Histoire du monde ouvrier 4 Le soulèvement des canuts lyonnais…

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Histoire du monde ouvrier 4

Le soulèvement des canuts lyonnais…

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Quoi de plus sympathique (pour ce qui me concerne) de débuter cette nouvelle année, naturellement au delà de tous les bons vœux que j’adresse à chacun, par l’évocation d’une insurrection ouvrière !
A vous, « fidèles lecteurs », je rappelle que mon propos ne s’intéresse, à travers l’évocation d’évènements ou personnages (et ce, sans aucun doute, de manière parfaitement incomplète !), qu’à ce qui se rapporte directement à l’histoire du monde ouvrier !

 

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Le soulèvement des canuts lyonnais…ou « l’éveil du prolétariat »

La crise économique nationale et régionale, liée à la révolution de 1830 va entraîner les ouvriers lyonnais dans un mouvement revendicatif purement social, précurseur sur de nombreux points.

Au début du XIXème siècle, l’économie lyonnaise reste largement dominée par la soierie. Mais la concurrence internationale et la transformation de l’économie locale dès 1827 entraînent un appauvrissement général de la population. Le salaire des ouvriers de la soie, les fameux canuts, tombe à 18 sous pour 15 heures de travail journalier. Cette situation n’est guère appréciée par ces ouvriers spécialisés, largement en avance dans l’organisation de leurs droits. Dès 1811 en effet, ils obtiennent un tarif minimum, mais en 1826, au moment où la soierie lyonnaise traverse une nouvelle crise qui contraignit les tisseurs à « mendier de l’ouvrage », et poussa les patrons à baisser les salaires, les chefs d’atelier se regroupèrent autour d’un leader Pierre CHARNIER pour créer une association  » le devoir Mutuel », considérée comme une sorte de « franc maçonnerie ouvrière »,  dont le but était de combattre par tous les moyens toute diminution de salaire. Les ouvriers y étaient admis en versant une cotisation mensuelle.

La révolution de 1830 va les électriser.

Le 27 Juillet 1830, les ouvriers parisiens se révoltent contre les dernières ordonnances de Charles X. Le drapeau tricolore devient l’emblème des insurgés des trois glorieuses (immortalisées par Victor Hugo dans « les misérables »). La chute des Bourbons crée une véritable onde de choc. Bruxelles et Varsovie se révoltent en Aout et Novembre 1830…

Lyon n’y échappe pas : le 18 Octobre 1831, les chefs d’atelier (le chef d’atelier est celui qui dispose de plusieurs métiers), excédés et considérant (faisant, sans aucun doute à mon avis, écho au courant Saint simonien (1) qui se propage dans les villes)   » qu’il est de notoriété publique que beaucoup de fabricants (les patrons) paient réellement des façons trop minimes »,  demandent au préfet du Rhône Bouvier-Dumolart de réinstaurer un tarif minimum. Le 25, 6000 canuts, chefs d’atelier et compagnons-ouvriers manifestent pour soutenir leur revendication. Le jour même, le préfet préside une réunion paritaire qui accepte, les canuts sautent de joie, chantent et dansent dans toute la ville, ils sont les Maîtres de Lyon !

Une commission patrons-ouvriers entérine le tarif, mais une centaine des 1400 fabricants refusent ce tarif, arguant d’une baisse des ventes en clamant « qu’il s’agit d’une tyrannie intolérable »
C’est de cette situation explosive  que surgit l’émeute à partir du 20 Novembre. L’agitation reprend alors et les ouvriers-compagnons, eux aussi organisés, débordent les chefs d’atelier. Le 21 Novembre 1831, les premières barricades s’élèvent dans le quartier de la Croix Rousse. Ils tiennent aussi l’Hôtel de Ville, le Nord de Lyon .La monarchie de Juillet  envoie la police et les gardes nationaux. Mais parmi ces derniers se trouvent nombre de chefs d’atelier… et c’est ainsi que 900 gardes nationaux passent aux côtés des insurgés !

Le mouvement, parti des milieux ouvriers et travailleurs de la soie, s’étend à toutes les catégories de travailleurs, ouvriers du bâtiment rejoignent les canuts.
Comme si un mot d’ordre avait été donné, des ouvriers armés de bâtons, de pelles, de fourches et de pierres affluaient, appelant leurs camarades au soulèvement en criant  » aux armes ! On assassine nos frères ! »
Les ouvriers étaient désormais engagés dans la bataille pour la défense de leur existence et on ne pouvait plus arrêter la marche de l’insurrection. C’était, relataient les témoins du moment, un spectacle hallucinant tant le combat devenait effroyable sur les barricades. On se battait partout dans la ville avec acharnement.
Les gardes nationaux et les soldats de ligne, découragés n’opposèrent plus qu’une faible résistance puis dans la nuit évacuent la ville
Le 22 Novembre, la Croix Rousse et la Guillotière sont aux mains des ouvriers qui brandissent un drapeau noir où est brodée la devise  » Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Le 23, les autorités quittent la ville alors que les agitateurs républicains tentent de récupérer ce mouvement insurrectionnel et le transformer en nouveau pouvoir républicain.
 
A l’unanimité, les canuts, non préparés politiquement sans doute pour instaurer la république  refusent cette intrusion du politique dans le social. Leur bannière est noire comme leur peine et non tricolore !
Le désordre s’installe, les partisans de la démocratie n’avaient ni doctrine, ni programme défini, pas plus qu’une méthode de gouvernement… les insurgés s’épuisent alors en querelles: il s’agit de s’emparer de la place, non de remettre en cause le régime en place à Paris :  » nous voulons le Tarif, non la République ! » s’écrit un canut.

Néanmoins très vite l’idée d’une représentation politique autonome de la classe ouvrière au sein des institutions municipales se fait jour, notamment avec la création d’une milice ouvrière armée. Un « Etat Major Provisoire »  mis en place par justement un corps de miliciens  » les volontaires du Rhône » venus soutenir les canuts et assurer un encadrement « militaire », s’y oppose fortement et tente d’organiser l’insurrection, d’éviter les scènes de pillage et de mise à sac.

Le 24 Novembre, le préfet, qui avait obtenu le tarif et était donc respecté par les canuts, réussit à rétablir le calme en proposant un nouveau tarif aménagé. Les ouvriers rentrent chez eux et reprennent le travail. La gendarmerie et la police reviennent dans la ville. L’Etat Major Provisoire négocie « la reddition de Lyon en contrepartie d’une « clémence » à l’encontre des insurgés. La révolution populaire était manquée !

Mais le nouveau Roi Louis Philippe ne l’entend pas de la même oreille. Ce « Roi des français » et non plus « Roi de France » envoie 20 000 soldats dans la capitale des Gaules sous la conduite du Maréchal SOULT. Ce dernier désarme la population, licencie la garde nationale, révoque le préfet pour avoir « fraternisé avec les insurgés », abroge le Tarif du 25 Octobre.
10 000 ouvriers sont expulsés comme suspects…L’ordre règne à nouveau à Lyon et la réaction triomphe !

La révolte ouvrière des canuts est brisée (5 mois plus tard, 20 000 parisiens meurent lors d’une épidémie de choléra, la misère sociale avait atteint alors des proportions alarmantes) , le patronat continue à exploiter les travailleurs avec la bénédiction du gouvernement de Casimir Périer , mais cette révolte avait marqué les esprits.

D’aucuns considéraient que le sang versé des travailleurs ne serait pas vain.

Et la colère étouffée se métamorphosa rapidement en résistance contre la cupidité des patrons. Les canuts, en dépit de la fin tragique des journées de Novembre 1831, de la répression et des emprisonnements de décembre 1831, ne se sentant malgré tout pas moralement vaincus, se préparèrent pour de nouveaux combats en vue du triomphe de leur juste cause. La défaite était pour eux une stimulante leçon pour les luttes à venir. La conscience des opprimés se réveillait à nouveau dans un sursaut d’indignation et de révolte !
Le mouvement républicain accroit son audience et s’organise en recrutant des intellectuels et des étudiants. Les influences babouvistes (2) sont très marquées, un nombre appréciable de travailleurs se rallie aux idées révolutionnaires.
Les sociétés mutualistes sont aussi très actives et sont prêtes à soulager solidairement les grévistes…
…Et 3 ans plus tard, en 1834, lors d’un nouveau marasme de l’industrie de la soie ce fut un spectacle admirable de voir des milliers d’ouvriers de toutes corporations se ressaisir, se dresser contre un patronat toujours trop exigeant,  et organiser un vigoureux mouvement revendicatif pour l’amélioration de leur condition de vie.

De nouvelles baisses de salaires engendrent des grèves et les meneurs sont aussitôt arrêtés et traduits en justice, tandis que l’armée investit la ville. la situation dégénère avec des premiers tirs de l’armée sur la foule désarmée : des barricades s’érigent à nouveau dans les quartiers de la ville qui se soulèvent les uns après les autres, c’est le commencement de « la semaine sanglante » !

Adolphe Thiers, alors ministre de l’Intérieur, va manœuvrer habilement en laissant la ville aux insurgés, puis en l’encerclant et la bombardant quartier par quartier. A_Thiers.jpeg
L’armée avait reçu des ordres précis : pas de quartier ! il faut non seulement réduire l’insurrection mais aussi terroriser la population afin d’ôter définitivement aux canuts tout espoir de faire aboutir leurs revendications.

L’insurrection est stoppée dans le sang : 600 morts, 10 000 prisonniers condamnés à la déportation.

Ces insurrections des canuts lyonnais de Novembre 1831 et d’Avril 1834 demeurent un des évènements les plus héroïques et des plus dramatiques de l’histoire du mouvement ouvrier français.
La grandeur et l’échec de cette action populaire avait stupéfié la bourgeoisie. Et même après la défaite des canuts, la vision terrifiante du soulèvement hantait encore le sommeil des « vainqueurs » qui, avec des procédés à la fois odieux et inhumains, espéraient annihiler la révolte.
 
Ce fut aussi et surtout la marque d’une évolution irréversible de la conscience ouvrière. Le capitalisme est bien l’ennemi et pour le monde ouvrier, le temps du syndicalisme est venu !

(1)Saint Simon, Franc Maçon, économiste et philosophe rationaliste dont les idées ont influencé le XIXème siècle. il a défendu une théorie des classes sociales qui opposait les travailleurs exploités à des propriétaires rentiers exploiteurs. Adepte de l’élévation morale du prolétariat par l’utilisation des richesses par tous, sa pensée réformatrice visait à construire une société nouvelle, fraternelle et pacifique.St_Simon.jpeg

 

 

(2) Babouvisme : le Frère Babeuf était un adepte de la collectivisation des terres et de la nationalisation générale des biens, passant par une économie dirigée (un précurseur du communisme ?). il défendait le principe que l’égalité civile et politique ne pouvait exister concrètement que si existait dans le même temps une stricte égalité sociale. Sa méthode (qui n’eut d’influence que plus tard) qui préfigurait celle du marxisme, a mis en évidence le concept de « lutte des classes ».

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Gracus Babeuf 

JCF

Sources : « luttes ouvrières » les dossiers de l’histoire populaire. Editions Floréal 1977
               «  Histoire du travail et des travailleurs » Georges Lefranc. Editions Flammarion 1975
               «  La classe ouvrière et le syndicalisme en France » Georges VIDALENC –

    Petit « bonus » cadeau en cette période de fêtes ! Prenez le temps de lire ces quelques lignes, offertes par un être cher, qui viennent for à propos compléter et enrichir cette période que je viens d’aborder…
Laurent Mourguet, crée la célèbre marionnette Guignol aux alentours de 1808. Ouvrier en soie, les temps sont durs pour les canuts.
Il décide alors de devenir marchand-forain pour survivre et utilise un Polichinelle, marionnette en vogue à l’époque, pour attirer la clientèle.(il devient arracheur de dents après avoir été vendeur de petits fagots de bois et distrait ses patients par le spectacle d’une marionnette…°
Il délaisse rapidement Polichinelle et crée ses propres marionnettes : Guignol puis GnafronŽ.
Ce sympathique personnage prend à partie des petites gens en clamant l’injustice sociale et en dénonçant les bourgeois comme les autorités régionales ou nationales.
Très vite, Laurent Mourguet se consacre entièrement à son rudimentaire théâtre de marionnettes installé dans la grande allée des Brotteaux.
Populaire et moqueur, Guignol est l’image du lyonnais pudique et laborieux, mystique et travailleur. Il connut un grand succès populaire à partir des années 1830. A la fin du XIXe la bourgeoisie lyonnaise récupère ce personnage et à la même époque, elle transforme ses histoires en spectacles pour enfants.
Aujourd’hui, petits et grands rient encore de ses aventures dans les théâtres fixes et itinérants de Lyon.
Guignol n’est pas qu’une marionnette pour enfants même s’il est vrai que les castelets, où espièglerie et bouffonnerie exagérées sont de mise, entretiennent cette caractéristique. Avec près de deux siècles d’existence, Guignol est un mythe, une marionnette universelle et l’un de nos meilleurs ambassadeurs. A différentes époques, plusieurs émissions de télévision à caractère satirique ont fait référence à notre marionnette nationale jusqu’aux Guignols de l’Info qui reprennent le nom de Guignol et, par le biais de marionnettes, vilipendent et chahutent hommes politiques et personnages publics comme à l’origine du personnage.
Guignol, c’est aussi aujourd’hui un nom commun qui désigne de manière générique toutes les marionnettes et tous les enfants turbulents et espiègles. Comme l’écrit Paul Fournel,  « guignol est le polisson du monde le mieux partagé ».
Mais plus que cela, il incarne l’esprit français, cet esprit critique et truculent qui, au travers de facéties, proclame son insoumission et sa révolte contre l’injustice. A tel point que le Second Empire, qui constata l’influence que l’esprit de Guignol avait pu avoir sur les révoltes des canuts de 1831 et 1834, le censura comme révolutionnaire et empêcha l’ouverture de nouveaux théâtres.

(C’est aussi la censure mise en place par Napoléon III qui permit paradoxalement de consigner par écrit tous les canevas, piécettes dont Guignol était le héros : sans cet interdit, peut être ce petit être de bois un peu anarchiste ne nous serait parvenu sinon dans la forme, du moins dans l’esprit…)
Et sans oublier également la célèbre chanson des canuts…La chanson sera écrite par Aristide Bruant en 1894 et le seul canut subsistant aujourd’hui, c’est Guignol, il en porte l’habit et la coiffe traditionnelle !

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