Histoire du monde ouvrier Chapitre 2
Pourquoi ?
Lorsqu’en Juin dernier, je proposais de consacrer mes travaux à quelques regards sur l’histoire du monde et du mouvement ouvrier, je ne mesurais sans doute pas tout à fait l’ampleur de la tâche ! Depuis de moment, je dois bien avouer que je cherche comment organiser mon chantier.
D’autant plus que récemment un de nos membres, évoquant ce projet, me disait qu’à son sens, il était superflu pour un Franc Maçon de se consacrer à l’évocation du passé et qu’il convenait mieux d’utiliser son temps et son énergie à rechercher des solutions pour améliorer rapidement la condition humaine…
Pas vraiment une invite à me motiver !
Mais l’échange est toujours constructif et source de progrès… Sans passé, on n’a pas d’avenir dit-on… Pourquoi devrions- nous être indifférents à tout ce qui a un caractère historique ? Pour avoir le sentiment de créer quelque chose de nouveau, dont les critères sont uniquement les préoccupations du présent et la préparation de l’avenir du monde ?
Certes, parler de l’histoire, c’est répéter ou rabâcher le passé qui n’apporte rien de concret, mais, ignorer l’histoire, c’est ignorer les origines, les causes de la situation présente, et donc ignorer comment en combattre efficacement les effets et conséquences néfastes. C’est le bien passé qui nous a légué la foi dans la liberté et la justice sociale, dans l’idéalisme et le réalisme pour les combats à venir. C’est bien la doctrine morale et sociale de nos anciens que nous adaptons aux exigences des temps modernes !
Et puis, « savoir » l’histoire, c’est comparer, confronter des situations d’hier avec celles d’aujourd’hui et en tirer conclusions et enseignements pour des lendemains. On peut résolument dire que le passé vit intrinsèquement dans le mouvement de l’actualité
Pour reprendre mon sujet, l’histoire du monde ouvrier n’est pas un amas de poussière : les grandes heures des batailles ouvrières, parfois tragiques, nous restituent des étapes décisives dans l’évolution de nos sociétés et nous maintiennent dans notre détermination à avancer, dynamisent nos passions et aspirations, alimentent nos espoirs.
Grand merci à mon frère, qui m’a sans le savoir aidé à trouver le chemin que je cherchais. Mon « programme » est tracé, et ma conviction, plus que jamais, est que la connaissance de l’histoire du monde du travail et des luttes ouvrières est d’une importance considérable au point que le cheminement de l’histoire de l’humanité en suit simplement la direction, que l’histoire du monde ouvrier a souvent influencé le cours de la destinée et saura encore servir pour ne pas commettre d’erreurs graves et trop souvent incalculables !
Comme annoncé en juin, ce travail ne commencera vraiment qu’à la rentrée de Septembre. En guise de « mise en bouche », je vous livre aujourd’hui un passage de l’ouvrage du regretté Albert CAMUS: » l’Homme révolté ». En magnifiant une attitude d’éternelle résistance à toute oppression, il dresse dans ce passage un portrait dans lequel se reconnaitront tous ceux qui, fidèles à une certaine idée de l’homme, s’engagent pour que les opprimés conquièrent leur propre dignité.
» Qu’est ce qu’un Homme révolté ? Un Homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas: c’est aussi un Homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non » ? il signifie par exemple « les choses ont trop duré », jusque là, oui, au delà, « non, vous allez trop loin », et encore » il y a une limite que vous ne dépasserez pas ».
En somme, ce « non » affirme l’existence d’une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté, que « l’autre exagère », qu’il étend son droit au delà d’une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le sentiment de révolte s’appuie, en même temps, sur le refus catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d’un » droit de ». la révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi-même quelque part raison. C’est en cela que l’esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu’il soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre avec entêtement qu’il y a en lui quelque chose « qui vaut la peine de… », qui demande qu’on y prenne garde. D’une certaine manière, il oppose à l’ordre qui l’opprime une sorte de droit à ne pas être opprimé au delà de ce qu’il peut admettre.
Dans le même temps que la répulsion à l’égard de l’intrus, il y a dans cette révolte une adhésion entière et instantanée de l’homme à une certaine part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de valeur, et si peu gratuit, qu’il le maintient au milieu des périls. Jusque là, il se taisait au moins, abandonné à ce désespoir où une condition, même si on la trouve injuste, est acceptée. Se taire, c’est laisser croire qu’on ne juge et désire rien, et dans certains cas, c’est ne désirer rien en effet.
Le désespoir comme l’absurde, juge et désire tout en général, et rien en particulier. Le silence le traduit bien. Mais à partir du moment où il parle, même en disant non, il désire et juge. Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face.
« Il marchait sous le fouet du Maître. Le voilà qui fait face. «
JCF