LES CHEMINS DE LA LIBERTE

R L Le Réveil du Béarn – Ten des Anciens
12 Décembre 2015

LES CHEMINS DE LA LIBERTE

Jean DELFAUD

    Le titre de ma Pl est donc « Les chemins de la liberté ». J’avais proposé ce thème à notre Ven Xavier il y a 2 mois, donc avant le sinistre vendredi 13 Novembre. Le sujet a été rattrapé par la réalité. Bien que conscient de la gravité de notre situation, je m’y référerais peu car c’est un problème douloureux et complexe qui interdit toute affirmation péremptoire. Il faudra l’analyser collectivement.
    Toutefois, il demeure une valeur basique la Liberté, premier terme de notre ternaire qui, rappelons le, fut celui de la République avant d’être celui de la Maçonnerie. Pas d’ambigüité : la Liberté n’est pas un don, ni un don du grand manitou qui est au ciel, ni un don absurde de notre condition humaine. L’homme ne naît pas libre car, dans la Nature, la liberté n’existe pas. Tout est domination et soumission. La Liberté est donc un acquis. Et je préfère alors le terme de Libération.
    Au fond, la Liberté c’est quoi ? Voici un grave problème sans fin, allant de la soumission totale au Dieu des Jansenistes jusqu’à la Liberté absurde de Sartre. Pour moi, comme pour beaucoup, le début de la Liberté vient avec la prise de conscience de nos conditionnements, de nos entraves, de nos limites. Donc la libération par la connaissance de soi et du monde. Mais je ne saurais me limiter à cette simple approche intellectuelle et statique. La Liberté est action. La Libération est un combat en opposition avec soi, avec la société, avec l’économie, la politique. La première liberté est celle de penser. Elle ne suffit pas. On doit ajouter la liberté de faire, d’entreprendre, de construire ; ce qui implique la liberté de voyager, la Liberté de passer.
    Voyager, passer d’un monde à l’autre, franchir des ponts, des portes, sortir des murailles, matérielles ou pire, invisibles, c’est la démarche maçonnique. En effet, la Maçonnerie ne fournit ni vérité ni dogmes, elle permet seulement de voyager en soi et avec les autres pour découvrir, découvrir quoi ? Rien n’est fixé, il n’y a pas de but,  tout dépend de l’histoire propre de chacun. Tout cela est bien dit par Marchado, dans cette belle langue espagnole que j’écorche « caminantes, no ay camino, pero caminando, se hace el camino ». C’est en cheminant que l’on trace son chemin. Encore une belle formule intellectuelle. Mais, dans le concret, bien qu’incertain, bien que mal tracé, il existe des Chemins de la Liberté. Pensons à ceux qui ont traversé les Pyrénées dans la nuit de l’occupation. De nos jours, pensons aux itinéraires tout aussi dangereux empruntés par le flux des réfugiés.
    Tout en sachant cela, ce matin, je vais rapidement décrire 3 chemins plus théoriques.

I – Le premier conduit de la Nature à la Société
    C’est l’histoire de l’homme avec la sociabilité qui a impliqué dans la majeure partie des cas des constructions, des maisons, des villes, des sanctuaires dont nos Temples font partie.
    L’homme est un animal naturel. Il baigne dans le flux de la nature dont il émerge progressivement. Soyons réalistes : l’état de nature, ce n’est pas le mythe du bon sauvage. Ce n’est pas le paradis où tout est possible. La Nature, c’est la lutte, le malheur, la peur L’histoire de l’humanité fut une libération, une progression, une construction, soyons pédant Ordo ab chao.
    Cette construction, c’est la réalisation de la sociabilité. Durant la Préhistoire la horde primitive était déjà un groupe qui se tenait chaud, au sens propre et figuré. Chaleur du foyer, chaleur de la grotte ou de la falaise, puis construction de la hutte, de la cabane, en bois puis en pierres. L’émergence de la ville a été une libération qui, quoi que l’on en dise, a protégé les nomades et autres gens du voyage. En effet, la liberté passe par la solidarité, une valeur Maç, par l’entraide. C’est une nécessité vitale. C ‘est plus que cela. C’est la découverte de l’autre, de sa spécificité. C’est l’acceptation de sa personnalité, de la différence qui, pour retenir la belle formule à l’entrée de la Rue Cadet, « la différence qui nous enrichit ».
    Là encore, la solidarité, elle passe par des actes, une foule de petites actions au quotidien. Mais ce sont aussi des aides dans les grandes détresses. Et ici encore, l’action individuelle ne suffit pas. La société doit prendre le relais. Juste un exemple : face à la maladie, qui aliène, la Médecine, la Sécurité Sociale, sont des voies de liberté.
    Et nous arrivons à la grande interrogation : la ville était une protection avec ses murailles, ses institutions. La grande ville est devenue un lieu d’enfermement. Nous y ressentons tous le poids des structures matérielles, sociétales, morales. Alors faut-il s’en échapper et revenir à la belle liberté des champs ? Rien n’est simple. La liberté totale, celle du véritable anarchisme est difficile à appliquer. Le risque de la solitude est grand, et rappelons nous que dans le concret, c’est la loi qui protège le faible, le malheureux, l’handicapé. Dans une société, le chemin vers la Liberté implique donc des principes, des  valeurs, une réglementation et même des responsables élus et non autoproclamés.

II – Second chemin, celui qui conduit de la cave au grenier, dans la maison, notre maison
    La maison, c’est bien connu est une représentation de notre moi, de notre vie personnelle.
    Dans cette maison, il existe des lieux de vie quotidienne, cuisine, séjour, salle de bain, chambres à coucher. Tous les jours, nous passons de l’une à l’autre de ces pièces suivant un rythme assez répétitif. Ce sont des micro-voyages, quotidiens, rassurants pour celle, ou celui, qui travaille à l’extérieur et qui retrouve son nid. Mais ces lieux sont des enfermements pour la ménagère qui se consacre à sa famille, à sa maison et qui, tout ou tard, tourne en rond.
    Dans cette vieille maison, sous ces lieux de séjour, il existe, ou existait, la cave. La cave, une profondeur, une pénombre. On y descend pour chercher des provisions, la plus noble étant le vin, une marque de continuité dans le temps. Approfondissons : symboliquement, la cave c’est aussi des voûtes, des cryptes, des zones d’ombre, inquiétantes, souvent froides et humides. Ces profondeurs sont une image de notre Moi profond, de notre inconscient. Un lieu où l’on doit descendre à la rencontre de Soi, descendre puis remonter. Il n’est pas question de s’y complaire.
    Remonter, traverser les séjours et, toujours dans les immeubles anciens, on parvient au grenier. Il est clair, chaud, armé de poutres, d’une structure. C’est un lieu de mémoire, de rêverie, d’évasion. Une illustration de notre vie intellectuelle, en fait vie spirituelle en ne donnant à ce terme que de l’humain, sans transcendance. Il est bien connu que l’imagination, c’est la folle du grenier. Peut-être, mais cette folie, cette poésie sont nécessaires pour une vie harmonieuse et totale.
    Ainsi, de la cave au grenier, en passant par la cuisine et la chambre à coucher, c’est encore un itinéraire, encore un chemin. Ce chemin a une matérialité. Autrefois, la corde à noeuds, puis l’escalier, droit ou courbe, parfois une spirale à l’image du mouvement, circulaire en apparence, mais qui est une progression. Bien sûr, de nos jours, il existe l’ascenseur, un dispositif technique rapide, trop rapide, qui évite la fatigue… Passons…
    Passons et retenons que dans notre maison, donc en nous, les chemins sont verticaux, avec une montée et descente. Un mouvement dialectique de l’ombre à la lumière et de la lumière à l’ombre.

III – Et nous voici parvenus au 3ème chemin : de la ville à la Loge
    La ville, la Loge. Deux lieux de sociabilité, deux lieux étanches en théorie. Ha ! le secret maçonnique !! Et pourtant ce sont deux pôles complémentaires que le Maçon relie par un va-et-vient. Un mouvement qui exprime la dialectique profonde de ces deux lieux.
    Traditionnelle, la Loge est située dans la Ville. Autrefois près du centre. Actuellement, souvent rejetée à la périphérie dans les zones commerciales, ce qui, en soit, n’est pas méprisable. Et constatons que les Temples sont rarement construits en rase campagne tant il est vrai que la Maçonnerie est une pratique urbaine. Dans tous les cas, sauf pour les rares servants qui sont hébergées dans les locaux maçonniques, maçonnes et maçons ne vivent pas dans le temple, dans ses annexes (salle humide, bibliothèque). Nombre de maçons y passent peu de temps, sauf les rares qui s’occupent de l’entretien. Ainsi, de la maison au Temple, le Maçon se déplace, autrefois à pied, ou en vélo comme notre F Lasvignotte qui venait d’Arthez-de-Béarn à Pau.
    Actuellement, on utilise la voiture, plus rarement le bus. Les covoiturages, occasion de convivialité, restent marginaux. Encore des  voyages qui conduisent de la maison à la Loge mère, un grand repère, mais aussi chez les voisins car la visite, très recommandée, est une pratique formatrice pour les compagnons qui peuvent s’aider de leur canne pour marcher.
    Au coeur de la Loge il y a le Temple, un espace, structuré, orienté. Cet espace clos, aux fenêtres occultées n’est pas un lieu de méditation immobile. A tous les grades, lors de toutes les initiations, des déplacements, appelés voyages, sont imposés, codifié. Au centre, le pavé mosaïque scande la progression : du Noir ou Blanc, de la Lumière à l’ombre, du Mal au Bien. Il indique le chemin le plus sûr pour aller vers la Liberté, en dépassant les peurs, les échecs, les désillusions.
    Dans le temple, on est bien. On y est au chaud. On est protégé. On communique avec des gens biens, nos SS et nos FF. La tentation peut exister de s’y confiner, de rester dans la tour d’ivoire, dans la bulle à l’écart des rumeurs, du monde. Et bien non ! Nous savons que le Maçon doit sortir, traverses le parvis et parcourir le monde extérieur, tel qu’il est, sans l’accepter béatement, sans le rejeter systématiquement, mais en travaillant à son amélioration. Une injonction bien connue qui devrait toujours être appliquée.
    Encore une dialectique.
    Dans le T, les Maç font les bilans. Ils rechargent les batteries, reprenant confiance pour sortir à nouveau.
    Un va-et-vient incessant qui ne cessera que lors du dernier voyage.

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    Brisons là. Il est temps d’arrêter les allées et venues – de la trop facile réflexion intellectuelle à la dure confrontation avec  le réel. Schématisons les quelques bornes qui ont jalonné ce discours, ce cheminement en 3 parties comme l’impose la formation maç.
    Première remarque : cet exposé a décrit un cheminement de la Nature à la Société (donc collectif), puis personnel (de la maison à soi), puis à nouveau collectif (de la Cité au Temple). Ce sont les étapes de tous les Maçons, quelque soit le grade, quelque soit le rite.
    Seconde remarque : ce chemin, ou plus exactement ces chemins, sont multiples, tour à tour divergents, puis convergents. De fait, ce sont les pistes tracées par les hommes depuis des millénaires, tracées dans la forêt de la psyché, dans la complexité et l’opacité du grand monde concret. Des pistes, sinueuses, complexes, mais pas un labyrinthe qui enferme. Juste une suite de constructions, de destructions, de déviations, puis de repérages. Une marche vers un objectif qui n’est pas défini et que personne ne peut imposer à chaque maçon, par même les Anciens, pas même le Maître. Donc ni gourou, ni chef de file. Juste avec un éclaireur, un premier de cordée. Ces parcours, ils ne sont ni rectilignes ni bétonnés. Pas d’autoroute. Mais ils comportent quelques repères, des bornes, des panneaux qui, ça et là, permettent de se situer. Pour moi, ce sont des visages, des paysages, des odeurs.  Pour le Maçon, ces repères ce sont les symboles, les grades, illustrés par des tabliers variés, simples traces sur un parcours à l’image des tampons que nos FF compagnons du Tour de France faisaient apposer sur leur carnet de route. Et, bien sûr, ces repères, sont aussi des valeurs qui indiquent, lors des croisements de chemins, la direction à adopter, à l’image de l’Etoile qui scintille devant chaque marcheur.
    Ultime réflexion : il est acquis que l’on avance seul, mais aussi avec les autres, solitaire et solidaire, compagnon de route autonome, mais relié au groupe, à ses SS et ses FF.
    L’essentiel est d’avancer, donc de faire, de bâtir. En marchant, bâtir son temple, se construire et, en même temps, participer à la marche du monde. Avancer pour se libérer, pour construire. Bien sûr, une libération incomplète, une libération relative, mais une liberté à l’échelle humaine, sans soumission au ciel, une liberté modeste, lucide, mais optimiste.
                            J’ai dit.

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