Allocution de conclusion de Daniel KELLER lors de la conférence publique du 10 janvier 2015 : Trois siècles d’antimaçonnisme. La République en danger ? Redonner sens à l’action républicaine
Communiqués et discours | Publié le 23/01/2015 | émis le 10/01/2015
Monsieur le Ministre, Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Sénateur Maire de Lyon,
Monsieur le Député,
Monsieur le Maire du 8ème,
Messieurs les Conférenciers,
Mes très chères Sœurs et mes très chers Frères, car je sais que vous êtes nombreux dans la salle,
Chers amis,
Mesdames et Messieurs,
Depuis quelques jours, je suis comme vous à l’écoute des médias et j’ai le sentiment que les mots ont repris leurs sens. D’aucuns déclarent que nous formons une nation et non pas une juxtaposition de communautés. On fait entendre en boucle cette affirmation prémonitoire de Charb contestant violemment qu’on ait pu qualifier les laïques d’intégristes au motif que l’intégrisme ne saurait être du côté de la laïcité, contrairement à ce que certains ont laissé croire ou laissé penser. On pointe du doigt désormais les menaces communautaristes.
En écoutant ces propos, je ne sais pas si je dois me réjouir ou si je dois être consterné. Fallait- il autant de morts, fallait-il autant de victimes pour que brutalement on commence à remettre le langage dans l’ordre qui aurait dû toujours être le sien ?
Certains évoquent des failles dans cette terrible tragédie auxquelles les services de police ont été confrontés. Je crois que nous devons d’abord saluer le travail qu’ils ont effectué. En revanche, si faille il y a, on devrait s’interroger sur les failles de notre système politique et là je parle sous le contrôle des élus qui ont bien voulu participer aujourd’hui à cette manifestation.
Qu’a t’on fait, qu’est-ce que la République a fait ou plus exactement, qu’est-ce que la République n’a pas fait pour qu’on en arrive là ? Le Grand Orient de France, dans une manifestation comme celle d’aujourd’hui, entend interpeller haut et fort tous ceux et toutes celles qui nous gouvernent, qui nous ont gouverné et qui nous gouverneront. Oui, nous sommes aujourd’hui dans l’obligation de dresser le constat lucide et impitoyable de ce terrible naufrage.
Le Grand Orient de France, en engageant ce cycle de conférences s’inquiétait, il y a quelques mois déjà, du fait que l’anti-maçonnisme ressurgissait et que d’une certaine façon, les Francs-Maçons, comme toujours à travers l’histoire, redevenaient des bouc-émissaires. Nous étions déjà au cœur de la problématique à laquelle nous sommes renvoyés aujourd’hui car les journalistes de Charlie Hebdo ont aussi été des boucs-émissaires, victimes d’une fatwa assassine. Et ceux qui, sur le territoire français, ont souhaité intenter un procès pour blasphème contre Charlie Hebdo ont à leur manière contribué à faire de ces journalistes des bouc-émissaires. Les clients du magasin Hyper Cacher de la Porte de Vincennes ont à leur tour été les boucs-émissaires d’un aveuglement fanatique. Le personnel de police et la jeune stagiaire de Montrouge assassinés ont été des boucs-émissaires.
Tel est le cancer qui gangrène notre société jour après jour, qui désigne à la vindicte publique des hommes et des femmes à raison du simple fait qu’ils sont indépendamment de ce qu’ils font.
Je ne voudrais pas multiplier les exemples mais que penser de celles et ceux qui nous expliquent qu’il faudrait peut-être déchoir de la nationalité française certains français, cela dit sous le contrôle d’un ancien Ministre de la Justice ici présent ?
Donc oui, notre société est malade, parce qu’à force de pointer des bouc-émissaires, nous faisons jour après jour une descente dans l’enfer de la barbarie et c’est contre cette barbarie que nous entendons réagir, que nous entendons affirmer le rôle qui est le nôtre et la place qui doit être la nôtre, en provoquant comme nous le faisons aujourd’hui une prise de conscience. Un débat qui doit être sans concession, car le moment est venu de rompre avec cette négligence bienveillante dont collectivement nous avons fait preuve vis-à-vis des attaques dont la République fait l’objet de manière insidieuse, de manière sournoise, mais de manière quotidienne à force de petits renoncements, de mesquines capitulations, dans un esprit qui pourrait s’apparenter, pour faire une comparaison peut-être un peu forcée, à ce que j’appellerai un nouvel esprit munichois.
Il est temps de revivifier l’esprit démocratique et républicain, en tout cas, c’est le sens de l’engagement des Francs-Maçons du Grand Orient de France, et je sais, au-delà du Grand Orient de France, que tous les Francs-Maçons sont unis dans cette démarche, quelle que soit l’Obédience à laquelle ils appartiennent.
Il faut revivifier l’esprit républicain, mais cela suppose effectivement certaines règles, cela suppose en tout cas certaines convictions et certains principes.
Quand on veut défendre la République, on ne peut pas comparer l’instituteur et le curé. Quand on veut défendre la République et je le dis dans une région dont j’ai bien conscience qu’elle n’est pas aussi déchristianisée, au sens des démographes, que d’autres portions du territoire français, l’argent public doit principalement aller au service public et tout particulièrement à l’école.
J’étais place de la République mercredi soir comme beaucoup de parisiens. Nous étions 30 000 mais je ne les ai pas tous comptés ! Il n’y avait pas de voile, il n’y avait pas de turban, il n’y avait pas de croix, il y avait des hommes et des femmes qui s’étaient rassemblés avec une volonté silencieuse mais très forte, de se retrouver comme des citoyens. Ils n’ont pas forcément obtenu de réponse ce soir-là. Mais autour de ce moment d’émotion, de recueillement, ils formaient une communauté de citoyens, la seule communauté que la République reconnait.
Le moment est venu et je le dis sans esprit de vindicte, d’arrêter de parler de religion. La religion n’est pas la cartographie de la société. Ce n’est pas en fonction des appartenances confessionnelles que l’on peut effectivement construire une République. Il faut que chacun aille au-delà de ses appartenances, de ses convictions religieuses, parce que nous sommes toutes et tous, quelques soient nos croyances, avant tout des citoyens.
Et bien entendu, ce travail nécessite de remettre la laïcité au cœur de notre dispositif républicain. La question a été posée par une personne de la salle. Je ne fuirai pas la réponse. Le Grand Orient de France a fait des propositions pour une République laïque au XXIème siècle, 25 propositions. Ce ne sont pas des propositions dirigées contre telle ou telle communauté religieuse. Ce sont des propositions destinées à souder le pacte républicain et le pacte citoyen. Ce sont des propositions qui ont pour vocation de rappeler à tous qu’effectivement nous ne nous reconnaissons pas exclusivement dans des appartenances singulières, culturelles ou autres et que nous devons former cette communauté de citoyens au quotidien. Cela commence par l’application de règles qui ne sont dirigées contre personne mais qui sont dans l’intérêt de tous.
La République, ce sont des droits mais la République, ce sont aussi des devoirs, des devoirs qui s’appliquent à toutes et à tous sans discrimination.
On a parlé de l’Ecole, elle est certainement, le cœur de cette République à reconstruire, Je ne suis pas convaincu que pour un jeune des cités, ou pour un jeune d’une commune de France quelle qu’elle soit, qui est à l’école, que l’objectif premier aujourd’hui soit l’envie de devenir milliardaire. Je pense en revanche, que l’objectif premier de notre Ecole est effectivement de permettre à tous ces enfants de sortir de l’école demain en sachant correctement lire, écrire et compter et pour 15% d’entre eux, ça n’est toujours pas le cas.
L’objectif effectivement de l’Ecole c’est redevenir ce lieu de l’instruction pour permettre effectivement à tous les enfants de se doter des outils grâce auxquels ils pourront s’émanciper, grâce auxquels ils pourront accéder à cet esprit d’argumentation, à cet esprit critique à travers lequel chacun, progressivement au fil de sa vie, devient un être libre et peut effectivement échapper à toutes les formes de dogmatisme et à toutes les formes de fanatisme. Ce travail, nous devons l’entreprendre en ayant la conviction que cela nécessitera aussi de renouer avec certaines formes d’autorité. Non, l’autorité n’est pas le monopole du Front National.
L’autorité est un principe républicain et c’est grâce à celui-là notamment que d’autres générations avant nous ont pu connaitre un sort peut-être meilleur, en tout cas pour celles de l’après guerre, que celui qui semble réservé aux enfants d’aujourd’hui.
Je suis heureux en tant que Grand Maître du Grand Orient de France, que de nombreux élus soient venus prendre part à cette manifestation. Le Grand Orient de France n’est ni un parti politique ni un syndicat. Nous n’avons de compte à rendre à personne. Nous sommes libres et indépendants, ce que nous disons, correspond à nos convictions et nous n’avons pas à taire nos convictions. Nous nous adressons à tous les Républicains, qu’ils soient de gauche ou de droite, à tous ceux qui ont la République au cœur, pas simplement dans les mots mais dans les actes, jour après jour, avec une volonté de la faire progresser.
Je vous avouerai que cette République, j’ai parfois le sentiment, encore une fois qu’on en parle plus qu’on la fait, et je prendrai l’exemple de Marianne. J’ai eu la chance, dans les derniers jours de l’année qui vient de s’écouler, d’aller visiter les Frères et les Sœurs du Grand Orient de France à la Guadeloupe. Je suis allé sur une petite île qui s’appelle l’île des Saintes. Si un jour, certains d’entre vous ont la possibilité d’aller en Guadeloupe, allez visiter l’île des Saintes. Quand on débarque après 30 minutes de bateau un peu secoué parce que l’océan est pas mal agité en cette période de l’année, sur le petit port des Saintes, la première chose qu’on voit, c’est une colonne avec à son sommet la statue de Marianne et en légende « Centenaire ».
Pensons à ces citoyens français de la Guadeloupe, distants de la France Hexagonale de près de 8000 kilomètres qui, un siècle après la révolution française, le 14 juillet 1889, ont érigé une statue à l’effigie de Marianne. C’est un symbole qui mérite d’être médité. Cela montre qu’il faut peut-être aujourd’hui, si on veut trouver un symbole de l’attachement républicain, aller le chercher loin, trop loin.
Le chemin du retour de la République sera long parce que la France doit affronter des crises majeures. Je crois que nous devons en avoir une parfaite conscience. Les événements tragiques que nous venons de vivre, sont le symbole d’un terrorisme qui livre une guerre lâche et abjecte, une guerre sans visage.
Il ne faudrait pas que l’unité nationale, que la mobilisation que nous vivons sur tous les points du territoire national et à laquelle les Francs-Maçons concourent, que cet élan soit un jour sans lendemain. Soyons donc des citoyens mobilisés, actifs, des citoyens conscients à la fois des dangers et en même temps de nos responsabilités. Ayons la République au cœur, faisons en sorte que nous échappions à cette spirale de la barbarie qui se déploie désormais dans notre pays et nous menace. L’affaire Merah n’a hélas servi à rien de ce point de vus. Manifestement, aucune leçon n’en avait été tirée. Aujourd’hui, nous nous trouvons au même point. Et demain? Qu’en sera t il demain? Quelle sera la société dans laquelle nous vivrons ?
C’est donc avec l’esprit grave et résolu que, au nom du Grand Orient de France, je tenais à rappeler toute la volonté qui sera la nôtre d’agir, d’intervenir et d’être présent dans la cité, parce que comme dit le rituel de nos travaux, c’est à l’extérieur de temple que l’on répand les vérités que nous y avons acquises.
Et je sais que les Francs-Maçons lyonnais comme les Francs-Maçons d’ailleurs, seront effectivement la cheville ouvrière de cet engagement. Et si nous sommes résolus, en écho au participant qui citait Louis Aragon au cours de cette conférence :
Framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera.
Daniel Keller
Grand Maître du GODF