L’ ÉDUCATION POPULAIRE NOSTALGIE OU RÉALITÉ ?

L’éducation populaire
L’ ÉDUCATION  POPULAIRE
NOSTALGIE  OU  RÉALITÉ  ?
 
En intitulant la planche qui va suivre : l’ Éducation populaire, nostalgie ou réalité » j’ai voulu, en quelque sorte, non seulement « revisiter » mon parcours de vie, mais aussi et surtout vérifier si aujourd’hui – comme on pouvait le poser dans les années 80 – l’ Éducation populaire est toujours un pari pour la démocratie.
Vous me pardonnerez, mes frères de parler un peu de moi, mais il me semble nécessaire de dire d’où l’on parle, d’autant que l’Éducation populaire c’est sur le terrain qu’on la pratique !
Je dirai tout d’abord que c’est mon terreau fertiligène, c’est là où je me suis fait : après avoir animé les équipes bénévoles du PACT du temps où la signification du sigle était « Propagande et Action Contre les Taudis », j’ai passé 20 ans au service du monde du travail et en particulier des Jeunes Travailleurs. De cet observatoire privilégié – le Foyer mixte de Jeunes Travailleurs – j’ai participé à l’élaboration de réponses adaptées en matière d’Habitat, d’Emploi, d’Insertion sociale et professionnelle, de Loisir. Autant d’expériences partagées qui me donnaient une légitimité pour en 1981 être co-rédacteur du projet de la Mission locale de Pau et, de 1983 à 1988, administrateur de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Vice-président durant 10 ans de l’Union Nationale des Foyers de Jeunes Travailleurs (aujourd’hui l’Union Nationale pour l’Habitat des Jeunes(UNHAJ), j’ai connu, par mes différents mandats, des ouvertures, des confrontations avec différents champs de l’ Éducation populaire. C’est ainsi que j’ai pu mesurer les grandes différences culturelles d’un pays à l’autre lors des nombreuses délégations à l’étranger que j’ai accompagnées, même si les échanges de Jeunes Travailleurs étaient réputées être de milieu homologue. J’ai la fierté d’avoir mené la première délégation des  associations d’ Éducation populaire – réunies dans le CNAJEP – qui rencontrait les premiers mouvements de jeunesse en constitution de l’après franquisme et d’avoir eu durant 5 ans la responsabilité de la Commission Aquitaine du Fonds de la Coopération de la Jeunesse et de l’ Éducation populaire. Je vous passerai les 20 autres années qui sont aussi riches que diversifiées pour entrer dans le vif du sujet.
Voici le plan que j’ai suivi  :
–         Approche de définition
–         Les différentes étapes, chronologie de l’ Éducation  populaire.
–         l’ Éducation  populaire une histoire française
–         l’ Éducation  populaire aujourd’hui et demain
 
I – Approche de définition
La difficulté de définir clairement l’ Éducation  populaire, fait partie de l’ Éducation populaire !
C’est une notion très difficile à saisir et à la fois très présente. Je dirai presque qu’il faut y avoir  baigné pour y comprendre quelque chose. On est confronté à une multitude de sigles Quand on est « dedans » on se comprend – par filiation, dans la continuité, en connivence – mais on n’est pas très soucieux de se faire comprendre à l’extérieur.
Néanmoins, on peut mettre trois idées-forces en exergue :
–         Tout d’abord, des actions, des actes, une philosophie peut-être, des méthodes certainement, des engagements qui sont portés, activés, inventés par des hommes et des femmes.
Ça commence par des acteurs, des gens qui habitent quelque part, qui sont des citoyens,qui ont des convictions qui les représentent, qui agissent ensemble. Dans l’idée de  l’ Éducation populaire il y a l’idée du collectif, un groupe de gens qui réfléchissent ensemble.
–         D’autre part on peut dire que  l’ Éducation populaire a tout son temps. On a le temps parce que l’on apprend tout au long de sa vie. Elle s’adresse à ceux qui sont intéressés – il n’y a pas de public cible – c’est une façon d’être, de sentir, d’agir, depuis la fin de l’école à la fin de sa vie ! Il n’y a pas d’âge et ce que l’on a appris on peut l’enseigner aux autres, le leur transmettre.
–         Enfin, l’ Éducation populaire comme j’ai dit précédemment, c’est sur le terrain qu’on la pratique. C’est au jour le jour, sur des lieux, des espaces/temps, des géographies des terrains qu’émerge l’ Éducation populaire.
Elle n’est donc ni nationale, ni homogène ; chaque terrain va produire son  Éducation populaire. Il y a des régions où telles ou telles actions se réalisent différemment, où tel mouvement est plus présent. C’est la remontée du terrain qui va permettre de saisir son essence.
Si on se réfère à ceux qui, avant nous, ont tenté de cerner la notion d’ Éducation populaire, on constate qu’ils semblent en accord avec quelques idées-forces. L’histoire de l’Éducation populaire se confond avec celle de la démocratisation de la société française. L’Éducation populaire peut être comprise comme un moyen de réalisation de l’ambition démocratique – « le pouvoir des citoyens, par les citoyens, pour les citoyens ». Ainsi, doit-elle permettre à ceux qui n’y ont pas accès, l’acquisition des savoirs de base nécessaires à l’exercice d’une citoyenneté, la structuration d’une pensée rationnelle, et l’apprentissage collectif de la démocratie dans les luttes menées pour la faire triompher et au sein des institutions qui la promeuvent.
Cette histoire met en scène trois acteurs – le mouvement social, ceux qu’il vise et l’État. Le mouvement social, dans toutes ses composantes génère, entre autres formes de réalisations, une éducation populaire.
Le succès de ses luttes, l’influence de ses institutions créent des conditions telles que l’État reprend à son compte et généralise ses réalisations.
Regardons de plus près  ses différentes étapes.
 
II – Les différentes étapes, chronologie de l’ Éducation  populaire.
Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler que les cahiers de doléances exprimaient déjà, en 1789, la volonté populaire de rendre l’éducation accessible à tous. Sans doute faut-il souligner que c’est cette même volonté populaire qui a, très progressivement, permis d’ancrer institutionnellement d’importantes conquêtes, depuis celle de l’ Instruction Publique (1881) jusqu’à celle de la promotion sociale (1971). Sans doute faut-il noter que c’est à des périodes d’avancées sociales marquantes que l’ Éducation populaire a pris un nouvel essor (1936 – 1945).
Une vision un peu plus impressionniste permet de dérouler la chronologie en cinq parties :
1 – Une pratique qui se met en place dans les années 1880- 1890 :
Certains aiment remonter à Condorcet. Je ne partage pas cette idée. Certes, Condorcet a  rédigé en 1792 un rapport qui va au-delà l’ Instruction publique, mais cela demeure un discours théorique. Ce qui est intéressant dans l’  Éducation Populaire, c’est de faire émerger les pratiques. C’est donc à la fin du XIXème siècle que tout d’un coup, émergent des  initiatives qui peuvent être comparables ; cela fait mouvement, c’est le début de  l’  Éducation Populaire.
La caractéristique des premières institutions d’ Éducation Populaire c’est qu’elles se développent dans le sillage des grands courants spirituels et idéologiques qui structurent la société française. Il s’agit d’oeuvres catholiques, d’oeuvres protestantes, ou encore d’oeuvres de la bourgeoisie libérale ou positiviste, ancêtre du courant laïque. Je ne développerai pas ici les deux premiers courants précités je ferai simplement remarquer à propos du troisième courant que ses oeuvres sont, avant tout, des oeuvres visant à l’éducation des adultes. C’est ainsi qu’entre 1867 et 1881, Jean Macé lancera la ligue la Ligue de l’Enseignement après la convergence de très nombreux sous-courants (socialistes utopiques, Saint-Simoniens, Polytechniciens, bourgeois philanthropes et républicains, Franc-Maçonnerie après la conversion de la majorité des Loges au Positivisme).
2 – Une partie qui se situe dans l’entre-deux-guerres :
Après l’hécatombe de la première guerre arrive la jeunesse. Il y a des attentes très fortes envers elle. C’est une période extrêmement positive. C’est une jeunesse à laquelle on croit, elle est rare et on en a besoin. On a envie qu’elle soit formée et, très vite, elle prend des responsabilités dans la société.
Je ne peux m’empêcher de souligner qu’il n’est pas sûr aujourd’hui  qu’on fasse confiance aux jeunes pour agir dans la société !…
  Du coup, des mouvements de jeunesse, nombreux, se créent. Il y a une période de rapprochement entre  l’ Éducation Populaire et l’ Instruction publique.
C’est aussi la période de la spécialisation croissante par classe d’âge, par milieu, par technique, tendance illustrée aussi bien par les mouvements de jeunesse catholiques (JAC, JEC, JOC..) par le scoutisme, que par la Ligue de l’ Enseignement à partir de la création des différents secteurs : vacances, sport, cinéma
3 – La deuxième guerre mondiale :
C’est une période bien particulière, lourde de conséquences pour l’histoire de  l’ Éducation Populaire.
A côté de la jeunesse Pétainiste (qui rappelons-le était en quelque sorte la marque du régime), la jeunesse de la résistance répond à l’appel lancé aux jeunes.
C’est une période de formation qui s’instaure pendant les temps très troublés de la guerre. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y a des gens qui n’ont pas cessé de se former pendant la guerre. C’est une priorité pour beaucoup.
C’est aussi la période où l’on a tendance à s’éloigner progressivement de l’école, y compris dans le courant laïque, au sein duquel naissent des mouvements pédagogiques (mouvement Freinet, mais aussi les CEMEA, les Francs et Franches Camarades) qui contestent les modèles traditionnels.
  4 – La libération :
A la Libération on voit naître une pratique publique sectorielle, une politique qui s’intéresse à la « jeunesse » et ne se limite pas  à l’éducation nationale. C’est l’émergence d’une politique J EP – Jeunesse et Éducation Populaire – qui entre pour la première fois au gouvernement. Les mouvements ont reçu des subventions en fonction de politiques d’agrément. L’État s’est appuyé sur les mouvements pour mener une certaine politique en direction de la jeunesse.
Cette période voit une atténuation de la bi-polarité laïques/confessionnels dans les mouvements nés après 1945. C’est sous le signe d’une laïcité ouverte que naissent Peuple et Culture, la République des Jeunes, qui deviendra la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture, et les clubs Léo Lagrange. L’Union Nationale des Foyers de Jeunes Travailleurs créée en 1955 est l’illustration même de cette tendance.
Cette laïcité ouverte se définit tantôt comme laïcité-neutralité, tantôt comme laïcité pluralisme ; mais ce qui frappe dans ces définitions, au-delà des débats avec les représentants de la laïcité plus traditionnelle, c’est le souci de ne plus faire de la laïcité un thème de démarcation, un flambeau identitaire : la laïcité appartient désormais au patrimoine commun, elle est un facteur de rassemblement.
Il faudrait évoquer les liaisons ponctuelles qui s’établissent avec le mouvement ouvrier organisé à l’époque : actions des Comités d’entreprise, les Auberges de Jeunesse où la CGT a été impliquée.
Ce qui frappe le plus, c’est la réaffirmation du modèle de la citoyenneté unanimiste dans l’ Éducation Populaire qui a finalement redonné souffle aux idéaux du civisme républicain.
  5 – Les 30 glorieuses :
C’est une cohabitation entre une demande de l’État et l’affirmation des valeurs de l’Éducation Populaire. La-cogestion  se met en place, avec Maurice Herzog., par exemple C’est la période des détachements. De grandes différences de traitement se font jour entre les associations dont les subventions varient selon le Ministre, la couleur des mouvements et leurs activités. Dès lors c’est l’émergence de résistances, de plate-forme de revendications.
L’Éducation Populaire s’institutionnalise.
  Cela se traduit par une fréquentation des cours du soir. Les ouvriers suivent les cours et beaucoup obtiennent des promotions via la Maîtrise. Souvent, le fait d’avoir seulement acquis une compétence ouvre des postes de contremaîtres.
  Pendant plusieurs années l’ Éducation Populaire a été associée à l’idée « d’ascenseur social ». La promotion a été son maître-mot :promotion individuelle/promotion collective
En période de crise elle a pu récupérer une partie de ceux qui étaient « au bord du chemin » Nous verrons plus loin ce qu’il en est aujourd’hui.
III – l’ Éducation  populaire une histoire française
  Ce balayage en cinq étapes de l’histoire de l’ Éducation  Populaire fait de l’ École l’enjeu central des affrontements politiques. Pour un Anglais, Théodore Zeldin, cette valorisation de l’ Éducation est un étonnement car elle n’a pas été aussi forte dans les autres pays occidentaux. Les  Français « croient », selon la sociologue Geneviève Poujol , dans les vertus de l’Éducation, valeur élargie de l’instruction jusqu’au domaine de la citoyenneté. Au-delà de lire, écrire et compter, il y a ce supplément d’âme qu’ André Malraux, en 1959 attribuera à la culture. Le qualificatif « populaire » désigne le public, un public quelquefois nommé « le peuple », en particulier par des catholiques sociaux réunis par Marc Sangnier dans le Sillon au début du XIXème siècle.
  La référence mythique à une filiation avec le mouvement ouvrier ne résiste donc pas longtemps à une étude sérieuse des faits.  Éducation  Ouvrière et Éducation Populaire ne sont pas et n’ont jamais été synonymes.
Ces deux mouvements ont eu une évolution parallèle. C’est bien parce qu’un mouvement ouvrier est en train de manifester son existence qu’un mouvement d’ Éducation  Populaire a vu le jour.
Elle a pris naissance dans les classes moyennes, elle aura désormais, et pour longtemps, partie liée avec une fraction d’entre elles. Ce n’est donc pas un projet issu du mouvement ouvrier, mais un projet visant à l’intégration de la classe ouvrière à des modèles sociaux nés en dehors d’elle.
Des acteurs en position médiane, entre la classe possédante et la classe ouvrière, vont en quelque sorte tenter de jouer les médiateurs. Par rapport à la lutte des classes, ils se savent extérieurs à la classe ouvrière mais ont décidé d’aller vers elle, « d’aller au peuple » dira-t-on, pour se concilier pourrait-on dire. Ils acceptent l’idée de lutte entre les classes.
  Dans les années 1960, une notion vient balayer celle d’ Éducation  Populaire : celle de l’Animation socio-culturelle. C’est un projet « ouvert à tous », et cette ambition lui vaut les faveurs de l’ État; elle est dès lors largement financée et les militants deviennent des professionnels.
   
IV – l’ Éducation  populaire aujourd’hui et demain
  Il est grand temps de revenir à la question : « l’ Éducation  populaire, nostalgie ou réalité ? »
Différents types d’approches, plus serrées, auraient pu faciliter la réponse.
En interrogeant par exemple les couples :
  –         Éducation Populaire/citoyenneté. La citoyenneté se porte mal la participation électorale est en baisse, notamment chez les jeunes ; on l’a encore vu aux Régionales. La désyndicalisation est une des plus fortes de l’Europe de l’Ouest. L’écart entre la « classe politique » et les citoyens réels ou potentiels se creuse. La démocratie locale, elle-même où, suite de la décentralisation, le pouvoir devrait être plus proche du citoyen, est en crise. Force est  de constater une augmentation de l’apolitisme et même d’un certain anti-républicanisme qui se manifeste par un vote encore massif pour le Front National. On relève des discours et pratiques d’intolérance, de racisme, d’exclusion, de sexisme, de corporatisme, voire de clanisme, un nouveau culte des chefs, des élites et des gagneurs.
–         Éducation Populaire/action internationale. L’idéologie culturelle française à tendance à faire considérer que les concepts opératoires de la société française sont transférables d’une société à une autre : ce qui est bon pour la France le serait pour l’Europe…Le passé colonial met un filtre entre la France et le monde et il nous faut toujours l’avoir à l’esprit.
–         Éducation Populaire/action économique. Après avoir mis en avant l’éducation, les loisirs, la culture, les associations d’éducation populaire ont naturellement intégré l’élément économique. Aujourd’hui le champ de l’ Éducation  populaire couvre de nouveaux chantiers, que ce soit celui de l’environnement ou celui de l’insertion.
En somme,  plus qu’un regard nostalgique, fait de regrets et teinté d’amertume, l’ Éducation Populaire doit traduire à la fois  fidélité et refus. 
Fidélité aux principes  présents dans l’énoncé de la devise républicaine qui est nôtre : Liberté, Égalité, Fraternité.
Fidélité donc à des principes qui expriment une volonté partagée : celle du respect de l’homme en toutes circonstances.
Fidélité qui s’exprime en premier lieu par des refus sur lesquels doivent se fonder les projets constructifs de l’ Éducation Populaire.
Refus  d’une société sans partage, d’une société qui s’opposerait d’une manière ouverte ou plus insidieuse à un véritable partage du savoir ; refus d’une société qui serait basée sur l’addition de replis et de mépris, d’une société négligeant le partage de la joie.
Refus ensuite d’une société en voie de perdre le sens de la vraie communication, et donc risquant de perdre le sens tout simplement.
Si la préoccupation de la communication est devenue à ce point une obsession de notre temps, n’est-ce point précisément parce qu’elle est le lien perdu de la relation sociale la plus élémentaire ? Un lien qu’aucune technique ne saurait, à elle seule, réinventer.
Si l’ Éducation Populaire ne doit pas exagérément s’attarder à la contemplation de ses conquêtes passées car il y a du « pain sur la planche » elle ne doit pas non plus renoncer à être la source de nouvelles utopies constructives. C’est la raison pour laquelle j’éprouve de la réticence à lui accoler le mot de réalité. Car de la réalité à une certaine conception du réalisme, il n’y a qu’un pas, vite franchi.
Que reste-t-il aujourd’hui de l’instance critique et de la force de proposition qu’elle incarnait ? Quelle analyse produit-elle des systèmes d’évaluation mis en place, et des lieux nouveaux où se délivre un savoir ? Comment contribue-t-elle encore à forger des esprits libres ? En quoi les situations collectives qu’elle suscite concourent-elles au renforcement de la vie démocratique au sein de notre société ? Si elle parle, qui l’entend ? Qui s’en soucie ?
Quel mouvement social osera penser cette nouvelle réalité et contribuer par son action à proposer des solutions aux problèmes qui se posent ?
Rien ne se dessine aujourd’hui qui aille fermement dans ce sens.
 
                                                                        Planche par A.H le 7 mai 2010

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