Le tablier
Reliquat omniprésent de l’époque de la Maçonnerie opérative, celle des chantiers titanesques et des renommés tailleurs de pierre, le tablier est un attribut indissociable du Franc-Maçon.
Le Tablier d’apprenti
Reliquat omniprésent de l’époque de la Maçonnerie opérative, celle des chantiers titanesques et des renommés tailleurs de pierre, le tablier est un attribut indissociable du Franc-Maçon.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, le tablier cache moins qu’il ne révèle. Il s’oppose, selon moi, au pagne dont se vêtirent Adam et Ève au lendemain du péché originel. Le premier homme et la première femme après avoir vécu le bonheur complet au pays de l’innocence ont lourdement fauté. L’une des conséquences de leur acte est de prendre conscience de leur nudité. La fonction du pagne qu’ils revêtent est bien de cacher l’impur et l’innommable. Il en est tout autrement du tablier pour le Franc-Maçon. Autant le pagne ci-dessus évoqué est consubstantiel au sentiment de honte judéo-chrétien, autant le tablier du maçon est associé à un sentiment de fierté, ou pour le moins, de revendication.
Cependant, comme nous le rappelle son usage premier, le tablier du maçon a pour première fonction de protéger l’opérant des éclats qui pourraient l’atteindre dans son travail de façonnage de la pierre brute. Au Moyen-Âge, il évitait au tailleur de pierre de se blesser en manipulant des pierres tranchantes ou de recevoir une rognure résultant de son façonnage d’une pierre taillée. En Franc-Maçonnerie, il symbolise d’emblée que le Franc-Maçon est avant tout un travailleur, un acteur au sens étymologique du mot qui sera essentiellement jugé au pied de son mur, en fonction de l’ouvrage accompli. Pour l’apprenti, bavette relevée, il a pour fonction de le protéger au mieux des nombreux éclats résultant de son travail de la matière brute qu’il doit dégrossir avec force, entrain et détermination. Pour lui, plus que pour tout autre sans doute, la tâche est immense, peut-être démesurée. Elle requière, en tout cas, vigueur et courage mais ne peut aussi exclure que soit égratigné l’égo du potache aussi consciencieux et studieux soit-il. C’est pourquoi, le tablier est, chez l’apprenti entièrement déployé. Certains, dont je suis, apprécieraient qu’il occupe plus d’espace encore, afin de bénéficier plus encore, de son pouvoir protecteur. Hélas, bien qu’entièrement déplié, il reste encore beaucoup de chose qui dépassent autour et sa bienfaisante protection n’est pas synonyme d’un confort à tout crin, bien loin s’en faut.
Mais dans cette période d’élection, les bruits les plus fous courent dans le Landerneau des apprentis. Des morceaux de véridiques tabliers de vénérables maîtres (l’actuel, les anciens, les futurs peut-être!), seraient en vente sur Facebook depuis peu. Ces saintes reliques, pendant laïque du Suaire de Turin, s’échangeraient sous le manteau, si je puis dire, au cours de tenues secrètes et apocryphes. Certains affirment même, qu’à l’exemple du fameux linceul, une image quasi subliminale apparaitrait sur les divins haillons. Quand on sait la place qu’occupe ces tabliers lorsqu’ils ceinturent les honorables bides ventripotents, le pire est à craindre. On pourrait frémir devant la divulgation de ces images aussi abjectes qu’obscènes.
Comme le chante fort justement Brassens inspiré par Victor Hugo lui-même: «- Enfants, voici des bœufs qui passent, Cachez vos rouges tabliers ! »
Hélas, et vous comprendrez sous peu le pourquoi de ce hélas, tout ceci ne serait qu’hallucinations émanant du cerveau d’un apprenti égaré sur les chemins tortueux d’une vénération mal maîtrisée. La réalité est bien plus prosaïque, vénale et dérangeante. Voilà ce que l’on trouve sur Internet:
Tablier d’Apprenti et Compagnon blanc simili peau bord rond poche au dos ,avec une paire de gant nylon fin taille 7 ou 9 (à préciser dans le bon de commande), Prix 14 €, en stock, livraison sous huitaine, un gratuit si 12 achetés.
Et un peu plus loin, on trouve la révélation suivante:
Il existe quelques Francs-Maçons d’une certaine corpulence (vous apprécierez au passage le « quelques ». Personnellement je l’avais à peine remarqué d’ailleurs). Les fabricants de Tablier n’ont malheureusement pas prévu des ceintures assez longues pour en faire le tour.: Grave problème.
Cette situation est évidemment discriminante. Fort à propos, certains ont eu l’idée de mettre fin à cette situation honteuse (et parfois délicate lorsqu’il s’agit de remettre un Tablier à un nouvel Initié). Futurs Vénérables, avez-vous bien pris la mesure des difficultés qui vous attendent. Ils ont créé ce qu’on appelle en français un allonge-ceinture (ou une rallonge ou encore une extension de ceinture) de Tablier.
Cet accessoire – ingénieux! – a d’abord été distribué dans le monde anglo-saxon avant de rejoindre l’Europe continentale. En anglais, on parle d’apron extender belt ou d’extension belt.
Les modèles se différencient par la couleur (blanc, bleu, rouge), la longueur, la finition des parties métalliques et du fermoir (or ou argent).
Je vous avoue que pour ma part, devant autant de sollicitude mais aussi d’esprit mercantile, je regrette que les paroles et actes d’un fameux prédicateur sur les marches du temple n’aient pas été plus suivies d’effet. Marchands du temple de Salomon, que n’avez-vous été à jamais bannis de la surface de la terre.
Mais pour revenir à mon propos, j’évoquerais à présent ce que le tablier révèle, après avoir tenté de souligner ce qu’il cache. Autrement dit, qu’est-ce qui s’affiche à travers ce bout de tissu hors mode? Quel message nous adresse-t-il pour peu qu’on veuille bien y prêter attention?
Le tablier est avant tout un signe d’appartenance. Remis à l’apprenti au premier jour de son initiation avec les gants, il ne quittera plus le Franc-Maçon. Il lui est attaché comme Tristan à Iseult, Bacchus à son tonneau, Roland à son cor, Sarkozy à son fric… Ah, non, là je m’égare.
Aussi, vous proposé-je d’essayer de nous élever un peu, en évoquant la symbolique inhérente au tablier tout en égrainant ces différents aspects:
A/ La Matière tout d’abord:
A l’origine, le Tablier d’Apprenti était en peau d’Agneau. Aujourd’hui les fibres synthétiques ont remplacé les matières naturelles. Il paraît, toutefois, qu’on peut très bien confectionner un tablier en papier en cas d’urgence !
Le Tablier est en peau. L’Apprenti est ainsi revêtu d’une matière animale qui le met en face de sa propre animalité, voire même de ses passions d’homme primitif, passions dont la maîtrise est le but. Je crains qu’il n’ait fait défaut, il y a peu à New-york. Doit on conseiller à tout un chacun de s’en vêtir pour prendre sa douche?
Ce tablier est en peau d’Agneau : de tout temps, l’agneau est considéré comme l’animal pur, innocent, non contaminé par son environnement et qui doit être protégé.
B/ La Couleur :
Le Tablier d’Apprenti est blanc.
Cette couleur qui, selon l’Encyclopédie des Symboles : « soit n’en est pas une (…) ou au contraire, est le mélange parfait de toutes les couleurs du spectre lumineux, elle symbolise l’innocence du paradis originel qu’aucune influence contraire n’est encore venue troubler ainsi que le but final de l’être purifié qui a réintégré son état primitif et sans tâche.» On se rappellera, à ce propos, que « blanc » se dit candidus en latin. Aussi, à l’instar du « Candide » de Voltaire, l’apprenti aura pour principale tâche, celle « de cultiver son jardin, autrement dit de se cultiver.
Mais le blanc est aussi symbole de sacralité. Depuis la nuit des Temps, en effet, druides ou prêtres de nombreuses civilisations ne sont-ils pas vêtus de blanc ?
Toujours selon le dictionnaire des symboles, le blanc est couleur de passage. Il est employé dans nombre de rites en tant que symbole d’initiation qui conduit à la renaissance après la mort. En F?M? c’est bien ce qui se produit lors de l’initiation.
C/ La Forme
Le Tablier est composé de 3 parties :
Le tablier en lui-même, la bavette et la ceinture.
Le tablier a la forme d’un rectangle, symbole de la Matière.
La bavette a la forme d’un triangle, symbole de l’Esprit.
Au Grade d’Apprenti, la bavette est portée relevée. Désormais l’Esprit domine la Matière. L’Esprit est au dessus. L’Apprenti doit prendre de la distance avec les évènements, non, pour ne pas les prendre en compte, mais pour mieux les analyser, les comprendre et les intégrer. L’apprenti place donc l’esprit au-dessus de la matière, avant que le compagnon ne les réconcilie.
Le Tablier d’Apprenti a aussi la forme d’une enveloppe. Or, à quoi sert une enveloppe ? A contenir un texte, un message pour l’amener à un destinataire. L’enveloppe protège le contenu et le masque aux yeux des autres.Enveloppe et lettre sont indissociables. A l’origine, d’ailleurs, on écrivait directement le message sur l’enveloppe. L’apprenti vêtu de son Tablier est semblable à l’enveloppe de papier qui a contenu son Testament Maçonnique. Un message a été délivré dans cette enveloppe. Il en est resté matériellement des cendres, il a vécu et vit encore par sa simple évocation.
Mais voilà une question quasi existentielle et qui me laisse quoi: Le tablier a-t-il un revers? Je vous laisse à vos réflexions et préfère m’attarder sur
D)Un détail subtil pour finir: la ceinture du tablier et sa boucle en forme de serpent revêt une certaine importance.
Au Moyen-Âge, la ceinture était portée par tous et en être dépouillé était un signe de dégradations, d’incapacité à remplir certaines obligations. On ne sortait que ceinturé, d’autant plus que cette ceinture contenait souvent la bourse.
Quant au serpent, il symbolise les ténèbres, l’enfer, la tentation, les passions, le mal. Sans ce serpent, le tablier tombe donc plus de maçon. Mais mis à l’arrière, il est condamné à tenir le tablier et se trouve donc maîtrisé. Ceci révèle que les ténèbres sont toujours présentes mais qu’il convient de les laisser derrière soi.
Enfin, au terme de cette planche, on peut légitimement se demander si le tablier n’est pas le plus court chemin jusqu’aux agapes. Pourquoi? Tout d’abord, évidemment, parce que dans le mot tablier, il y a table.
Mais aussi, parce que, au fur et à mesure que nous dégauchissons nos planches, à cette même place où je me trouve, devant le regard attentif et exigeant de nos frères, les secondes que j’espère ce jour pas trop interminables s’écoulent, et donc, plus nous nous rapprochons de notre cène pour le moins païenne quand elle n’est pas paillarde. Du tablier, garant de notre travail, à la table nourricière, il n’y a donc qu’un pas.
Est-il surprenant, d’ailleurs, de voir qu’un raccourci, sorte de passage secret caché des regards, s’ouvre directement derrière moi sur la salle de préparation des agapes. A ce stade, le hasard n’a plus cours. Lorsque l’ordonnancement des lieux rejoint à ce point l’agencement de nos soirées revigorantes, on se dit qu’assurément un grand architecte a dû présider à la construction des lieux.
Mais s’il ne peut être question à cette heure de « rendre son tablier », expression galvaudée qui pour le Franc-Maçon équivaudrait à un renoncement envers son engagement solennel, l’heure approche de soigneusement le plier avant que de le ranger provisoirement au fond d’une poche ou d’un sac. Puisse ce bout d’étoffe sans valeur aux caractéristiques improbables ouvrir pour de longues année encore notre horizon des possibles.
J’ai dit, Vénérable Maître.
Lu le 05/06/2011 | Apprenti