Le silence de l’apprenti
Un apprenti sort pour une fois du silence ……
Le silence de l’apprenti
Il apparaît d’emblée paradoxal, et pour cause, de parler du silence ! Mais il est parfois, et sans chercher à faire une figure de style, des silences assourdissants…
Mais qu’est-ce que le silence exactement ?Penchons-nous tout d’abord sur l’origine du mot « silence ». Ce mot vient du latin silentium mot de la famille de silere qui signifie se taire. Bien : continuons la recherche. Il existe un silence en musique que tout mélomane connaît… mais le silence c’est aussi le vide, la nécessité d’épurer, la paix, l’intériorisation, le contrôle sur soi, un moyen de signifier quelque chose sans rien en dire, la modestie, une richesse – le silence est d’or paraît-il – un détachement, l’écoute de soi et des autres etc….Développons ici quelques aspects :
Dans la tradition orientale, le silence est d’abord celui du mental, hors de la pensée discursive et logique. Par le silence de la méditation, le méditant raccourcit la distance entre le sujet et l’objet et accède ainsi à une sorte de fusion entre le connu et le connaissant.
Chez nous, vécu de manière individuelle, le silence en soi est vecteur de disponibilité. Il permet l’intuition et laisse la voix intérieure se faire entendre. ceci peut parfois aboutir à un véritable dialogue intérieur avec son Moi profond, propice à l’introspection.
Un autre aspect du silence apparaît volontairement chez celui qui sait mais qui préfère laisser l’étudiant, l’apprenant, le disciple, trouver la réponse par lui-même et se l’approprier plutôt que de donner la solution toute faite, de révéler une vérité toute relative. Parfois, le détenteur du « secret » non révélé peut en profiter pour se placer artificiellement en position dominante ou ne rien révéler de peur que l’utilisation de ce « secret » ne le dénature.
Dans la tradition occidentale et d’une manière plus générale, le silence est l’outil de l’apprentissage. Il a une conséquence immédiate sur le comportement « extérieur » de l’apprenti et lui apporte des enseignements. Faire silence c’est écouter, se rendre disponible à la parole de l’autre, se rendre sensible aussi à ce qui se passe au-delà du langage. L’élève est silencieux parce qu’il doit apprendre. En franc-maçonnerie , dans le temple et au grade d’apprenti ainsi que dans certains ordres monastiques, il est imposé. Mais ce silence imposé n’est pas neutre et représente davantage qu’une simple absence de son ou de bavardage. Le silence fait aussi partie intégrante de l’initiation : le silence de l’initié est la reconnaissance de l’incommunicable ; l’initié se tait parce que ses mots sont porteurs d’un sens qui échappe au profane et qu’il ne sert à rien de dire à qui ne peut entendre. Le silence de l’apprenti commence à l’initiation dans le cabinet de réflexion ce qui est favorable à la méditation, au silence des passions et conduit vers l’humilité. En effet l’apprenti, par son silence, implicitement se tourne vers l’extérieur, oublie sa petite personne, fait taire son orgueil… L’humilité c’est apprendre à regarder son propre comportement au lieu de se concentrer sur celui des autres, c’est apprendre à savoir qu’il y a des vérités sur nous-même cachées par notre ego qui refuse souvent de les voir nous maintenant dans l’illusion ou l’erreur. Cette humilité-là on l’apprend par le silence car elle ne s’extériorise pas et que, pour être authentique, elle doit rester intérieure. L’apprenti doit apprendre aussi à abandonner les frontières du langage profane. Le silence et la méditation lui permettront d’admettre le caractère infini de sa recherche de la vérité. Concentré sur lui-même, il sera davantage sensibilisé dans sa recherche d’un équilibre entre les valeurs telles que les sentiments profonds, l’amitié, la connaissance, la noblesse du cœur, la justice, la raison , la loyauté…
Ceci étant dit, je désire maintenant donner à cette planche un caractère plus personnel
Le fait de faire silence à l’ « extérieur » n’engendre pas forcément du silence à l’intérieur. C’est cette alchimie intérieure que je voudrais traduire ici en exprimant ce que le silence en tant qu’apprenti entraîne chez moi.
Se taire……quel supplice pour quelqu’un qui, dans son travail quotidien, fait tout le contraire….. mais aussi quelle formation enrichissante que d’écouter les autres même si cela peut paraître très contraignant !
Par le silence, j’apprends ( ou réapprends) à regarder. Ma première attitude dès que l’on m’ôta le bandeau après l’initiation fut de regarder autour de moi pour découvrir le temple avec ses ornements, les personnes qui m’entouraient. Aujourd’hui encore, lors des tenues, je regarde les visages et les décorations symboliques en essayant de décrypter les sensations, les sentiments sur les visages des Frères ( ne craignez rien je ne donnerai pas les noms de ceux qui dorment ou qui réfléchissent profondément c’est selon… !!!) et de saisir tous les messages non-verbaux transmis par l’environnement. Il y a toujours à regarder, à découvrir…
J’apprends aussi à écouter les autres car le silence accroît la réceptivité sans être forcément passif. Ainsi, je me surprends parfois à hocher de la tête pour signifier mon approbation muette mais cette réceptivité réfléchie demeure une forme d’action non-verbale nécessaire et profonde.
J’apprends encore la vigilance. La parole étant momentanément supprimée , je demeure plus attentif à ce qui m’entoure donc développe une certaine concentration sur ce qui se dit pour m’en imprégner, intégrer tous les mots , en mesurer leur profondeur. C’est en silence que le guetteur remplit son office. Cela nous conduit à la recommandation « vigilance et persévérance » du cabinet de réflexion.
J’apprends également le secret. Par le silence on garde le secret. Apprendre à se taire, c’est aussi apprendre à ne dire plus tard que l’essentiel en débarrassant le discours des paroles inutiles . Ce secret-là est aussi protecteur et positif puisqu’il protège les autres et soi-même mais ne doit pas conduire à la conspiration à l’opposé du but recherché.
J’apprends enfin à apprendre. Le silence ouvre des portes vers le discernement, le jugement, la modération, la prudence. Allié à l’observation et à l’écoute, il permet d’apprendre et , de plus, par la confrontation muette et réservée aux points de vue parfois divergents des Frères, il permet d’analyser, de réguler, de deviner d’autres modes de pensée donc d’apprendre à apprendre.
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En interne, et j’inclus dans ce paragraphe les moments passés au cabinet de réflexion, d’autres enseignements se font même s’ils paraissent plus longs et discrets dans leur développement.
Donc, et par conséquence au fait d’apprendre à apprendre, j’apprends à méditer sur ce qui vient de l’extérieur, à organiser ma pensée, à la discipliner. Dans le silence intérieur, les idées se bousculent, luttent, se jaugent, se confrontent pour s’organiser finalement. Parfois, quand le silence intérieur est effectif, c’est propice à la méditation « pure » où l’esprit apaisé peut se ressourcer aidé parfois en cela par les intermèdes musicaux des cérémonies.
J’apprends aussi à écouter mon intériorité, à faire face à moi-même et à la solitude. Il faut faire face à soi-même, en silence, en solitude pour voir apparaître ses ombres. Je suis alors confronté à un monde intérieur plus étranger que celui qui m’entoure et je découvre alors une part de moi encore inconnue, cette part d’inconnu qu’il me faut connaître pour mieux me connaître.
J’apprends donc à me connaître. En cela, je rejoins la citation V.I.T.R.I.O.L du cabinet de réflexion même si je n’oublie pas qu’il est « aussi difficile de se connaître que de regarder en arrière sans se retourner » comme le dit Confucius. J’apprends à soumettre mes passions, et par cette voie à étouffer ma vanité qui peut m’envahir quand je parle pour parler. Se taire est un moyen de s’affranchir de toute vanité.
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« Le silence c’est la mort » affirment certains ! Poussés en cela par le tumulte de la ville et de la vie moderne quotidienne, les individus ont souvent peur d’être confrontés au silence qui les renvoient parfois à leur propre solitude voire à leur souffrance. En opposition, j’affirme que le silence c’est la vie ou plutôt, la possibilité de voir s’écouler le temps , d’observer la vie , de se retourner sur soi-même. Le silence permet l’introspection et , on l’a vu précédemment, est propice à une foule d’apprentissages. Le silence favorise donc la connaissance du monde qui nous entoure, de notre monde intérieur. Il contribue au développement du savoir. En cela, pour l’apprenti, il constitue sûrement mais lentement à la première étape vers la sagesse.
Catherine Bensaïd : « Tu accorderas du temps au silence, Tu ne te laisseras plus envahir par le bruit, assourdissant, de ton âme en souffrance. Tu poseras les armes de ta lutte intérieure pour trouver en toi, par toi, avec toi la paix si nécessaire à ton cœur. »
J’ai dit .
Lu le 20/10/2006 | Apprenti