Réflexion sur la montée des populismes en Europe

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« Populismes en Europe : une résistible ascension ? »
« Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau »
Alexis de Tocqueville
Préambule
Ce document est la synthèse d’un travail de groupe réalisé par les ateliers « Tolérance » (Grand P » Orient de Luxembourg) et « L’Arbre et la Pierre » (Grand Orient de France), et qui a fait l’objet de
deux tenues communes :
        –  « Comprendre la nature et le succès des mouvements populistes » (Metz, jeudi 13 février 2014)
        – « Quels moyens d’action ? » (Luxembourg, lundi 19 mai 2014)
Quels moyens d’action ?
Face à la montée des populismes aujourd’hui en Europe, nous nous sommes fixés comme principal objectif d’élaborer des pistes de réponse qui nous interpellent sur l’action, non seulement collective, mais aussi et surtout individuelle. En conclusion de ce travail, quatre principaux domaines d’intervention se sont dégagés :
        –  Le champ politique : des expériences récentes de démocratie « interactive » ont prouvé que les citoyens ne manquent pas d’intérêt pour les questions politiques et sont prêts à s’investir. Favoriser de tels projets permettrait, comme le dit Pierre Rosanvallon, de « compliquer la démocratie afin de l’accomplir »*, en encourageant une proportion croissante de citoyens à se saisir des enjeux politiques dans toute leur complexité.
        –  Le champ économique : il est tout aussi essentiel de montrer que la concentration du patrimoine et l’accroissement des inégalités économiques ne sont pas inexorables. Là aussi, différentes propositions existent, qui paraissent sans doute ambitieuses voire utopiques – mais plusieurs droits que nous considérons aujourd’hui comme acquis n’auraient-ils pas semblé tout aussi utopiques aux générations passées ?
        –  Le champ de la culture et de l’éducation : l’éducation est un autre enjeu primordial. Nos systèmes éducatifs doivent viser à renforcer la pratique effective de la citoyenneté, avec comme nouveau défi d’intégrer la révolution des technologies de l’information.Ce processus doit impérativement se poursuivre tout au long de la vie.
        – Le champ des pratiques sociales : la cohésion sociale est reconnue par le Conseil de l’Europe comme « condition essentielle pour la sécurité démocratique et le développement durable ». Entre autres mécanismes, le lien social se construit efficacement au travers de collectifs qui rassemblent des citoyens d’horizons, de conditions, de cultures différentes, tournés vers un intérêt commun concret. 
* Les sources qui ont inspiré ce travail sont reprises dans la bibliographie en fin de document. 
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Alliance Maçonnique Européenne « Populismes en Europe : une résistible ascension ? » Version 2.3 (29 août 2014)
Ces différentes pistes visent donc à la fois à recréer un espoir réaliste, qui ne soit pas de l’optimisme naïf destiné à être rapidement déçu, et à nous encourager tous – en tant que citoyens en général, et Francs-Maçons en particulier – à quitter le rôle de spectateur passif pour devenir aussi le moteur du changement. Tenter de saisir le monde qui nous entoure dans toute sa complexité plutôt que se complaire dans des explications simplistes ; prendre conscience de nos biais de pensée sans tomber dans une introspection stérile ; accepter de prendre nos propres responsabilités plutôt que rechercher des boucs émissaires ; dialoguer en refusant le piège du repli identitaire ; regarder les difficultés en face sans noircir le tableau ou se laisser aveugler par la peur ; et surtout décider d’agir afin, selon le précepte de Gandhi, d’« être le changement que nous souhaitons voir dans le monde » : voici une ambition qui constitue notamment la base de notre travail maçonnique.
Afin d’étayer ces pistes et avant de les développer, il faut d’abord s’interroger sur les raisons du succès des populismes, pour en saisir à la fois les mécanismes et les dangers.
Populismes : état des lieux et définition
Mais commençons par un constat. Elections après élections, la montée des mouvements populistes semble devenir une tendance lourde dans le paysage politique européen, et l’on ne voit pas très bien quels facteurs pourraient enrayer cette ascension de partis ou de mouvements qui surfent avec habileté sur nos peurs, et sur des mécontentements nombreux – et souvent légitimes. D’autant que ces partis ont fait ces dernières années de réels efforts pour dé-diaboliser leur image. Finis les dérapages ou les blagues antisémites ; ils reprennent aujourd’hui à leur compte la défense de la laïcité ou la dénonciation des excès du capitalisme financier.
Les élections européennes du mois de mai dernier n’ont fait que confirmer cette tendance, avec une nouvelle poussée de partis populistes et europhobes.
« Le 25 mai dernier, le réveil des peuples européens a commencé de sortir le vieux continent de sa torpeur. Nombre de nations, en particulier la France que je représente dans cette Assemblée, ont choisi d’envoyer un message très clair. Non à l’Europe de Bruxelles. Non à la confiscation de la démocratie. Non à l’imbécillité des politiques récessives. Non au déclassement. Non à l’immigration massive organisée. Non à la dilution de nos identités. Oui à nos nations. L’Union européenne est devenue un projet fou, un projet mortel, dont progressivement les peuples se détournent. »
Marine le Pen (FN, France) Débat lors de l’élection du Président de la Commission Européenne (15 juillet 2014)
« Right across Europe, on the left, the centre and the right, there are now more Eurosceptics in this Parliament than have ever been seen before. … I can tell you that we, the Eurosceptics, are now the progressives. … We are the ones who want democracy, we are the ones who want nation states, we are the ones who want a global future for our countries, and do not want to be trapped inside this museum. »
Nigel Farage (UKIP) – Conclusions of the European Council meeting (26-27 June 2014)
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Définition du populisme
Quels sont les points communs à ces différents partis ? Quels critères permettent de qualifier un parti politique de « populiste » ?
« Il est plaisant et même risible de voir toutes ces soi-disant élites, experts, économistes, politiques, journalistes, consciences morales et bien-pensants, se gratter la tête. … Les analyses pontifiantes et les jugements péremptoires et les anathèmes faciles se succèdent.
– ceux-ci Monsieur sont des anti-républicains, des factieux même !
- non, non, vous dis-je, ce sont des marxistes
- mais enfin ridicule, Mon Cher, ils sont d’extrême droite
- ma Chère, vous n’avez rien compris, ce sont évidemment des populistes. »
Marine le Pen (FN, France) – Discours du 1er mai 2013
Nous adopterons ici la définition de Daniele Albertazzi et Duncan McDonnell : « Le populisme est une idéologie qui oppose un peuple vertueux et homogène à un ensemble d’élites et « autres » individus dangereux qui sont, dans leur ensemble, décrits comme privant (ou cherchant à priver) le peuple souverain de ses droits, de ses valeurs, de sa prospérité, de son identité et de sa voix. »
Ainsi défini, le populisme est compatible avec n’importe quelle idéologie politique – de gauche ou de droite, réactionnaire ou progressiste, etc. -, et n’importe quel programme économique. Ce n’est pas non plus un phénomène nouveau. Depuis toujours, il est l’ombre inséparable de la démocratie, l’accompagnant de façon permanente, et ré-émergeant lors de crises de la légitimité politique.
Une doctrine simpliste et manichéenne
Selon Pierre Rosanvallon, le fond de l’idéologie populiste est constitué de trois simplifications.
En premier lieu, une simplification politique et sociologique qui consiste à considérer le « peuple » comme un sujet évident, immédiatement compréhensible. Ce peuple est défini par sa différence par rapport aux groupes cosmopolites et oligarchies divers, qui eux constituent les élites. Le tout dans une perspective manichéenne : c’est-à-dire, une société dont la partie saine et unifiée est composée par le « peuple » ; ce peuple qui ferait bloc naturellement pour résoudre les problèmes de société une fois que l’on s’est débarrassé des « élites » qui en sont l’origine. D’un côté donc, une opinion publique prétendument homogène, qui détiendrait d’une façon presque mythique le savoir de ce qui est vrai et de ce qui est bon. De l’autre, des élites, dont la rhétorique populiste fait également un groupe monolithique, et des « autres individus dangereux », c’est-à-dire en fait une métaphore pour désigner les immigrés, ceux qui ont d’autres croyances, et qui sont présentés comme nocifs en raison de leur nombre et de leur volonté contraire aux intérêts du « peuple ».
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« J’exprime la fierté de tout un peuple. Une fierté aujourd’hui meurtrie, blâmée, parfois même honteuse, qui doit pourtant pouvoir s’exprimer à nouveau pleinement. Parce qu’il n’y a rien de plus beau qu’une aventure nationale, rien de plus motivant que de savoir qu’on n’est pas seul, qu’il y a autour de soi une nation avec laquelle on est en résonance, avec laquelle on partage un destin, une nation avec laquelle on se sent solidaire et conquérant. »
Marine le Pen (FN, France) – Discours de Metz du 11 décembre 2011
Affiche du Vlaams Belang (Belgique) « Saïd I, braqueur – Dehors (à expulser) sans pardon ! »
La deuxième simplification est d’ordre procédural et institutionnel. Le populisme considère que le système de démocratie représentative, tel qu’il existe, est structurellement corrompu par les hommes politiques. Il suspecte aussi que les corps intermédiaires, tels que la justice, les institutions régulatrices, etc., ne prennent pas en considération les vraies préoccupations et souffrances du peuple. Il faut donc limiter le pouvoir de ces intermédiaires et, au niveau politique, remplacer la démocratie représentative par un système d’appel direct au peuple. En bref, il faudrait remplacer les élections par des référendums.
En troisième lieu, une simplification dans la conception du lien social. Pour les populistes, la cohésion d’une société repose sur son identité. Elle ne repose pas sur la qualité interne des multiples relations que les membres de cette société tissent entre eux. L’identité, supposée constituer le fondement de la société, est définie de façon négative par la stigmatisation de ceux qu’il faut rejeter, c’est-à-dire les élites dites cosmopolites, les immigrés, ceux qui ont d’autres croyances, etc.
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Comment expliquer la montée des populismes ?
Le succès des populismes résulte de la conjonction de nombreux facteurs qui s’expriment différemment selon les contextes nationaux : la situation de la Grèce n’est pas comparable à celle de l’Autriche. Il faut néanmoins s’interroger sur les raisons objectives que peut avoir une partie de l’électorat d’adhérer aux thèses des mouvements populistes, car c’est là que se situent aussi les leviers d’action.
La mondialisation et la crise économique
En premier lieu, les idéologies comme le populisme qui prêchent le repli sur soi vivent des sentiments de peur. Une peur fondée ou imaginée. Actuellement, pour beaucoup, la crise économique et la mondialisation marchent main dans la main, causant des changements profonds et inquiétants au niveau du marché du travail, de l’emploi, du niveau de vie. Le capitalisme industriel a été détrôné par le capitalisme financier : à la place d’une économie basée en large partie sur le travail, on est confronté à un capitalisme basé sur des formes diverses de spéculation : spéculation sur les matières premières, les valeurs boursières, les dettes souveraines etc.
Affiche de campagne du UKIP (Grande-Bretagne) – Avril 2014
Avec la disparition de branches d’industrie traditionnelle, la possibilité de trouver ou maintenir un travail diminue tragiquement pour les moins qualifiés professionnellement. De plus, des régions dépendant de ces industries sont confrontées à un déclassement social, et cette situation prépare le terrain pour les populistes. Cette mondialisation, qui serait voulue par une élite économique et financière, serait aussi la cause de l’affaiblissement de l’État-Providence. En effet, pour faire face à la concurrence internationale, il faudrait réduire les charges sociales et salariales, et en même temps, il faut réduire les impôts et les transferts.
Pour les populistes, les artisans de cette mondialisation, c’est-à-dire les élites, en sont les seuls gagnants. Le résultat est que le fossé croît entre ces « élites riches », une minorité, et ceux, la majorité, le peuple, qui lentement glissent sur la pente descendante qui mène à la pauvreté et au déclassement social.
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« Enfermée dans sa bulle, qui comme les bulles spéculatives devra bien finir par éclater, la Caste a perdu tout contact avec le réel. Le monde qu’elle nous impose, qui est le sien, n’a plus rien à voir avec le nôtre, avec le réel. Son monde est virtuel, tout entier tourné vers les intérêts d’une poignée de profiteurs transnationaux, pour qui la mondialisation est une chance, parce qu’elle se fait exclusivement pour eux, contre l’immense majorité du peuple, contre tous ces oubliés dont on ne parle jamais. »
Marine le Pen (FN, France) – Discours de Metz du 11 décembre 2011
Fidèle à sa méthodologie, le populisme désigne donc des boucs émissaires et en déduit des solutions simplistes. Mais un constat n’en reste pas moins cruellement présent : depuis les années 1980, la redistribution des revenus diminue, tandis que la pauvreté s’accroît et redevient une condition sociale pour une partie grandissante de la population. D’autres catégories sociales – couches moyennes, employés, cadres, petits patrons, artisans, etc. – ressentent aussi aujourd’hui un sentiment de déclassement, et se vivent comme les perdantes de la mondialisation.
Une question centrale est donc posée : comment aider cette fraction croissante de la population à sortir de la pauvreté, à retrouver des conditions de vie dignes, et qui les rendent moins vulnérables aux thèses populistes ?
Face à la mondialisation, nos moyens d’actions paraissent bien faibles, et les véritables solutions relativement hors de portée. Des propositions ont néanmoins été faites pour réduire les inégalités économiques. A titre d’exemple, on peut citer les travaux de Thomas Piketty, plaidant pour un impôt progressif sur le capital au niveau mondial, afin de diffuser le patrimoine qui tend à se concentrer en période de croissance lente. On pourrait aussi citer le revenu inconditionnel de base. Ce revenu, versé par une communauté politique à tous ses membres, est une manière alternative de redistribution. Il y a eu quelques expériences dans plusieurs pays, entre autres Singapour, le Koweït et l’Alaska. Plus près de nous, l’initiative européenne pour un revenu de base inconditionnel a été lancée le 14 janvier 2013 et devait rassembler 1 million de signatures au 14 janvier 2014 pour être examinée par la Commission Européenne. Cette initiative s’est terminée au début de cette année sur un constat d’échec, tempéré cependant par un élan de soutiens à la dernière minute, et par le fait que le quorum de signatures nécessaire a été atteint dans 6 pays, dont la Belgique et les Pays-Bas.
Ces idées ont un caractère ambitieux voire utopique, et leur mise en œuvre présenterait des problèmes pratiques qui ne pourraient être résolus qu’au niveau politique. Mais il nous semble fondamental d’en débattre et de susciter un espoir, car la vraie réponse à la montée des populismes passe incontestablement par la gestion des inégalités croissantes et le retour à un modèle économique plus soucieux de l’intérêt général.
Crise du système politique et dysfonctionnements démocratiques
Selon les populistes, les gouvernements actuels sont incapables de fournir une réponse aux conséquences de la mondialisation et de la crise économique. Ils sont incapables de protéger le peuple contre le déclassement social et les dangers qui le menacent. Gouverner semble être réduit
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à une suite de prises de décisions pour réagir au plus pressé, sans réelle option de choix. Ce qui est illustré par les paroles : « il n’y a pas d’alternative ». L’urgence semble être le moteur de la gouvernance, urgence qui justifierait l’économie de la consultation démocratique. Les partis traditionnels sont affaiblis et ne présentent pas des choix politiques réellement différents. De toute façon, dans la plupart des pays européens, il faut, pour gouverner, faire des coalitions dans laquelle le profil particulier des partis disparaît.
Ainsi, on rentre dans un cercle vicieux : absence de profil chez les partis, absence d’intérêt chez les électeurs. Les mouvements populistes stigmatisent tout compromis ou consensus comme étant de la compromission. Du coup, les partis traditionnels, une fois dans l’opposition, ont tendance à radicaliser leur discours pour se démarquer. Ils promettent des lendemains qui chantent, ou – pire – ils vont jusqu’à reprendre certains des thèmes propagés et défendus par les mouvements populistes.
Pour les populistes, les mandataires politiques traditionnels représentent et appartiennent à cette élite stigmatisée, aveugle aux vrais soucis du peuple. Cette méfiance des populistes envers les « élites » et les gouvernements incapables se concentre ces derniers temps contre la construction européenne, décrite comme une intrusion dans la politique nationale. Pour eux, les politiques européennes sont préparées par des élites cosmopolites et puis imposées aux gouvernements nationaux, qui n’ont qu’à exécuter le dictat de Bruxelles.
« La France est dans des temps obscurs, parce qu’elle s’est enfermée dans les ténèbres de l’Europe. »
Marine le Pen (FN, France) – Discours du 1er mai 2013
Affiche de campagne du UKIP (Grande-Bretagne) – Avril 2014
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« Ces francophobes, ces européistes qui vendent sans scrupule notre liberté, qui ont voté tous les Traités nous ayant désarmés dans la mondialisation, ces candidats faussaires voudraient maintenant se présenter comme les meilleurs amis des productions françaises. »
Marine le Pen (FN, France) – Discours de Metz du 11 décembre 2011
Affiches de campagne du FPÖ (Autriche) contre le soutien financier à la Grèce « Mieux : notre argent pour notre peuple, pour nos emplois, pour notre santé ! »
Ici aussi, un constat s’impose. Depuis le début du XXIe siècle, la démocratie en tant que système politique n’a jamais autant été réclamée, et en même temps critiquée, même dans des pays où elle semblait bien enracinée. Trop souvent réduite à une « démocratie élective », elle en a souvent oublié ou négligé les conditions nécessaires à son fonctionnement : séparation des pouvoirs, présence d’institutions intermédiaires, affirmation de droits et libertés élémentaires, respect des minorités, limitation des abus de la majorité.
De nombreux citoyens, cédant aux sirènes populistes, se détournent de la démocratie représentative, et sont prêts à accepter une gouvernance par le référendum, présenté comme la seule vraie façon de donner la parole au peuple.
Sans doute est-il temps, comme le dit Pierre Rosanvallon, de « compliquer la démocratie afin de l’accomplir ». Dans son article « Penser le populisme », il propose de considérer différents aspects du concept de peuple. Il y inclut le peuple électoral, mais également le peuple aléatoire, formé par le résultat d’un tirage au sort. C’est le tirage au sort utilisé par exemple pour la composition de jurys, ou celui des participants à une conférence de consensus. Pour faire parler le peuple, il faudrait donc « multiplier les voix ».
Les politiciens opposent un refus catégorique à cette idée de faire participer le peuple par tirage au sort, car ils estiment que le peuple n’a pas l’expertise nécessaire, et ne sait pas ce qu’il veut réellement. Pourtant, le tirage au sort constituait déjà une partie essentielle de la démocratie athénienne, et il a été utilisé à de nombreuses reprises par la suite. De nombreux pays occidentaux l’utilisent aujourd’hui pour former des jurys d’assises.
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On peut donc considérer qu’un élément aléatoire pourrait permettre de revitaliser le système démocratique, en instituant une interaction permanente entre le pouvoir et la société.
A cet égard, l’exemple islandais est très intéressant. Après la crise économique de 2008 et l’état de quasi-faillite du pays, les citoyens sont descendus dans la rue, ont provoqué des élections anticipées, et un nouveau gouvernement a été mis en place en 2009. Parallèlement à cette mise en place, une Assemblée citoyenne s’est réunie pour dégager les valeurs sur lesquelles devait pouvoir se refonder le pays. Constituée d’un millier de personnes tirées au sort et de quelques centaines de personnalités qualifiées, elle a marqué une nouvelle manière de faire de la politique. Renouvelée en 2010 avec le soutien de l’État, l’expérience avait pour but, cette fois-ci, la création et l’adoption d’une nouvelle Constitution. Elle a mis en place un Conseil Constituant directement élu par la population, qui a travaillé à un nouveau texte constitutionnel en 2011. Mis en ligne, ce texte a ensuite été commenté et amendé par les citoyens via les réseaux sociaux. Puis ce projet a été soumis à un large référendum, et fut adopté par les 2/3 des voix le 20 octobre 2012.
Une autre approche est l’initiative citoyenne, comme le projet G1000 qui a démarré en 2011 en Belgique suite à la frustration générée par la crise institutionnelle et l’absence de gouvernement pendant plus de 500 jours. Au départ d’un groupe de 1000 personnes tirées au sort s’est constituée une assemblée qui a débattu d’une série de thèmes choisis librement et publiés sur internet. Au terme des débats, une série de suggestions a été remise à la classe politique, y compris des proto- propositions de lois. Cette initiative a reçu de larges échos dans la société belge et au-delà.
Le sommet citoyen G1000 « complémentaire à la démocratie représentative traditionnelle » (source : www. fgf.be)
Ces exemples prouvent que les citoyens ne manquent pas d’intérêt pour les questions politiques et sont prêts à s’impliquer. En encourageant des projets similaires, en essayant de réduire la résistance envers l’élément du tirage au sort dans le processus politique, une autre forme de démocratie pourrait s’établir, dans laquelle la formation d’une élite de pouvoir serait plus difficile, et où les citoyens auraient réellement « voix au chapitre ».
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La culture et l’éducation
L’Europe ne vit pas seulement une crise économique et politique. D’un point de vue global, l’importance symbolique et le poids des puissances européennes se réduisent de plus en plus. En dépit des efforts au niveau de l’Union Européenne, les désaccords intérieurs amènent à un repli de l’Europe sur elle-même et ainsi à une passivité sur le plan international. Ce déclassement de l’Europe face à des nations émergentes mène à une crise symbolique et une remise en cause du projet européen. D’où une certaine nostalgie envers l’ancienne gloire des états-nations, et avec elle, un discours anti-européen permissible.
Cependant les arguments des populistes sont en général moins subtils et attaquent la question culturelle de manière plus directe. Ainsi, ils avancent souvent la disparition des valeurs dites « occidentales ». Par cela, ils supposent une certaine culture unifiée, homogène dans la population, qui serait mise en danger par d’autres expressions culturelles. Ils ciblent en particulier la religion et la culture musulmane. Ils propagent l’idée que les actions de certains éléments extrémistes de l’islam seraient représentatives pour la religion dans son ensemble. Mais dans le discours populiste, la nature de notre culture occidentale reste très vague. Elle se définit essentiellement par son opposition à la culture musulmane.
«Je ne prétends pas que le comportement criminel et violent soit déterminé génétiquement, mais je ne peux pas échapper à l’impression que certains criminels ont hérité la criminalité du lait maternel et que d’autres sont nés avec un couteau entre les dents et un revolver dans la couche. Le seuil d’usage de la violence est plus bas dans la culture islamique, que chez nous. Idem pour les gens de l’Est. »
Blog de Filip Dewinter, leader du Vlaams Belang (Belgique) – 17 juin 2012 (traduction MRAX http://www.reperes-antiracistes.org/categorie-12448289.html)
Affiche de campagne du FPÖ (Autriche) « Cela devrait-il être notre avenir ? »
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« Est-ce aimer la France que d’accepter partout l’avancée des communautarismes, d’un islamisme militant dont l’unique obsession est de s’imposer aux lois de la République ? … Lorsqu’on aime son pays, on n’organise pas sa dilution culturelle, à l’inverse on fait tout pour protéger son identité nationale, comme l’on se bat constamment pour sa liberté et son indépendance. »
Marine le Pen (FN, France) – Discours de Metz du 11 décembre 2011
Ces valeurs occidentales sont principalement l’héritage de notre histoire européenne, un panaché de valeurs chrétiennes et des acquis du siècle des Lumières. Par contre, certaines idées modernes comme la liberté sexuelle, le multiculturalisme ou des modes de vie alternatifs sont rejetés par les populistes avec véhémence. On les dénigre comme faisant partie d’une culture élitiste qui se voit universelle, intégrant des éléments de cultures variés, et qui va donc à l’encontre des traditions et spécificités de la culture populaire. Les populistes opposent ainsi une culture populaire, ancrée dans la tradition et les mœurs identitaires, à la culture des élites.
Affiche de campagne du Jobbik (Hongrie) « Choisissez »
Enfin, le système éducatif se trouve dans une phase de transition. En s’adaptant de plus en plus aux exigences du marché de travail, une éducation utilitariste est favorisée, et des objectifs comme l’esprit critique et ouvert ou l’éducation artistique et esthétique deviennent secondaires, voire négligés. Par cela, les arguments des populistes peuvent percer plus facilement, la résistance d’une société est réduite, dans sa capacité de raisonner indépendamment et de remettre en question des propos simplistes. Il s’ajoute le fait que seule une minorité, élitaire encore une fois, possède les moyens de se permettre une éducation plus vaste, qui va au-delà de ce niveau utilitariste.
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Internet, notre esprit, les évolutions de la démocratie
Un détour par la psychologie sociale semble à ce stade nécessaire, car c’est un domaine que les mouvements populistes exploitent avec talent, et qu’il faudrait vraisemblablement exploiter plus dans l’élaboration de solutions. Les thèses et les mythes populistes, nous l’avons vu, sont à la fois simplistes et manichéens. Pourquoi alors tant d’électeurs y adhèrent-ils? Avec le progrès des connaissances rationnelles depuis les Lumières, ne pouvait-on pas espérer un recul des croyances et des mythes contemporains ? Or, non seulement les croyances et les mythes perdurent en général, mais ils semblent avoir acquis une grande vitalité aujourd’hui en particulier. Selon le sociologue Gérald Bronner, les processus qui permettent au faux et au douteux de s’emparer de l’espace public sont en fait aujourd’hui favorisés par plusieurs facteurs simultanés.
Au premier rang de ces facteurs se trouve internet, qui a révolutionné les échanges d’informations. Nous avons maintenant accès à une pléthore d’informations, diffusée en un temps record et à coût presque nul. Le contrôle éditorial est de qualité variable – c’est le moins qu’on puisse dire. Nous tous – et en particulier les jeunes générations – devenons de toujours plus gros consommateurs de ces informations. Cette révolution a d’ailleurs aussi étendu son impact sur les médias traditionnels, avec lesquels internet est entré en concurrence. Or, la structuration de l’offre sur internet est en fait largement dépendante de la motivation des offreurs. Et les offreurs les plus motivés sont généralement ceux qui veulent y soutenir des thèses ou des agendas bien précis. Les mouvements populistes sont prêts pour cela à instrumentaliser des faits divers, à faire un usage trompeur de statistiques, ou encore à présenter une avalanche de pseudo-preuves contre lesquelles il est difficile d’argumenter rationnellement.
Tout cela crée un environnement qui favorise dans notre esprit de nombreux biais de raisonnement. Le plus déterminant parmi eux est sans doute le biais de confirmation. Il s’agit de cette tendance que nous possédons tous à accorder plus de poids aux éléments qui confirment nos croyances de départ, en rejetant les éléments contradictoires. Autre exemple de nos faiblesses de jugement : la tentation de croire que des choses qui ont un lien statistique entre elles ont forcément aussi une relation de cause à effet. On peut encore ajouter à la liste notre difficulté à appréhender la notion de hasard. Si un événement se produit en moyenne douze fois par an, nous nous attendrons naturellement à ce qu’il se produise une fois chaque mois. Et donc, si cet événement se produit quatre fois en janvier, nous aurons tendance à y voir une coïncidence troublante, alors que cela peut parfaitement résulter du simple hasard.
Parmi la multitude d’informations présentes sur internet, notre esprit biaisé trouvera amplement matière à confirmer et à développer ses croyances, plus facilement qu’avec les médias traditionnels. Le mythe de « l’islamisation de l’Europe », l’un de ceux sur lesquels s’appuient les mouvements populistes, se trouvera ainsi renforcé par l’instrumentalisation de faits divers, comme les prières de rue, ou plus tragiquement les meurtres commis par Mohamed Merah. Et ce mythe de l’islamisation procure à l’esprit les mêmes avantages que toutes les théories du complot. Il identifie des causes simples aux changements déroutants ou angoissants que nos sociétés subissent. Il permet une grille de lecture plausible et mentalement commode. Il redonne ainsi sens et cohérence aux choses, ce qui peut inspirer un dangereux sentiment de certitude.
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Internet joue aussi un rôle important dans l’évolution de nos sociétés vers une forme de plus en plus participative. Et là aussi, on peut craindre que les évolutions actuelles ne mènent à des effets pervers. Les partis populistes exploitent des revendications en phase avec cette tendance participative : selon eux, les analyses complexes des experts sont des tentatives de dissimulation ; la politique est le domaine des instincts, des valeurs, de l’émotion, qui sont l’apanage du peuple. Il faudrait donc que chacun ait le même droit de s’exprimer – voire de décider – sur tous les sujets.
Or, il n’y a pas de « sagesse des foules ». Opinion publique ne rime pas nécessairement avec intérêt général. D’autant moins d’ailleurs que les biais de raisonnement sont particulièrement sensibles pour les questions qui mobilisent aujourd’hui la démocratie participative (comme la santé, l’environnement, la justice).
Repenser notre système éducatif
Si l’on a tendance à miser sur l’éducation comme remède à la propagation d’idées ou de peurs irrationnelles, il faut néanmoins tempérer cet espoir. Plus d’un quart des citoyens de l’Union Européenne pensent que le soleil tourne autour de la terre, alors que nous avons tous appris l’inverse à l’école. Les cadres moyens et supérieurs français croient davantage à l’astrologie, à la télépathie ou au spiritisme que les ouvriers ou les agriculteurs. De toute évidence, l’idée qui lie un faible niveau scolaire ou social à des croyances sectaires ou radicales est donc tout simplement fausse. Et, à l’inverse, l’élévation du niveau d’études n’entraîne pas nécessairement une plus grande adhésion au mode de pensée scientifique ou rationnel.
Ces exemples amènent deux pistes de réflexion.
Ils montrent tout d’abord l’extrême rémanence de nos biais de pensée. Dès lors qu’une proposition va à l’encontre de nos intuitions ou relève d’un schéma complexe, nous avons une propension à retomber facilement dans l’erreur et la tentation de la simplification. Or, la vérité est malheureusement souvent complexe et contre-intuitive…
Ils montrent aussi combien l’enseignement doit avoir comme objectif d’aiguiser l’esprit critique. Toujours selon le sociologue Gérald Bronner, « tous les efforts d’éducation que les sociétés démocratiques ont consentis paraissent avoir oublié un enjeu essentiel de la connaissance : l’esprit critique, s’il s’exerce sans méthode, conduit facilement à la crédulité. (…) Nos systèmes éducatifs et une certaine idéologie relativiste nous ont mieux préparés à défaire la connaissance plutôt qu’à la reconstruire ». En d’autres termes, le doute excessif, ou appliqué sans méthode, peut nous faire passer d’une pensée critique à une pensée relativiste, voire conspirationniste, tendance que manipulent avec succès les mouvements populistes.
Revoir nos systèmes éducatifs implique donc de prendre en compte la révolution des technologies de l’information avec l’internet. Le retour en arrière n’est pas une solution, et les appels répétés à la restauration de l’école de Jules Ferry sont, selon l’historienne Mona Ozouf, une « chimère anachronique ». Le savoir vient aujourd’hui aux jeunes par de multiples canaux. Cela entraine un changement de paradigme pour les enseignants : désormais « passeurs » chargés d’orienter les jeunes, plutôt qu’uniques dispensateurs du savoir.
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Ce changement de paradigme devrait aussi entrainer une revalorisation de l’image des hommes de transaction, du consensus, du compromis, face aux postures radicales et au règne du blanc et du noir dans les discours politiques. Bref, on ne peut faire l’impasse sur les potentialités d’internet, ni en matière d’éducation, ni comme outil militant de lutte contre les populismes. Mais cela demandera incontestablement un considérable effort d’invention.
Il nous semble tout aussi fondamental d’investir le champ de l’éducation populaire, ce processus culturel qui mène à une transformation sociale et politique aux fins que tout citoyen devienne auteur et acteur de sa propre vie. Les formes d’intervention sont multiples : ciné-débat, théâtre- forum, ateliers de lecture, conférences populaires, etc. Ce sont des temps privilégiés de rencontre, qui permettent aux citoyens d’aborder des sujets souvent complexes. Ils permettent aussi de renforcer la cohésion sociale en faisant l’expérience de l’échange, de la rencontre humaine, de l’écoute et du débat. Nous ne sommes pas si loin des méthodes que nous pratiquons dans nos loges.
Pour combattre les thèses populistes et aider les citoyens à développer leur sens critique, nous pouvons aussi contribuer à organiser de véritables Universités Populaires, ouvertes à toutes les couches sociales, dont l’objectif est avant tout le partage du Savoir, la mise à disposition de tous des Connaissances.
Monter une université populaire (source : www.animafac.net)
Il importe donc de retrouver le sens de l’éducation qui ne se résume pas à un passage scolaire ou universitaire. La formation initiale est certes importante, mais la formation continue et l’éducation informelle sont aussi constitutives de la construction d’un sens critique pour chaque citoyen. Ce processus de formation tout au long de la vie est indispensable à la compréhension du monde complexe dans lequel nous évoluons, que les thèses populistes ne cessent de vouloir simplifier au profit d’une représentation manichéenne. Il est aussi indispensable à l’apprentissage concret d’une vie démocratique à réinventer, pour combler le fossé qui se creuse entre citoyens et élus. La réinvention de lieux de débats, de confrontations contribue à la restauration du lien social dont la dissolution fait le lit du populisme. Il ne suffit pas bien sûr de créer de tels lieux ou occasions d’échanges pour inciter les habitants d’un quartier à délaisser leurs téléviseurs ou leurs ordinateurs un soir pour les rejoindre. C’est un lent processus à construire, lent, mais précieux. Entrer dans cette
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dynamique culturelle permet d’élargir notre horizon et notre champ d’action. La transformation de soi va de pair avec la transformation du monde, ce qui nous conduit à un autre champ d’intervention, celui des pratiques sociales.
Renforcer les pratiques sociales cohésives
Cette formule des « pratiques sociales » inclut diverses pratiques, comme la participation à la vie sociale, le militantisme syndical, le bénévolat, les nouveaux modes de consommation et de vie.
Les lieux d’exercice de la vie sociale sont multiples : clubs sportifs, associations culturelles, humanitaires, sociétés savantes, syndicats professionnels, conseils municipaux, etc. Il y a notamment un grand intérêt à s’impliquer dans des collectifs « non spécifiques » (à l’opposé de groupes spécifiques type syndicat, organisation politique ou militante), dans le sens où ils rassemblent des citoyens d’horizons, de conditions, de cultures différentes, tournés vers un intérêt commun concret. Ces groupes « non spécifiques » sont des lieux essentiels de construction du lien social, et contribuent au développement de pratiques sociales innovantes:
        – les jardins partagés
        –  l’habitat participatif
        –  les garages solidaires
        –  les festivals organisés et gérés par de seuls bénévoles

        –  les coopératives de producteurs indépendants diffusant directement leurs produits
        –  les nouveaux modes de financement participatifs et coopératifs pour la production de films 
documentaires, de CD, d’objets artistiques, etc. 
Jardin communautaire à Berlin (source Barbery-Coulon, M le magazine du Monde) « On y cultive autant les liens avec ses voisins que des salades » (www.jardinons-ensemble.org) 
La cohésion sociale est un élément clé pour un développement et une mutation réussis de nos sociétés. Comme le constate le Conseil de l’Europe, « des sociétés divisées et inégalitaires sont non seulement injustes mais incapables de garantir la stabilité à long terme », et il importe donc de faire de la cohésion sociale « l’un des besoins prioritaires pour une Europe élargie … et un complément essentiel pour la promotion des droits de l’homme et de la dignité ». 


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De plus, ces nouvelles pratiques, qui mettent en avant un modèle de coopération entre les différents acteurs plutôt qu’une mise en concurrence, pourraient devenir source de richesse économique. Selon Eric Dacheux et Daniel Goujon, spécialistes de la communication politique et de l’économie solidaire, « la cohésion sociale n’est pas seulement un facteur limitant les externalités négatives (violence, conflits sociaux, gaspillage, pillage) mais un facteur clé de développement économique car quelle que soit sa nature (mécanique ou démocratique), elle offre une meilleure résilience des populations face à la crise (entraide), elle permet un meilleur diagnostique des forces et faiblesses du territoire (savoir collectif) et augmente les chances de succès des projets développés (implication de toutes les parties prenantes). De plus, la délibération des différents acteurs (entrepreneurs, élus, citoyens) contribue à réencastrer l’économique dans le politique, renouvelle le mode d’élaboration des politiques publiques et finalement renforce la démocratie représentative par l’engagement participatif des citoyens ».
S’investir dans des activités de ce type est à la portée de tous les citoyens, et de tous les Francs- Maçons attachés « à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité ».

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Conclusions
Réfléchir à l’ascension des mouvements populistes nous a amenés à trois constats :
        –  Dans l’analyse et la compréhension du populisme contemporain en Europe, on ne peut pas faire l’économie de la complexité. Il nous faut tourner le dos aux simplifications, aux causes uniques, aux rapprochements hâtifs. Un pays n’est pas l’autre, et la situation d’aujourd’hui n’est pas identique à celle de l’entre-deux-guerres.
        –  Ceux qui adhèrent aujourd’hui aux thèses populistes ont souvent des raisons objectives de le faire, même s’ils n’ont évidemment pas raison de le faire. Comme le dit Pierre Rosanvallon, le populisme est à la fois le symptôme d’une détresse réelle et l’expression d’une illusion. La critique du populisme doit donc s’accompagner d’une critique constructive du fonctionnement actuel de nos institutions démocratiques, en particulier au niveau européen, et de notre modèle économique.
        –  Enfin, la montée des populismes fait courir un grave danger à nos sociétés, en réveillant de vieux démons qui ont montré tout leur pouvoir de destruction au XXème siècle. L’élan vers le progrès et l’attachement à la démocratie sont sans doute moins acquis que nous aimerions le penser, et les populismes pourraient conditionner l’avenir proche de l’Europe. 
En prendre la mesure doit nous inciter à agir. Cette question de l’action touche à nos propres représentations. On sait désormais que le populisme s’attache à séparer, distinguer, isoler, là où le système démocratique vise à reconnaître les différences de chacun pour les faire coexister. Agir dans ce domaine consiste d’abord à s’interroger sur le partage des bienfaits de la différence. Là où le populisme passe, la mixité recule, la diversité ethnique ou religieuse diminue, les formes d’expressions artistiques se réduisent, la langue même s’appauvrit, la pensée s’efface. 
Albert Einstein disait du XXe siècle : « Étrange époque, où il est plus facile de désintégrer l’atome que de vaincre un préjugé ». L’un des plus pernicieux poisons instillés par l’hydre populiste est celui de la méfiance. Le populisme sape la confiance qui fait le ciment de nos relations. Déjà au milieu du XIXème siècle, Alexis de Tocqueville écrivait qu’ « Il n’y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit. Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable ». Or, aujourd’hui plus que jamais, nous vivons dans un monde de connaissances et de complexité, qui nous contraint à un pacte de confiance. Il nous faut croire en des scientifiques, croire en des hommes politiques, croire en des institutions. 
Lutter contre les populismes, c’est donc d’abord aiguiser notre vigilance, pour accorder notre confiance à bon escient. C’est aussi lutter contre nous-mêmes, contre notre penchant à faire nôtres des raisonnements simplistes, à colporter des rumeurs ou des fausses idées. C’est lutter contre les préjugés, et toutes les représentations fantasmées du monde que véhiculent les thèses populistes. C’est enfin ne pas hésiter à participer à la vie de la société. Voter, s’associer, s’entraider, contribuer à créer un élan d’espoir et à renforcer le lien social : voici des actes à notre portée, et qui constituent les premiers barrages contre les populismes. 
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Populisme
Glossaire commenté
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »
Le populisme est une idéologie qui oppose un peuple vertueux et homogène à un ensemble d’élites et « autres » individus dangereux qui sont, dans leur ensemble, décrits comme privant (ou cherchant à priver) le peuple souverain de ses droits, de ses valeurs, de sa prospérité, de son identité et de sa voix. 2
Le populisme ne se caractérise donc pas par un agenda politique précis. Il y a des populismes de gauche comme de droite, et le populisme s’empare aussi aujourd’hui des partis traditionnellement plus centristes. C’est dans cette contamination des partis traditionnels que réside l’un des dangers du populisme.
Démagogie
Attitude consistant à flatter les aspirations à la facilité ou les préjugés du plus grand nombre pour accroître sa popularité, obtenir ou conserver le pouvoir. 22
Les populistes sont démagogues, l’inverse n’est pas forcément le cas.
Nationalisme
Le nationalisme désigne des mouvements politiques exaltant une nation sous toutes ses formes (État, culture, religion, traditions,…), par opposition aux autres nations et populations. C’est un patriotisme exacerbé, souvent xénophobe, qui érige la nation comme une valeur morale. 7,23
Assurément, le nationalisme ne peut se prémunir contre une interprétation fanatique de l’appartenance à la nation. En ce sens, l’idée d’une « identité nationale » pèse lourdement sur l’idéal démocratique, et le menace en mobilisant un fondement identitaire qui prétendrait donner au collectif tout son contenu, en absorbant chacun des membres dans une identité collective qui n’admettrait plus d’autres composantes, refusant les identités singulières. En réalité, il est impossible de combiner, à proprement parler, l’idée d’une identité nationale et l’idée démocratique ; c’est l’une ou l’autre. 14
Fascisme
Le fascisme désigne un mouvement politique s’appuyant sur un pouvoir imposé par la force au service d’une classe humaine dominante, la persécution d’une classe ennemie chargée de tous les maux, l’exaltation du sentiment nationaliste, le rejet des institutions démocratiques et libérales, la répression de l’opposition et un contrôle politique extensif de la société civile. Le nazisme est un fascisme spécifique, s’appuyant sur des arguments pseudo-biologiques pour déboucher sur une division hiérarchique de l’espèce humaine en races.
Il y a aujourd’hui peu de mouvements populistes ouvertement fascisants en Europe occidentale. Leurs excès les font tomber sous le coup de la loi, et éloignent d’eux une grande majorité de citoyens. La situation est cependant différente en Europe centrale et orientale, où plusieurs partis d’extrême-droite entretiennent le souvenir de dirigeants fascistes d’avant-guerre, et prônent directement ou indirectement l’antisémitisme, le rejet des musulmans et/ou l’usage de la violence à l’égard des Roms. 1
Extrême-droite
Ensemble des mouvements hostiles, par traditionalisme, nationalisme ou rattachement à une idéologie contre-révolutionnaire voire fasciste, aux conceptions tant socialistes que libérales de la société. 12,22
Ni norme scientifique ni définition politique, l’extrême droite désignerait ainsi un ensemble de partis aux opinions variables selon les pays dans lesquels ils s’exercent, selon les époques, et selon les antagonismes qu’ils rencontrent. La dynastie Le Pen en incarne un courant bien spécifique : le national-populisme, qui réunit des valeurs sociales de gauche et des valeurs politiques de droite (ordre, autorité, etc). 12,18
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Bibliographie
    1.    Mateo Alaluf : Extrême droite et populisme en Europe, de quoi parle-t-on ? (http://www.universitepopulaire.be/wp-content/uploads/2013/12/populisme-def-2.pdf)
    2.    Daniele Albertazzi et Duncan McDonnell : Twenty-First Century Populism – The Spectre of Western European Democracy (éditions Palgrave Macmillan, 2007)
    3.    Guillaume Allègre et Xavier Timbeau : La critique du capital au XXIe siècle: à la recherche des fondements macroéconomiques des inégalités (Observatoire français des conjonctures économiques, mars 2014)
    4.    Daniel Boy et Guy Michelat : Croyances aux parasciences : dimensions sociales et culturelles (Revue française de sociologie, 1986 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035- 2969_1986_num_27_2_2302)
    5.    Gérald Bronner : La démocratie des crédules (éditions puf, 2013)
    6.    Pierre-Yves Bulteau : En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite (Les éditions de 
l’atelier, 2014)
    7.    André Comte-Sponville : Dictionnaire Philosophique (éditions puf, 2001)
    8.    Eric Dacheux et Daniel Goujon : La cohésion sociale source de la richesse économique (Communication aux XXXèmes journées de l’AES Charleroi, Belgique les 9 et 10 septembre 2010)
    9.    Anaïs Delbarre : Anti-populisme et démocratie (Nouvelle Europe [en ligne] http://www.nouvelle- europe.eu/anti-populisme-et-democratie)
    10.    Arnaud Leparmentier : Week-end chez les populistes (article du Monde – jeudi 3 octobre 2013)
    11.    Raphaël Liogier : Ce populisme qui vient (éditions Textuel, 2013)
    12.    Adrien Oster : Le Front national de Marine Le Pen est-il un parti d’extrême droite ? (http://www.huffingtonpost.fr/2013/10/03/marine-le-pen-front-national-extreme- droite_n_4035588.html)
    13.    Mona Ozouf : Réflexions sur l’école (Leçon de clôture de France Culture Forum : L’année 2013 vue par… l’histoire)
    14.    Dominique Reynié : L’antisémitisme comme ennemi politique (article paru dans le Huffington Post)
    15.    Pierre Rosanvallon : Penser le populisme (La vie des idées http://www.laviedesidees.fr/Penser-le- 
populisme.html)
    16.    David Van Reybrouck : Pleidooi voor populisme – Plaidoyer pour le populisme (Querido, 2008)
    17.    David Van Reybrouck : Contre les élections (Babel essai, 2014)
    18.    Collectif : Le FN, un national populisme (http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/05/le-fn-un- national-populisme_3490433_3232.html)
    19.    Divers : Le populisme – neuf réponses (Persée http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1997_num_56_1_4504)
    20.    Divers (sous la direction de Jean-Pierre Rioux) : Les populismes (éditions Perrin, 2007)
    21.    Conseil de l’Europe : Politique Sociale (http://www.coe.int/t/dg3/socialpolicies) 
Sources additionnelles pour le glossaire
    22.    Dictionnaires Larousse 2007 – 2010
    23.    Wikipedia
Alliance Maçonnique Européenne « Populismes en Europe : une résistible ascension ? » Version 2.3 (29 août 2014)

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