(1- Montée à l’Orient – Rock’n roll – The Velvet Underground)
Rock’n roll et Franc-Maçonnerie : même combat ?
VM et vous tous, mes S et mes F en vos grades et qualités,
Les liens entre musique et franc-maçonnerie ne sont plus à démontrer. Tout maître des Colonnes d’Harmonie sait que la musique classique est abondamment utilisée lors de nos tenues : Mozart, Haydn, Sibelius, pour ne citer qu’eux, ont réalisé des œuvres musicales maçonniques. Plus récemment, dans le domaine du jazz, Duke Ellington, Louis Amstrong, Count Basie, Lionel Hampton, ont tous été franc-maçons. Sachant cela, le « I’m beginning to see the light » de Duke Ellington prend une dimension nouvelle…
Mais aujourd’hui, je vais m’attacher à faire le parallèle, chose beaucoup moins évidente, entre la musique populaire américaine dont l’émanation la plus courante est le rock’n roll et la franc-maçonnerie. Pour cela, il faut repartir aux origines…
Son histoire est fortement liée à l’esclavage : entre 1619 et 1865 (fin de la Guerre de Sécession) deux millions d’esclaves ont été déportés en Amérique du Nord pour y travailler dans les plantations de coton. Ils emportent naturellement avec eux des éléments musicaux hérités de l’Afrique qui donneront naissance au negro-spiritual, au gospel puis au blues à partir des work-songs chantés a cappella dans les champs (voir le film « O Brother » des Frères Coen). Cela apparaît comme une évidence quand on écoute Ali Farka Touré, guitariste malien (2 – Ali Farka Touré – Erdi) . Comme le décrit le journaliste et écrivain Laurent Chalumeau dans son livre certes foutraque mais absolument éclairant titré malicieusement de quatre lettres « F… » , le rock’n roll, né dans les années 50 à Memphis Tennessee doit son origine à une vague d’hystérie religieuse entrée dans l’histoire américaine sous le nom de Great Revival. Les parents du rock’n roll venaient donc faire connaissance lors de rassemblements appelés « Camp meetings » qui tenaient souvent plus de la kermesse que de la profession de foi. Les protagonistes, sincèrement convertis ou non, ivres de joie mais aussi d’alcool, harangués par des évangélistes de clairière, comme pris dans les griffes du démon, gigotaient ou s’emboutissaient à qui mieux-mieux dans une gestuelle que les punks plus tard singeront pour danser le pogo ! Ainsi, pour donner la réplique à ces rassemblements qui finirent par s’étioler, l’église pentecostale, imprégnée de protestantisme issu des « White trash » , des blancs de basse extraction chassés d’Europe par la famine ou la persécution, prôna une morale opposée aux vices. Mais le ver était dans le fruit, les fidèles entraient eux aussi en transe sous l’opération du Saint-Esprit puisqu’après la prière et la repentance, tout finit par une chanson !
Mais les blancs et les noirs ne se mélangeaient pas : chacun ses lieux de culte ! Les offices pentecostaux trop bruyants, avaient été relégués en bordure des agglomérations non loin des honky tonks enfumés fréquentés par les blancs après l’office. Et c’est en bordure d’agglomération aussi que les noirs fréquentaient les juke joints. C’est dans ces salons fort peu mondains , au bord des routes que beuglèrent les Hank Williams et autres chanteurs de country ou Robert Johnson et autres chanteurs de blues. Le rock’n roll, né ironiquement dans les églises, ayant vécu son adolescence dans des lieux de débauche et de perdition, n’avait plus que la route à traverser….
Le premier lien entre Rock’n roll et Franc-maçonnerie, vient de là, vient du blues..(3 – Robert Johnson – Love in vain blues) où plutôt du bluesman que l’on vient d’entendre , de Robert Johnson, car c’est de lui qu’il s’agit. Selon la légende, il rencontre en 1931 un autre bluesman Son House qui lui dit qu’il ne sait pas jouer. Piqué au vif, Johnson se met à travailler dur sa guitare et revient quelque temps plus tard en ayant fait des progrès stupéfiants. Le vaudou est très vivace dans la communauté noire du Mississippi. Alors Robert Johnson se plaît à raconter qu’il a rencontré une nuit à la croisée des chemins (la fameuse Crossroads) le diable qui lui a donné le pouvoir de jouer divinement. En réalité, cette illustration du mythe faustien est empruntée à un autre joueur de blues Tommy Johnson qui prétendait que la même histoire lui était arrivée. Robert Johnson aurait repris cette histoire à son compte ou bien l’homonymie aurait fait son œuvre… Quoiqu’il en soit, Robert Johnson meurt à 27 ans (c’est le premier de la lignée des rockers maudits mort à cet âge) dans des circonstances mystérieuses soit empoisonné par un mari jaloux , soit à cause de la syphilis parce qu’en plus le diable lui avait fait don d’un charme irrésistible auprès des dames…
Le voilà le point commun ! Le satanisme ! Il paraîtrait, selon des sites bien informés tenus par des agités du bulbe, que nous pratiquerions des rites sataniques pendant nos tenues, voire des sacrifices humains, ou des orgies comme dans « Eyes Wide Shut » de Stanley Kubrick. Le blues, puis le rock’n roll c’est pareil ! Je tiens à rassurer mes S App, il n’en est rien !
Robert Johnson est le défricheur du blues moderne qui deviendra le rock et inspirera de nombreux musiciens comme Eric Clapton ou les Rolling Stones. Depuis sa légende, les musiciens de rock ou leurs producteurs se sont plu, par jeu, par malice ou par souci mercantile auprès des ados, à entretenir une image sulfureuse. L’exemple le plus connu est sans doute celui des Rolling Stones : après leur album psychédélique sorti en 1967 appelé « Their Satanic Majesties request », ils sortent en 1968 « Beggar’s Banquet » – le banquet des clochards – où figure par provocation ce titre « Sympathy for the devil » (4 – Sympathy for the devil » – the Rolling Stones) . Un an plus tard, ils joueront ce titre au festival d’Altamont où un noir fut poignardé par des Hells Angels. Les Stones effrayés, s’échappèrent en hélicoptère après ce meurtre et fuirent l’émeute qui en découla. De plus, un de leurs musiciens, Brian Jones, mourut à 27 ans , comme Robert Johnson avant lui, puis Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison après lui.
Mais ce n’est pas fini ! Arrive le groupe britannique Led Zeppelin et son célèbre « Stairway to heaven » (5- Stairway to heaven – Led Zeppelin ») sur l’album Led Zeppelin IV sorti en 1971 avec des runes imprimés sur la pochette. Dans la série « agité du bocal », un prédicateur, lors d’un passage télévisé affirma qu’en passant ce titre à l’envers, on pouvait entendre un message subliminal disant « I love you Satan » ! Il est évident que tout le monde s’amuse à écouter ses vinyls à l’envers ! J’ai essayé avec les cd mais cela ne marche pas non plus…. En revanche, il est vrai que Jimmy Page, le talentueux guitariste de Led Zeppelin, féru d’occultisme, a acheté puis revendu « Boleskine House », sur les bords du Loch Ness, le manoir d’Aleister Crowley. Cet occultiste et écrivain de la fin du 19ème siècle aux mœurs controversées affirma avoir été initié franc-maçon et fit partie de sociétés secrètes comme « l’ordre hermétique de l’Aube Dorée ». Il n’en faut pas plus pour exciter l’imagination des internautes de tout crin et faire le rapprochement entre rock’n roll, franc-maçonnerie et satanisme…. Les sites débiles dédiés à ce sujet sont incroyablement présents sur la toile mais j’y reviendrai.
Le deuxième point commun entre rock’n roll et maçonnerie découle un peu du premier et tient surtout du fantasme. On a prêté au rock un certain nombre de rumeurs et de légendes qui ont surtout servi à entretenir le mythe : les décès de divers artistes à 27 ans comme évoqué plus haut ont enflammé les imaginations les plus fertiles (il y aurait une malédiction !), la fameuse pochette d’Abbey Road des Beatles où Paul Mc Cartney apparaît pieds nus (ce qui annonce bien sûr sa mort) renforcés par les messages subliminaux sur l’album blanc des Beatles où l’on entend paraît-il John Lennon déclarer « Paul is dead » ! On ne compte plus les disparitions troublantes d’artistes maudits comme Syd Barrett le premier leader des Pink Floyd et le décès de Jim Morrisson est encore entouré d’un halo de mystère comme celui de Marylin Monroe. La théorie du complot a de beaux jours devant elle.
Il en va de même pour la Franc-Maçonnerie, dont la discrétion excite le quidam, et ouvre la porte aux interprétations les plus tordues, les plus rocambolesques, aux théories les plus fumeuses et , au final, dangereuses.
Revenons à la société américaine, fortement imprégnée de culture « WASP » – White Anglo Saxon protestant » – est profondément bigote. Elvis Presley, qui en 1953 enregistra « That’s all right Mama » considéré comme le premier 45 T de rock par certains spécialistes, était filmé au-dessus de la ceinture pour ne pas affoler les adolescentes. Quelques années plus tard, en 1966, suite aux déclarations de John Lennon qui affirmait que « les Beatles seraient plus populaires que Jésus-Christ », une station locale appellera à brûler autant de disques des Beatles que possible. En 1975, le Révérend Père Charlie Boklyn de Tallahassee en Floride incendiera des milliers de disques après avoir appris par un sondage local que 984 mères célibataires sur 1000 étaient tombées enceintes en écoutant des chansons pop.
Laurent Chalumeau explique qu’il y a, dans l’histoire de la musique populaire américaine, un blanc qui veut être noir. Par malheur pour les WASP, ce blanc se trouve être presqu’à chaque fois d’origine juive. De George Gerschwin, le premier vulgarisateur de la musique noire aux premiers producteurs de blues – les frères Chess de Chess Records par exemple – les promoteurs du jazz ou du blues sont juifs. L’analogie et les similitudes entre les histoires respectives des peuples afro-américains et des peuples juifs y est sans doute pour beaucoup mais plus sûrement la présence importante de juifs dans le monde culturel américain et leur capacité financière à produire les artistes. Qui plus est, ne voilà-t-il pas qu’un blanc-bec né à Hibbing dans le Minnesota appelé Robert Zimmerman , plus connu sous le nom de Bob Dylan, vient affirmer à la face du monde en 1964 que le monde est en train de changer ! ( 6 – The times they are a changing) . Encore pire ! Un guitariste prodige noir ayant du sang Cherokee dans les veines nommé Jimi Hendrix ose massacrer l’hymne américain en protestation contre la guerre du Vietnam ! ( 7- Star Spangled banner- Jimi Hendrix ) Pour le WASP moyen, c’en est trop ! Pour contrer l’influence de ce prodigieux guitariste qu’est Hendrix il faudra inventer du rock qui fait plus de bruit : c’est la raison de la naissance du Heavy Metal , musique forte faite par des blancs pour un public blanc selon Chalumeau.
Il faut aussi éradiquer cette contre-culture engagée , donc gauchiste, qui prône la liberté, la tolérance, l’égalité entre les êtres, la fraternité entre les peuples et qui verra son point culminant lors du Summer of Love en 1969. Le WASP s’y emploiera activement : on ne remet pas en cause l’ordre établi sans dommages. C’est là le troisième point commun entre le rock et la Franc-Maçonnerie : les idées progressistes, surtout hors du dogme religieux, dérangent. L’avènement d’une humanité meilleure et plus éclairée, malgré les idées des Pères Fondateurs, n’est pas pour demain aux Etats-Unis ni ailleurs surtout si elle est la conséquence du fameux complot judéo-maçonnique, alibi bien confortable pour les réactionnaires de tout poil.
(8- San Francisco – Scott Mc Kenzie)
Quels enseignements peut-on tirer, sur un plan maçonnique, de l’exposé qui précède ?
Tout d’abord, sur un premier niveau, qu’il faut être très vigilant par rapport à l’anti-maçonnisme. En faisant des recherches pour cette planche, j’ai été impressionné du nombre faramineux de sites anti-maçonniques présents sur la toile qui font des rapprochements ahurissants entre musique rock , satanisme et complot judéo-maçonnique. Très souvent, ces sites sont la face visible de théories sectaires ou religieuses. Nous, maçons, devons les dénoncer avec beaucoup de courage et de clarté. Ce ne sont malheureusement pas les fameux « marronniers » publiés à longueur d’années par des magazines de renom pour vendre du papier et titrant très souvent sur le pouvoir occulte détenu par les Francs-Maçons qui vont aider à faire cesser les interrogations et les délires chez le grand public surtout aussi mal informé. Du coup, cela rend nécessaire un travail d’extériorisation qui servirait à réduire à néant les fantasmes les plus fous !
Mais ce n’est pas tout. Fidèles à l’esprit de VITRIOL , nous devons aussi travailler sur nous-mêmes et cultiver notre ouverture d’esprit afin de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Ne pas rejeter a priori un mode d’expression différent du nôtre par méconnaissance, à l’instar du rock qui a bouleversé les valeurs établies, est une attitude à développer.
Seules la fermentation des idées (pour faire allusion à une récente planche symbolique sur la bière, la distanciation, la compréhension, l’utilisation des outils symboliques , peuvent nous permettre d’aiguiser notre jugement. C’est un moyen imparable pour se prémunir contre les préjugés qui embrouillent souvent notre discernement.
En conclusion, et pour en revenir à la question du titre de cette planche, le rock’n roll, surtout celui des années 60/70 voire de la fin des années 70 et la franc-maçonnerie, ont en commun la recherche d’une société idéale fondée sur des valeurs humanistes et la remise en question d’un modèle dominant. Les valeurs prônées par le mouvement rock des années 60 se sont heurtées au modèle sociétal américain, à son conservatisme issu du puritanisme religieux et ont fini par exploser en vol. Fort heureusement, le combat de la Franc-maçonnerie pour atteindre l’idéal maçonnique continue de nos jours et la tâche est loin d’être achevée !
J’ai dit !
Après planche ( 9 – On Elvis Presley’s Birthday – Elliott Murphy)
Descente de l’Orient ( 10 – My my, Hey hey – Neil Young)