Comment travailler sur le profane qui est en nous ?

Comment travailler sur le profane qui est en nous ?

Plutôt que de se demander comment lutter contre le profane qui est en nous, il vaut mieux envisager comment faire avec. En effet, il serait erroné de penser qu’il y a d’un côté le méchant profane affublé de tous les maux  de la terre et de l’autre l’exemplaire FM laborieusement élevé au grade de Maître, exhibant fièrement ses multiples qualités comme un général soviétique le faisait autrefois de ses médailles. Admettons donc, pour commencer qu’un FM est avant tout un homme/un profane comme un autre. Certains s’imaginent différents, les faits, toujours aussi têtus, prouvent le contraire. Le FM agit et réagit d’abord en profane, pour peu qu’il y ait un enjeu, évidemment. D’ailleurs, on peut penser que si la Franc-maçonnerie est une affaire d’Hommes, il est des Hommes qui, parfois, viennent y faire des affaires, hélas. On aimerait penser le contraire. Le FM est grand, qui plus est quand  il est parvenu au grade de  maître ; et quand il sera au 18ème, au 33ème, il sera encore plus grand, pensera, agira, se comportera comme un FM irréprochable dans le temple ou à l’extérieur. Est-ce si sûr ? Du haut de nos 7 ans symboliques et des poussières, nous nous contenterons d’espérer.

Pourtant, on peut relever des différences objectives. La plus importante appartient, selon nous, au domaine de la connaissance. L’une des caractéristiques du FM tient à son goût du travail, et sans doute, du travail bien fait. Le Maître est Maître parce qu’il a atteint un minimum de savoir et peut-être de savoir être (quoiqu’un petit effort soit encore parfois nécessaire…). Il est raisonnable de penser qu’il n’en aura jamais fini avec la connaissance. Encore faut-il qu’il ne s’y noie pas. D’où l’intérêt d’apprendre à nager, plus encore aujourd’hui où nous baignons dans un océan d’informations, facilement accessibles, plus difficilement assimilables. Aussi, pour peu qu’il soit en capacité d’en extraire la substantifique moelle, le FM est en mesure d’en retirer des leçons fructueuses et efficientes. L’intérêt des hauts grades, s’il y en a un,  réside sans doute dans cet accroissement d’expériences et de savoirs. On se plaira  à imaginer le Maître en route vers une possibilité de sagesse, évidemment et heureusement, inatteignable.
Le FM possède également un talent certain pour rassembler ce qui est épars. Même si le Maître n’est pas à l’abri de verser dans la discorde, puisqu’il n’est qu’un homme, rappelons-le, il se fait, on veut le croire, un devoir de résister aux dissensions inutiles. Ce difficile chemin devrait l’engager vers une forme de bienveillance critique. On ne saurait croire qu’une querelle entre les Anciens et les Modernes puisse durer longtemps, par exemple,  dans une Loge comme c’est souvent le cas dans le monde profane. Ou du moins, on doit être à peu près  assuré qu’elle  trouvera une issue honorable. Dans ce cadre, la place des Anciens ne peut être seulement le fait d’un simple respect mais elle est aussi un lieu de propositions fécondes. Inversement, la place des Modernes ne peut se résumer à un désir de changement qu’on risquerait de rattacher forcément à enjeu de pouvoir. Finalement et logiquement, en Franc-Maçonnerie, les notions d’Anciens et de Modernes n’ont plus cours.

Mais par ailleurs, le statut de Maître n’est-il pas aussi quelque peu un  handicap. Le FM se croit « arrivé » puisqu’il est intronisé Maître ? En effet, comme l’indique l’étymologie, « maître » vient de magister de « magis : le plus ». C’est celui qui est le plus haut, le plus grand, le plus savant, etc. (au passage, il est bon de se rappeler que « minus », qui a donné « ministre », caractérise celui qui est au service de. Il serait bon que chaque titulaire de ce poste sans souvienne de cette allégeance). Le terme de Maître connote donc une idée d’accomplissement, de plénitude, d’achèvement, en contradiction avec l’idéal maçonnique qui fait du FM un éternel apprenant, un homme qui cherche inlassablement. Il ne serait pas vain, par conséquent de changer cette appellation pour une autre qui révélerait que le FM n’est jamais abouti, que le doute est consubstantiel à la FM et que l’inachèvement a bien des vertus. Le FM est un apprenti perpétuel qui s’efforce simplement de progresser à l’aide d’outils, de pratiques et d’échanges. N’est-il pas courant d’entendre des F éprouver une certaine nostalgie envers les états précédents où ils n’étaient que simples apprentis ou  compagnons. Ces statuts éphémères, empreints d’inachevé, sont dotés de surcroit d’une bonne dose  d’innocence, mot sur lequel on s’arrêtera. Car l’innocent, au premier sens, est celui qui n’a pas encore tué, ou du moins, qui n’a pas encore nuit. Cet élément renvoie par conséquent à toute la symbolique qui marque l’accès au 3ème degré maçonnique.
 On se demandera toutefois de qui le Maître porte-t-il le deuil ?  D’Hiram ou de lui-même ? Mais cette question mérite sans doute quelques planches et années d’apprentissage supplémentaires.

Finalement, la meilleure façon de composer avec le profane qui est en nous ne réside-t-elle pas alors dans cette volonté de rester toujours un modeste apprenti, de conserver précieusement une forme d’ingénuité et de n’être, par conséquent, jamais un Maître achevé, parfait et accompli. En aucun cas, pour le moins, le « magister » ne sera un « dominus », un être qui commande et domine, … même habilement. Vaste programme…

Mais reste, peut-être, à lui trouver un autre nom, à ce magister récalcitrant…

Nous avons dit

Grade M .°. 2015

Laisser un commentaire