« La vigilance s’impose ! »
Le Grand maître du Grand Orient de France, Philippe Foussier rappelle la nécessité de défendre plus que jamais la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat.
Entretien.
Marianne : L’Etat est-il coupable d’avoir abîmé » le lien avec l’Eglise ?
Philippe Foussier : Le lien entre l’Eglise et l’Etat est précisément défini par la loi du 9 décembre 1905. S’il doit être réparé le risque est grand que cette loi soit remise en question. Ce n’est pas sans raison que le Grand Orient de France, avec d’autres obédiences maçonniques et associations rassemblées au sein du Collectif laque national (CLN), souligne depuis des années la nécessité de défendre cette loi. Beaucoup trop de nos responsables publics, au plan national comme au plan local, sont en effet les promoteurs d’une autre vision des rapports avec les cultes.
Il ne faut pas sous-estimer l’attachement de nos concitoyens à la laïcité,
La tentation concordataire est grande, qui consisterait à étendre le système en vigueur en Alsace-Moselle, héritier du concordat napoléonien. A ce stade, seul l’esprit de la loi de 1905 est violemment bousculé par le contenu de ce discours. Mais il doit nous placer en alerte pour éviter que ce ne soit la lettre qui soit désormais dans l’agenda politique. La vigilance s’impose, que nous allons exercer. avec d’autres. Il ne faut pas sous-estimer l’attachement de nos concitoyens à la laïcité, bien au-delà des obédiences maçonniques et du mouvement associatif laic. Y compris chez les croyants et pratiquants ! Ils savent combien cette laïcité est la clé de voûte de nos institutions et la garante de la liberté absolue de conscience comme de l’harmonie sociale.
Le chef de l’Etat est-il dans son rôle quand il appelle les catholiques à « s’engager » politiquement, car leur « foi est une part d’engagement dont le débat a besoin » ?
La confusion entre le temporel et le spirituel est totale. Comme au temps du concordat napoléonien. Où est la neutralité qu’on serait en droit d’attendre du garant des institutions ? Quand l’Etat s’occupe des affaires des Eglises, les Eglises s’occupent des affaires de l’ Etat. Comment peut-on sans risque pour la paix civile inviter des courants religieux à se transformer en force politique ? La leçon de 2012-2013 avec la montée en tension du débat sur le mariage pour tous n’a-t-elle donc pas servi ? La société française est assez fragmentée pour ne pas en rajouter en termes d’affrontements, notamment de la part de ceux qui assènent des positions péremptoires et dogmatiques sur tant de sujets. L’exemple ancien de l’Eglise catholique mobilisée contre la République à la fin du XIX » siècle ou celui de l’islam politique aujourd’hui ne constituent-ils pas au contraire des démonstrations des risques d’un tel encouragement ? La cohésion nationale, déjà fragile, n’avait pas besoin de ça.
La cohésion nationale, déjà fragile, n’avait pas besoin de ça.
Le président n’a toujours pas tenu le grand discours sur la laïcité qu’il avait promis. Etes-vous inquiet de ce silence prolongé ?
En lieu et place d’un grand discours sur la laïcité, nous en avons eu une magnifique démonstration de cléricalisme. Nous vivons une période de désécularisation foudroyante qui voit la question religieuse envahir toutes les sphères de la vie sociale, et nous aurions au contraire besoin que la puissance publique contienne les revendications religieuses et la pression qui s’ exercent notamment sur les croyants, mais aussi sur les non-croyants. Avec l’accumulation de tels discours, les non-croyants et les agnostiques pourraient à bon droit se sentir désormais des citoyens de seconde zone.
PROPOS RECUEILLE PAR Renaud Dély