La discrimination par l’âge

 

La discrimination par l’âge
Troisième, quatrième et bientôt cinquième age : un regard sur un problème d’aujourd’hui mais surtout de demain.

  La Discrimination par l’âge
 
 
Je vais donc aujourd’hui vous parler de la discrimination par l’âge. Non pas celle envers les quinquas, voire même maintenant les quadras, dont on nous dit qu’ils ne valent plus grand-chose sur le marché du travail quelle que soit leurs formations ou leurs expérience. Mon propos concernera les « beaucoup plus vieux » et plus particulièrement la place que notre société veut bien leur accorder.
Je pense que vous conviendrez avec moi que quand notre société ne se donne pas les moyens de remettre en cause ses travers, elle arrive automatiquement à la désignation de boucs émissaires. C’est beaucoup plus facile. Et, je vais essayer de vous montrer que pour nos vieux, nous n’en sommes plus très loin.
 
Avez-vous remarqué qu’on ne parle des vieux qu’en termes de misérabilisme, de pitié, au plus de compassion, ou de prise en charge, de coût pour la nation ? Presque jamais en terme de citoyenneté et de dignité à préserver, a fortiori jamais en terme de plus value pour la société.
 
Je ne parle pas bien sûr des jeunes seniors qui ont obtenu leur part du gâteau médiatique pour l’unique raison de leur pouvoir d’achat bien utile à la sacro-sainte croissance nationale. J’évoque plutôt, pour fixer une barre arbitraire, les plus de 75/80 ans.
 
L’épisode de la canicule de 2003 a été très révélateur du relatif désintérêt du corps social pour le grand âge. Imaginons que ces 15000 morts aient été des jeunes, il y a fort à parier qu’alors le gouvernement dans son entier eut sauté. Et non juste un ministre fusible.
 
Nos élus ne ratent jamais une occasion de faire ici et là l’éloge appuyé des « forces vives de la nation ».  J’ai alors envie de leur demander quelles en sont selon eux les « forces inertes » ? Et je peux parier sans crainte que nos vieux sont rangés dans cette dernière catégorie.
 
Sans plonger dans un discours passéiste, nous savons bien qu’hier on reconnaissait la vieillesse et on l’honorait. En ce début de 21ème siècle, la vieillesse fait peur aux gens et affole les gouvernements.
 
Et le danger est là car l’alliance de la crainte et de la passivité débouche inéluctablement sur le rejet et sur la discrimination fondés sur l’âge.
 
J’ai eu envie de vous proposer cette planche lorsque ce chauffeur de bus âgé de 70 ans qui, conduisant un bus d’enfants, eut un accident en janvier 2005 (jugé en octobre 05). C’est déjà un peu ancien mais essayons de nous souvenir de comment cela a été relaté.
 
Il ne pouvait qu’être coupable car jugé, de l’unique fait de son âge, forcément incompétent. Il a eu un accident ? C’est normal il avait 70 ans ! Tout est dit…
 
Belle unanimité d’un jugement a priori, vite prononcé et aussitôt relayé par la curée médiatique et l’imbécillité populaire.
 
Au seul titre de l’âge il fut jugé défaillant, incompétent à conduire un bus de 50 personnes même si paradoxalement on conçoit tout à fait qu’un Président de la République soit apte, au même âge voire même au-delà, à conduire le char de la nation (62 millions de passagers tout de même !).
 
Et là encore les conséquences n’ont pas tardé à être traduites de manière légale : le ministre des transports, poussé par cette aveugle furie consensuelle, a ouvert un peu plus le parapluie en donnant un tour de vis à une législation déjà en place mais tout à coup estimée insuffisante. On a encore avancé d’un cran dans la discrimination.
 
Les vieux, eux, lorsqu’on veut bien les laisser s’exprimer affirment que les compétences ne sont pas une affaire d’âge et que, quel que soit celui-ci, il y a des capacités qui se révèlent ou qui s’affirment. Les exemples du passé sont très nombreux (PLATON, GALILEE, GOETHE, DE GAULLE, CHURCHILL etc.)
 
Mais de toute façon, il est manifestement inutile d’écouter ces vieux s’exprimer en tant qu’authentiques citoyens : voyez combien certaines municipalités, évitent un tel débat et bâillonnent l’avis des aînés, puisqu’elles elles n’ont pas jugé utile de se doter d’un conseil des sages. Et au risque de contrarier certains frères, je remarquerai qu’il n’est pas nécessaire de chercher bien loin de tels exemples. Et pourtant ce sont tous ces élus qui le poing levé clament ex cathedra « nous faisons cela pour vous » alors que ces vieux auraient plutôt souhaité entendre « nous ferons cela avec vous ».
 
Hé oui, ça changerait beaucoup de choses…
 
Et puis ces vieux, non seulement seraient des incompétents notoires, mais de surcroît dilapideraient les revenus de la nation (Même si on oublie trop facilement qu’ils en sont les principaux contribuables).
 
En effet, le déficit de la sécurité sociale, ce ne peut être qu’eux. Un certain professeur en santé publique ne l’a-t-il pas déclaré ouvertement dans les colonnes du Monde en dénonçant, je cite : « une nation d’hypocondriaques vieillissants ».
 
Sans prendre aujourd’hui parti pour ou contre l’euthanasie, cela fera je l’espère l’objet de débats dans nos loges, reconnaissons que la fin de vie est estimée ruineuse pour notre sécurité sociale. Alors on attend beaucoup de la loi sur le non acharnement thérapeutique, présenté sous des intentions fort louables, mais qui risque de permettre à une minorité médico-sociale, qui déjà au seul nom de l’âge avancé renonce à des soins équitables, lui permettre donc d’en faire encore moins en lui donnant bonne conscience. Mais qui le dit ? Qui a évoqué le risque de cette dérive ?
 
Dans notre pays, à l’inverse de nos voisins à niveau de vie comparable, et en dépit des connaissances gériatriques modernes, on persiste à nier qu’on ne meurt jamais de vieillesse mais toujours de maladie. Mon propos peut vous surprendre mais puisqu’il est reconnu que nous sommes programmés génétiquement pour vivre environ 120 ans, il faut bien que ce soit une maladie qui nous fasse partir 30 ans plus tôt. Mais c’est bien plus facile et c’est tellement moins coûteux de raisonner comme nos gouvernants puisque la dépendance des personnes âgées est alors exclue du champ de la sécurité sociale, donc de la solidarité nationale.
 
La loi de décentralisation du 13 août 2003, intitulée paradoxalement « loi sur les liberté locales », écorne d’avantage le statut national des personnes âgées puisqu’au nom du cap fatidique des 60 ans, se met en place à leur égard un dispositif départemental spécifique. A terme, c’est l’inégalité territoriale assurée quant au traitement social de ces personnes. Et demain, les vieux seront culpabilisés car on les désignera comme responsables du déficit des budgets départementaux et, par conséquent, de la hausse des impôts locaux. Sur des départements comme le notre, très attractifs pour les retraités, on l’entend déjà.
 
Dominique de Villepin a bien annoncé, début mai 2006 un « plan solidarité grand âge » qui fut peu audible au milieu de la tempête « clairstream ». Mais même sur ce dispositif là, auquel j’ai essayé d’apporter ma petite pierre a titre professionnel, il y aurait beaucoup à dire si je ne craignais de trop alourdir ma planche.
 
Voyez donc que, très insidieusement, se mettent en place, partout et à tous les niveaux, des dispositifs d’exclusion pour les vieux. Et le papy boom qui arrive ne va rien arranger. Grand est le risque pour demain d’aller vers une législation d’exclusion renforcée, et fondée sur l’âge. Tout simplement parce que les plus hautes autorités de la nation sont défaillantes à endiguer la montée en puissance de ce processus de rejet du fait même qu’elles n’y sont pas du tout sensibilisées.
 
 Vous voulez un dernier exemple ? Le 2 juin 2003, le Premier Ministre, relancé et rappelé à l’ordre par les instances européennes, a fini par demander au médiateur de la justice d’alors, M. Bernard STASI, de créer une autorité indépendante chargée de luter contre toute les formes de discrimination. L’Europe avait établi une liste de ces discriminations, la France les a reprises toutes à l’exception d’une seule : celle fondée sur l’âge !
 
Vous le savez bien, quand une nation ne cultive plus le sentiment d’appartenance commune, quand elle n’enseigne plus à ses enfants et à ses citoyens somnolents les valeurs morales, la solidarité, quand les prises de conscience s’endorment, quand la nécessaire analyse critique fléchit, alors, c’est le socle de l’humanisme qui se corrode et se fissure.
 
On dit qu’on juge une société à la façon dont elle traite ses personnes âgées ? On pourrait ajouter que c’est un bon indicateur pour juger de l’évolution ou de la régression de cette société. Et à cet égard nous ne pouvons qu’être inquiets car nous sommes déjà bien engagés sur une mauvaise voie.
 
J’ai dit.

Lu le 20/10/2006 | Apprenti

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