Histoire du monde ouvrier 3
La Révolution française de 1789
Nous continuons ce mois-ci notre avance dans l’histoire de l’immense masse des travailleurs. Nous sommes maintenant à l’aube de la Révolution française… Nulle intention ou projet de narrer en détail cette phase importante de l’histoire de notre pays (je n’en suis d’ailleurs pas capable !), mais bien celui de rester dans notre sujet.
Deux révoltes marquent la période de la Révolution française d’un sceau particulier. En elles se conjuguent deux mouvements : la lutte politique contre l’oppression (c’est à Grenoble) et la lutte sociale pour les salaires (c’est à Paris).
A sa naissance, le mouvement populaire comprend ces deux dimensions, qui mettront d’ailleurs près de cent ans à se différencier d’une manière stable, assurant ainsi l’indépendance du syndicalisme…
Nous sommes plusieurs mois avant la prise de la Bastille et le début de la Révolution française : la colère gronde chez le petit peuple des villes et des campagnes. Les revendications sont essentiellement économiques et sociales. La politique sera l’affaire de la bourgeoisie et de la noblesse éclairée.
Tout commence au tournant des années 1785/1787 : le royaume est en pleine crise financière, aboutissant à la retentissante banqueroute d’Aout 1788. En 4 ans, la hausse des prix est de l’ordre de 62%. Sur les 24 millions de sujets de Louis XVI, se sont les 23,5 millions appartenant au Tiers Etat qui sont les plus touchés. A l’époque, les couches populaires dépensent la moitié de leur budget pour leur pain quotidien. Or le prix du blé a flambé suite aux mauvaises récoltes et aux inondations de 1787, et l’Etat désargenté multiplie les pressions fiscales (toute ressemblance avec une époque actuelle n’est pas recherchée, elle n’est que pur hasard…).
Le Dauphiné est alors le théâtre d’une industrialisation moderne : métallurgie, papeterie, textile. Les 23 000 habitants de Grenoble sont sous la coupe d’une vingtaine de familles commerçantes. Dès 1786, l’administration royale tente de supprimer les avantages fiscaux du Dauphiné. Le parlement local, qui est une cour d’enregistrement des édits royaux, refuse cette réforme fiscale le 9 mai 1788. Le lendemain même, le lieutenant général, sorte de préfet de l’époque, ferme le parlement et des mandats d’amener (les fameuses lettres de cachet) sont lancés contre les parlementaires.
Le peuple de Grenoble, qui a déjà bien du mal à joindre les deux bouts, s’oppose à l’arrestation de ceux qui ont refusé cette nouvelle pression fiscale. Deux bataillons de soldats sont dépêchés sur la place d’armes et un manifestant est tué. Des employés de justice qui perdent leur emploi à cause de la fermeture du parlement ameutent la population et aussitôt, les artisans, les boutiquiers, les ouvriers montent sur les toits de la ville et bombardent de tuiles les troupes du Royal marine et du Comte de Clermont Tonnerre. En fin d’après midi, les insurgés sont maîtres de la ville et réinstallent les parlementaires dans le palais de justice. L’émeute durera 6 heures.
Cette « journée des tuiles » débouche sur la réunion d’une assemblée à Grenoble le 14 juin 1788. La campagne électorale bat son plein et fait apparaitre une union, même si les motivations sont contradictoires, entre les trois familles (noblesse, bourgeois, le peuple) pour décider la convocation d’une assemblée représentative de la province selon les règles des Etats Généraux du royaume.
Le 21 juillet, les élus du Dauphiné tiennent séance à Vizille et demandent:
-le rappel du parlement,
-le rétablissement d’états provinciaux avec une représentation égale du Tiers Etat par rapport aux deux autres ordres (noblesse et clergé)
-le vote par tête lors de ces Etats et la réunion d’Etats généraux du royaume.
Ce sont bien les prémices des Etats Généraux et du début de la Révolution !
A la même époque, Dijon, Toulouse, Rennes et PAU connaissent de pareils affrontements. Mais c’est à Paris que la révolte ouvrière reprend de plus belle. Dans les ateliers et les manufactures, les compagnons, les apprentis, les ouvriers (ces derniers, astreints au livret n’ont pas droit de quitter leur employeur) triment de 14 à 16 heures par jour pour 20 sous. Une miche de pain coûte alors 2 sous et, sur 650 000 parisiens, 120 000 sont au chômage et vivent dans l’indigence.
Dans ce contexte explosif, le manufacturier en papiers peints Réveillon ose déclarer qu’un ouvrier peut bien vivre avec seulement 15 sous par jour ! C’en est trop : le 27 Avril 1789, ses employés, rejoints par le peuple des faubourgs, manifestent. Le lendemain, ils mettent à sac deux maisons, les hommes de la privauté tirent, le pavé rougit à nouveau.
Une semaine plus tard, des Etats généraux s’ouvrent à Paris, deux mois après les parisiens prennent la Bastille…
Elle tombe le 14 Juillet. Mais la royauté est toujours bien en place et les premiers révolutionnaires voient d’un très mauvais œil les revendications du monde du travail. Durant la fameuse nuit du 04 Aout, les privilèges sont finalement abolis : concrètement, il n’existe plus de droits seigneuriaux ni de douanes intérieures. En principe, tous les citoyens sont égaux et la doctrine de l’assemblée constituante est basée sur la liberté du travail et du commerce (cependant, la déclaration des droits de l’homme du 26 aout 1789 ne fait pas état de ces libertés économiques)
Voulant supprimer toutes les anciennes entraves, les constituants, dont la théorie du libéralisme économique ne reconnait que l’individu, décident de supprimer les corporations de maîtres et les coalitions de compagnons pour donner la libre accession au patronat pour tous (c’est la loi d’Allarde du 02 mars 1791). Mais cette loi crée un vide, et dès le printemps 1791, face à la crise économique (la période des assignats…), apprentis et compagnons en profitent pour s’organiser : libérés de la tutelle des corporations des maîtres, ils fondent des coalitions ouvrières pour tenter d’imposer des tarifs aux patrons.
La bourgeoisie constituante réagit immédiatement. L’avocat rennais Isaac LE CHAPELIER fait voter une loi le 14 juin 1791, interdisant toute association entre personnes d’un même métier et toute coalition ouvrière. En clair, grèves et syndicats sont prohibés, la liberté du travail l’emporte sur la liberté d’association. Un décret étendra cette interdiction aux campagnes, à l’encontre des fermiers, domestiques et ouvriers agricoles.
Quelques jacqueries éclateront et l’agitation ouvrière républicaine sera réprimée dans le sang lors de la fusillade du Champs de Mars le 17 Juillet.
Une semaine après le vote de la loi LE CHAPELIER, c’est la fuite du roi à Varennes, son arrestation puis jugement et exécution, puis la proclamation de la République…
Mais la loi LE CHAPELIER va survivre à la constituante dissoute le 30 septembre 1791, au roi, et à son auteur qui sera guillotiné en 1794.
Elle sera abrogée par étape seulement à partir de 1864 et disparaitra complètement en 1901…
De la période tumultueuse de la Révolution, nous pouvons retenir que la condition ouvrière n’en a pas vraiment profité ! Dans cet affrontement, la bourgeoisie et le peuple ne se sont très vite, après 1789, plus trouvés ensemble pour abattre le système de la monarchie absolue et de l’oligarchie féodale, mais plutôt face à face.
L’époque fiévreuse de 1793/1795 fut la plus tragique, en ce sens qu’elle a déterminé un environnement politique dangereux et imprévu qui a aggravé la condition sociale de la classe ouvrière. Climat étouffant, nerveux dans lequel Girondins et Jacobins, révolutionnaires modérés et extrémistes, Hébertistes, Dantonistes et Robespierristes menaient les uns contre les autres un combat de rivalités et d’influences impitoyable pour le pouvoir.
La faillite et la disette, connues autrefois sous la royauté, frappaient à nouveau le peuple, qui fut réprimé sévèrement chaque fois qu’il réagissait ou tentait de résister.
La « révolution bourgeoise », à son déclin, se mit à combattre non pas les profiteurs, les accapareurs, les prévaricateurs du régime, mais ses anciens alliés de 1789 : le peuple !
De cette période sombre, la bourgeoisie en retira d’énormes profits tandis que les ouvriers, que Michelet appelait « les bras nus » mouraient de faim !
On connait la suite, Napoléon 1er arriva au pouvoir et sa dictature, sous la bannière trompeuse de la Révolution, confirma la « justification » des inégalités de classes et le maintien nécessaire de l’oppression et de la pauvreté du monde ouvrier.
Sans dévoiler aujourd’hui la suite de mes travaux, repartez aujourd’hui avec le réconfort de savoir que ce monde n’a pas baissé les bras !
Alors, rendez-vous le mois prochain.
Sources :
– luttes ouvrières, les dossiers de l’histoire populaire – Editions Floréal 1977
-le bicentenaire de la révolution française- Lefebvre & Gillet 1989
PS : un petit mot quand même sur l’action des francs maçons pendant cette période troublée…on a beaucoup épilogué sur le sujet et les affirmations les plus diverses circulent régulièrement. cela dit, on peut considérer comme exact qu’à la veille de la Révolution, le GODF comptait déjà près de 30 000 FF, qu’à la convocation des Etats Généraux, aucune unité ne s’est dégagée parmi les Francs Maçons … Cependant, le fameux serment du jeu de paume, prononcé le 20 Juin 1789 par les députés de l’Assemblée Nationale, a un caractère tout maçonnique : l’assemblée nationale arrête que tous les membres de l’assemblée prêteront serment solennel de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront…
Le 4 aout 1778, c’est la suppression des privilèges à l’investigation du vicomte de Noailles et son parent La Fayette, lui aussi Maçon.L’Assemblée Nationale va ensuite déclarer les droits de l’Homme : comment ne pas y reconnaître des relents maçonniques !
Si les Maçons sont nombreux parmi les Girondins de la Convention, à l’exception de Marat, les grands ténors ( Y compris Robespierre) ne sont pas Maçons. La Terreur va enfin arrêter les travaux maçonniques, mettre les loges en sommeil, et guillotiner ( La guillotine, ironie du sort, a été inventé par le F. Guillotin !) nombre de FF… !
Mais, pour conclure, si les Maçons n’ont pas « inventé » la révolution Française », si la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » n’est pas d’origine maçonnique, c’est bien la Maçonnerie qui a depuis propagé dans le monde entier les idéaux de 1789, pour un monde plus juste, meilleur et plus fraternel !