Sur quoi les Francs Maçons du du Réveil du Béarn réfléchissaient-ils il y a 60 ?

Sur quoi les Francs Maçons du  du Réveil du Béarn réfléchissaient-ils il y a 60 ?


Planche présentée par les FF.: App.: lors de la tenue des Anciens de décembre 2010

Sur quoi les Francs Maçons du Réveil du Béarn réfléchissaient-ils il y a 60 ans ?
Tel est le travail d’investigation autour duquel les apprentis de 6010 se sont mobilisés avec une grande motivation. Au travers du parcours maçonnique de deux de nos aînés : Louis Poullenot et Georges Chapuis, dont nous honorons ce jour respectivement les 70 et 60 ans de vie maçonnique, les apprentis ont pu parcourir le contexte historique des 20 années qui ont entourées leur initiation et leurs premiers travaux au sein de notre atelier.
Cette période recoupe sur une durée courte une densité de temps historiques forts qui ont marqué notre mémoire collective : la guerre, l’occupation, la reconstruction, le début des Trente Glorieuses.
Le travail de recherche, de rencontre avec nos ainés, fut riche, dense et passionnant. Plusieurs frères nous ont ouvert leurs maisons, accordé du temps, nourri d’anecdotes et de faits précis sur cette époque. Nous avons vu des frères pour lesquels la Francs Maçonnerie a été l’élément essentiel et principal qui a sous-tendue leur construction individuelle. Nous avons pu mesurer combien le chemin qui nous restait à parcourir était long.
Afin d’appréhender au mieux notre sujet, nous avons souhaité adopter une démarche chronologique. La prise de connaissance du contexte historique, maçonnique et de l’atelier au cours de ces années nous a conduit naturellement à nous projeter : « Et nous, qu’aurions-nous fait à cette époque ? ». De ces projections est né un apprenti virtuel dont nous avons pu suivre le cheminement.
Nous vous proposons maintenant d’effectuer avec nous un voyage au cours des années 5940 à 5960 et de suivre le cheminement de notre apprenti virtuel, fruit de nos propres projections d’apprentis à l’aube de l’année 6011.
Première étape : Les Années 5940 à 5945
Durant les années 40-45, la Franc-maçonnerie française a subi l’épreuve la plus terrible de son histoire. Déjà interdite en Europe par les dictatures, elle va être persécutée par la police de Vichy et par la Gestapo.
Le 14 juin 5940, peu après leur arrivée dans la capitale, les Allemands prennent possession des locaux du Grand Orient, rue Cadet à Paris, et y installent le siège du service de contre espionnage.
A Pau, dès le 20 juin 5940, certains francs-maçons, refusant la défaite, posent la première pierre d’un réseau de résistance en Béarn lors d’une réunion au café Ducau, Place de la République. Il s’agit des frères Honoré Baradat, Antoine Bordelongue, Robert Lacoste et Joseph Santaoloria assistés d’un non maçon Louis Ducau, patron du café du même nom.
Le 10 juillet 5940, les députés et sénateurs votent la délégation des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Les parlementaires francs-maçons, malgré les menaces qui commencent à poindre sur notre ordre, n’ont pas tous unanimement voté contre cette attribution des pleins pouvoirs, laissant déjà apparaître des dissensions (il y aura les pro-Vichy et les pro-Résistance) au sein de la franc- maçonnerie française.
A Pau, les réunions dans les cafés se succèdent, chez Ducau, mais aussi chez Peyrède, rue Carnot. Les frères Jean Baylot, René Cassagne, Gaston Chaze, René Olivier pour ne citer qu’eux se joignent aux 5 frères initiateurs. Lors d’une de ces réunions, il est décidé de fonder une organisation clandestine composée de volontaires, sans distinction d’appartenance politique, confessionnelle, philosophique ou de catégorie sociale.
Le 13 août 5940, la loi interdisant les sociétés secrètes (autrement dit la Maçonnerie) est votée. Elle oblige également, les fonctionnaires et agents d’Etat à souscrire une déclaration à leur sujet.
Quelques jours après cette loi, le Maréchal Pétain ratifie le décret ordonnant la dissolution du Grand Orient et de la Grande Loge de France.
Dès qu’il le pourra, le Maréchal Pétain n’aura de cesse d’essayer d’annihiler la franc- maçonnerie.
« Un juif n’est jamais responsable de ses origines, un franc-maçon l’est toujours de ses choix. ». Voilà ce que répétait Pétain à ses interlocuteurs.
Pétain vouait une haine tenace envers la franc-maçonnerie et les francs-maçons. Il considérait la franc-maçonnerie comme la principale responsable des malheurs de la France et les francs-maçons comme des malfaiteurs publics.
Dès le 7 août 5940, par crainte de représailles, Arthur Groussier, Grand Maitre du Grand Orient de France, avait fait parvenir au Maréchal Pétain une lettre dans laquelle il annonçait, de sa propre initiative, que le Grand Orient et toutes ses loges cessaient leurs travaux. Il terminait en assurant au Maréchal Pétain son profond respect. Ce qui lui sera reproché plus tard.
A Pau, les frères Charles Piette (vénérable en poste) et Ernest Thébaud tentent alors de protéger leurs frères du Réveil du Béarn. Ils font signer des démissions à tous les membres de l’atelier et décident d’incinérer les archives de la Loge.
Mais l’hostilité antimaçonnique s’intensifie. Le frère Gloton, directeur de la Chaine d’Union est arrêté, ses documents et archives sont saisis. En novembre 5940, la soi- disant exposition sur la franc-maçonnerie au Petit Palais inaugure la première manifestation d’information antimaçonnique d’envergure. Cette exposition, savamment orchestrée pour miner la franc-maçonnerie, aura plus d’un million de visiteurs et circulera ensuite à travers la France.
A Pau, le temple de la rue Lapouble est réquisitionné et transformé en entrepôt de denrées alimentaires. Son mobilier est vendu aux enchères.
Cet acharnement antimaçonnique n’a pas pour effet d’unir les frères. Les uns refusent d’abdiquer et les autres vouent fidélité au régime de Pétain. Dès l’automne 5940, les francs-maçons de France se structurent en réseau résistant. Le mouvement Patriam Recuperare deviendra par exemple un véritable réseau de résistance maçonnique.
La maçonnerie paloise n’échappera pas à cet état de fait. Cependant une grande majorité de nos frères du Réveil refuse la politique de Vichy. Allant au bout de leur logique, dans la continuité des réunions organisées dans les cafés et prolongeant la décision prise de créer une organisation clandestine, les frères Honoré Baradat, Ambroise Bordelongue, René Cassagne, Bénédict Rodriguez et Alexandre Sahuc, ainsi qu’Auguste Champetier de Ribes (non maçon) fondent le mouvement Combat en octobre 5940.
Épisode 1: Où l’on voit un jeune homme imaginaire s’interroger sur la conduite à tenir dans un Béarn désorienté.
Mon nom, c’est François. J’ai 31ans, 2 enfants de 2 et 6 ans, une femme à peine moins âgée que moi et qui travaille, elle aussi, aux PTT. L’hiver 1940 s’est abattu, sans ménagement sur le Béarn. Les Allemands se sont installés à Pau au début de l’été. Ils ont réquisitionné les plus beaux édifices et les villas les plus confortables, dont celle du 72 Avenue Trespoey à deux pas de chez-moi. Que faut-il en penser ?
Quand nous avons appris que l’armée française était en déroute, nous n’en avons pas cru nos oreilles, l’éloignement des opérations militaires confère à ces nouvelles quelque chose d’irréel. Mais il a fallu se rendre à l’évidence, les Allemands sont bien là sûrs de leur supériorité et de leur force. Il a bien fallu les accepter. Que pourrions-nous faire d’autre?
Il faut dire que la vie n’a pas fondamentalement changé. La guerre nous avait déjà habitués aux tickets de rationnement, aux difficultés de circulation et d’approvisionnement. Il y a bien cette frontière entre la zone libre et la zone occupée qui passe par Orthez et Saint-Palais. Ça complique les déplacements. Mais au quotidien, nous sommes surtout confrontés à de petites tracasseries administratives avec lesquelles il faut bien composer et faire en sorte de s’adapter. C’est d’ailleurs ce que nous a dit, le Maréchal, l’autre jour, à la radio.
« Le premier devoir de tout Français est d’avoir confiance ». « Il s’agit de se ressaisir ». Notre salut est « entre nos mains ». Comment ne pas avoir confiance dans le « sauveur de Verdun », dans celui qui nous a tenus jusqu’ici « le langage d’un père et qui nous tient aujourd’hui le langage d’un chef »
Ces paroles vont droit au cœur de tout Français qui se respecte. Pourtant, malgré tout, je ne parviens pas tout à fait à me défaire d’un sentiment de malaise. Tout cela est allé trop vite et cette collaboration à laquelle nous engage le Maréchal fait grincer les dents.
J’ai entendu dire qu’il y avait des réunions au café Ducau, entre ceux qui pensent qu’une autre voie est possible et qu’il ne faut pas perdre espoir.
Mais c’est risqué. Ai-je le droit de mettre en jeu, non seulement ma vie, mais celle de ma femme et surtout celle de mes enfants? Et tout cela pour un objectif, certes louable mais, à ce jour, si lointain et inaccessible?
Enfin, s’il était possible de ne pas courber l’échine. Si on pouvait résister dans un premier temps, vaincre peut être un jour, qui sait. Ce serait à croire qu’il y a un bon dieu! Enfin, pour moi, j’aurais déjà trouvé des frères en ce bas monde. Ça ne serait déjà pas si mal en ces temps difficiles.
L’année 5941 voit la répression s’accroître sur la franc-maçonnerie.
En mai, Pétain crée le service des sociétés secrètes. Le service de recherche décèle des francs-maçons non encore connus, vérifie l’activité de ceux déjà fichés et signale les personnes qui n’appartiennent pas à la franc-maçonnerie mais qui sont susceptibles d’en partager la doctrine. Ce service se conduit avec une remarquable efficacité. Dans ses bureaux situés au 16 rue Cadet à Paris, 170 000 noms de suspects furent recensés et 60 000 francs-maçons identifiés sur des fiches de type police, souvent grâce à des lettres anonymes ou avec la participation de frères trahissant leur serment.
A Pau, plusieurs lettres anonymes concernant des frères du Réveil arrivent en préfecture. Au-delà de leur appartenance maçonnique, ces courriers dénoncent souvent les possibles activités secrètes de nos frères au sein de la résistance.
Le 11 août 5941, une loi ordonne la publication au Journal Officiel des noms des anciens dignitaires des sociétés secrètes dissoutes. Cette loi leur interdit également l’accès au service des fonctions publiques et mandats énumérés à l’article 2 de la loi du 2 juin 5941 portant sur le statut des juifs.
En 3 mois, 18 000 noms de francs-maçons seront publiés au Journal Officiel. La presse régionale, se faisant écho de la presse parisienne publie les noms d’hommes, qui à leurs dires, portent la lourde responsabilité de la défaite. Cependant, cette divulgation aura l’effet inversement escompté. En effet, ces hommes, à quelques exceptions près, étaient connus et appréciés dans leur village pour leur sens des valeurs et de la solidarité. Les populations restèrent solidaires de leurs maires, de leurs instituteurs, de leurs postiers. Qui plus est, l’ampleur des démissions forcées entrainera une désorganisation de l’administration de Vichy.
A Pau, les frères Baradat, Chaze, Sanglia, Souard et Thébaud furent déplacés administrativement. Les frères Bacqué, Desplats, Favre, Marque, Mirande, Piette et Maille furent révoqués sans indemnité.
Des revues antimaçonniques tentent de jeter le discrédit sur la Franc-maçonnerie tandis qu’un film intitulé « Forces Occultes » se livre à une violente propagande contre le mouvement.
La franc-maçonnerie prendra également part à la guerre des mots et des idées. Le frère Pierre Dac deviendra un des porte-paroles de la France Libre sur les ondes de la radio anglaise, truffant ses interventions de repères maçonniques à l’attention de ses frères résistants.
A Pau, notre frère Lucien Favre fonde le journal du maquis qui deviendra à la libération La IVème République.
Le nouveau gouvernement de Vichy n’empêche pas les nombreuses arrestations perpétrées par la milice ou la Gestapo. Les allemands se présentent chez Arthur Groussier mais renoncent à l’arrêter en raison de son âge. Voronof, le grand maitre adjoint du Grand Orient de France est déporté à Auschwitz. En plus de leur qualité de maçon, des frères sont arrêtés, déportés en raison de leur activité en résistance. Des loges entières deviendront des mouvements de résistance tel le mouvement Patriam Recuperare et de nombreux frères tomberont au nom de la France et de leur idéal.
A Pau, l’Armée Secrète (section militaire de Combat) est créée par le frère Rodriguez. Le N.A.P. (Noyautage de l’Administration Publique) est composé de maçons tel le frère André Lazorthes (un des créateurs de ce mouvement) et le frère Louis Poullenot que nous honorons aujourd’hui.
Malgré les arrestations, la franc-maçonnerie béarnaise continue son action dans la résistance.
En décembre 5942, après l’arrestation du frère Bénédict Rodriguez, le frère Paul Boudoube est nommé à la tête de l’armée secrète pour le Béarn. Le frère Daniel Argotte est le chef de la région d’Orthez, le frère Pierre Fort est le chef de la région du Pays Basque, le frère Léon Ladousse est le chef de l’arrondissement d’Oloron, le frère Henri Lasvignottes est le chef du canton d’Arthez.
De 5943 à la libération, la franc-maçonnerie paloise œuvrera à l’unité des différents mouvements de résistance et le frère Bordelongue deviendra le chef départemental des Mouvements Unifiés de la Résistance.
Épisode 2 : Où l’on voit le jeune François franchir le pas et participer, à son niveau, à la Résistance.
En ce mois d’Avril 43, la situation s’aggrave et se tend encore. Le 11 Novembre 1942, les Allemands ont envahi la zone libre et le 18 Février 43, ils ont créé une « zone réservée » le long de la frontière espagnole. C’est, en fait, une zone interdite à tous, sauf autorisation spéciale. La ligne de démarcation qui partage le Département en deux n’en est pas pour autant supprimée, les Allemands ne voulant pas renoncer à ce contrôle de la circulation dans cette région sensible.
Vieil habitué de vallée d’Ossau d’où ma femme est originaire, ainsi que de la vallée d’Aspe où je me suis souvent baladé avant guerre, je pourrais peut-être mettre à profit ma familiarité avec le terrain et mes connaissances avec les gens du terroir.
Mais ce sont les Schütz Staffel, les tristement célèbres SS qui se sont installés au plus profond de ces vallées. D’autre part, les douaniers français ont été remplacés par des douaniers allemands. Les « passages » sont donc devenus beaucoup plus risqués. Il faut chercher des trajets plus sûrs. Pour ma part, je pense exploiter l’itinéraire qui passe par la cabane du Lary et le Col des Moines ou la forêt d’Isseaux et la Pierre Saint -Martin. Le premier présente l’avantage que procure la présence de la cabane, à mi chemin du parcours. Quant au deuxième itinéraire, il a la particularité de zigzaguer dans les arrhes labyrinthiques du Pic d’Anie où seuls les habitués peuvent s’aventurer sans se perdre et risquer de disparaître dans un gouffre.
Mais mon métier de facteur me donne aussi l’avantage de connaître parfaitement le territoire et de pouvoir circuler assez librement en présentant mes ausweis plus ou moins maquillés. J’appartiens donc à un de ces réseaux, qui permettent à l’information secrète de circuler de façon satisfaisante. Grâce à cette chaîne de petites mains, nous sommes animés par un immense espoir. Cet espoir compense en partie la peur d’être pris et envoyé dans ces camps en Allemagne, en Autriche ou en Pologne ou bien encore d’être tout simplement exécuté.
Deuxième étape : Les Années 5944 à 5950
En décembre 5943, le Général de Gaulle prononce par ordonnance la nullité des lois antimaçonniques de Vichy. Il déclarera plus tard que la franc-maçonnerie n’avait jamais cessé d’exister en France.
Eté 5944, c’est l’heure du bilan. La franc-maçonnerie a payé un lourd tribut. On estime qu’environ 6 000 maçons ont été arrêtés, 989 ont été déportés et environ 500 francs-maçons ont été fusillés ou sont morts en déportation. La franc-maçonnerie aura fourni environ 2 000 à 3 000 combattants pour la résistance.
Au Réveil du Béarn, les frères Rodriguez et Cassagne ont été arrêtés et internés, les frères Balini, Maille et Pla ont été déportés. Ces deux derniers sont morts en déportation.
Eté 5944, c’est aussi l’heure des règlements de compte. Après 5 années de clandestinité, la franc-maçonnerie a ses victimes et ses martyrs. Elle a aussi ses collaborateurs, ils sont rares mais ils existent.
Dans son premier numéro, la Chaine d’Union qui vient de reprendre ses locaux lance un appel à l’épuration : « certains frères par veulerie, par lâcheté, par intérêt ont démérité. Il faut les éliminer. Il faut procéder au grand nettoyage. Nettoyage matériel de nos temples mais surtout nettoyage spirituel. »
Il est décidé que tout maçon sera tenu de demander sa réadmission et fera l’objet d’une enquête sur son attitude pendant l’occupation. Les francs-maçons qui se sont rendus coupables de faute seront chassés de l’Ordre après un procès maçonnique. D’autre part, le Grand Orient décide que tout ancien adhérent qui n’aura pas demandé sa réintégration le 31 décembre 5945 sera déféré d’office devant une commission qui prononcera par défaut sa non-réadmission.
Le 18 octobre 5944, le conseil de l’ordre maçonnique réuni pour réveiller ses loges adresse au général de Gaulle l’expression de sa profonde admiration pour son attitude courageuse et le remercie d’avoir abrogé les lois du pouvoir illégal de Vichy.
A Pau, le Réveil du Béarn tient sa première réunion le 21 novembre au Club Anglais. Charles Piette retrouve son plateau de Vénérable. Le Réveil du Béarn confirme 28 membres dans leurs droits de franc-maçon, les autres ne pourront obtenir leur réintégration qu’après enquête. Une dizaine de frères ayant démérité sont radiés. La première tenue rue Lapouble n’aura lieu que le 24 juin 5945.

Épisode 3: Où l’on voit un jeune homme de moins en moins imaginaire à l’épreuve de la vertu et du doute.
Il y a cinq ans, je me suis rapproché d’un groupe d’hommes et de femmes qui refusaient la défaite. La soumission qu’impliquait la solution proposée par Pétain en a révulsé plus d’un.
Nous sommes donc rentrés en résistance et avec ma femme, nous avons rendu quelques services du fait de notre travail aux PTT. Comme bien d’autres, nous sommes rentrés fin 1942 au N. A. P., l’organisation secrète de Noyautage de l’Administration Publique. Notre rôle: détourner les courriers qui étaient destinés à des adresses sensibles comme à cette villa Saint Albert située au 72 Avenue Trespoey, siège de la Gestapo et où on dit que sont commises les pires atrocités. Ce courrier était ouvert par des gens avisés, puis détruit si nécessaire ou remis dans le circuit habituel une fois les informations collectées. Une de ces lettres m’est tombée entre les mains. J’ai eu un haut le cœur. Il s’agissait d’une dénonciation. L’auteur suspectait un de ses voisins de venir en aide aux Israélites. Après avoir pris conseil, je l’écartais pendant que d’autres se chargeaient d’aller rendre une visite musclée à son auteur.
Très vite, dans ce groupe, j’ai constaté que les gens s’étaient regroupés par affinité. Pour ma part, je fus attiré par un groupe d’hommes aux origines sociales diverses mais qui partageaient des valeurs fortes sans être affiliés à une tendance politique. L’un d’eux, instituteur, m’avait confié qu’il appartenait à une structure dont il me reparlerait plus tard. Une fois la guerre terminée, cet homme me révéla qu’il était Franc maçon, ce qui entraina mon adhésion à cette organisation, après une période de mise à l’épreuve.
A cette époque, rentrer en Franc maçonnerie impliquait l’examen de ce que vous aviez fait pendant l’occupation. Nombreux furent ceux qui furent recalés, ainsi que ceux qui n’essayèrent même pas de réintégrer une structure dont ils avaient trahi les idéaux en collaborant avec l’ennemi.
Triste époque, toujours marquée par cette guerre qui avait entrainé tant de souffrance, mais époque passionnante aussi, par tous ces défis à relever dans un pays à reconstruire
Troisième étape : Les Années 5950 à 5960
On assiste dans les années 5950 à la volonté de créer une Europe unie.
Le Grand Orient s’exprimera au niveau de cette unité européenne et, de leur côté, nos Frères réfléchiront sur les moyens pratiques à mettre en œuvre pour établir des relations plus étendues avec les autres obédiences, tant sur le plan national qu’international. Cependant, cette volonté d’union n’a jamais remis en cause la ligne directrice, humaniste, citoyenne et laïque du Grand Orient.
Cette période est aussi marquée par un climat politique français instable. Les gouvernements se succèdent sur un fond de tension mondiale mêlée de guerre froide et de décolonisation.
Sur cette dernière question, le Grand Orient, quant à lui, prendra position en préconisant une décolonisation pacifique et progressive. Il s’engage également sur l’indépendance de l’Algérie. De ce fait, plusieurs francs maçons seront exécutés par l’OAS.
En France, l’Abbé Pierre crée les Compagnons d’Emmaüs en 5954 pour venir en aide aux plus démunis avec le succès que l’on connaît et qui, malheureusement, ne se démentira pas.
Au plan national, les effets bénéfiques des plans de reconstruction se font ressentir grâce au rythme de travail intensif des ouvriers qui bénéficieront en 5956 de trois semaines de congés payés par an. Même si le plein emploi est en vigueur et si le niveau de vie augmente, on assiste dans le même temps à un mal-être lié au surmenage. A cette date, et pour longtemps, les français découvrent le stress.
Après une courte période de détente, la fin des années 5950 est marquée par une reprise des tensions liées notamment à la course à l’Espace et au nucléaire entre les Russes et les Américains.
Alors que la tension est de plus en plus palpable au niveau mondial, l’Europe s’unifie enfin en créant la Communauté Européenne en 5957.
C’est à cette période que la Grande Loge de France engage des pourparlers en vue de la fusion avec la Grande Loge Nationale Française.
En France paraît une circulaire sur les premiers établissements scolaires mixtes. Au même moment, on étudie, en Loge, une question traitant de l’islamisme et de la laïcité sur fond de guerre d’Algérie.
5957 est aussi l’année de la découverte du gisement de gaz de Lacq, le plus gros au monde ; une aubaine non seulement pour le Béarn mais aussi pour la France.
Le Général De Gaulle arrive au pouvoir en 5958 et son gouvernement fonde la 5ème République qui accordera plus de pouvoirs au Chef de l’État.
En 5959, De Gaulle instaure le rite de la visite présidentielle du pape à Rome.
En pointe du combat sur la laïcité, le Grand Orient, de son côté, interviendra dans le débat des lois Debré sur les rapports entre l’État et les établissements privés et leurs financements.
En 5959, la Grande Loge De France décide de suspendre ses relations avec le Grand Orient pour un an, puis définitivement, si passé ce délai, le Grand Orient ne revient pas à la régularité. Cette décision sera modifiée 5 ans plus tard et entraînera une fuite des effectifs de la Grande Loge de France vers la Grande Loge Nationale de France.
On peut dire que, durant ces quinze années qui ont suivi la libération de la France, le Grand Orient de France a évolué mais est resté fidèle aux principes fondateurs de la maçonnerie.
Si d’autres obédiences ont choisi, à l’instar de la Grande Loge de France, la voie du symbolisme et de la spiritualité, sans s’immiscer dans les questions politiques ou religieuses, le Grand Orient restera toujours préoccupé par les questions sociales, tout en ne négligeant pas la voie de la spiritualité.
Épisode 4 : Où l’on voit deux jeunes apprentis, fils spirituels de feu François, sûr de rien, si ce n’est peut être de leur bon droit, toquer à la porte de 2 anciens émérites.
Novembre 2010, par un temps maussade, deux jeunes apprentis, plus anciens que les plus jeunes, mais pas encore jeunes-anciens, sont allés à la rencontre deux frères bien plus expérimentés et qui ont été les acteurs de cette période historique. Sous la houlette de maîtres vénérés à défaut d’être vénérables avec un grand V, du moins pour l’instant, ils ont pris contacts avec des frères au riche et long passé maçonnique, parfois ex-vénérables, en tout cas hautement gradés. Ils ont même l’impression d’avoir côtoyé un frère emblématique, issu probablement plus de leurs rêves que de la réalité et auquel ils ont donné le nom de François, Voici quelques-unes de leurs impressions :
« Nous rencontrons deux de nos frères afin qu’ils nous parlent de cette période. La machine à remonter le temps est activée. L’histoire commence. Les frères de cette période historique confirment leur attachement à défendre les valeurs de la France libre. Ils ont rejoint, pour nombre d’entre eux, la Résistance. Naturellement, à la Libération, nos frères se retrouvent entre-eux et les groupes se forment en fonction des affinités tissées solidement au cœur de la Résistance.
L’esprit de solidarité existe, chacun aide son prochain. La période est propice à la reconstruction. Alors, comme avant, nos frères bâtissent ensemble. Ils n’hésitent pas, même, par un juste retour des choses, à utiliser la main d’œuvre étrangère qu’ils ont sous la main, à fortiori si elle est d’origine germanique : Nous apprenons par exemple que les colonnes du temple ont été fabriquées par des prisonniers Allemands. Travail soigneux puisqu’elles existent toujours. Pour autant, la facture fut envoyée au vénérable de l’époque par un frère bâtisseur qui n’avait pas oublié le sens des affaires. Les écornifleurs pouvaient donc être présents en maçonnerie?
Mais pour redevenir sérieux, on rappellera que de nombreux frères ont participé à la reconstruction, dans un esprit maçonnique. Notre frère Georges Chapuis employé chez Messier à Oloron tendra la main à de nombreuses personnes en leur offrant du travail. Mais n’oublions pas la présence des épouses qui œuvrent, elles aussi dans l’ombre, comme Madame Poulend haute résistante pendant la guerre, puis dignitaire au Droit Humain.
Mais le temps passe, les souvenirs fusent et, au détour d’une anecdote sur l’époque, nous entendons parler d’un certain Charlot. Charlot? Mais quel est donc ce frère ?
A moins que ce soit « Géné le Charlot??? » Les choses se compliquent encore. Il nous parle de qui notre ancien? Un Véné dénommé Charlot peut être??? Mais nous n’avons rien lu à son sujet. Jamais entendu parler! Alors, géné, géné, quoi ? , le nez qui coule???, « géné rien compris !!!». En tout cas, nous n’imaginons pas Charlot avec sa canne en Béarn. Nos pauvres apprentis sont perdus! Manuel en poche, rien ni fait. C’est alors, que le frère nous explique sa vision très personnelle du Général De Gaulle pendant la guerre.
Le Géné !!! quoi! Le seul, le vrai, celui des livres d’histoire! Le Grand Charles en personne!
Le deuxième frère rencontré nous livre, à quelques nuances près, la même histoire, plus particulièrement son histoire, celle d’un homme qui se déplace en permanence et rejoint la résistance. Il nous raconte avec simplicité l’histoire du transfert des archives de Pau par voie de chemin de fer avec, en passagers clandestins, plus de trois cents personnes qui seront de ce fait sauvées des allemands.
Nous touchons du doigt l’importance que représente la franc maçonnerie pour nos deux frères. Les cendres d’un de nos frères auraient été intimement liées au mortier qui a servi à la construction du temple. Ce temple serait aussi un sanctuaire ? L’émotion est grande.
Mais la machine s’arrête brutalement. Retour en accéléré au présent. « Quel est votre degré maçonnique mes frères ? » Notre degré ? Notre degré, à nous ?
Finalement nous lui répondons « Apprentis », car nous ne sommes que de jeunes apprentis malgré notre âge, L’ancien nous regarde, nous demande si nous avons appris les grades car jamais un apprenti n’a fait un questionnement pareil à un 33ème degré. Nous regardons nos chaussures puis avec la tête d’un enfant pris les doigts dans la confiture, nous trouvons une parade. « C’est le Vénérable qui nous a donné l’idée de te rencontrer. » Mais notre interlocuteur ne nous écoute plus. Il nous regarde fixement et nous dit « de toute façon c’est sans importance. Vous êtes des Frères »
Nous sommes heureux d’avoir reçus ces confidences. Si nous devions parler salaire, nous parlerions de cotation en bourse. Nous serions les « Rois du pétrole », Nous serions des traders.
Au passage, nos apprentis cherchent à comprendre ce qui motive l’homme à rester Franc maçon. Nos deux frères nous ont ouverts un trésor de souvenirs, qui apaisent sans réserve nos interrogations sur notre avenir maçonnique.
A présent nous souhaiterions savoir ce qui a changé au cœur de la maçonnerie. L’intellectualisation de ses membres! Voilà ce qui a changé. Nous comprenons que l’époque des 30 glorieuses est loin derrière nous. Mais nous savons qu’un architecte n’est rien sans ouvriers,
Si nous cherchions matière à travailler, nous étions aussi à la recherche de faits impliquant notre frère Georges Chapuis. 60 années de maçonnerie, ça représente beaucoup dans la vie d’un homme,
Initié le 16 avril 5950 au Réveil du Béarn, il présente le 25 juin 5950 sa première planche d’impression et déclare « J’ai été très surpris par les nombreuses et délicates questions qui m’ont été posées ».
En parallèle, le 25 juin 6010 à Saint-Lô, trois loges maçonniques du Grand Orient s’associent pour une conférence de presse et déclarent avoir été surpris par les nombreuses et délicates questions posées.
Le 10 juin 5951 Georges présente sa première planche sur la Psychotechnique, Il relate le développement de cet important sujet et expose l’ensemble des méthodes de psychologie expérimentale qui sont utilisées pour adapter au mieux l’homme à son travail.
En parallèle, le 10 juin 6010 la section d’appel du conseil supérieur de justice maçonnique du Grand Orient confirme en tous ses points le jugement rendu le 08 avril de la même année rendant possible l’initiation des femmes au sein de l’obédience. Psychologie expérimentale, avez-vous dit, Frère Georges ? La femme serait-elle une façon de mieux adapter l’homme au travail ? Voilà une planche à travailler, …, dans un futur, …, fut-il maçonnique…
Conclusion :
Ainsi s’achève notre travail de mémoire et de projection sur ces 20 années si denses en moments historiques. Nos frères Louis Poullenot et Georges Chapuis ont vécu ces instants. L’ouvrage de Louis Poullenot sur la résistance en Béarn nous a d’ailleurs été très précieux dans notre démarche.
Nous remercions l’ensemble des frères qui nous sont venus en aide dans ce travail, par leur témoignage, par leur expérience, par leur vision de cette époque et de la vie de l’atelier. La complexité de cette époque, la perte de repères républicains, la défaite et la présence allemande nous conduisent toujours à nous poser la question : « Et nous, qu’aurions nous fait ? »
Nos projections collectives nous ont conduits à la vie de François, cet apprenti virtuel. En détournant quelques vers d’Aragon, nous pensons que cet apprenti, après 60 ans de vie en atelier, pourrait s’exprimer ainsi sur la Franc Maçonnerie :

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson
J’ai tout appris de toi jusqu’au sens du frisson.

Lu le 14/12/2010 | Apprenti

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