Faut-il légaliser les mères porteuses?
En préambule, permettez-moi de me réjouir de la présence de SS sur nos colonnes. Comment pourrions-nous prétendre traiter sujet comme les mères porteuses sans une présence féminine ? Merci donc mes SS de nous avoir rejoints.
Faut-il légaliser les mères porteuses ?
En préambule, permettez-moi de me réjouir de la présence de SS sur nos colonnes. Comment pourrions-nous prétendre traiter sujet comme les mères porteuses sans une présence féminine ? Merci donc mes SS de nous avoir rejoints.
VM, souvent, lorsque l’un d’entre nous te propose une planche, c’est parce qu’il a des convictions qu’il veut partager et éventuellement confronter avec celles de ses FF. Pour cette fois c’est tout le contraire.
J’avais commencé à écrire cette planche il y a déjà longtemps, à l’époque où nos politiques étaient plongés dans de nombreuses consultations, discussions, rapports et avis en prévision de la révision des lois de bioéthique. Et c’est justement parce que je n’avais aucun avis sur la question qu’il m’est apparu intéressant de m’y pencher un peu.
Depuis lors, de l’eau a coulé sous les ponts et cette loi a été votée le 23 juin 2011. Sans surprise, la gestation pour autrui n’est pas autorisée. Malgré des débats passionnés, la loi ne revient pas sur la pratique des mères porteuses, elle n’aborde même pas le sujet. Pour ce coup-ci, la messe est dite.
Pour Laure Camborieux, présidente de l’association Maïa, qui est favorable à une légalisation de cette pratique, ce n’est hélas pas vraiment une surprise. Et pourtant nous dit-elle, aujourd’hui de nombreux couples infertiles sont prêts à tout n’hésitant plus à contourner la loi pour voir leur désir d’enfant se réaliser grâce à cette méthode de procréation. Laure Camborieux affirme qu’il n’y a rien de plus simple en effet que de dénicher une « gestatrice » via Internet, à l’étranger bien sûr, mais également en France. Ces alternatives ont favorisé l’émergence d’un « trafic d’utérus » très lucratif : en Ukraine, un utérus de mère-porteuse se loue entre 15 000 et 30 000 €.
Chez nous, il nous faut bien constater que le débat sur les mères porteuses semble surtout médiatique. Culturellement, la majorité des français y demeure réfractaire et 90% des députés et sénateurs y sont opposés.
Selon Jean LEONETTI, le rapporteur de cette loi, « la procréation médicalement assistée viserait à aider les couples stériles du fait d’une pathologie ». Ceci, vous l’aurez compris, c’est pour répondre à ceux qui prétendent que cette technique permettrait aussi, le cas échéant, à des couples homosexuels masculins d’avoir des enfants. Nous retombons là sur le débat de l’homoparentalité déjà traité par notre F Patrick ce mois de septembre.
LEONETTI nous dit aussi que ce rejet s’explique par les principes fondamentaux qui régissent notre société, à savoir la non-marchandisation de l’humain, le respect de la dignité humaine et l’indisponibilité du corps. Des concepts qui nous parlent, à nous FM.
Pourtant, selon l’hebdomadaire Marianne, qui reprend les propos de Laure Camborieux, beaucoup de problèmes découlent de la location d’utérus à l’étranger. Par exemple, Lorsque les parents d’intention ont recours illégalement à la GPA, comment par la suite établir l’état civil du nourrisson ?
Alors qu’un véritable « tourisme procréatif » se développe à travers le monde, Marianne pose la bonne question : une légalisation très encadrée de la GPA ne pourrait-elle pas mettre fin à des dérives souvent très dangereuses ?
Notre F Henri CAILLAVET avait en son temps créé l’association des mères de substitution qui a permis, pendant deux ans, à deux ou trois cents personnes de bénéficier de cette insémination avec mère porteuse. Il nous précise d’ailleurs que parmi ces mères porteuses, il estime à 70% la proportion d’enfants portés par une cousine, une amie ou, plus largement, par une relation très proche. Son association a ensuite été poursuivie et dissoute pour « association à but immoral ».
Mais les mentalités évoluent un peu puisqu’en 2008, un rapport rendu par deux commissions du Sénat avait recommandé la légalisation de cette pratique en l’entourant de conditions comme par exemple la limitation à deux grossesses.
A l’image d’Irène THERY, sociologue, on peut se demander pourquoi nous n’arrivons pas, en France, à concevoir que le geste de porter un enfant pour autrui puisse être plein de sens pour certaines femmes, et même très valorisant dans certaines circonstances ?
J’ai volontairement pris le parti de ne pas m’attarder sur les appréciations des représentants des différents cultes. Sur ce genre de sujet, ils n’ont jamais aidé à faire avancer le débat. Mais voyons plutôt comment différents intellectuels dénoncent ou défendent la GPA.
Et je commencerai par un angle un peu original, mais tout de même important, avec Benoit RENAUD qui est le président du Conseil supérieur du notariat. Il prend pour exemple celui d’une femme ne pouvant enfanter, sa sœur acceptant de porter son enfant. Résultat, cet enfant se retrouve avec une mère, une tante, des cousins qui peuvent être assimilés à ses frères et sœurs… Aux yeux du notaire, on mélange les réalités biologiques et ce sont les principes simples qui fondent l’organisation de notre société qui sont ainsi remis en cause. On imagine facilement le casse-tête que peut être le règlement d’une succession dans ces cas là.
J’ai choisi cet exemple pour vous montrer que même si l’on trouvait une solution satisfaisante sur un plan humain, il y aurait encore beaucoup de répercussions à maitriser.
Alors je vous propose d’aller tout de suite sur le fond et de prendre du recul en examinant, sous forme de controverse, les arguments de deux militants convaincus mais opposés.
D’un côté, Sylviane AGACINSKI est sociologue et professeur à l’École des hautes études en sciences sociales. Elle assimile l’utilisation des femmes comme mères porteuses à la création d’un nouveau métier organique ou biologique qui nous engagerait dans la voie de la barbarie ! Pour elle, ce n’est pas négociable.
A l’opposé, François OLIVENNES, gynécologue-obstétricien spécialiste des traitements de l’infertilité. Il est tout à fait d’accord pour condamner l’exploitation de personnes sans ressources qui mettent leur corps au service de personnes plus riches, mais il considère que cela ne remet pas pour autant en cause le principe de la GPA. Il faut simplement que celle-ci soit strictement encadrée comme avec la limitation à deux grossesses proposée par le Sénat. C’est la multiplication de ces grossesses, comme ont peut le voir en Inde, qui est condamnable.
On lui répond que le fait d’encadrer n’empêche nullement que l’on touche à quelque chose de très grave : l’usage de la vie intime et des organes d’une personne. Que la rétribution soit une « indemnité » ou un « dédommagement » ne change rien au fait que l’on paye une femme pour porter un enfant, pour en accoucher, et pour finalement l’abandonner. C’est aliénant et mutilant pour la femme. Elle serait réduite à n’être qu’un « four que l’on loue le temps d’une grossesse ». Et en optant pour cette forme d’aide médicale à la procréation, on prend en plus le risque de d’infliger au bébé une souffrance liée à l’abandon.
Oui mais dès lors qu’il s’agit d’un évènement anticipé, une femme peut se détacher de son enfant. Il ne faut pas oublier la solidarité féminine face à la stérilité, qui est tragique. Les gens qui disent cela n’ont jamais parlé avec une mère porteuse. Il peut s’instaurer des liens humains, une histoire entre l’enfant, les parents d’intention et la gestatrice. La relation financière n’est pas une fatalité. Lorsqu’une femme se propose pour que sa sœur ait un enfant, il n’y a aucun échange d’argent.
Non, le cas de la sœur est une exception. En Californie, à Chypre, en Russie, en Géorgie, en Ukraine se sont développés de véritables marchés voyous où coexistent le proxénétisme, la vente d’ovocytes, la vente d’utérus et donc d’enfants. Que les femmes soient exploitées en Ukraine ou largement rémunérées en Californie (de 30000 à 50000$), leur motivation première est celle du salaire, même si on met en avant l’alibi de la générosité. C’est le besoin ou la misère qui règlent ce marché.
Oui, c’est vrai dans ces pays mais en Angleterre la rémunération pour la GPA est interdite. En Espagne on propose aujourd’hui une rémunération de 800 à 1000€ pour un don d’ovocytes. Certains diront que ça commence déjà à être incitatif mais quand on sait ce que cela représente comme parcours, on ne saurait affirmer que c’est un métier. Là où cela deviendrait dangereux c’est si les Espagnols, avec cette même somme, allaient se fournir dans les pays de l’Est ou en Inde. Il suffit donc d’encadrer ces pratiques.
Non, le principe même de la GPA est une dérive dégradante. En période de chômage et de crise, il y a forcément des candidates pour se vendre. Dès l’instant où on légalise, on légitime. La vraie question n’est pas de se demander pour qui on va le faire mais pourquoi : un salaire. Si demain on dit que seules des femmes riches pourront servir de mères porteuses pour des femmes pauvres, il restera combien de candidates ?
Oui mais en refusant le principe même de la GPA on interdit toute possibilité à des gens de trouver quelqu’un prêt à les aider. Ce déni de solidarité est regrettable.
Non, de toute façon, le droit français ne le permet pas.
Oui, bien sûr le droit français n’accepte pas encore la GPA, mais il a autorisé les bébés médicaments. Si ce n’est pas l’instrumentation d’un enfant qui est conçu pour donner sa moelle à un autre enfant, qu’est-ce que c’est ? On peu donc changer la loi pour répondre à une situation particulière.
Non, le problème médical ne justifie nullement de changer la loi et d’ouvrir ainsi la voie à un usage aliénant et mercantile du corps féminin. Une femme enceinte ne reste pas à l’écart de ce qui lui arrive. Cet évènement transforme sa vie dans son ensemble : physiquement, psychologiquement et moralement. Une grossesse et un accouchement, avec leurs risques, touchent l’intégralité physique du corps d’une personne.
Oui mais cela ne l’altère pas. On peut aussi choisir les femmes pour réduire au minimum les risques. Il faut de toute façon arrêter, dans ce débat, d’associer la GPA et l’argent.
Vous l’avez compris, je pourrais continuer ce jeu de rôle encore longtemps. Il ne sera pas facile d’accorder ces deux positions là. Pourtant le besoin existe, notamment en France. Et il est tout aussi vrai que de graves dérives sont manifestes dans de nombreux pays.
Au terme de cette réflexion, je suis favorable à la GPA, mais à condition d’éviter en tout premier lieu la marchandisation et donc en interdisant toute rémunération. Il me parait aussi indispensable de soumettre la demande d’autorisation d’une GPA à une équipe pluridisciplinaire composée de médecins et de psychologues ne serait-ce que pour s’assurer que les femmes souhaitant avoir recours aux services d’une mère porteuse ont une véritable indication médicale et qu’il ne s’agit pas pour elles d’un refus de grossesse. Et bien sûr il faut limiter le nombre de grossesses à une, exceptionnellement deux, car au-delà ça poserait à l’évidence la question des motivations.
Il n’en reste pas moins que l’expérience a montré que l’entraide désintéressée, c’est possible. Ça existe. Et sur ce noble chemin, nous avons le devoir d’avancer.
J’ai dit.
18 novembre 2011