Elévation à la Maîtrise

Elévation à la Maîtrise
Mon très cher frère L., sois le bienvenu dans la Chambre du Milieu. C’est pour nous un jour de joie. C’est pour nous un jour de deuil, de larmes, de tristesse, de doutes, de soupçons, d’introspections, de culpabilité collective
 
Très respectable et vous tous Vénérables Maîtres
 
Mon très cher frère L., sois le bienvenu dans la Chambre du Milieu. C’est pour nous un jour de joie. C’est pour nous un jour de deuil, de larmes, de tristesse, de doutes, de soupçons, d’introspections, de culpabilité collective.
« Et maintenant je t’envoie un homme habile, doué d’intelligence, Hiram-Abi,
fils d’une femme d’entre les filles de Dan, et dont le père est Tyrien, sachant travailler en or, et en argent, en airain, en fer, en pierres, et en bois, en pourpre, en bleu, et en byssus, et en cramoisi, et sachant faire toute sorte de gravure et inventer toute sorte de choses qu’on lui donnera à inventer, avec tes hommes habiles et les hommes habiles de mon seigneur David, ton père »… Et Hiram est devenu l’architecte du Temple de Salomon. Trois Compagnons le frappèrent à mort pour tenter d’obtenir le mot des Maîtres. Le premier à la gorge avec une règle. Le second à la poitrine côté cœur, avec une équerre, et le troisième avec un maillet sur la tête. Hiram fut mis en terre et une branche d’acacias plantée sur le tertre. Les autres Maîtres le cherchèrent et retrouvèrent son corps en décomposition. Un autre mot secret fut choisi.
Telle est la légende voulue au Siècle des Lumières comme source symbolique des rituels du troisième grade, preuve de la volonté des fondateurs de la Franc Maçonnerie de trouver un Mythe à la hauteur de leur projet.
Mon Très Cher Frère L., dans des années encore, nous essaierons ensemble de comprendre, d’appréhender, la profondeur insoupçonnée et incroyable de ce mythe. Je ne vais donc qu’esquisser des grandes lignes, une espèce d’apéritif, de mise en bouche, installe toi confortablement. On le pourrait, on mettrait un peu de musique, on boirait un verre, un vin à la robe noire, aux reflets rouge sang, au parfum doux, à la fois rond et profond, avec des notes subtiles, perceptibles après un délai, en une chaîne successive, presque définitive. Tiens, peut être un vieux Banyuls.
Te voici donc dans la chambre du milieu, fermement convaincu que la modération est le trésor du sage. L’acacia t’est connu, incorruptible, dont l’écorce met à l’abri des insectes malfaisants, et dont les feuilles qui s’inclinent dans la nuit, se redressent au soleil du jour. Attristé par les ténèbres, ta recherche du bonheur, est celle de la vérité et de la lumière. L’acacia, symbole de mort et d’immortalité, dont tu n’as pas fini de manger les épines ! Et ce n’est pas forcément le plus agréable dans notre démarche ! D’autant qu’à un moment, elles finissent toujours par ressortir…
Le mot sacré de ce grade, lui aussi parle de mort, « la chair quitte les os »… on a connu plus léger, moins gore. Reconnaissons qu’on nous a épargné les asticots et les mouches. Côtoyer la mort, l’apprivoiser, c’est vivre pleinement, c’est même le meilleur enseignement de la vie, et le plus puissant moyen de moralisation sociale.
Le mot de passe, nom d’une montagne dont les habitants participèrent à l’édification du temple, nous rappelle qu’il faut travailler sans cesse, à la manière de Sisyphe, à la construction de notre temple intérieur, vertueux, par la même inachevable, donc par la même vertueux. Mais ce mot de passe a un double sens, et signifie lui aussi, fin, terme, et donc mort… Si je continue comme ça, je vais plomber l’ambiance…
Le signe d’horreur… et bien, peut être que lui ne nous concerne pas directement, en tout cas, ne devrait pas. Outre la peur du vulgaire, ce que, bien évidemment, nous ne somme pas, devant la mort, je pense que ce signe symbolise notre révolte devant l’inacceptable, et par la même, dans un chambre du milieu digne de ce nom, avec des frères devenus Vénérables Maîtres, nous ne pouvons générer, être la source de cette horreur.
Le signe de détresse, lui, fait appel à la fraternité. Mais pas seulement la fraternité affective, ce que notre frère C. appelait, la fraternité de cœur, mais aussi ce qu’il appelait la fraternité constitutionnelle, c’est-à-dire les Maîtres qui contribuent, comme toi, à la construction du temple, de l’œuvre. Ce signe de détresse, est le rappel de ton engagement fait le jour de ton initiation. Ton devoir de solidarité.
Ta marche, mon Frère L., est devenue sûre, t’a même permis de franchir les obstacles et le cadavre de notre Maître. Dans une cordée de montagne, on pourrait te confier notre assurance, oui, tu pourrais nous assurer. L., désormais, l’atelier peut compter sur toi, pour notre marche vers la lumière. Nous avons le droit de te solliciter, tu as le devoir de te proposer.
Mon très cher Frère, nous parlions tous les deux l’autre soir de continuité. Tu me disais que la maîtrise n’était nullement une fin en elle-même, mais au contraire le commencement d’un engagement profond et définitif. Tu as mille fois raison. Tu as sept ans et plus. Sept est la continuité. Juste quelques mots sur ces nombres : le « un  » était représenté par l’unique lumière à l’Orient, qu’on appelle ici le Debhir. L’unité, c’est l’Ordre, c’est l’Harmonie. La dualité, c’est la mort et l’éternité, ce sont les deux parties de la chambre du Milieu. La trinité, les trois compagnons, les trois coups, les trois portes, mais aussi les trois pieds de largeur du tombeau d’Hiram surmonté du triangle. Le quaternaire, c’est le silence, la profondeur, l’intelligence, la volonté. Puis ce sont les cinq voyages, les cinq pieds de profondeur du tombeau et l’étoile à cinq branches de l’humanité flamboyante. Le chiffre six, c’est la somme des trois assassins, et des trois signes de la transmission : les vapeurs qui s’échappent du tertre et mettent les MM sur la voie, la branche d’acacia que tu as tenue en main, et la lumière irradiante du triangle d’or, que Salomon a fait mettre au sommet du tombeau d’Hiram…Enfin, sept : sept marches, sept pieds de long de cette tombe, source de connaissance, raison d’être d’un nouveau mot de passe, nouvelle parole, nouvelle maîtrise, nouvelle morale opérative.
Nous parlions ensemble de continuité et de poursuite du travail, de la marche vers la vérité, du questionnement perpétuel qui doit nous animer. En écrivant ces lignes L., une idée m’est venue : le tombeau d’ Hiram que Salomon a fait construire, mesure trois pieds de large, cinq pieds de profondeur, sept pieds de long. 3, 5, 7… « Trois la dirigent, cinq l’éclairent, sept la rendent juste et parfaite ». Les draperies du temple à notre grade sont noires avec des larmes. Et si ce Hikal, c’est son nom, cette partie du temple en deuil, opposée au Debhir lumineux, était un caveau, une tombe, notre tombe ? Ou celle de l’intolérance, des certitudes, des métaux pourtant restés à l’extérieur. Et si cette tombe était celle de notre vie d’avant, où nous doutions encore de notre engagement, ou nous n’étions pas sûrs de persévérer dans notre démarche, où nous doutions encore que les droits amènent toujours des devoirs, où nous espérions ne plus être des apprentis, ni des compagnons du devoir, où nous espérions nous reposer sur nos lauriers, là où nous ne trouvons que des épines d’acacia. Et si cette tombe était la tombe de notre confort, des paroles sans lendemain, des coups d’éclat inutiles, des paillettes et des ors, des ors des palais et du confort de celui qui sait. Et si cette tombe nous rappelait que tout reste à faire encore, définitivement. Et si cette tombe c’était notre humilité, le puits du mineur, la carrière de pierres même pas encore brutes, mêmes pas encore dégrossies. Et si cette tombe nous rappelait que sans toi, Mon Très Cher Frère L., nous ne pouvons rien faire, mais qu’ensemble nous pouvons tout. Et si c’était dans cette tombe que tout commençait ?
Comme le cep de vigne, mort en hiver, griffé par les serres du gel, et qui revient à la vie, qui redonne des grains, et du vin, grâce au travail de l’homme, et à l’alchimie de la fermentation, dans le secret du flacon.
MTCF, Mon très cher Frère Vénérable Maître L., nous sommes tous des apprentis.
 
J’ai dit.
 
Lu le 02/03/2008 | Maître

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