Etienne DOLET ( 1509/1546).
Connu pour sa vie provocante, imprudent, audacieux dans ses actes comme ses publications, il fut condamné, torturé et brûlé avec ses manuscrits par l’Inquisition comme être « impie, scandaleux, hérétique, pernicieux »…et encore bien d’autres chefs d’accusations…Mais, c’était aussi un homme de conviction, de principes, épris de liberté et de justice…il contribua sans conteste au progrès de l’humanité, et c’est cela qui m’intéresse !
Lorsqu’après la Libération on célébra le quatrième centenaire de son exécution sur la place Maubert à Paris, sa statue en bronze qui le représentait dans toute sa dignité et indomptable dans ses convictions, avait été déboulonnée sous l’occupation hitlérienne. Mais son souvenir était toujours là, dans sa pureté et sa grandeur morale. Ses idées novatrices qui avaient révolutionné l’esprit de son temps n’avaient jamais cessé de nourrir et d’inspirer depuis 1546 les réflexions et méditations des hommes libres.
Son combat ardent pour affranchir la pensée de la tutelle théologique et celle de l’église de l’inquisition, constitue un évènement parmi les plus importants dans l’histoire de la conscience morale et de la liberté intellectuelle. Dolet était la conscience universelle de son époque, il manifesta son hostilité aux institutions politiques, sociales et religieuses dont les iniquités le révoltaient. Non conformiste, il critiquait la tyrannie et les privilèges scandaleux, la magistrature et les puissants avec tant de témérité qu’il devient leur plus grand ennemi. C’était l’homme le plus redouté, et sans doute le plus célèbre, de son temps.
Cette belle figure de la Renaissance française était un humaniste, un érudit et un linguiste. Imprimeur de son métier, mais doublé d’un agitateur et homme d’action, il considérait le bien, après le néo-platonicien PLOTIN comme le but essentiel de la vie.
Tel était le comportement de Dolet, en 1538, lorsque les ouvriers d’imprimerie (réunis en confréries autonomes (1), distinctes des « patrons » qui avaient les leurs) se mirent en grève à Lyon parce que les patrons imprimeurs refusaient toute augmentation de salaire et une meilleure nourriture (à cette époque, les ouvriers étaient nourris par leurs employeurs). Cette grève fut si puissante qu’elle bouleversa toute la région lyonnaise et produisit une répercussion imprévisible sur l’évolution de la vie sociale.
Etienne Dolet s’était insurgé contre toutes les formes d’oppression, de cupidité et d’égoïsme. Il approuva la grève et la légitimité des revendications ouvrières. Sans se soucier de la vie et de son avenir, il se jeta dans la bataille, et guidé uniquement par son sens profond de la justice, il se fit défenseur des ouvriers et de leur cause.
Dans les réunions, les ouvriers d’imprimerie proclamèrent la résolution de ne reprendre le travail que lorsqu’ils auraient satisfaction. Pour étouffer la grève, la « justice royale » poursuivit et emprisonna des grévistes. L’effervescence, cependant, continua et la situation s’aggrava, à tel point que François 1er intervint et, à Moulins, promulgua un arrêt qui adoucissait un peu la condition des ouvriers.
Les patrons contestèrent cette décision du roi et menacèrent de quitter Lyon avec leurs imprimeries si cet arrêt qui accordait des avantages, pourtant minimes, aux ouvriers n’était pas aboli. Devant cette pression patronale, François 1er signa à Fontainebleau, le 28 décembre 1541 (pour les historiens) un règlement qui rétablissait l’ancien régime du travail et de l’exploitation. Au surplus, disait cet arrêt : « il est interdit aux compagnons de s’associer, d’avoir une bourse commune pour alimenter les grèves, ils ne pourront quitter un atelier sans avoir achevé l’ouvrage en cours »
Dès le lendemain, Dolet, qui était donc imprimeur et patron, fut jeté en prison pour avoir soutenu les compagnons contre les patrons rapaces et omnipotents. Le crime qu’on reprochait à Dolet était d’aimer passionnément la liberté sous toutes ses formes, d’avoir manifesté, non seulement la sympathie, mais aussi la fraternité humaine à l’égard des travailleurs avilis et exploités sans mesure ni scrupule.
Il resta pendant quinze mois en prison parce qu’il préféra plutôt défendre la vie des ouvriers que la sienne et celle de sa famille. Du reste, des lettres de rémission, signées par François 1er à Villers-Cotterets en 1543 sont significatives à cet égard : « Etienne Dolet est condamné pour avoir soutenu les compagnons imprimeurs ».
Les inquisiteurs, les fanatiques, l’église catholique et les riches de sa corporation lui vouèrent une haine inextinguible, d’autant plus que Dolet avait démasqué leur mauvaise foi, leur méchanceté, leur turpitude, leur haine. Bien mieux, ils l’accusèrent d’hérésie, d’impiété parce qu’il avait deviné les ambitions occultes et la politique ténébreuse de l’Eglise, incompatibles avec la doctrine de fraternité.
Jeton de loge
La vie d’Etienne Dolet fut brève. Considéré comme le plus dangereux des hommes et des savants qui existaient au XVIème siècle,
après cinq ans de détention, Dolet fut pendu et brûlé.
Les patrons triomphaient, mais les ouvriers continuèrent à lutter et à revendiquer un édit plus juste. Pour enlever aux ouvriers tout espoir de gagner la bataille, et pour les démoraliser, les patrons au Conseil du roi obtinrent le 19 juillet 1542 des lettres de patente qui prescrivaient aux magistrats de réprimer tout mouvement de révolte des compagnons.
L’ordonnance royale du 28 Décembre 1541, ainsi renforcée par des décrets complémentaires n’avait pas désarmé les ouvriers. Au contraire, l’exaspération était à son comble et la révolte était si furieuse que les ouvriers se levèrent en masse. Les patrons affolés et désemparés cédèrent finalement devant l’action irrésistible des grévistes. Les compagnons avaient arraché par la force ce qu’ils n’avaient pu obtenir par les discussions pacifiques. Un accord fut signé » le 1er mai 1543.
Lorsqu’il monta au gibet, dressé place Maubert, le 03 Aout 1546, la tête haute et le regard fier, il n’avait rien à regretter ni à renier. En voyant la frayeur de la population parisienne devant la potence et le bûcher, Etienne Dolet eut ces mots admirables : « Dolet lui-même ne s’afflige pas, mais c’est la foule recueillie qui s’afflige ».
Il fut condamné parce qu’il aimait la vérité et que la justice et le culte de la science étaient sa raison d’être ; parce qu’il «était incompris et que par son intelligence, sa vision matérialiste et rationaliste, il dépassait son temps.
Défenseur opiniâtre des opprimés, Etienne Dolet, à travers les siècles, demeure un exemple vivant de courage et de droiture morale.
Il aurait toute sa place sur nos colonnes.
JCF
A la mémoire d’Etienne DOLET mairie d’Orléans
Sources :
-l’internationale ouvrière – édition Quillet 1913
– Luttes ouvrières –éditions Floréal 1977
-penseurs du mouvement ouvrier – édition Barreau 1982
(1) un mot sur les confréries d’imprimeurs : elles sont assez particulières car constituées de 2 organisations distinctes : celle des patrons et celle des compagnons. Ce compagnonnage, comme forme d’organisation ouvrière se développa sous le masque de confréries…
Ainsi le jeune homme qui, d’apprenti devenant compagnon, demande à être reçu dans la confrérie doit être présenté devant les « chefs » qui portent le nom de marguilliers par deux parrains, subir un interrogatoire, prêter serment et passer par un rituel rappelant celui du baptême ( don de l’eau, du sel…) il paye un droit d’entrée le jour même et une autre contribution à ses premiers salaires . les marguilliers tiennent à jour les registres et archives, se chargent en cas de conflit de représenter les ouvriers, d’affronter les patrons, la police. Ils vivent pour l’essentiel sur la caisse commune. Ils contribuent à la mise au point d’une gamme d’actions adaptées à chaque situation. Par exemple ::
-la mise bas : cessation d’activité dans un seul atelier
– la débauche et la mise en interdit :si un patron est trop dur, les ouvriers le quittent et aucun autre ne peut venir s’embaucher dans son atelier
-la grève perlée : employée quand un patron licencie un ouvrier hors des règlements