La fraternité un outil oublié

La fraternité un outil oublié

Chacun de nous sait que tout F.°.M.°. durant sa toilette matinale se parfume à la fraternité. Puis il s’en va répandre, de par le monde, les vérités acquises en loge, et faire aimer son ordre par l’exemple de ses qualités !
Dans notre vécu au sein de l’At.°., nous n’avons rencontré que goût de miel et parfum de rose et jamais la méchanceté !

La Fraternité un outil oublié

Chacun de nous sait que tout F.°.M.°. durant sa toilette matinale se parfume à la fraternité. Puis il s’en va répandre, de par le monde, les vérités acquises en loge, et faire aimer son ordre par l’exemple de ses qualités !
Dans notre vécu au sein de l’At.°., nous n’avons rencontré que goût de miel et parfum de rose et jamais la méchanceté !
Vous en êtes convaincu, n’est-ce pas ?
Si vous surfez sur les sites maçonniques, d’un simple clic, en frappant « fraternité » il vous tombe 50 planches et, il en est de même sur l’intranet du GODF.
La caractéristique de ces planches est de faire majoritairement place aux sentiments, au mieux à la notion de valeur. Nous sommes au niveau de l’affect.
Les mots clés sont :Amour, Amitié, Solidarité, Compassion, Compagnonnage, etc …
Assez curieusement le mot de camaraderie est quasi absent.
Je fais donc une première remarque, la fraternité est sexuée. Elle s’exerce envers des FF.°. ou des SS.°.Le mot camarade est neutre, d’autant que généralement employé sans article. Nous y reviendrons peut-être ?
La fraternité est aussi généralement abordée sous l’angle sémantique et/ou historique.
Au travers de la notion de frère, et de sœur, la fraternité est abordé du point de vue de :
La fraternité grecque,
La fraternité familiale,
La fraternité d’armes,
La fraternité religieuse,
La fraternité de corporation, etc, etc….
Nous sommes devant des rédactions savantes, parfois érudites et finalement conventionnelles. Très, très, rarement est abordé le pourquoi. Pourquoi la devise républicaine que nous avons adoptée, est elle formée de deux mots liberté et égalité aux quels il a été ajouté à un moment donné, fraternité.
Comme les révolutionnaires ne nous ont pas laissé d’explication, ce travail est une tentative de reconstitution, non pas historique mais épistémologique et symbolique.

I/L’héritage de l’ancien régime, genèse d’une idée:

Les révolutionnaires de 1789 réalisent bien l’utopie des lumières : la liberté et l’égalité par la suppression des privilèges et des castes. Le Gouliars (ou Goliards) avaient déjà imaginé cela et ils l’avaient mis en pratique dans ce que je vais nommer « Maçonnerie médiévale » faute de concept plus adapté. En effet au sein de corporations, du compagnonnage et des sociétés secrètes, dont Rabelais nous donne une description en creux, la liberté de parole et l’égalité dans les débats était mise en pratique. De même certains métiers avaient la liberté de passer, contrairement au serfs.
Au sein de ces sociétés, la fraternité solidaire était aussi une réalité, par nécessité et par devoir. Mais cela ne valait qu’à l’intérieur. Les luttes entre elles pouvaient être terrible. Régulièrement le pouvoir prenait ombrage de leur influence.
Pourquoi ajouter la fraternité aux deux mots, liberté et égalité ?
Nommés seuls on comprend aisément que, pour être parfaitement libéral au sens de l’époque, ce couple est antagoniste et peut conduire directement à la loi de la Jungle. Un antagonisme, c’est pointu, l’on ne peut s’y asseoir dessus.
Le premier à faire usage du triptyque dans un cadre officiel est Maximilien de Robespierre, dans son discours sur l’organisation des gardes nationales, le 5 décembre 1790 à l’Assemblée Nationale.
En 1791, un membre du club des Cordeliers propose cette devise : Liberté, Egalité, Fraternité, Elle est adoptée en avril 1792, au cours de la fête de la Liberté. La formule est alors « Liberté, Egalité, Fraternité, ou la mort ». On voit dès lors qu’une radicalisation est en marche. Elle sera inscrite sur toutes les façades des édifices publics, en 1793, sur les ordres du maire de Paris, pour rappeler à la population les principes fondamentaux de la Révolution. Associée à la terreur, elle est très vite abandonnée.
Puis elle disparaît sous l’Empire et la Restauration. Pouvait-il en être autrement ?
Elle ressurgit avec la révolution de 1830. Elle est ensuite revendiquée par différents révolutionnaires, en particulier le socialiste Pierre Leroux (un des fondateurs de la II° République) . Après la Révolution de 1848, la IIe République l’adopte comme devise officielle le 27 février 1848 grâce à Louis Blanc.

En 1848, dans le «Manuel républicain des Droits de l’Homme et du Citoyen », Charles Renouvier résume ainsi la philosophie du triptyque républicain :

« Les hommes naissent égaux en droits, c’est-à-dire qu’ils ne sauraient exercer naturellement de domination les uns sur les autres. La loi, dans la République, n’admet aucune distinction de naissance entre les citoyens, aucune hérédité de pouvoir. La loi est la même pour tous. »
« S’il n’y avait signé que la liberté, l’inégalité irait toujours croissant et l’Etat périrait par l’aristocratie ; car les plus riches et les plus forts finiraient toujours par l’emporter sur les plus pauvres et les plus faibles. S’il n’y avait qu’égalité, le citoyen ne serait plus rien, ne pourrait plus rien par lui-même, la liberté serait détruite, et l’Etat périrait par la trop grande domination de tout le monde sur chacun. Mais la liberté et l’égalité réunies composeront une République parfaite, grâce à la fraternité. C’est la fraternité qui portera les citoyens réunis en Assemblée de représentants à concilier tous leurs droits, de manière à demeurer des hommes libres et à devenir, autant qu’il est possible, des égaux ».

On voit transparaître une notion d’édifice en construction et d’une certaine unité (non pas unanimité ou consensus) unité fragile à refonder sans cesse sur le pilier de la fraternité.
Pierre Leroux, représentant du peuple à l’assemblée, nationale participera aussi, largement à son adoption.
La devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est associé à la République ouvrière. Le suffrage universel est adopté (mais il exclut quand même les femmes, les militaires, le clergé et les Algériens), les Associations Ouvrières sont autorisées (ancêtre des coopératives ouvrières de production). La Commission du Luxembourg étend l’égalité aux domaines économiques et sociaux, et, la fraternité au travers d’un Etat représentant le peuple souverain vient pondérer la force de la liberté et de l’égalité. La voie démocratique républicaine vient de trouver sa singularité, un fondement anticapitaliste, et antiraciste. C’est ce que nous pouvons déduire du contexte et des idées des hommes qui ont défendu ce triptyque.
Mais la République se divise, avec la répression ouvrière de juin 1848. Le retour de l’Empire renvoie la devise dans l’oubli.
Il faudra attendre la IIIe République pour que la devise soit « définitivement » adopté.
La devise est réinscrite sur le fronton des édifices publics à l’occasion de la célébration du 14 juillet 1880. Elle figure dans les constitutions de 1946 et 1958. Elle est partie intégrante de notre patrimoine national. La constitution de 1958 en proclamant la République Laïque et Sociale, assure le lien avec la IIe République et intègre la laïcité comme un dépassement de la notion de tolérance et un prolongement de la valeur de fraternité. Il faut signaler l’interruption du gouvernement de Vichy, cinq années noires, hors du champ de cette planche.
Est ce pour autant respecté ?

II/Des pierres sur le chemin :

Ce bref historique laisse peu de place à l’évolution des idées. Outre les pierres déjà posées j’en ajouterais quelques autres.
Il y aura presque autant de République que d’étape politiques et de crises révolutionnaires.
La loi du 4 Avril 1792 accorde la pleine citoyenneté aux hommes libres de couleur. Ce n’est pas l’abolition de l’esclavage, mais un grand pas.
Au travers de ces crises se forge un imaginaire, un esprit, une eschatologie même sur l’idée d’unité, de la fin des luttes fratricides, un destin universaliste, en même temps que nous appartenons, en tant que français « à la Mère Patrie ».
A un moment donné, la fraternité devient LE choix républicain de réponse à la question sociale : un outil politique.
Aux principes fondateurs de la démocratie, contenus dans la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, « Les hommes naissent libres et égaux en droit », la fraternité, un siècle plus tard, ouvre la voie à la réduction des injustices sociales.
La déclaration universelle des Droits de l’Homme conduit à l’abolition de l’esclavage. De ces volontés, les progrès humanistes sont remarquables, avec en pratique des avancées et de reculs.
L’adoption de la notion de fraternité, fonde les lois sociales, qui adoucissent le mode de production sans toutefois le changer. Les dégâts sociaux causés par le capitalisme industriel naissant en seront atténués, ce qui par incidence favorisera son essor.
Cela n’empêchera pas une violence terrible dans les rapports sociaux et les rapports de production. Il suffit de lire Zola pour s’en convaincre. Mais ce fut encore plus féroce dans les pays qui n’avaient pas souscrit à ce pacte.
Ainsi, le préambule de la constitution de 1848 précise que la République doit:« assurer l’existence des citoyens nécessiteux soit en leur donnant du travail soit en donnant à défaut de la famille des ressources ».
Confrontés à la construction démocratique les révolutionnaires français ont cherché le concept, l’outil (ou l’outil conceptuel) qui permettait de surmonter l’antagonisme libéral. C’est certainement pourquoi aujourd’hui le citoyen français est si rétif a certaines notions que les anglo-saxons ne remettent pas en cause. La notion de citoyen, même si elle connaît des reculs, est elle aussi révolutionnaire, car elle donne rendez-vous au niveau de la raison, à tous les hommes et femmes indépendamment de toute identité sauf d’être français en toute fraternité.
Jean Derrida (Politique de l’amitié ed Galilée 1994) énonce : la démocratie « C’est là son essence en tant qu’elle reste : non seulement elle restera indéfiniment perfectible, donc toujours insuffisante et future, mais appartenant au temps de la promesse … ».
C’est le mérite de la pensée républicaine française d’avoir compris que la déclaration des droits de l’homme ne suffisait pas et conçut que la notion de fraternité, pouvait être, un outil capable de rendre le futur démocratique possible. Nous nous en sommes, emparés utilisons le comme tel, un outil de transformation de la société.
Un outil de construction universel.
Les conséquences du choix de la valeur de fraternité sont, qu’au regard de l’évolution sociale, la fraternité se fonde sur un devoir d’aide et d’assistance. L’état, création des hommes, se doit d’intervenir pour rétablir l’égalité entre tous les participants au contrat.
C’est notamment l’état d’esprit des hommes de la reconstruction nationale de 1946 que les fossoyeurs néo-libéraux actuels détruisent avec obstination.

(« Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !. » [5]. Denis Kessler)

III/ Ou se cache le symbole ?:

Tous les outils symboliques du Temple sont sous nos yeux.
Il en est un que l’on a perché au plus haut du temple, aussi nous y pensons moins : la corde à 13 nœuds.
La corde à 13 nœuds est, l’outil de construction universel par excellence. Vous trouverez dans les librairies compagnonnique des ouvrages expliquant commet s’y prendre. Quand on est démuni de tout, l’on peut se passer d’équerre et de compas, du moment que l’on possède un bout de ficelle.
La corde est indispensable à la manutention sur n’importe quel chantier.
Est-ce fortuit si les nœuds sont nommés « lac d’amour » ?
Dans l’Antiquité, égyptienne la corde à nœud est l’outil de l’arpenteur, qui après les crues du Nil reconstitue le cadastre et par voie de conséquence la cohésion sociale.
C’est la corde de construction de l’initié qui par géométrisation de l’être va se mettre en ordre avant de se mettre à l’ordre.
La confection de la corde est un acte hautement symbolique puisque l’on assemble des brins fragiles pour en faire un lien résistant. L’acte de fabrication s’appelle le « commettage » mot surprenant qui vient du latin « comittere » mettre plusieurs choses ensembles, unir, assembler. Contrairement à celui qui commet une erreur, les fils peuvent se décommettre. L’action est réversible.
Un autre mot est révélateur : s’accorder, au départ s’unir par la corde !
C’est pour cela que l’écriture hiéroglyphique ignore les espaces entre les mots. Elle porte en elle le principe du lien, il ne peut exister de coupe. C’est ce qui rend la lecture si difficile à nos esprits modernes.
La corde est, depuis l’Antiquité un des premiers outils qui fut utilisé pour séparer le profane du sacré.
Nous perpétuons la tradition, je vais y revenir.
Enfin il y a les nœuds qui ont un caractère magique dans certaines traditions comme la mystique des nombres. Mais aussi plus prosaïquement des cordelettes à nœuds, simples outils, qui permettaient (et permettent encore) les opérations arithmétiques.
Analogiquement n’oublions pas que notre système nerveux est plein de nœuds, carrefour et union des impulsions nerveuses, ce qui renvoie à la géométrisation de l’initié cité plus haut. Comment ne pas évoquer le nœud plat qui permet l’union de deux cordages. Cette action est symbolisée dans la pierre de certaines églises romanes (notamment en Italie : à Trento par exemple).
Dans notre temple, il faut remarquer que cette corde se trouve non pas au sol, lieu de l’utilisation profane de cet outil, mais en haut des murs, délimitant la base de la voûte étoilée.
Cette disposition se trouve déjà exprimée dans des tableaux du XIVe siècle, d’Ambrogio Lorenzetti ou Nicolo di Bonaccorso (la présentation de Jésus et celle de la vierge au Temple de Jérusalem). Représentation, faite certainement dans l’intention, de sacraliser la scène par un objet assurant la relation avec le divin.
Michel Lapidus écrit dans : « La corde des Francs-Maçons » (ed. Maison de Vie . 2006)

« Placer la Corde sur le haut de nos murs, c’est marquer les Orients à l’intérieur du Temple pour mettre les symboles à leur juste place et les rendre fonctionnels. Plus qu’une protection magique, il s’agit d’une mise en conformité du lieu avec l’esprit qui l’anime. L’édifice, construit avec la rigueur du cordeau, est achevé dans l’épanouissement de la Corde aux Lacs d’Amour. La corde, disposée en souplesse le long des murs, suggère que l’espace ainsi délimité représente le lieu où l’énergie est en potentialité et la Lumière en capacité d’y naître. »
Tout cela nous conduit à considérer cet outil dans sa capacité évocatrice de fraternité universelle. Dans ce sens, nous pouvons remarquer qu’elle a été déposée au lieu exact comme une frontière qui nous lie au monde profane.
Les trois piliers de la devise républicaine ont tous trois la même puissance évocatrice et selon le F.° . Hantzgerg du GODF :« nous ne possédons pas encore le code pour que les trois nous soient simultanément révélés en un même mot ».

Mais nous pouvons nous pouvons saisir cet outil pour hâter « l’avènement d’une humanité meilleure et plus éclairé. »

Je conclurais en réaffirmant que la fraternité est une valeur, un concept et surtout un outil. C’est sous cette forme qu’il prend toute sa puissance dans la construction de l’égalité sociale.
Bien sûr je ne récuse pas la fraternité dans sons aspect romantique ou sentimental. La fraternité peut revêtir la forme d’un « doudou », je ne condamne pas non plus : nous avons tous un « doudou », et je connais parfaitement le mien. Sauf que c’est insuffisant pour nous F.°. M.°.
Cela devient pénible quand on jette le « doudou », et, insupportable quand on le piétine.
Saisissons nous de cet outil pour construire et en faire en une arme pour établir la justice sociale.
Je terminerais en paraphrasant Régis Debray. La fraternité c’est un refus, un projet, une organisation et/ou un réseau.
Ce pourrait être une définition de la F.°. Mac.°. ?
Enfin méditons sur l’analogie, possible, entre : Liberté, Egalité, Fraternité et Force, Sagesse, Beauté !
Mais c’est une autre planche.

B.°.L.°. Mai 2010

Lu le 02/04/2011 | Apprenti

Laisser un commentaire