Cachez ce voile que je ne saurais voir

Cachez ce voile que je ne saurais voir
Un éclairage sur le port du voile

Cachez ce voile que je ne saurais voir
Vénérable Maître en chaire, vénérables maîtresses et vénérables maîtres à l’orient, et vous toutes mes Sœurs, et vous tous mes Frères en vos grades et qualités.
Je voudrais dédier cette planche à tous nos frères absents ce soir.
Lorsque mon Vénérable Maître, ici présent, m’a annoncé que j’étais volontaire pour cette planche, j’ai hésité entre deux sujets également intéressants, à mes yeux : le premier, « le voile » et les problèmes de respect de la laïcité et de la féminité, le second, tout aussi passionnant : « les soirées télévisées de coupe d’Europe de football et leurs conséquences aléatoires sur la poésie du vocabulaire conjugal »…je vous l’avais dit : « passionnant. » Mes frères, j’ai pensé à nos soeurs, et j’ai choisi… le voile, qui est, au demeurant, un sujet qui décoiffe…
Deux aspects seront abordés : le voile est- il conciliable avec l’expression de la laïcité républicaine, et son port, obligatoire, l’est-il avec la libre expression de la féminité ? Féminité au sens de ce qui est propre à la femme, ce qui la distingue de l’homme, ce qui en fait sa spécificité, sa nature même.
Le trois juillet dernier, Jacques Chirac a installé la « Commission sur l’application du principe de la laïcité dans la république ». Cette commission de vingt sages était présidée par Bernard Stasi. Elle a auditionné une centaine de spécialistes de tous les horizons et a rendu un rapport. Le gouvernement a pu, dès lors, parler à l’unisson. En effet jusque là, deux positions s’affrontaient sur le voile. Le président, quelques ministres, le premier d’entre eux, et Alain Juppé soutenaient le besoin d’une loi l’interdisant, pendant que Nicolas Sarkozy s’opposait à cette éventualité, avec quelques autres. Cette contradiction au sein du gouvernement ne reflétait rien d’autre que celle de la société civile, mais elle n’était pas souhaitable.
La république doit-elle respecter le choix respectable du port du voile, son interdiction la faisant retomber dans les erreurs sectaires du passé, ou bien doit-elle se battre bec et ongle pour une interdiction stricte de tout signe religieux à l’école ? Des propositions de lois allaient dans ce dernier sens, opposés à d’autres prétendant réviser la loi de 1905. Que faut-il penser de cette loi du 10 février 2004 ?
Pour ne pas se mettre à dos un électorat de plus en plus nombreux, la gauche et la droite ont affaiblit le concept de laïcité. Le conseil français du culte musulman a été créé en un temps record par l’ancien ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, sur des bases parfaitement contestables, et contestées d’ailleurs, par des musulmans modérés. Sa présidence était cependant confiée, contre toute évidence démocratique, avant même les élections, à un proche du pouvoir, républicain et modéré. Celui ci a été largement battu par les fondamentalistes, par ceux la mêmes qui assimilaient le droit français au nazisme. Ceux la même qui utilisent le voile comme un coin pour fendre et abattre l’un des fondements de notre république, la laïcité.
Au début de « l’affaire du voile », des voix s’élèvent : certaines franc-maçonnes, d’autres frisant apparemment, mais apparemment seulement, le paradoxe : le Cardinal Lustiger, ou même Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, défendant la loi de 1905, garante d’un siècle de paix civile et remise en cause par l’Union des Organisations Islamiques de France. Celle ci demande des financements publiques pour les mosquées, et son président déclare après sa victoire : « le Coran est notre Constitution. »
Comment la République doit-elle réagir face à la demande de ce même Thami Breze, voulant réviser l’image de l’Islam dans les ouvrages scolaires ? Que faire face à des élèves rompant le ramadan en plein cours, face à un gamin refusant de toucher la main d’une fille dans une ronde enfantine, à un père refusant de serrer celle d’une enseignante ? Que faire face aux tables « halal » qui s’opposent aux tables « jambon » dans les cantines ? Que dire aux parents refusant que leur fille aille à la piscine ? Aux élèves s’agenouillant pour la prière en plein examen ? Telles sont quelques unes des questions arrivant aux cellules d’alertes sur le communautarisme, mises en place par Luc Ferry dans les rectorats.
Lionel Jospin avait en son temps, avec prouesse, entretenu un flou artistique, opaque, confortable, mais lâche. Politique de l’autruche. Jack Lang, plus tranché à l’origine, a à son tour brouillé les cartes en faisant une volte face spectaculaire à l’automne dernier. Politique du grand écart. Quant à Nicolas Sarkosy, qui a du mal à imaginer, je cite : « une société sans religion », il a plusieurs fois franchi la ligne dangereuse, pouvant laisser croire que la loi de 1905, n’était pas intangible, contredisant Jean Pierre Raffarin. Politique de la peau de banane.

En effet, cette loi aurait dû l’empêcher d’interdire ou de reconnaître aucun culte, et a fortiori de tenter d’en organiser un dans la compromission, en promettant par exemple de ne pas légiférer sur le voile, on voit ce qu’il en est advenu, ou en permettant de considérer que toute personne née de parents musulmans devient musulmane, emprisonnant ainsi, dans un choix spirituel et mystique, des gens qui n’en demandaient pas tant. Une espèce de droit du sang religieux, en quelque sorte.
Quel désaveu du chemin parcouru depuis l’Empereur Napoléon ! Celui-ci, en 1807, exigea des notables juifs rassemblés en un Grand Sanhédrin, d’abandonner toutes les dispositions politiques du Talmud contraires au Code Civil. De la polygamie, au divorce, en passant par le mariage, l’union mixte, mais aussi la notion de patrie et les prêts d’usure, de nombreuses traditions juives furent adaptées et bien souvent abandonnées, pour pouvoir se conformer au code.
Désaveu également de la République qui dût s’imposer à l’Eglise catholique par la force et avec l’aide, bien souvent, de la maréchaussée. Eglise qui préféra parfois voir la saisie de ses biens plutôt que de se soumettre, qui excommunia les députés ayant voté la loi de 1905, et qui refusa de reconnaître cette dernière.
Après deux mille ans d’histoire pendant lesquels politique et religion étaient entremêlées, pour ne pas dire intimement liées, la religion devenait une affaire privée, ne dépendant plus que du libre arbitre de chacun : elle perdait tout caractère officiel.
La République n’a pas à se préoccuper de savoir si le port du voile est rendu obligatoire par le Coran, ou non. Elle y perdra son sens. Cela ne la regarde pas. Cela ne doit pas la regarder. C’est une affaire de théologiens. Elle doit en rester à l’application pure et simple de la laïcité. C’est à dire à la séparation complète des institutions républicaines, et de la chose religieuse. Avons-nous tenu compte, allons-nous tenir compte, des prises de positions romaines en matières d’avortement, de contraception, ou du maintien ou non du lundi de pentecôte, pour légiférer ? De même qu’une piscine publique, d’une des trente six mille communes de la République, n’a pas à régler dans ses heures d’ouverture le problème de la mixité, de telle heure à telle heure pour les filles, et de telle heure à telle heure pour les garçons, comme on l’avait demandé au Maire de Bordeaux qui a refusé catégoriquement de céder.
La laïcité n’est pas le multi communautarisme. Elle nécessite beaucoup plus de courage. Menaces d’attentats ou pas.
Sans doute cette dualité est-elle moins tranchée au Royaume Uni, ou aux Pays Bas par exemple, dont le multicommunautarisme fait partie intégrante de la vie sociale de ces deux royaumes dont le chef d’état prête serment sur la bible. Mais ce n’est pas dans notre histoire, dans notre tradition. Le fonctionnement de la maçonnerie française le démontre de la manière la plus aboutie.
D’aucuns parlerons de respect de l’individu, de ses choix, de libertés individuelles. D’aucuns prétendront que la laïcité n’est qu’une vieille étape de la République Française ; étape à laquelle, d’ailleurs, les musulmans n’ont pas pris part, et ne sont donc pas concernés. Il faut refuser ce débat. La république ne pourra garantir les libertés individuelles, et cela de façon pérenne, que si elle réaffirme avec force, son attachement à la laïcité. Défendre cette dernière n’est ni réactionnaire, ni du colonialisme, ni du racisme, ni de la discrimination, bien au contraire. C’est le fondement même de la tolérance et du respect de l’autre. C’est la démonstration évidente, que le choix religieux est strictement privé. Il est une affaire de libre conscience, et, en tant que tel, libre et protégé par la République, à partir du moment où ce choix ne lui porte pas atteinte.
494 voix pour, 36 contres et 31 abstentions ont validé le choix d’une loi intermédiaire, se contentant d’interdire les signes ostensibles. Finalement les socialistes et l’UMP se sont rejoints. L’UDF est restée plus partagée, et le groupe communiste a désavoué en pleine séance par un rappel au règlement, sa porte parole, Marie Georges Buffet, qui, à la tribune, parlait contre la loi.
La semaine dernière, nous apprenions que les textes en préparation pour les établissements scolaires étaient d’une complexité certaine et pour le moment presque inapplicables. Mais il va falloir attendre pour ce faire une opinion.
Quoiqu’il en soit de nombreux parlementaires ont fait un parallèle avec, je cite : « les signes visibles de richesse, ceux ostentatoires de vanités, les signes ostensibles d’arrogance et de mépris ». Bref, mes soeurs, mes frères, nous devons nous interroger sur l’intolérance et le respect dans notre société, sur les principes de libertés et d’égalité. Une loi contraignante n’étant légitime que par son contexte juste et respectueux.

Cette notion de respect m’amène à me poser la question suivante : le port obligatoire du voile respecte-t-il la femme ? Cette question est centrale. Le voile à l’école n’est pour moi qu’une conséquence, et une erreur intellectuelle de la démocratie molle et de l’irresponsabilité des intellectuels français… Car le voile à l’école, c’est avant tout, le voile.
Je pense que considérer les différentes cultures sur un pied d’égalité, nous amène à une impasse si on veut respecter l’égalité des individus. « L’Encyclopédie » de Diderot disait déjà au XVIII e siècle : « cette coupable indifférence qui nous fait voir sous le même aspect toutes les opinions des hommes. » La République doit choisir entre les deux : l’égalités des cultures ou bien celle des citoyens.
D’autre part, sous prétexte de respect de culture, on ne doit pas faire de prosélytisme religieux, lui même alibi de la discrimination sexiste. Je considère comme un retour en arrière, « une régression totale » dirait Fadela Amara de « Ni putes, ni soumises », ce retour du sexisme qu’induit le port obligatoire du voile. Celui ci devient la marque de la bonne musulmane, son absence, celle de l’infamie, voire de la trahison. Avec tous les risques que celle ci sous entend et les représailles menées par des – et je reprends les termes de Madame Amara : menées par des « barbares ignorants tout de la réalité du coran ». Ces extrémistes de l’obscurantisme prônant l’endogamie, le mariage forcé, le retrait de l’école des filles à l’age de seize ans- ce qui en soit est un aveu d’échec de leur part, face aux lois républicaines– et, la lapidation de la femme adultère. Ils ne sont en faits que des caricatures masculines doutant de leur virilité à qui la féminité fait peur.
Je ne vois, au passage, nulle part mention d’une lapidation éventuelle d’un homme adultère…
Le Coran promet aux hommes, bons musulmans, ou bien martyrs, et non aux femmes, un paradis de jouissances éternelles, avec des houris définitivement vierges, projection de phantasmes, et solution à une angoisse : l’éjaculation précoce.
Evidemment, à mes yeux cela ternit un tant soit peu l’image de pureté des martyrs de l’islam. J’ai parfois tout simplement honte d’être un homme.
En quoi le voile obligatoire libère t-il la femme ? Ce serait, dit-on, du regard concupiscent de la gente masculine. Grotesque. Considérer que la femme n’est pas capable de résister à cette convoitise masculine, soit qu’elle cède, soit qu’elle soit menacée, est une insulte pour elle, mais aussi pour lui. C’est rabaisser l’être humain au niveau de l’animal, qu’il soit en rut, ou sans défense.
On ne voile que ce que l’on veut faire désirer. Parmentier pour répandre la pomme de terre en France, en a planté des champs entiers gardés par des gens en armes. Ce tubercule prenait soudain la valeur espérée : celle de l’interdit.
La femme voilée devient un objet sexuel mise sur le marché des phantasmes masculins. Paradoxalement la femme voilée devient disponible ; sa mise sur le marché est affichée, publiée. « Oyez !!Oyez !! Braves gens, cette femme est à prendre !! »
Toute discrimination reposant sur le sexe est une erreur monstrueuse, une atteinte à l’humanité, quand elle est arbitraire et autoritaire, a fortiori imposée par des contraintes morales et souvent physiques.

Si le port du voile, par des femmes majeures, à 18 ans, et non à 9 comme le dit le Coran, si ce port du voile, donc, dans le respect des règles républicaines et laïques, est un libre choix, il est respectable. Il peut être la manifestation d’une pratique religieuse, ou souvent une affirmation communautaire de personnes déracinées désirant conserver leurs traditions. Il peut être aussi, un signe de provocation pour attirer l’attention sur les problèmes existant.
Mais s’il est imposé, il devient un signe de domination, de discrimination sexiste, et il n’est que le prélude à l’interdiction de poursuivre une scolarité normale, à accéder à des postes professionnels réservés aux hommes, à jouir de droits familiaux justes et équilibrés, et autres brimades révoltantes et injurieuses envers toute conscience un tant soit peu humaine, aboutissant à ce que la femme soit sous domination masculine et complètement asservie. Je ne veux plus de ces lycéennes violées tous les week-ends au domicile familial par celui que la charia nomme leur « mari ». Je ne veux plus du silence des voisins et voisines alertées par les cris des victimes. Je veux l’application de la loi : tout rapport sexuel non librement consenti est un viol, et donc un crime, jugé en assise par le peuple.
Je sais bien que le voile n’est pas la bourca, mais je ne veux pas prendre le risque qu’il en soit le commencement. Il est de toute évidence la marque de l’infériorité, de la restriction de l’espace vital, une espèce de parc, de prison : sous le voile, l’espace féminin, le monde extérieur étant masculin. Ce n’est pas qu’un problème de société, mais de conscience humaine et de respect de l’autre. Chahdortt Djavann, dans son livre « Bas les voiles » nous le dit : « J’ai porté dix ans le voile. C’était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle. »
Mes soeurs, mes frères, la féminité disparaît, a disparu, de nos banlieues ; les filles se transforment sous la pression, par leurs vêtements, leur langage, leur attitude, leur démarche en des espèces de mecs gauches, et ridicules. Elles perdent leur identité, leur beauté, leurs courbes, leur regard, leurs pensées, elles n’ont plus le droit d’être femme. Non, nous n’avons pas le droit d’abandonner ces jeunes à la charia prétextant le droit à la différence. Nous en ferions des citoyennes de deuxième ordre. Je ne veux plus qu’une femme puisse dire : « Avec le voile nous sommes séduisantes de l’intérieur, repoussantes de l’extérieur ». Mais repousser qui ? Les éventuels rivaux du mari, pardon, du propriétaire ? La prochaine étape sera le marquage au fer rouge aux armoiries masculines. Le marquage après l’excision.
Elles se sont fermées la nuit
Se sont réveillées vieillies
Pourtant elles étaient très belles
Oui, c’étaient les plus belles
Des fleurs de nos jardins.
Je ne veux pas que mon pays prenne ce risque, lui qui se targue d’être terre de libertés et de droits de l’homme. Nos aînés, qu’ils soient maçons ou profanes, qui ont fait pour nous la République, n’ont pas voulu cela. Je ne le veux pas non plus.
Mais comme le disait Marie France Picart, Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France, il ne faut pas banaliser l’enfermement des femmes uniquement dans le voile. Effectivement, le problème honteux est plus large, et ce serait, si on le faisait, se donner bonne conscience à bon compte. Pour la loi sur les signes religieux, par exemple, sur les 150 orateurs inscrits à l’assemblée, sur les 120 qui ont effectivement pris la parole, seules dix huit étaient des femmes. Douze pour cent… Mes frères, mes soeurs, il y a du travail !
Et paradoxe, mais en est-ce réellement un, c’est quelqu’un du Grand Orient, qui n’initie pas les femmes, qui vous dit cela.
J’ai dit, Vénérable Maître.
 
 
  Lu le 19/02/2007 | Apprenti

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