaque jour gagne du terrain.
J’ai insisté sur la nécessité de donner du sens aux évolutions du monde, ce qui nous oblige de passer de l’indignation première à la volonté de construire et d’agir. Mais rien ne sera possible si l’on ne parvient pas également à produire une nouvelle espérance. Dans le passé, l’espérance s’est longtemps confondue avec l’expression d’une foi. Dans nos sociétés rationalisées, voire désenchantées, gardons nous de précipiter des hommes et des femmes inquiets dans les bras de religions compensatrices. Il nous appartient au contraire de restaurer en chacun la seule foi que je reconnaisse, la foi en l’homme, en un homme maître de son destin qui se libère chaque jour des aliénations et des assignations qui l’emprisonnent et qui emprunte résolument le chemin sans fin de la liberté.
Encore faut-il pour ce faire que nous soyons en mesure de restaurer une République aujourd’hui en souffrance et dont les piliers sont ébranlés. Je veux bien sûr parler notamment de l’école. L’actualité récente a, une fois de plus, montré que l’école de la République manquait d’un projet global dont l’ajustement récurrent des programmes scolaires ne saurait tenir lieu.
Le Grand Orient de France a toujours montré sa capacité à embrasser les questions scolaires. Nous avons parmi nous suffisamment de représentants de cette matrice de la République, il nous appartient sur un tel sujet de nous fédérer pour énoncer les termes du projet dont notre système éducatif doit être porteur à l’horizon des vingt années qui viennent.
Une telle réflexion ne saurait faire l’économie d’une analyse lucide et sans concession des impasses auxquelles quarante années de réformes successives ont malheureusement conduit.
Cette cause doit pour les Francs Maçons du G.O.D.F. être une véritable cause obédientielle. Á défaut, nous nous exposerons à une nouvelle trahison des clercs. J’en appelle donc à une mobilisation de tous les Francs-Maçons sur la question de l’enseignement et de l’école.
Il est assez naturel quand on parle de l’école de la République d’évoquer la laïcité. Nous en avons débattu longuement hier. Le moment n’est pas venu de baisser les bras. Alors qu’approche l’heure du cent-dixième anniversaire de la loi de 1905, nous devons faire preuve d’un surcroît de mobilisation afin que la laïcité républicaine à laquelle nous sommes attachés ne soit pas battue en brèche.
La laïcité, dont on interroge de plus en plus le contenu, est avant tout l’école de la citoyenneté et par-delà les différends auxquels on doit faire face, la tâche primordiale qui doit nous rassembler au nom de la laïcité consiste à apprendre à chacun à redevenir un citoyen.
L’impuissance des États, la construction d’espaces nationaux effaçant peu à peu les spécificités nationales ne rend pas la tâche aisée. Aussi, nous revient-il de penser ce que pourraient être les conditions d’un nouvel esprit citoyen, c’est-à-dire un esprit tourné vers une volonté d’émancipation.
Si la République et la laïcité ont destin lié, c’est parce que la République est née le jour où les hommes ont décidé de tracer eux-mêmes la règle commune de leur action et ont considéré qu’ils auraient assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune.
Façon de rappeler que la République n’existe que sur la base de l’engagement que chacun y consacre et que la loi qu’elle se donne ne saurait être l’incarnation d’un dogmatisme étranger ou supérieur à la pure volonté humaine.
Par-delà les enjeux ponctuels qui constituent autant d’agressions répétées contre la laïcité et par rapport auxquels nous devons être vigilants, c’est bien contre la tentation des dogmatismes de tous bords que nous devons déployer l’étendard de la liberté de conscience.
Les républicains du siècle dernier voyaient dans l’avènement de la République,  couronnement de la démocratie, dans l’émergence des droits économiques et sociaux, dans les nouvelles formes d’organisations productives, dans les progrès de la science, les signes indubitables d’une marche de l’Histoire qui émanciperait toujours plus les hommes.
Pourquoi ne croit-on plus, un siècle après, à ce puissant mouvement d’émancipation ? Pourquoi chacun préfère-il le repli ? Quelle puissance invisible aurait-elle à nouveau pris en main la destinée des hommes, au mépris de tous les combats que ceux-ci ont consacré à se libérer de leurs chaînes ? Aucun grand architecte ne s’est institué en nouveau geôlier de l’humanité. Non, ce sont les hommes qui aujourd’hui s’abandonnent d’eux-mêmes à éprouver la tranquillité factice d’une nouvelle servitude volontaire.
Autre pilier à ne pas négliger, la nécessité de penser une République exemplaire dont le système institutionnel est à rénover, tant aujourd’hui le divorce avec la société civile semble consommé. Nous sommes entrés dans une phase de renouvellement mécanique des dirigeants en l’absence de tout sentiment d’adhésion aux institutions en vigueur.
Cette fossilisation constitue un péril majeur, dans un moment où de nombreux symptômes de corruption, au sens organique du terme, apparaissent au grand jour.
C’est vraisemblablement dans un approfondissement de l’État de droit, porteur de la philosophie des Droits de l’Homme, que la solution émergera et il nous appartient d’y réfléchir et d’y travailler tous ensemble.
Á nous, Francs-Maçons, de rappeler que l’Histoire n’est pas une fatalité, mais un effort incessant d’invention et de création. C’est ainsi que nous saurons mettre en mouvement une nouvelle espérance. Rappelons que nous sommes les co-architectes de la société dans laquelle nous vivons. Que le travail en commun reprenne et le goût de l’avenir reprendra le dessus ! C’est par notre engagement, par l’activation de la société, par la mise en mouvement de notre millier de Loges que nous parviendrons peu à peu à convaincre les ouvriers citoyens à regagner le chantier de l’intérêt général, du bien commun, de la res publica.
L’espérance à construire consiste à redonner confiance à chacun dans sa capacité à améliorer sa vie et la société au motif que la société n’est que le fruit de l’action des hommes et que cette action conditionne le bonheur de chacun.
C’est un travail de longue haleine qui nous attend car nul n’ignore que l’Histoire enseigne aussi la lenteur des accomplissements.
Le Franc-Maçon doit donc faire preuve de courage, courage dans lequel la force de caractère et la persévérance doivent se conjuguer, dans lequel la détermination ne se mesure pas à l’aune du succès, où la confiance dans les autres l’emporte sur les désillusions du quotidien, où la foi en l’humanité triomphe toujours de toutes les adversités.
C’est ainsi que le Franc-Maçon, conscient des réalités et mû par la volonté de libérer l’homme des aliénations du moment, parviendra à produire la reliance que l’on a déjà évoquée, c’est-à-dire une réconciliation active de l’individu avec lui-même, avec les autres et avec le monde.
Tel peut être l’aboutissement du chemin de l’espérance active à laquelle nous devons nous consacrer. Il s’agit de montrer que la Franc-Maçonnerie est capable de préfigurer une harmonie sociale. Cette harmonie ne constitue à ce jour qu’une ligne d’horizon, mais elle fixe un cap. Elle montre un chemin et c’est en cela qu’elle parvient à faire du projet maçonnique une utopie créatrice.
J’ai dit.

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