Il me revient ce soir de vous parler de l’altérité.
L’altérité est définie par Emmanuel LEVINAS comme le « caractère de ce qui est autre ».
S’agit-il de reconnaitre l’autre comme sois même, et donc y rechercher une part de soi-même, qui se ressemble s’assemble finalement.. Ou au contraire d’entrer dans une dialectique, de soi avec l’autre et se nourrir de ses différences ?
Ce travail bien sûr ne peut être qu’être qu’un point de vue, donc limité tant ce thème est propice a bien des débats, comme nos frères compagnons l’avaient si bien illustré il y a peu de temps dans une magnifique planche. Comme ils nous l’indiquaient, nous sommes tous haltérophiles, est-ce à dire qu’il nous faut porter l’autre à bout de bras ?
Lire cette planche devant vous nous engage déjà dans cette altérité, en effet si je la lis le matin en me rasant, c’est bien différent de vous la présenter, puisque me voilà sous votre regard et ça change tout.
Je vous propose le plan suivant, tout d’abord définir l’altérité et les conditions de sa construction, ensuite comment cette altérité nous concerne plus particulièrement en FM et enfin un détour sur l’altérité dans la vie en société.
Les psychanalystes fondent l’altérité dans la plus jeune enfance, quand le père réel ou symbolique vient séparer l’enfant de sa mère, en quelque sorte couper le cordon, dans son rôle de tiers, la mère n’est plus tout pour l’enfant qui va se construire au contact des autres. Le père, altérité irréductible est le premier étranger, contrairement à la mère cet autre même dont il faudra que l’enfant se sépare pour devenir sujet.
Au départ l’enfant n’a pas conscience de sa propre identité, de son corps, il le découvre petit à petit, il lui faudra même un certain temps pour qu’il se reconnaisse dans le miroir.
Il est admis que l’enfant se reconnait dans la glace vers 18 mois
Car avant la question de l’autre, se pose la question de soi, qui suis-je ? le « connais toi toi-même » de Socrate, inscription que l’on retrouve dans le cabinet de réflexion.
.
Je me construis en référence aux autres, qui eux même se construisent dans le regard qu’ils posent sur moi et que je leur renvoie, forme d’intersubjectivité, de dialectique entre moi et autrui. Comme l’écrit Sartre : »l’autre comme regard n’est que cela, ma transcendance transcendée ». Dans l’altérité, le regard de l’autre en effet me transforme.
Chaque sujet se trouve ainsi face à la liberté de l’autre, l’altérité est pensée à partir de la liberté du moi. « je est un autre » disait Rimbaud.
L’altérité est pensée comme une multiplicité, un ailleurs, insurmontable. L’altérité implique la compréhension de la particularité de chacun, la capacité d’ouverture à l’autre, c’est elle qui permet la tolérance mutuelle, bien au-delà de l’alter ego.
La conscience identitaire ne peut naitre en effet que de cette confrontation à l’autre, pour autant que l’on se constitue comme un être social. Laissons de côté la question des ermites, faute de temps.
Etre social c’est-à-dire occupant une place dans le groupe. Pour s’en convaincre, voyons comment se construisent par exemple les enfants sauvages, qui hormis sans doute le contact avec des communautés animales sont privés de tout contact humain. Lucien Malson nous précise que la plupart resteront quadrupèdes, indifférents au monde qui les entoure, et incapable d’exprimer une émotion. Il est rare que ces enfants arrivent à parler, à l’inverse ils développent d’autres sens comme l’odorat. Le constat bien que moins sévère concerne tout autant aussi les enfants abandonnés, comme ces orphelins de Ceaucesu, parqués dans des orphelinats roumains et privés de tout l’environnement sensoriel et de toute nourriture affective. A 5 ans, un thérapeute leur pose par jeu une pointe de Nutella sur la joue, et les enfants lèchent le miroir. Ils ne peuvent prendre conscience d’eux même car la rencontre ne s’est pas faite avec des adultes bienveillants.
Voilà bien une illustration qui relance le débat nature/culture …
J’aime beaucoup la métaphore de la voute céleste chère au psychanalyste belge Jean-Pierre Lebrun : chaque individu a en référence un certain nombre de figures, de personnes, mortes ou vivantes, réelles ou de fiction qui l’ont construit, auxquelles il fait référence, ou dont il s’est un jour nourri, consciemment ou non, autant d’étoiles qui brillent dans sa voute céleste personnelle. Dans ce temple magnifique, élevons le regard vers cette voûte étoilée, et si on y mettait des noms, des personnages sur chaque lumière, l’une brille t-elle plus que les autres, une nouvelle vient-elle s’ajouter ? Chacun aurait ainsi sa propre lecture, et reconnaitre à chacun cette interprétation propre n’est-ce pas aussi une forme d’altérité. Boris Cyrulnik appelle cela « des étoiles de résilience ».
Je parle ici de notre capacité à synthétiser à absorber, à se remplir à dans cet relation à l’autre pour qu’il y ait altérité il faut une rencontre, 1 + 1 ça fait toujours 3, moi, toi et nous il y a transformation dans ….l’alter, si 1 + 1 = 2 c’est qu’il n’y a pas de rencontre, chacun reste dans sa bulle, l’autre est étrange et étranger..voir la controverse de Valladolid par exemple .. si un plus un devient un, on est dans la fusion, l’autre n’existe pas , il n’est pas là !
Et pourtant, la veille de mon mariage, je susurrais dans l’oreille de ma promise, enivré de tout ce bonheur à venir et des effluves houblonnées : »demain, toi et moi ne feront plus qu’un : MOI ! » Mais bon j’étais ignare des choses de la vie mais je vous rassure … c’est encore pire maintenant.
Mais la rencontre avec l’autre n’est elle pas souvent entachée de clichés ? un peu comme si on regardait les photos d’un film qu’on a pas vu ! elle est forcément subjective, guidée par nos philtres, notre éducation, notre inconscient, nos projections, voire du côté de la psychanalyse qui utilise le transfert c’est-à-dire « l’autre supposé savoir », selon la définition de Lacan, comme outil thérapeutique, assorti il est vrai du transfert de fond de la poche de l’analysé vers l’analyste mais c’est une autre histoire.
Une semaine après la saint Valentin, je ne peux m’empêcher de vous citer cette phrase dont je n’ai pas retenu l’origine :’Aimer c’est donner sa confiance au mystère de l’Autre », mais c’est vrai aussi dans l’amitié et dans la fraternité, haute valeur maçonnique.
L’altérité n’est jamais altérité pure, elle se mêle à l’identité du sujet : je vais voir l’autre pour qu’il me donne de mes nouvelles …
L’autre, même au plus proche restera toujours une énigme.
L’objet de la FM est l’amélioration matérielle et morale de l’humanité, nous partageons tous une certaine vision de l’humanité, issue du siècle des lumières.
Le profane passe tout d’abord par le cabinet de réflexion, ou seul face à lui-même il rédige son testament philosophique. Nos nouvelles sœurs ce soir ont du être bien étonnées, comme je l’avais été moi-même, ce testament, à peine écrit sera brûlé, preuve qu’il en est que chacun se retrouve avec sa conscience et pourtant chacun l’a rédigé à l’adresse des autres.
Le passage sous le bandeau est lui d’une autre nature, le bandeau protège le profane du regard des autres, de même qu’il protège les frères du regard du profane. Mais pour autant l’équilibre n’est pas respecté, le profane ne voit pas les frères et sœurs de l’atelier qui eux pourtant le voit.
Une altérité s’installe, le profane a bien conscience de la présence dans l’atelier, des bruits de chaises, des toux, parfois un peu d’agitation quand la réponse amuse, dérange ou surprend. On demande au profane ce qu’il vient chercher en FM , question classique déjà reprise dans les enquêtes, mais on ne demande pas au frères et sœurs de l’atelier ce qu’il viennent chercher eux aussi dans cette admission d’un autre, d’une autre .Trouver un autre que soi ? Quelqu’un qui pense pareil ? Qui a les mêmes références , les mêmes codes ? et quand les urnes circulent, chacun dans le secret du vote dépose une boule blanche ou noire, et ainsi vient reconnaitre ou non ce profane comme un membre de la tribu. Souvent je me suis demandé ce qui ainsi motive mon vote, de même que la conclusion d’une enquête. J’aime ce que je ne suis pas, ou suis-je dérangé par les défauts de l’autre dans lequel je reconnais les miens ?
Une fois initiés comme ce soir, ces profanes, éblouis peut-être de cette lumière nouvelle, de cet amour soudain, de cet accueil s’appelleront frères ou sœurs… Pourtant pour Lévinas, « la rencontre c’est entre étranger que cela se passe, sans cela ce serait de la parenté »,
Dans la cérémonie d’initiation que nous venons de vivre, après un temps d’extrême solitude, face à soi même la rencontre avec l’autre se matérialise pendant les voyages un peu agité au départ, tourmentés, puis finir dans la quiétude et l’harmonie autour d’une épaule, d’un autre, qui se veut bienveillante.
Plus tard n’impétrant découvrira son pire ennemi dans le miroir … sans Nutella, mais un autre se cache derrière.
Le pavé mosaïque peut aussi illustrer cette altérité noir/blanc, c’est binaire, mais au fur et à mesure que chacun prend de la hauteur et s’élève vers les étoiles le contraste disparait, et le mélange des couleurs produit toute une nuance de gris.
Dans notre société qui paradoxalement multiplie les techniques de communication, qui étymologiquement signifie « mettre en commun », la communication se réduisant le plus souvent à des éléments de langages à des fins politiques ou commerciales, qu’en est-il de la rencontre avec l’autre, qui dérange, qui ne pense pas comme moi, qui peut me faire peur ….tout est fait pour diviser le collectif qui va se retrouver en catégories : les chômeurs contre les actifs, les homos contre les hétéro, la gauche, la droite ..les musulmans/les chrétiens, les chiites/les sunnites, …….plus légèrement l’Om ou PSG, « tous derrière la section » , chacun a besoin de se sentir membre d’un groupe qui partage en principe des valeurs communes, un idéal .C’est la même chose pour les réseaux sociaux, à chacun le sien, et si vous tweeter vous vous limitez à 140 caractères, fast-food de la communication, plus enclinte à créer du buzz, à polémiquer qu’à rapprocher les individus.
Même chose pour les combats sociaux, chaque catégorie revendique ses propres avantages.
Société pourtant individualiste, ou la compétition fait rage, que le meilleur gagne sur le marché de l’emploi, dans les entreprises, au concours d’entrée dans les formations, les exemples sont nombreux et bien sûr se pose la question du vivre ensemble, sur quel socle ? en 1998 tous champions du monde foot, à l’époque je vivais en Corse , jamais vu autant de drapeau français à Ajaccio …..de même en janvier 2015, tous Charlie même les pires dictateurs, uni contre un ennemi commun mais le reste du temps ? qu’est-ce qui fonde le vivre ensemble ?
Si on admet , c’est en tout cas ma posture, que ce n’est pas la religion qui fonde le vivre ensemble, on ne peut bien sûr pas ne pas faire un détour par la laïcité, concept souvent mal interprété dans le monde profane, tantôt comme bouffeur de curé ou comme anti-musulman c’est-à-dire contre la religion, cependant…il n’en est rien, bien au contraire, puisque la laïcité permet l’expression de toutes les religions, de toutes les croyances, les renvoyant simplement dans la sphère privée et en aucun cas comme un régime politique.
Dans les régimes totalitaires, religieux ou non, il n’y a pas d’altérité, l’autre est nié dans sa différence, il n’existe pas.
La laïcité, fonde l’altérité, c’est en son nom qu’elle combat toutes formes de discrimination qui touchent les minorités qu’elles soient religieuses, philosophiques, sans critères d’âge de sexe, de handicap quelconque ou de toute caractéristique.
Mais c’est un combat de chaque instant que nous FM devons défendre.
Dans le cheminement maçonnique, l’acronyme « VITRIOL » nous invite symboliquement à visiter le centre de la terre, il s’agit en réalité de rentrer en nous même pour rechercher tous les obstacles qui nous empêchent d’accéder à notre humanité, c’est une démarche introspective donc très personnelle mais qui ne peut se construire qu’avec , par et pour les autres, paradoxe sans doute, mais ce sont bien ces aller-retour entre moi et l’autre, entre moi et les autres qui fondent cette altérité et permet la construction du temple intérieur et de l’édifice collectif.
J’ai dit
Février 2015
Th W