REFLEXION SUR LA VILLE
J’ai écrit ce texte en mars 2008 au crépuscule de ma vie professionnelle. C’est une sorte de bilan que je livre.
J’aurais 62 ans, très bientôt. Que s’est il passé dans nos ville durant cette période ?Ma formation initiale est agronomique. Le hasard et mes choix font que, je me suis d’emblée confronté à l’urbanisme.
Les années 70 sont des années de féroces controverses sur l’urbanisme.Nous sommes après Mai 68. Roland Castro est professeur à l’université d’architecture de Versailles, il arbore le pins de Mao sur son pull, voilà pour planter le décor. Des courants naissent comme la « réhabilitation inverse », d’autres répondent « réhabilitation perverse ».Né 15 ans plus tôt, les « grands ensembles » sont déjà un enjeu majeur.
Bayonne achève sa ZUP conçu par l’architecte international, Bauer, (issu du mouvement Bahaus), très belle à voir depuis Urt à 5 Km ! Chacun prends son parti : celui du pire, de la promotion d’un nouvel urbanisme. Tout ce dont débat aujourd’hui : maisons de ville etc…nous en débattions déjà, ainsi que de l’amortissement des conflits, ou d’autres options…
Je suis un partisan de « charger la vie changer la ville » au quotidien j’ai essayé de rendre l’espace public vivable. Globalement nous avons échoué, laminés, par la logique du marché foncier.
Retour sur les plans de deux villes, Bayonne et Pau, qui nous sont connus.
Si nous regardons le plan de Bayonne et de Pau nous pouvons, grossièrement, identifier trois périodes historiques :
Pour Bayonne
Le centre ancien, intra muros. 17°/ 18°
Le 19° siècle avec une trame rectangulaire (St Esprit, Quartier immédiatement auNord du centre).
Tout le reste qui part littéralement en « nouille ».
Pour Pau
Le centre historique est moins bien marqué car y compris au 18° et 19° les Intendants furent peu soucieux des problèmes d’urbanisme.
Nous distinguons, toutefois, une trame en îlots 19°
Nous voyons un projet de voies structurantes inachevé.
Et comme à Bayonne, un plat de nouilles.
La conclusion, qui ne demande pas beaucoup de recherches historiques, c’est que surtout depuis la seconde guerre mondiale nous voyons la puissance publique abandonner son rôle dans la production et la régulation du terrain à bâtir, mais aussi la structuration de l’espace.
Nous sommes en face d’un urbanisme de promoteurs qui bâtissent, celons les opportunités foncières et des intérêts privés. Sur des exemples plus simples de petites villes périfériques de grandes Agglomérations, quelle que soit l’Agglo, il suffit de voir à qui appartenait le foncier et qui siégeait au Conseil Municipal.
Pourquoi Paris est une si belle ville et la capitale la plus dense du monde alors que nous avons une sensation d’espace… ?
L’on peut qualifier l’urbanisme de fait du prince, ce qui nous vaut la beauté de la place des Vosges, le mouvement des Bastide, dont la forme perdure et dont l’esprit est étonnamment moderne, et les superbes perspectives Haussmanniennes.
L’anarchie (Je n’ai pas d’autres mots) qui a prévalu ces 60 dernières années est responsable de cet urbanisme d’impasse et du gaspillage en 20 ans d’un foncier que l’on avait prévu pour 60 ans. L’urbanisme d’impasse en est une, littéralement, car la ville est comme un corps vivant : il doit être irrigué dans toutes ces parties.
Je ne parlerais pas de la gabegie de service et d’énergie que cela entraîne, mais tout de même !
La ville « moderne » est une UTOPIE .
Utopie au sens étymologique : ut : aucun , topia : lieu, en quelque sorte « nulle part ».« Anywhere out of the world » comme disait Baudelaire, voilà un siècle et demi. Sauf que ce monde coïncidait, à ces yeux au Paris intra muros.
Nous en sommes déjà là : Avec les zones de non-droit, ce sont toutes ces banalisations urbanistiques et culturelles qui génèrent, conflits et replis identitaires. En forçant un peu le trait ce sont les prophéties cauchemardesques, de Kafka, d’Orwell, d’Huxley qui prennent corps. Circulez dans le triangle Mîmes, Arles, Montpellier, vous ne savez plus ou vous êtes. Et nous ne sommes pas à Los Angeles, ou les techniciens de la voirie ne savent plus, vraiment, indiquer les directions dans le labyrinthe des high ways. Ces lieux sont sans passé, ils sont également sans avenir.
Ces lieux génèrent de la discrimination spatiale, principalement fondé sur la mobilité. Nous devrions plutôt nommer zones d’inclusion, ce que nous nommons zones d’exclusion. Pour ne prendre qu’un exemple : nos entrées de ville finissent toutes par ce ressembler, les banlieues sont les mêmes à Paris ou à Lyon et l’habitat pavillonnaire ne permet plus de se repérer au sein de la même agglomération. Identifions nous Nîmes à sa ZUP ?
Cette absence de repère n’est pas seulement spatiale et touche aussi les domaines de la culture et de l’éducation. Et ces choses là sont liées. N’oublions pas que l’homme est un animal, supérieur, certes, mais un animal.Le débat, charte d’Athènes, constructivisme, théories marxisantes de Lefèvre semble appartenir au passé. Pourtant la nécessité, qui s’habille du terme de Développement Durable resurgit après des décennies ou la technique et une énergie bon marché ont permis d’étaler de mornes banlieues au mépris de toute rationalité.
N’oublions pas que les petits villages qui nous font rêver ont une densité de 1 et plus. Alors que dans un quartier pavillonnaire elle est de 0.4, ou mieux de 0.6. Souvenons nous aussi que les fameux « quartiers » ne sont pas denses. C’est la forme qui est erronée, car les logiques, avouées ou non, de leur conception, n’étaient pas celle du plaisir d’habiter.
L’idée de développent durable est elle porteuse d’avenir ?
Que propose le concept d’éco construction, Développement Durable,… ? Tout simplement une idée immémoriale : composer avec la nature.
Que faisaient nos ancêtres dans l’implantation de leurs villages ou leurs maisons ? Des choses simples :
La présence de l’eau, d’un chemin
Une bonne orientation
L’utilisation de terres défavorables à la culture
Etc…
Et pour construire :
Des matériaux de proximité demandant peu d’énergie
Des techniques simples
La mécanisation, l’énergie abondante et bon marché ont permis d’oublier tout cela, jusqu’à être capable de faire tenir une pyramide sur sa pointe.
Il ne s’agit, à aucun moment de revenir en arrière, mais tout simplement, avec toute la technologie (en particulier numérique) dont nous disposons de mettre en oeuvre des matériaux et des techniques simples et à basse énergie. Le retour au respect des lois naturelles, en quelque sortes. Une chose est sure c’est que notre modèle de développement actuel n’a pas d’avenir. La philosophie de la Loi SRU est l’esquisse du chemin à suivre en essayant d’introduire des outils de planification, des notions comme les PADD ou la mixité sociale.
Le retour au fondamentaux et à l’intelligence.
Le code civil protège la propriété privée. Le code de l’urbanisme réglemente l’usage de cette propriété. En ce sens c’est une atteinte au droit de propriété. Ce droit d’atteinte doit être renforcé. Surtout la puissance publique doit revenir à son rôle qui est d’incarner l’intérêt général. Nous possédons des outils de prospective comme jamais l’humanité n’en a eu (par ex l’analyse environnementale de l’urbanisme). C’est ce que faisaient nous ancêtres en sélectionnant un site pour ces aptitudes.
Sans entrer dans une discussion technique aucun nouveau projet d’urbanisation, industriel ou domestique ne devrait voir le jour sans que l’on ait analysé :
Tous les problèmes de desserte à commencer par les transports en commun et les fluides.
Puis des analyses d’aptitudes à recevoir un bâti conforme à sa destination.
Regardez une carte d’état major d’un « vieux pays » comme le Béarn ou l’Aragon ; les villages sont à 1 heure de marche les uns des autres (4 à 5 km) : c’est la mesure de l’homme.
Cela reste vrai quand on change de moyen de transport à condition que, le mode soit durable. Voilà la révolution dont je rêve. Modèle qui est confusément enfoui au fond de nous. Cet équilibre spatial a existé tant dans l’urbain qu’à la campagne avant la grande révolution industrielle. Je ne fais pas de la nostalgie, c’est de l’histoire.
Un moment de l’histoire où socialement ça n’allait pas pour le mieux, j’en conviens aussi. Dans tous les cas à cette époque, l’agriculture ne dévorait pas la Terre. Mais ce moment de l’histoire est la preuve qu’un équilibre est possible. Il nous appartient, avec tous les moyens modernes dont nous disposons de réaliser cet équilibre à nouveau.
Aucune construction humaine n’est naturelle. Notre système économique n’est pas une loi naturelle non plus. Ce n’est qu’un tout petit moment eu égard à l’histoire de l’humanité. Nos civilisations sont des constructions, qui sont toutes mortelles. Les civilisations s’édifient, sans cesse, sur les décombres de la précédente. L’histoire est une suite de cycles.
En ce début du 21° siècle nous sommes en possession, depuis déjà quelques décennies d’instruments d’investigation qui nous permettent d’envisager de faire l’histoire consciemment. Il s’agit donc pour moi d’appeler au retour des convictions, de la volonté, et de la planification du développement des villes.Il ne s’agit pas d’un retour au stalinisme, ni d’une nostalgie des planifications bureaucratiques gaulliennes. Il s’agit de la mise en place, par la démocratie locale, de règles d’urbanisme négociées, concertées et durables. C’est une nouvelle forme de démocratie locale qui est à inventer. Sans oublier le rôle de l’état, qui c’est délité progressivement au profit d’un consensus mou. Etat qui depuis 1973 (décentralisation) fait preuve d’une extraordinaire faiblesse, ou d’un lâche soulagement, au nom du respect de la démocratie locale.
Que faire ?
Que faire en tant que citoyen lambda ? Tout d’abord résister car celons les mots de Lucie Aubrac : « Résister c’est créer, créer c’est résister ».Cela n’a rien à voir avec les comités de défenses ad hoc qui cultivent le syndrome de NINBY.C’est, face à ce type de réactions de défenses que la puissance publique a une occasion inouïede faire de la pédagogie, à condition que les projets soient bien guidé par l’intérêt général ou comme le disait Condorcet « le bien public ».
C’est vrai qu’en cette période d’individualisme forcené (clôtures, urbanisme privatisées,4×4, camping car forteresse …) c’est à contre courrant. Si comme l’a dit, je crois, JF Deniau l’argent public sert à acheter des voix, nous mesurons bien que la réforme des institutions nécessaire à l’accomplissement du « bien public » sera difficile. Les idées géniales ne courent pas les rues. La pensée politique c’est gelée avec la chute du mur de Berlin. (Avant même). Le déficit de réflexion théorique est immense alors qu’il serait absolument nécessaire, puisque le système économique est unique. L’unicité de penser est un piège mortel, à n’importe quel moment de notre histoire. D’autant que si cette forme d’économie était satisfaisante cela se saurait. Or vu l’état de la planète j’ai du mal à m’en convaincre.
Nous sommes à un moment de l’histoire ou ce qui naît comme ce qui meurt est incertain.
En 1957, Albert Camus recevant le prix Nobel de littérature à Stockholm, prononça ces paroles (le lendemain à l’Hôtel de ville de Stockholm). Nous pouvons encore en mesurer la force et la portée :
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et del’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. »
Discours de Suède p 18 & 19 ed Folio
Ce n’est pas la seule position de Camus qui soit d’actualité. Mais il est fécond que soit nommé « grande » la tache qui consiste à éviter que le monde ne se défasse.Nous savons aussi que le monde est fini, comme les ressources dans les quelles nous puisons avidement. C’est cette réflexion que je propose comme de départ de notre action pour la ville de demain.
Avant d’achever mon propos, je vous livre cette dernière réflexion : avec la chute du mur de Berlin le monde est devenu FINI. Des générations précédentes ont eu la découverte des Amériques, la conquête d’empires coloniaux, le communisme et le capitalisme. La jeunesse d’aujourd’hui a comme nouvelle frontière l’univers virtuel des jeux électroniques, et, je ne sais qu’en penser !
En écrivant ces lignes il est venu à ma mémoire, un livre écrit par Gaston Rébuffat : «Neige et Roc » , manuel d’apprentissage de la grimpe magnifiquement illustré par les frères Terraz. Il commençait ainsi : « la jeunesse à pour vivre besoin d’un grand dessein… » pour se terminer sur une photo de Gaston avançant sur une arête de neige, corde tendue, avec ce commentaire, « je sais que je serais toujours en marche ». Quand avons-nous cessé de marcher ?
Mars 2008/Mars 2009