Banquet d’ordre du 5 juin 2015
VM et vous tous…
Afin de ne pas être trop long, notre VM m’a demandé de faire court, je ne m’attarderai pas sur le vocabulaire assez particulier de ce banquet d’ordre qui est directement emprunté aux traditions des loges militaires de l’Ancien Régime.
Tout y est reformulé:
• l’eau est la « poudre faible »,
• le vin la « poudre forte »,
• le champagne la « poudre pétillante »
• les verres et parfois certaines SS sont des « canons »
Et de la même manière, tous les mets et accessoires de table changent eux-aussi de nom.
Mais au-delà de ce vocabulaire pour le moins imagé il s’agit bien d’un banquet d’ordre, avec un rituel de table très précis.
On pourrait s’étonner d’un tel formalisme pour un repas entre FF et SS, un repas de famille donc. Mais rappelons-nous que les premières LL se réunissaient dans des arrière-salles d’auberges, que le banquet ou « agape fraternelle », est une des plus vieilles et des plus solides traditions maçonniques puisque les Constitutions d’Anderson y faisaient déjà allusion, et que dès cette époque, toutes les tenues se terminaient par un banquet.
Anderson recommandait d’ailleurs aux FF de ne pas les transformer en orgies.
Cette consigne semble avoir été généralement bien suivie, ce qui d’ailleurs me parait assez naturel pour une institution longtemps exclusivement masculine mais, à mon sens, cette recommandation mériterait peut-être d’être reconsidérée maintenant que nous comptons des SS dans nos rangs.
Je vous vois sourire mes FF, et je devine en vous quelque inquiétude mes SS, mais vous ne pouvez nier que ripaille et paillardise ont toujours été de joyeux complices.
Le mot Agapes ne vient-il pas du grec agapê qui signifie amour universel ? Vous le voyez, je n’invente rien et c’est certainement là un bel exemple de la grande sagesse grecque.
Platon l’avait bien compris, lui qui a intitulé « banquet » son texte constitué d’une longue série de discours portant sur la nature et les qualités de l’amour.
Et vous n’allez pas me dire que c’est par hasard si aujourd’hui les plus grands cuisiniers sont unanimement reconnus comme maître-queues.
Alors laissez-moi donc libre de prendre quelques secondes pour faire l’éloge de la paillardise.
La paillardise, elle suppose l’esprit, l’humour, la joie. Elle s’allie naturellement à la cuisine puisque les plaisanteries des personnes dites « dessalées » sont précisément salées, poivrées, pimentées, grasses, croustillantes, voire parfois un peu crues.
Et n’est-ce pas se comporter en maçon que de suivre les pas de Rabelais ; lui qui maniait la parodie et la satire pour opposer aux princes et aux intégristes de tous poils d’une part la pensée humaniste, et d’autre part la culture populaire, paillarde, rigolarde, marquée par le goût du vin et des jeux de mots.
Bien sûr certains nous disent aussi, et ils ont raison, que ce repas est une affaire sérieuse. Qu’il s’agit d’une tenue d’obligation. Que chacun doit y garder sa place et sa fonction.
Mais quels rapports peut-il y avoir entre notre repas de ce soir et nos travaux habituels? Que peut-il y avoir de solennel dans le fait de partager un repas?
Vous me répondrez que d’autres l’ont fait bien avant nous et ont parfois bien réussi : « Il prit le pain et le vin et dit à ses disciples: » un truc dans le genre : « que tous ceux qui veulent être sur le tableau viennent de ce côté de la table ».
Aussi mécréants que vous soyez, je suis sûr que ça vous rappelle quelque chose.
Plus sérieusement, la symbolique du repas pris en commun est évidente.
On mange pour vivre. Partager son repas, c’est donc partager la vie. Partager la même vie. Resserrer le lien qui nous unit, dit notre rituel. C’est très symbolique.
Et quand je parle avec des amis profanes de notre manière de travailler en loge et que j’essaie de leur expliquer l’utilité et la force des symboles je prends volontairement un exemple qui n’est pas propre à la maçonnerie mais que nous retrouvons dans nos rituels. Cet exemple c’est tout simplement celui du pain que nous avons devant nous – la pierre brute devrais-je dire pour respecter le jargon militaire.
Pour le profane, ce pain n’est qu’un bien de consommation courante, de peu de valeur, et qui n’a d’intérêt que par la qualité des rillettes qu’on va y étaler dessus.
Chez nous le pain est le symbole de la vie et le fruit du travail des hommes. Et ça, ça change tout.
Pour que cette tranche arrive sur notre table il a fallu que toute une chaîne de compétence, de transmission et de travail se mette en branle sans jamais se rompre.
Je ne rentre bien sûr pas dans le détail mais on imagine bien tout le travail de l’agriculteur qui va semer et récolter le blé, celui du meunier, du boulanger, sans parler des concepteurs et fabricants des différentes machines, des commerciaux et des transporteurs, tous indispensables au bon déroulement du processus qui me permet ce soir de partager ce pain avec vous.
Et là, convenez-en, ça change notre perception, ça prend du sens, ça donne de la valeur, ça impose le respect. C’est très puissant un symbole !
J’en profite d’ailleurs pour remercier ce soir les derniers maillons de cette chaîne, nos FF et SS qui tout au long de l’année et ce soir en particulier, nous préparent ces savoureuses agapes toujours avec l’aide bienveillante de notre F M des banquets.
Enfin, et pour que vous jouissiez sans remord et sans crainte…
Hummm ! Je vois dans les yeux de certaines SS une belle lumière qui pourrait me laisser penser que je commence peut-être à les convertir au charme de la paillardise. Mais bon, là c’est juste que je n’ai pas fini ma phrase.
Je la reprends :
Pour que vous jouissiez sans remord et sans crainte de tous ces mets qui nous sont proposés ce soir, je conclurai mon propos par une phrase empruntée à Paulo Coelho, cet auteur brésilien qui a connu la célébrité en 1988 grâce à son conte philosophique intitulé « l’Alchimiste », une belle lecture.
« Le mal, dit l’Alchimiste, ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme. Le mal est dans ce qui en sort. »
Alors mes FF, mes SS, Mangez de bon cœur! J’ai dit.