Les aiguillages

Les aiguillages
Une autre version du chemin

LES AIGUILLAGES

V.M.et vous tous mes F.en vos grades et qualités.

Le titre de cette planche pourrait laisser supposer que je vais vous dresser un tableau du fonctionnement des
voies ferrées à la SNCF. Si la référence à cette société de transport va apparaître tout au long de cette planche, ce
sera en raison exclusivement de son caractère symbolique.

Je ne vais pas attendre plus longtemps pour dévoiler en fait le sujet de mes propos.

Les symboles que je définirai seront la voie ferrée qui s’ouvre devant nous et les nombreux aiguillages qui s’y
trouvent.

Où commence donc cette voie ferrée ? Sur le plan purement physique à la naissance, sur le plan médical à la
conception. Sur le plan philosophique bien avant cette conception puisque l’ovule et le spermatozoïde dont nos
sommes les résultats portent déjà des caractères génétiques indéniables.
La voie ferrée vient en fait du fond des temps, des origines de l’homme et au-delà des origines de la vie, de la
soupe originelle.

Nous n’avons de ce passé qu’une idée imprécise, approximative. Même si nous sommes à la recherche de notre
passé, la conception de celui-ci à travers le temps est difficile. D’innombrables aiguillages nous ont déjà amenés
à notre gare de départ connue de nous, c’est à dire notre naissance. De très nombreux aiguillages ont jalonné la
voie qui vient du fond des temps. Il a fallu des milliards de changement de direction, dus pour la plupart au
hasard – quelques-uns uns à la volonté de nos ancêtres- pour nous amener où nous sommes et faire ce que nous
sommes. Nous amener là et non ailleurs et être nous et non un autre.

Tentant de faire des recherches généalogiques, j’ai tout de suite été amené à faire un choix sur le sens de la
recherche. Coté paternel ou coté maternel ? Rechercher un seul coté ou vouloir explorer l’autre ou les deux ? Sur
100 ans nous comptons déjà 4 ancêtres, sur 200 ans 32, et sur un millénaire 16 millions, si on admet 3
générations par siècle. Peu importe la précision ou l’imprécision du chiffre c’est simplement l’idée de grandeur,
du nombre de voies et d’aiguillages qui sont arrivés à notre gare qui est important.

On imagine dans ces conditions que notre existence, notre venue à la vie a dépendu de milliers de hasards mais
aussi de milliers de décisions tout au long des temps. Pourquoi tel ancêtre a-t-il rencontré tel autre ancêtre,
pourquoi ont-il décidé – ou le hasard a-t-il décidé pour eux- d’avoir un, deux, trois, 10 enfants, pourquoi leur vie
s’est-elle orientée dans un sens et non dans un autre, pourquoi et comment ont-il survécu à une famine, à une
guerre, à la peste ? Se poser ces questions me donne le vertige. Tout ceci nous amène à réfléchir à notre présence
sur cette terre, à notre utilité et de façon plus générale à la trace que nous y laissons.

Cela pose aussi l’interrogation : qu’apportons-nous à l’humanité et quelle que soit notre place dans la société
sommes-nous aussi important que ce que nous croyons ? Quels hommes ont marqué l’histoire de l’humanité ? On
peut tout d’abord penser aux « inventeurs », celui qui le premier a trouvé le moyen de faire du feu, l’inventeur de la
roue ou sur le plan de la pensée, tous les philosophes grecs et leurs successeurs tout au long de l’histoire. De
quelle façon aussi ont-il marqué leur temps, dans l’avancé de la connaissance pour l’humanité, comme Ambroise
Paré ou Pasteur, ou dans l’horreur comme Néron ou Hitler.

Et nous, dans cette chaîne, qui n’avons ni découvert l’Amérique, ni imaginé la théorie de la relativité, qui ne
sommes ni Magellan, ni Vasco de Gama, ni Eintstein, quel est notre rôle ? Quelle trace laisserons-nous après notre passage sur cette terre ? Dans l’immédiat certainement le souvenir desêtres qui nous sont chers et qui nous ont connus, parfois d’étrangers que nous avons marqué, d’ailleurs tout autant en bien qu’en mal. Au-delà de ce cercle, d’autres cercles concentriques, de gens qui ont entendu parler de nous, au-delà encore, le silence. Comme la pierre jetée sur un étang, crée des ronds qui s’éloignent du point d’impact pour, en fait, disparaître à quelques mètres, comme cette pierre, nous laissons cette trace qui disparaît dans le temps et dans l’espace.

Pour certains hommes la trace est représentée par leur oeuvre qu’elle soit d’art ou d’utilité. Les sculpteurs les
peintres les bâtisseurs de cathédrales ont marqué leur temps. Certains de façon connue et reconnue, d’autres de
façon très anonyme. Si nous connaissons les initiateurs des constructions de pyramides, nous ignorons le nom de
ceux qui ont peiné et certainement qui en sont morts pour tailler, déplacer, assembler des blocs de pierre dont
nous ignorons toujours aujourd’hui comment ils ont pu les mettre en oeuvre.

Pour certains la mémoire de l’humanité, mais pour d’autres, qui n’avaient, ou qui n’ont aucun talent particulier,
quelle trace laissent-ils ? Dans la symbolique maçonnique la chaîne d’union m’émeut toujours autant. Nous
sommes les maillons de cette chaîne qui traverse les temps et qui se poursuivra dans l’avenir. Une interrogation
cependant. Lors d’une tenue funèbre nous disons que la chaîne brisée doit être reconstituée. Mais qu’est devenu
l’anneau manquant. Il a rejoint l’orient éternel. Cet orient cependant ne résout toujours pas notre interrogation :
où allons-nous ?

Si nous ne sommes ni peintre ni sculpteur, ni bâtisseur de cathédrale, ni écrivain ni poète que laissons-nous
derrière nous?

Je reviens cependant sur ma voie ferrée et sur mes aiguillages en oubliant un instant cette gare d’arrivée qui nous,
ou me, préoccupe.

Premier aiguillage celui de la naissance. Pourquoi suis-je né dans cette famille et non dans celle d’un milliardaire
? Vous connaissez l’expression, il est né avec une cuiller d’argent dans la bouche. En fait ce sont les milliers
d’aiguillages évoqués plus haut qui m’ont amené sur cette voie. Pour votre information, je ne suis pas né dans une
famille de milliardaire !…

Aiguillage important et souvent déterminant : l’éducation et plus généralement l’accès à la connaissance. Si nous
naissons dans une famille qui possède quelques moyens, qui vit en Europe ou dans un pays développé, nous
allons prendre la bonne voie. J’ai reçu l’an dernier des voeux par e-mail qui m’ont beaucoup ému. Je les ai
d’ailleurs transmis par la même voie à certains d’entre vous.
Le texte de ces voeux était le suivant :

 » Si vous avez de la nourriture dans le réfrigérateur, des vêtements sur le dos, un toit au-dessus de la tête, un
endroit où dormir, vous possédez plus de richesse que 75% des gens en ce monde.

Si vous avez de l’argent en banque ou dans votre portefeuille, vous comptez parmi les 8% des personnes les plus
riches de la planète.

Si vous vous êtes levé en bonne santé ce matin, vous avez plus de chance que le million de personnes qui vont
mourir cette semaine.

Si vous n’avez jamais connu les dangers de la guerre, la solitude de l’emprisonnement, l’agonie de la torture ou
les affres de la famine, vous avez plus de chance que 500 millions de personnes dans le monde.

Si vous pouvez assister à un office religieux sans crainte d’être harcelé, arrêté, torturé ou tué, votre bonne
fortune surpasse celle de 3 milliards de personne en ce monde.

Si vos parents sont toujours vivants et toujours ensemble, vous êtes dans une classe à part, même chez nous.

Si vous pouvez porter la tête haute en arborant un radieux sourire sur votre visage, vous êtes béni parce que la
majorité ne le fait pas, bien qu’elle le puisse.

Si vous pouvez tenir la main de quelqu’un, le serrer dans vos bras ou simplement toucher son épaule, soyez
remercié car vous possédez le don de guérir.

Si vous pouvez lire ce message vous êtes doublement chanceux, d’abord d’avoir quelqu’un qui pense à vous et de
ne pas faire partie des 2 milliards de personnes qui ne peuvent pas lire du tout.
Faites le décompte de vos chances. »

A la lecture de ce texte nous nous rendons compte des nombreux aiguillages qui jalonnent les voies de chacun.
L’éducation et la connaissance ouvriront un aiguillage important. Ensuite nous aurons sur cette voie la possibilité
d’aller vers le diplôme, la connaissance d’un art ou d’un métier, ou d’ouvrir un autre aiguillage allant vers une
voie qui semble plus agréable, qui descend qui suit des paysages agréables, fait de facilités et de plaisirs, avec
des compagnons de voyage insouciant et joyeux. C’est la voie de l’inconscient ou de l’irresponsable qui durant sa
jeunesse ne prépare pas sa vie future. Heureusement nous pouvons croiser alors d’autres aiguillages qui ramènent
vers la voie principale, celle qui monte, qui est difficile. A nous de choisir à ce moment le chemin. Celui
certainement qui apparaît le plus difficile mais plus riche d’espoirs pour l’avenir.

La connaissance acquise, des centaines d’aiguillages se présentent encore. Sur le choix d’une profession. La
dessus interrogeons-nous. Sommes-nous les vrais aiguilleurs de ce choix ou n’est-ce pas d’autres aiguilleurs qui
nous orientent vers un métier. Certes il existe des enfants qui très tôt manifestent leur désir d’être médecin ou
garagiste -moi c’était garagiste- et qui embrasse la carrière choisie. D’autres veulent être explorateur ou président
de la République mais pour ce dernier voeu la voie est vraiment très étroite et la chance d’y parvenir bien mince.
En fait s’agit-il d’une chance?

Toutes ces réflexions m’amènent à m’interroger sur le déterminisme. Selon les philosophes le déterminisme se
présente comme un savoir dont la possession donnerait le moyen de prévoir, au contraire du fatalisme pour qui
tout ce qui arrive est soumis à une absolue nécessité puisque écrit dans un livre inaccessible
Le causalisme, pour sa part, postule que tout phénomène a une cause qui l’a engendré alors que le déterminisme
se borne à affirmer qu’il y a des antécédents constants
C’est Claude BERNARD qui le premier a employé le terme de déterminisme. Kant pour sa part remarquait que
le déterminisme est un ensemble de lois qui non seulement permettent aux choses passées présentes et futures de passer des unes aux autres, mais commandent ce passage.

Tout ce que nous faisons, disons, sommes, est lié à ce que nous avons subi d’abord dans notre enfance ensuite
dans toute notre vie. Dans ces conditions sommes-nous libres de nos actes ?
Pour le philosophe LAPLACE la connaissance du passé conduit à celle du passé, comme de l’avenir.
Disposons -nous dans notre vie du libre arbitre ? Oui si nous y intégrons notre vécu, notre passé, non, au sens
littéral du terme.

Le libre arbitre pourrait être l’acte gratuit. Mais même dans ce cas notre culture ou notre acculture conditionne
cet acte gratuit.

Ma voie ferrée m’a fait aussi passer par cette loge. Pourquoi celle-là, pourquoi le G.O.D.F.? Et tout d’abord
pourquoi la franc-maçonnerie ? Pourquoi un jour ai-je frappé à la porte de ce temple? Personne dans ma famille
ne s’est intéressé à la maçonnerie. Juste un grand-oncle qui proférait des idées humanistes mais sans que je
puisse aujourd’hui y déceler une appartenance quelconque. Très vite cependant l’éducation religieuse que j’avais
reçue ne m’a pas suffit et très vite aussi je me suis détourné de toute pratique religieuse. C’est d’ailleurs ce rejet
qui m’a fait refuser l’entrée à la G.L.N.F. lorsqu’il m’a été précisé qu’il fallait croire en l’existence d’un Dieu
et sinon de Dieu. J’aurai pu certainement à ce moment effectuer des recherches sur les obédiences mais j’avoue
que le profane que j’étais, ignorait que la franc maçonnerie était, elle aussi suivant une expression à la mode,
plurielle. Aussi lorsque j’entends déclarer ici, sur ces colonnes, à l’occasion de certains débats, qu’il suffisait de
choisir son obédience, j’avoue que je mesure mon ignorance passée et la préparation de certains à leur entrée en
franc-maçonnerie.
 Lorsqu’un collègue s’est dévoilé et m’a approché en me précisant la laïcité de notre obédience,
j’ai repris ma réflexion et vous mes frères avez actionné par votre vote, l’aiguillage qui m’a amené jusqu’ici.
Ici d’ailleurs sur ce plateau de Second Surveillant. Lorsque Apprenti je suis arrivé dans cet Atelier je n’imaginai
pas que je me trouverai face à la Colonne du Nord avec comme mission principale de faire l’éducation de nos
Frères Apprentis. Je ne connaissais à l’époque rien du rituel, du règlement général, en fait, rien de la Maçonnerie.
Je découvrais un nouveau monde, une nouvelle dimension, un ailleurs. Cette découverte fut pour moi intense. Ne
souriez pas mes Frères mais le lendemain de mon initiation, alors que le Vénérable Maître m’avait apposé le
sceau de la Loge sur l’épaule je faisais attention en prenant ma douche de ne pas l’effacer.

Cet aiguillage m’a amené sur ce plateau et c’est peut être maintenant l’occasion – comme l’a suggéré un Frère
de cet Atelier – de vous faire part de mes impressions de Second Surveillant. Outre le fait de vérifier à
l’ouverture des travaux que tous les Frères présents sont membres réguliers de la Loge ou visiteur connu, ce qui
ne demande pas un très grand effort, de demander et donner la parole aux Frères de la Colonne du Nord, ce qui
demande un minimum d’attention, le plaisir de ce plateau réside dans l’instruction des Frères Apprentis.

C’est toujours avec beaucoup de plaisir que je viens à nos séances du lundi soir. Bien entendu au début j’avais
préparé des fiches, conçu un programme, fait répéter le pas, le signe et l’attouchement, mais le plus grand plaisir
réside dans l’échange avec ces Frères et plus ils sont jeunes – en maçonnerie j’entends – plus ces échanges
m’apportent de satisfaction et m’enrichissent. En fait ils me replacent dans ce que j’étais lorsque je suis arrivé,
découvrant des pratiques étranges mais surtout une méthode de travail, une écoute, une façon de respecter les
autres et leurs idées même, et surtout, si je ne les partage pas. Souvent en ressortant de nos séances de travail du
lundi soir j’ai l’impression d’avoir plus appris qu’enseigné.

Ce soir 2 Apprentis passent sur la Colonne du Midi. Je souhaite qu’ils y trouvent leur place, que le soleil plus
présent les réchauffe. Je leur rappelle que maintenant plus habile avec leurs outils, la bavette de leur tablier étant
rabattue, ils peuvent travailler plus efficacement. Une partie de ce travail réside maintenant dans la possibilité de
parler, d’apporter sa pierre à l’édifice. Je leur souhaite beaucoup de courage. Le silence est parfois frustrant mais
souvent confortable.

Avec cette augmentation de salaire à laquelle j’ai assisté, je viens aussi de percevoir le mien et j’en suis satisfait.
Un nouvel aiguillage, celui qui m’indique que ma planche doit se terminer, se présente et je le passe. Je sais
cependant que la ligne se poursuit que d’autres aiguillages m’attendent.

Après avoir tapé ce texte l’ordinateur me dit qu’il comporte pages 2 522 mots, 12 603 caractères. Je m’aperçois
aussi – et là mon ordinateur reste muet – qu’il comporte beaucoup de points d’interrogation. Si certains d’entre
vous peuvent y apporter quelques réponse je les accueillerais avec plaisir, mais je pense que vous aurez vous
aussi, beaucoup de questions sans réponse.

J’ai dit.

Un F.de l’At..

| Lu le 01/07/2006 | Compagnon

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