Les 3 fenêtres du tableau de loge
Ces 3 fenêtres m’ont intrigué lorsque j’étais Grand Expert. Présentes sur le Tableau de loge, elles sont absentes de nos murs et de nos rituels. Elles n’ont, à première vue, aucun rôle initiatique. Nous sommes donc dans le symbole pur, dans le « à peine suggéré », dans le détail qui n’accroche pas à première vue, ou qui ne passionne que celui qui cherche.
LES TROIS FENÊTRES DU TABLEAU DE LOGE
V.:M.: et vous tous mes FF.: en vos grades et qualités ;
J’ai choisi, aujourd’hui, de vous parler des 3 fenêtres symboliques du Tableau de Loge. Ces 3 fenêtres m’ont intrigué lorsque j’étais Grand Expert. Présentes sur le Tableau de loge, elles sont absentes de nos murs et de nos rituels. Elles n’ont, à première vue, aucun rôle initiatique. Nous sommes donc dans le symbole pur, dans le « à peine suggéré », dans le détail qui n’accroche pas à première vue, ou qui ne passionne que celui qui cherche.
Si vous voulez bien nous allons entrer dans le détail pour mieux appréhender la suite et raisonner sur des bases communément admises, partir du général pour aller au particulier, selon une interprétation personnelle qui pourra être en contradiction, parfois profonde, avec certains auteurs :
Fenêtres : mot provenant du latin « fenestra » dérivé du grec « phainô » qui signifie : éclairer. La fenêtre est un espace libre ménagé dans un mur. A ne pas confondre avec la croisée qui sert à fermer ce même espace. En terme administratif, la fenêtre est une ouverture laissée dans un acte notarial ou de Justice afin de la compléter ultérieurement. Ainsi cette ouverture, quelle soit dans un mur ou dans un texte, transmute de l’espace en temps, mais pas n’importe comment : le « passe-temps » ne sera jamais un « passe muraille ». En matière spatiale « la fenêtre de tir » est le moment propice pour expédier un engin spatial en vue d’un objectif à atteindre. L’ambiance qui règne lors du lancement d’une fusée Ariane à Kourou en Guyane vous rapprochera de cette Lumière Spirituelle que nous devons rechercher.
Murs : Ouvrages de maçonnerie qui servent à enclore, à fermer, à protéger, à défendre, à interdire un espace. Le mur c’est la communication coupée, avec sa double incidence psychologique : sécurité, étouffement, défense mais aussi prison. Ainsi, le mur sert à séparer deux espaces de natures différentes : le monde terrestre et le monde céleste. La hauteur du mur signifie : s’élever au-dessus du niveau commun, certains diraient : « tendre vers la Perfection »…
Murs et fenêtres sont donc complémentaires mais aussi antagonistes. Au premier l’isolement, au second la l’élévation spirituelle.
Tableau de Loge : Zone, au centre du Temple, sur laquelle l’Expert trace manuellement les outils symboliques nécessaires au travail du grade concerné. A l’issue de la cérémonie ce tracé est effacé afin d’en préserver le secret. Le Tableau de Loge est donc l’espace de la représentation Sacrée du Temple. La présence d’une table des serments, dans certains rites, est antinomique au Tableau de Loge.
Enfin, dénommer « tapis de loge » le Tableau de Loge revient à proférer un véritable sacrilège au sens ou l’on confond un espace Sacré à un paillasson sur lequel on s’essuie les pieds.
Temple : Edifice consacré au culte d’une divinité, espace à considérer comme Sacré. Son architecte est à l’image de la représentation que les hommes se font du divin : Effervescence de la vie dans les Temples hindous, Mesure dans les temples grecs, Sagesse et Amour chez les chrétiens, Alliance de la Terre et du Ciel dans les mosquées. En maçonnerie le Temple est considéré comme une image symbolique de l’Homme et du Monde : pour accéder à la connaissance du Temple Céleste, il faut réaliser en soi-même, vivre en esprit, sa reconstruction et sa défense.
Parce qu’il est orienté selon l’ordre cosmique, le Temple vit, parle et transmet le mystère. Il fait revivre les rites. Tant mieux si les hommes peuvent y participer, mais si ce n’est pas le cas, les rites continuent à se célébrer d’eux même, parce que des initiés ont su le bâtir et en faire une création vivante d’où rayonne le Sacré.
Les temples égyptiens étaient constitués de différentes enceintes plus ou moins ouvertes sur celles situées en périphérie pour constituer en son centre le véritable temple sacré, sans ouvertures sur le monde extérieur pour être en relation directe avec le céleste. Ces espaces successifs guident les hommes en passant de la lumière pour aller toujours plus avant dans les ténèbres, la dernière salle étant une pierre cubique dépourvue de fenêtres ou l’on communie avec la Lumière Divine dans la plus totale obscurité. Et ceci n’est pas sans rappeler la phrase du Prologue de l’Evangile de Saint Jean : « La lumière naît dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ».
Nous pouvons maintenant revenir à nos trois fenêtres après avoir énuméré et défini, trop brièvement à mon goût, les principaux éléments de construction matérielle et symbolique auxquels sont attachés nos 3 fenêtres.
Seuls les Rites Français et Ecossais Ancien et Accepté, parmi les nombreux rites pratiqués en maçonnerie, mentionnent les 3 fenêtres sur leur Tableau de Loge ?
Tout d’abord, les 3 fenêtres ne figurent que sur le Tableau de Loge au grade d’apprenti. Certain auteur les mentionnent également au grade de compagnon, ce qui semble erroné, car l’apprenti, lors de son parcours initiatique va de la lumière terrestre (représentée par les 3 fenêtres) vers les ténèbres pour atteindre ultérieurement la Lumière Céleste. Le compagnon est sensé avoir maîtrisé les ténèbres lors de son élévation spirituelle.
Le rituel, au Rite Français de 1788, dans son explication allégorique et mystique du Temple, donne au nouvel apprenti, le jour de son initiation, une explication du tableau de Loge : « Ce qui s’offre à vos yeux sur ce Tableau, mon F, sont des figures symboliques qui tendent à la Perfection de la Maçonnerie. A cet instant le VM décrit tous les outils présents sur le Tableau de Loge, puis lors de l’instruction qui suit, il lui demande :
Q : Combien y a-t-il de fenêtres à votre Loge ?
R : Trois, l’une à l’Orient, l’autre au Midi et la troisième à l’Occident.
Q : Pourquoi n’y en a-t-il pas au Nord ?
R : Parce que les rayons de soleil pénètrent faiblement dans cette partie.
Nous sommes, à cette époque là, sur un Tableau de Loge symbolique et non sur une description physique du Temple. Nos pouvons conclure que nos fenêtres sont donc, elles aussi, symboliques.
L’instruction au Premier Grade Symbolique (apprenti) de 1984 précise dans le chapitre « disposition et décoration du Temple »: « Il ne doit y avoir de fenêtres ou d’ouvertures, soit au murs, soit au plafond, qu’à la condition de ne pas permettre d’entendre et de ne pas laisser pénétrer la vue ». Rien de plus !
En 220 ans de modernisation et d’adaptation successives de nos rituels et instructions, aurions nous complètement perdu nos 3 fenêtres symboliques ?
Les fenêtres du Tableau de Loge ouvrent le Temple sur un temps : celui de la vie de la Lumière, qui, venant de l’Orient éclaire nos travaux et l’on peut dire que, avec ou sans fenêtres, la Lumière est bien dans le Temple. Mais ici s’en tenir à une stricte comparaison entre lumière spirituelle et lumière naturelle sera faire de la pure et simple analogie (ressemblance d’une chose à une autre) , alors que c’est à une approche anagogique (élévation du sens littéral au sens spirituel ou mystique) qu’il nous faudra faire.
Puisque symboliquement, le Temple est à l’image de l’univers (sa longueur va de l’Orient à l’Occident, sa largeur du Midi au Septentrion, sa hauteur du Zénith au Nadir), et qu’il contient tous les mondes, l’on doit alors se poser la question : sur quoi peuvent bien s’ouvrir ces fenêtres ? Sont-elles toujours des ouvertures puisqu’elles sont équipées de grilles ?
Une fenêtre est un espace de passage. Elle implique un échange, en l’occurrence échange entre le monde incréé et le monde créé. Elle est le moyen terme pour passer d’une Lumière Secrète à une lumière révélée et réciproquement. Pour les fenêtres, avec ou sans grilles, contrairement aux portes qui sont aussi des ouvertures, seuls la lumière et l’air peuvent passer, pas l’homme. Ne passe donc que ce qui a de plus sacré : rien d’humain…si ce n’est le regard et la voix.
Mais, dès lors que les fenêtres dont il est question ne sont pas des ouvertures dans les murs mais des symboles sur le Tableau de Loge, il convient de se demander de quelle lumière, de quel air, de quel regard, de quelle voix il s’agit ?
C’est un auteur catholique du XIII siècle, Durand de Mende, évêque architecte, un de nos grands devanciers dans la tradition des bâtisseurs, qui, en parlant de fenêtres « réelles » des édifices sacrés, nous donne la meilleure première approche symbolique de celle de notre Tableau de Loge : »Les fenêtres de l’église sont les divines écritures qui repoussent le vent et la pluie, c’est-à-dire qui empêchent d’entrer dans l’église, ce qui pourrait nuire à l’édifice et aux fidèles qui y sont assemblés. Et tandis qu’elles livrent passage à la clarté du vrai soleil (qui est Dieu), elles illuminent ceux qui habitent en son sein (les fidèles) ».
Les fenêtres représentent encore les cinq sens du corps : leur forme signifie qu’ils doivent être resserrés au dehors afin de ne pas attirer à eux les vanités de ce monde (laisser les métaux à l’extérieur du Temple), et s’épanouir au-dedans pour recevoir plus largement et plus libéralement les dons spirituels. Quand aux grilles qui sont devant les fenêtres, elles symbolisent les prophètes et autres docteurs obscurs de l’Eglise militante.
Dans sa version de la bible hébraïque, Chouraqui apporte une précision intéressante en mentionnant que les fenêtres sont transparentes (qui laissent passer la lumière) et à la fois hermétiques (effet de la transmutation des métaux par trois principes actifs que sont le sel, le soufre et le mercure).
Ces 3 fenêtres ne représentent-elles pas 3 grilles successives et simultanées de la pensée initiatique, trois manières d’y travailler, trois phases de construction ? Ces grilles ne signifient pas que l’on est prisonnier de quelque chose, mais que les fenêtres ne sont ni ouvertes ni fermées, qu’elles ne sont pas des fenêtres ordinaires mais des filtres nous introduisant au monde de la Lumière en agissant sur les couleurs, comme les vitraux dans les cathédrales, et qui correspondent aux différentes étapes de la connaissance ?
Ces 3 fenêtres sont comme des instruments de musique qui permettent à l’énergie de vibrer et de formuler ainsi le son originel par ses trois aspects de puissance de naissance, de puissance de vie et de puissance de transmutation (tout initié à la musique à vécu cela à un moment de sa vie musicale).
La ternalité des fenêtres remplit donc une ternalité de fonctions touchant à la possibilité de transmission entre le Temple et l’extérieur et dans les deux sens, de la Lumière, de l’Air et du Son. Chaque fenêtre et les trois ensembles remplissent cette triple fonction. Il n’y a pas de fenêtre ayant une vocation dédiée. Les trois forment un tout comme le Père, le Fils et le Saint Esprit forment un Dieu Unique en trois personnes.
Certains auteurs attribuent à ces 3 fenêtres une fonction simplement pratique : « elles servent, disent-ils, à apporter la lumière dans la loge, qui est un lieu de travail et de réunion ». Il me semble qu’il y a confusion de lieux et de taches. L’atelier est le lieu de travail opératif, lieu pourvu de portes et de fenêtres par nécessité opérative. Le Temple et plus précisément le cœur du Temple, espace sacré, est le lieu d’élévation spirituelle. Il est, par principe, un espace clos, ou les fenêtres réelles n’ont aucune justification d’exister. Le Temple n’est-il pas également symbolisé par la caverne, espace clos par excellence, archétype de la matrice maternelle, et par analogie creuset des alchimistes. C’est bien dans un Temple que se déroulent les cérémonies maçonniques.
Samuel Prichard les qualifie, en 1730, de lumières immobiles. Elles sont censées exister dans tout local ou se tient une Loge. Quelques auteurs insinuent qu’elles matérialisent les points cardinaux nécessaires à la construction d’un Temple, afin de le situer dans l’espace cosmique, le Nord étant absent, comme inutile à la bonne réalisation de l’œuvre.
Alors que conclure : Les Temples élevés par les anciens témoignent de leur perception du Mystère et de leur volonté de servir le Principe. Nos trois fenêtres, symbole trop souvent négligé ou mal figuré dans nos temples maçonniques (a part au Réveil du Béarn ou elles ne figurent que sur le Tableau de Loge), méritent une attention particulière dans l’instruction au grade d’apprenti.
J’ai dit.
Bibliographie :
Les trois fenêtres du Tableau de Loge : Didier Michaud – édition La Maison de la Vie 2004
La symbolique maçonnique : Jules Boucher – édition Histoire et Tradition 1981
Recueil trois premiers grades de la maçonnerie Rite Français 1788 -édition à l’Orient 2001
Instruction pour le Premier Grade Symbolique GODF 1984
Dictionnaire des Sciences, des Lettres & des Arts : M-N. Bouillet -édition Hachette 1857
Dictionnaire des symboles : Jean Chevalier et Alain Gheerbrant -édition Lafont 1986
Lu le 12/10/2009 | Maître