Le toucher

Le toucher
Un thème rarement abordé et qui apporte un éclairage original sur un de nos cinq sens : le toucher.

VM en chaire, VM à l’Orient et vous tous mes frères, en vos grades et qualités
J’ai choisi ce soir de vous parler du toucher, un des cinq sens, et peut-être un des moins connus.
Pourquoi vous parler du toucher ?
Tout d’abord parce qu’au moment de mon initiation, c’est un sens qui m’a particulièrement impressionné, mais aussi parce que dans la vie M :. et profane c’est un sens d’une extrême importance.
Dans le rituel, à la question à quoi reconnaît-on un F :. M :., on répond : « à ses mots , signes et attouchements »
Nous appréhendons notre environnement avec nos 5 sens : la vue, le goût, l’odorat, l’ouie et le toucher.
Lors de l’initiation, l’impétrant voyage les yeux bandés, donc privé de la vision, ce qui le rend d’autant plus sensible au toucher
Au départ le toucher du guide est impersonnel, il vous emmène jusqu’à la ligne de départ si je puis dire, puis tout s’accélère, lors du premier voyage, semé d’embûches, j’ai ressenti ce toucher comme une menace, assortie d’un secours, sentiment diffus – un peu comme ce jeu idiot mais tellement drôle où surgissant derrière votre femme ou belle – mère, ou qui vous voulez, occupé à observer la mer au bord de la falaise, vous faites mine de la pousser, tout en la retenant … et bien c’est un peu ça le toucher du premier voyage, on ne sait plus trop si votre guide vous pousse ou vous retient, s’il est ami ou ennemi.
C’est une sensation bizarre on ne sait si l’on cherche à vous faire chuter ou au contraire à vous protéger de la chute ! autour ce n’est que tintamarre et cris venus de partout, venus de nulle part
Ce voyage passé, le toucher se fait plus amical, maintenant, vous suivez le guide , derrière lui, une main sur l’épaule, comme un aveugle , que vous êtes d’ailleurs toujours. C’est un moment que j’ai vécu comme un apaisement, l’impression que mon guide est devenu bienveillant.
La musique aussi se calme et vient renforcer ce sentiment de quiétude
Plus tard, après la lumière vient l’accolade et la passation du code pour se saluer discrètement, par pression du pouce – encore un toucher particulier……. Et il en est d’autres, si j’ai bien compris, question de grade.
La tenue se termine par une chaîne d’union, où chaque F, les mains dégantés, comme par hasard, c’est le seul moment de la tenue avec le passage du tronc de la veuve, forment une chaîne avec tous les frères de la loge – moment hautement symbolique et émouvant, symbole d’une fraternité et de l’inscription dans l’histoire : nous formons la chaîne comme le faisait nos ancêtres…., symbole aussi de la transmission d’un message traditionnel : une main qui donne , une main qui reçoit, .
L’un des frères de l’atelier, pourtant maître, me confessait qu’après plusieurs années, il en avait encore des frémissements dans les bras…
Encore plus tard, sans doute bcp trop tard, viennent les agapes, surtout qu’après vient la vaisselle, maçonnerie opérative s’il en est.
Au cours de ces agapes, j’ai été aussi surpris de la facilité avec laquelle les F se touchent : main sur l’épaule, tapes sur les bras, accolades…..
J’aurai pu m’en douter, la petite lucarne sur la porte d’entrée, le vigile armé , la lumière tamisée, les banquettes de cuir rouge, les petites loupiotes, et l’entrée strictement réservée aux membres…. Et quand je dis membres, ni voyez aucune allusion machiste, sinon j’aurai dit membres actifs ! Tout cela a bien des allures de club privé
Lieu discret ou c’est sût tout ce qui s’y passe n’en sortira point, c’est écrit dans le règlement
Oui, j’aurai du m’en douter qu’ici les codes diffèrent du monde profane.
Voilà donc, mes F, ce qui m’a amené à m’intéresser au toucher
Le toucher est le sens le plus étendu, la peau est l’organe du corps le plus important par sa masse.
C’est par le toucher que les très jeunes enfants apprennent le monde, ils portent les objets à la bouche et s’instruisent par ce contact tactile, les adultes aussi, notre coté enfant sans doute, continuent aussi à appréhender le monde avec le toucher comme le dit l’humoriste, si on vous dit qu’il y a des milliards d’étoiles dans la galaxie, vous le croyez, mais si on vous dit que la peinture sur le mur est fraîche, automatiquement vous aurez besoin d’y toucher pour vous en convaincre – saint Thomas contrefait, je crois que ce que je touche.
D’ailleurs rien n’est plus idiot que de dire « mois, je suis comme saint thomas, je ne crois que ce que je vois – vous l’avez vu vous St Thomas ? moi non ! »
C’est aussi le toucher qui nous renseigne par des réactions vives comme la brûlure d’un danger imminent, et qui provoque un réflexe de repli
Je veux vous parler aussi de quelques expériences personnelles , c’est pas pour me vanter, mais je suis grand père depuis quelque mois, et c’est vraiment à la maternité quand j’ai eu le bébé dans les bras que j’ai réellement pris conscience de cette grand paternité, je le touche donc j’y crois !
La réalité touchée du doigt !
Qui n’a pas expérimenté le toucher d’un tissu, la caresse du corps aimé, la pâte à modeler de l’enfance, la boue que l’on fait glisser entre les doigts, …

Pour ma part, j’aime jardiner, mais le bonheur s’estompe si je mets des gants, j’ai besoin du contact physique avec la terre, de sentir sa chaleur ou son humidité, de sentir l’arbuste que je taille , car on ne peut parler du toucher sans parler d’un de ses vecteurs principaux : la main
En symbolique, la main peut avoir différentes significations, selon qu’elle est ouverte ou fermée, qu’elle fait le geste d’attraper ou de repousser. Des mains jointes en signe de fidélité et d’union sur le faire-part des jeunes mariés à l’imposition des mains sur quelqu’un en signe de consécration, pour lui communiquer sa force
La bague symbole de l’alliance est sur le doigt du méridien du cœur
Magique aussi : la main qui guérit par simple toucher, ou la main du chirurgien qui opère, le mot chirurgien vient d’ailleurs du grec « kheirourgos », qui désigne à la fois la paume de la main et les doigts – ce terme désignait avant Hippocrate les guérisseurs qui officiaient avec la main
De nombreux monarques ont pratiqué l’imposition des mains pour guérir les malades
Lever la main droite pour jurer
Lever le pouce en haut, en signe de compliment
Ou en bas , pour signifier sa désapprobation ou la mise à mort
Les signes ne manquent pas
De nombreuses expressions utilisent ce terme : une main secourable, le cœur sur la main, donner un coup de main, jeux de mains , jeux de vilains,.. la liste est longue.
On retrouve aussi la main dans la chiromancie, ou lecture des lignes de la main
Et que dire, et c’est d’actualité de la poignée de mains des chefs d’état ou des postulants devant les caméras
Dans notre culture, le corps entier est couvert, et seule ou presque la main est nue, ce qui explique qu’elle soit un capteur privilégié du monde extérieur, outre sa partie pratique .
Il nous reste bien sûr le visage pour ressentir le vent, les oreilles pour sentir l’intensité du froid et pour certains, le sommet du crâne pour sentir les plaisirs de la mousson béarnaise
La main, c’est aussi ce qui tient l’outil, les maçons traditionnels les ont d’ailleurs fort abîmées, mais les ont aussi éduqués, sur l’outil, le burin ou le maillet – en ce sens, elles possèdent une sensibilité éduquée, donc culturelle. C’est en cela que l’on parle de l’intelligence de la main, le toucher devient geste……
Les plus anciennes fabriques de pierres taillées, pour confectionner des outils et des éclats tranchants nous viennent de l’Homo Habilis, qui pourtant ne parlait pas, le geste précède le langage, enfin le geste est langage – finalement n’est-il pas un peu notre ancêtre ? d’ailleurs, je propose à la commission de réforme de l’obédience de prendre l’ homo habilis comme point de départ – et j’imagine déjà notre F :. Secrétaire lire le tracé de la tenue d’aujourd’hui pourrait commercer par : en l’an 2 502 007 de la vrai lumière, dans un lieu fort élevé et couvert etc…
Le toucher codifie aussi nos relations sociales, car il implique notre relation à l’autre.
Les éthologues qui étudient le comportement des animaux ont observé l’existence de sphères invariables qui définissent une sorte de bulle autour des animaux
L’anthropologue Edward T-Hall va adapter cette dimension cachée aux comportements de communication humains
Ces bulles invisibles qui nous entourent dépendent de deux facteurs : d’une part nos capacités perceptives et d’autre part notre dimension psycho-socio-culturelle.
L’étude de ces distances physiques qui s’établit entre des personnes prises dans une interaction s’appelle la PROXEMIE, terme apparu dans les années 70 dans les sciences sociales.
Cette distance sociale va varier selon les cultures, elle est plus courte dans les pays latins, plus éloignées au Japon
Certaines personnes âgées ou dépendantes souffrent d’un manque de contact physique – on a pu observer l’importance du toucher chez les personnes âgées ou dépendantes – la privation du toucher, d’être touché provoque des replis sur soi –
« les vieillards ont besoin de toucher quelquefois de leurs lèvres le front d’une femme ou la joue d’un enfant, pour croire encore à la fraîcheur de la vie et éloigner un moment les menaces de la mort » – Maurice Maeterlinck
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si on voit se multiplier, les instituts de remise en forme, massage, thalasso et tous genres
Dans ma pratique professionnelle, je suis amené depuis de nombreuses années à travailler avec des personnes malades mentales, j’ai pu observer souvent , je n’en fais pas une théorie, qu’en cas de crise, quand les mots sont devenus inutiles ou incompréhensibles par l’autre, plus qu’une parole, c’est parfois simplement, une main sur l’épaule, voire dans certains cas une enveloppement des deux bras qui calment – une façon de dire physiquement, je suis là, une façon de marquer sa présence à l’autre jusque dans son corps, dans le réel
Ce toucher là est généralement interdit, nous vivons dans un monde aseptisé, et ce n’est ni la religion, ni la psychanalyse, qui nous entraîne à utiliser ce sens qu’elles ont souvent diabolisé.
En effet, le toucher devient aussi menace dans une société érotisée où il est de plus en plus interprété comme passage à l’acte d’une intentionnalité malsaine. Les enseignants ne peuvent plus prendre une petite fille dans les bras pour la consoler, poser les mains sur les épaules de leurs élèves pour les encourager, les maintenir au travail, etc…
L’artificialisation de notre civilisation est-elle cause ou effet de cette mise à distance de l’autre par la télécommunication qui rejète ainsi dans le monde animal la communication tactile car nous ne sommes de moins en moins dans un monde de communication mais de télécommunication. Notre maîtrise à distance des autres et de notre planète dilue d’abord et évacue ensuite notre responsabilité quant au mal que l’on peut faire à son prochain, ou à la nature.
Cela n’empêche pas des humains de mutiler, de tuer, à mains nues des milliers d’autres humains, voir notamment le génocide du Rwanda.
Cela bien sûr nous insupporte, nous effraie, mais est-ce plus intolérable que les massacres à distances des scudes et frappes chirurgicales – mais je m’égare.
Le toucher peut prendre aussi l’expression d’un verbe
Je me souviens d’un excellent livre dont on a tiré un piètre film qui s’intitule « bienvenue Mister chance » dans ce bouquin, le héros, un jardinier analphabète est pris à tort pour un fin diplomate, son langage simple issu du milieu du jardin, étant compris comme des métaphores. Un soir, il se retrouve dans un dîner mondain avec des diplomates. Son voisin lui dit « nous devrions nous rapprocher » – faisant bien sûr allusion à la diplomatie des deux pays et mister chance, de répondre au premier degré – se rapprocher ? mais nos chaises se touchent déjà ! et la tablée de se pâmer devant tant d’esprit.
Ainsi , le grand dico de la langue française définis le verbe toucher comme verbe transitif, intransitif et pronominal
Ce verbe peut avoir plusieurs sens :
Mettre la main sur quelque chose
Atteindre, mettre en contact : toucher le but
Recevoir : toucher son salaire …..
Concerner : être très touché
Emouvoir : être touché par des mots
Dire : lui toucher un mot sur cette affaire
Modifier : toucher au règlement du réveil du Béarn
Le passage sémantique du mot au verbe permet d’illustrer s’il fallait encore le souligner de l’importance du toucher, tant le registre qu’il englobe est vaste.
La conclusion de cette planche se fera en forme de questionnement
Il n’est bien sûr pas question d’opposer la compréhension sensitive du monde avec celle plus intellectuelle, puisque c’est bien avec les neurones que l’on décode nos sens – qui peuvent par ailleurs être éduqués on l’a vu pour le toucher, mais c’est vrai aussi pour les autres sens – voir « le Parfum » de Suskin par exemple
Mais la démarche maçonnique de recherche de la vérité, d’étude de la morale se présente avant tout comme une démarche intellectuelle. Une vision du monde qui passe par l’esprit avant tout.
Comment, tout en restant fidèle à cette démarche pouvons nous rester à l’écoute de nos 5 sens, et même du 6° tant qu’on y est, comment savoir encore écouter ses émotions sans en être l’esclave, rester enfant et en même temps devenir adulte, construire son temple intérieur avec sa matière grise mais l’égayer des couleurs de la VIE
J’ai dit
 
 
 
 
 Lu le 11/04/2007 | Apprenti

Laisser un commentaire